tom6oblogka3Le tome 6 de la série «L’Athos russe aux XIXe et XXe siècles», intitulé «История Русского Свято-Пантелеимонова монастыря на Афоне с 1912 до 2010 года» (Histoire du Monastère russe de Saint Panteleimon sur l’Athos de 1912 à 2015) reprend en son chapitre 1, pages 108 à 117, l’article rédigé en russe par Madame Olga Petrounine, Docteur en Histoire, Doyenne de la Faculté d’Histoire de l’Université d’État Lomonossov de Moscou, dont nous proposons la première partie de la traduction ci-après.
Entre le 3 et le 9 octobre 1912 la Première Guerre balkanique éclata, entre l’Empire Ottoman et l’Union Balkanique, formée par la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro et la Grèce. A l’issue de cette guerre l’Empire Ottoman perdit presque l’entièreté de ses territoires en Europe, y compris la péninsule de l’Athos sur laquelle il régnait depuis le XVe siècle.
La majeure partie de la Macédoine ainsi que l’Ouest de la Thrace furent intégrées à l’État grec. Les événements s’enchaînèrent très rapidement. Le 2 novembre, les troupes de la Marine grecque prirent le quai de Daphni et y hissèrent le drapeau grec. Ce jour-là, dès son arrivée à Daphni, le Contre-Amiral P. Koundouriotis, Commandant de la Flotte de la Mer Egée remit à la députation du Protaton un décret selon lequel «Nous (l’armée grecque) sommes déployés sur toute la Péninsule de l’Athos et celle-ci se trouve désormais sous notre occupation. En outre, les taxes en vigueur ainsi que toute nouvelle redevance à charge des moines athonites devront être payées au commandant de nos troupes, celui-ci disposant du droit de prononcer tout jugement dans un délai de 24 heures et de prononcer des peines de mort. En vertu du présent document, le fonctionnement intérieur des monastères est placé inconditionnellement sous le contrôle des autorités militaires grecques ».
Rapidement, une administration grecque fit son apparition sur l’Athos. La nomination des fonctionnaires, des policiers et gendarmes et des douaniers relevait également des autorités grecques.
Malgré que dans l’Empire Ottoman, l’Athos se trouvât sous le contrôle protecteur de l’Empire Russe, son occupation par l’armée grecque se déroula sans en avertir la partie russe, suscitant la préoccupation du Ministère des Affaires Étrangères. En réponse à la question de ce dernier, le Ministère des Affaires Étrangères de Grèce (Conformément au télégramme adressé à Saint-Pétersbourg par l’Ambassadeur russe à Athènes, E.P. Demidov le 7/20novembre 1914) répondit que «la situation particulière de l’Athos ne subirait aucune modification et serait préservée».

E.P. Demidov
E.P. Demidov

A Saint-Pétersbourg, pareille réponse fut considérée insuffisante.Le Ministre des Affaires Étrangères S.D. Sazonov adressa un télégramme secret à E.P. Demidov le 12/25 novembre : «Une déclaration selon laquelle la gestion intérieure ne changera pas est insuffisante. Nous ne pouvons admettre que l’Athos, qui constitue un des principaux centres de tout le monde orthodoxe, fût transféré entre les mains d’une puissance, car on peut penser que la meilleure solution à la question de la neutralité de l’Athos serait le maintien de sa dépendance de la direction spirituelle du Patriarcat Œcuménique». Le Gouvernement russe n’accepta pas l’annexion de fait de l’Athos par la Grèce et jusqu’à la Révolution d’Octobre, il entreprit des démarches pour que soit régularisé le statut juridique de l’Athos. Très rapidement après l’occupation de la péninsule athonite, Saint-Pétersbourg exprima ses protestations à ce propos : «Le Gouvernement russe a toujours préservé le Mont Athos de la possibilité d’une invasion du territoire de celui-ci par les troupes turques et n’a pas permis que des forteresses y soient érigées. Il ne peut dès lors admettre qu’y séjourne de façon prolongée un détachement de l’armée grecque sans même que la Grèce n’en ait averti la Russie», écrivit Sazonov. Une conséquence directe de l’envoi d’une administration grecque à la Sainte Montagne fut la détérioration des relations russo-grecques dans le dossier de l’Athos, l’aggravation de vieux conflits et l’apparition de nouveaux, dans la résolution desquels il ne fallait pas compter sur le Protaton. Dès lors, le monachisme russe tenta d’obtenir le soutien des grandes puissances (A la Conférences des Ambassadeurs, à Londres en 1913) et également celui du Ministère des Affaires Étrangères de Russie. Les moines russes introduisirent une série de propositions concernant le statut de la Sainte Montagne et de la communauté monastique russe compte tenu de l’évolution des relations internationales et intérieures sur le Mont Athos :
1. Donner à la Sainte Montagne le statut d’unité administrative autonome, ayant capacité d’autogestion pour les matières intérieures et indépendante de toute institution gouvernementale, les moines conservant ainsi leur citoyenneté d’origine,
2. Conférer à la communauté monastique russe un statut officiel sous forme d’une Assemblée Fraternelle du Monachisme athonite russe, et placer celle-ci sous la protection du Gouvernement russe auquel il reviendrait de constituer une institution administrative chargée des liens avec la communauté athonite russe,
3. Sur le plan de l’organisation ecclésiastique, maintenir la Sainte Montagne sous la conduite du Patriarche de Constantinople, mais créer un siège épiscopal spécifiquement chargé de la communauté monastique russe.
4. Introduire une série de réformes dans la gestion intérieure de la Sainte Montagne :
Soit modifier la composition du Protaton, proportionnellement à la composition ethnique de la communauté         monastique athonite, soit ne plus faire participer les moines russes à la conduite de cet organe,
Soustraire aux compétences du Protaton les affaires civiles et administratives,
Maintien de l’autonomie interne des Monastères russes sans changement.
5. Rendre au Monastère Saint Panteleimon toutes les terres qui lui furent enlevées illégalement et l’élever au rang de laure.
6. Élever les skites russes de Saint André et du Prophète Élie au rang de monastères, leur attribuer des terres et leur offrir la possibilité de bâtir un débarcadère.

Skite du Prophète Elie
Skite du Prophète Elie

7. Protéger le Metochion de la Skite Saint André près de Kavala des incursions de l’armée grecque et affecter une partie des recettes des possessions de la Sainte Montagne en Bessarabie au soutien de la communauté monastique russe.
8. Élever les plus grandes kelias russes au rang de skites et leur accorder la possibilité d’obtenir une certaine quantité de terres nécessaires.
9. Soustraire les communautés russes de la juridiction des monastères dont elles dépendent,
10. Limiter l’exportation de grumes hors du Mont Athos, réglementer l’usage   des sources d’eau, appliquer des restrictions à l’usage des pierres et du sable,
11. Protéger les droits de propriété des résidents russes des kelias et des kalivas,
12. Apporter une solution à la question de la construction de débarcadères pour les communautés russes et rendre le débarcadère central de Daphni accessible à toutes les communautés athonites,

Skite Saint André
Skite Saint André

13. Accorder aux communautés russes l’autorisation de construire des entrepôts communs et les exonérer des droits de douane,
14. Accorder aux communautés russes la possibilité d’organiser une école de formation spirituelle pour les jeunes moines,
15. Réglementer le prélèvement de l’impôt,
16. Maintenir sur le Mont Athos une Poste russe, et placer la poste et le télégraphe grecs sous contrôle général.
Dans ces conditions, lorsque le détachement de l’Athos hors de l’Empire Ottoman devint un fait accompli, la mission essentielle de la diplomatie russe en cette matière fut de préserver le pouvoir ecclésiastique du Patriarche de Constantinople sur la Sainte Montagne, car il s’agissait d’un moyen de protéger la communauté athonite des pressions de type nationaliste de la part des Églises des États balkaniques, et d’empêcher qu’elle fût accaparée par quelque puissance. Il existait deux prétendants : les Bulgares et les Grecs. Ces derniers s’avérèrent les plus prestes et ils parvinrent non seulement à mettre la main sur Thessalonique, clé du sud de la Macédoine, mais aussi à envoyer un de leurs détachements militaires sur le Mont Athos.
Les diplomates russes n’accordèrent pas vraiment foi aux déclarations des Grecs selon lesquelles aucune modification ne serait introduite en matière de gestion intérieure du Mont Athos, c’est pourquoi ils considéraient qu’une issue possible était la constitution du protectorat sur l’Athos, commun à toutes les nations orthodoxes dont la culture spirituelle était liée à la Sainte Montagne.
Les diplomates russes proposèrent plusieurs projets d’internationalisation de l’Athos. Les Grecs étaient forcés d’accepter de discuter ces variantes dans la mesure où ils voulaient absolument obtenir Thessalonique et une partie des îles de la Mer Égée, peuplées majoritairement de Grecs. Le projet russe reçut le soutien des gouvernements serbe, bulgare et roumain. Une réunion préparatoire aux discussions fut planifiée, entre les consuls généraux de ces pays, à Thessalonique, mais elle fut annulée car la majorité des participants ne parvinrent pas à obtenir d’instructions de la part de leurs gouvernements respectifs. Un temps précieux fut ainsi perdu ; car à ce moment naquirent parmi les anciens alliés de la coalition antiturque des frictions au sujet de la partition de l’héritage ottoman en Europe, qui finirent par déboucher sur la Seconde Guerre des Balkans.

premiere-guerre-balkaniqueLa Grèce avait été la principale bénéficiaire de la Première Guerre des Balkans, bien que de façon globale, sa contribution à la victoire finale n’ait pas dépassé celle de la Bulgarie. Malgré une augmentation significative de leur territoire, les Bulgares étaient insatisfaits du partage de la Macédoine et les Serbes, qui s’étaient sentis lésés voulaient maintenant recevoir des compensations en Macédoine. Ils en arrivèrent à des prétentions égales à celles de la Bulgarie. Celle-ci, en 1912 encore, ne pu s’accorder avec la Grèce au sujet du tracé de la frontière gréco-bulgare en Macédoine. La situation devenait propice à la conclusion d’un pacte antibulgare. Le 1er juin 1913, la Grèce et la Serbie signèrent un traité d’alliance et une convention militaire. Le nouveau conflit balkanique n’arrangeait pas l’Empire de Russie qui avait prévu à l’origine de remplir un rôle d’arbitre au moment du partage des territoires reconquis aux Turcs. Maintenant, les États des Balkans voulaient régler la question eux-mêmes.

Traduit du russe.
Source.