St Jean de Kronstadt

Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction d’un chapitre du livre «L’Archiprêtre Ioann Sergueev de Kronstadt» (Протоиерей Иоанн Сергиев Кронштадтский), recueil d’articles de divers auteurs, publié en 1943 à Kharbin par les éditions de la «Fraternité Saint Jean le Théologien» (“Братство св. Иоанна Богослова”). Le titre original complet du chapitre est «Entretien autobiographique avec les pasteurs de Sarapoul» (Автобиографическая беседа с сарапульскими пастырями). L’ouvrage ne précise pas la date à laquelle fut tenu cet entretien, dont la traduction est proposée ici en deux parties.

A ce moment, les propos du Père Jean furent interrompus par un des auditeurs.
Très vénéré Père Jean, enseignez-nous comment nous devons agir quand tous nos efforts déployés pour chasser l’ennemi hors de nous-même, de le vaincre par nous-même, ne mènent à rien. Alors surgit, involontairement, le découragement, la volonté faiblit et les mains reculent devant l’ouvrage. Est-il convenable dans ce cas de recourir à la méthode qui consisterait à essayer de n’accorder aucune attention à l’ennemi intérieur, un peu comme si on crachait sur lui?
Le Père Jean répondit vivement :
-«Oui, oui, voilà ce qu’il faut faire: il faut répéter avec ardeur le nom de Jésus Christ, et, au moyen d’un repentir profond et secret, dédaigner les ennemis invisibles, ne leur accorder aucune attention, ne pas s’occuper d’eux et considérer toutes leurs tentatives comme un mauvais rêve. Il ne faut jamais se décourager lors d’une forte tentation. Le Seigneur est toujours tout proche de nous et prêt, dès que nous répétons Son nom, à nous protéger et chasser les ennemis invisibles qui nous combattent. Il nous a dit à travers son Prophète: «Et invoque-moi au jour de la détresse; Je te délivrerai, et tu me glorifieras» [Ps.49,15 N.d.T.].»
Batiouchka, permettez-nous de vous demander encore ceci. Souvent on éprouve un sentiment très pénible à la vue de la victoire du mal. Comment, à l’aide de quoi, peut-on vaincre cette forme de découragement?
-«En effet, on éprouve un sentiment extrêmement pénible à la vue du mal qui triomphe. Il m’arrive souvent de ressentir cela. Le plus dur en cela, c’est la conscience de l’impuissance du zèle du prêtre; souvent, on est bien forcé de l’admettre. On peut se consoler dans ces cas en réalisant qu’il s’agit d’une situation passagère, envoyée par la Providence Divine dans un but particulier, connu de Dieu seulement, et tôt ou tard le mal sera vaincu et le bien triomphera. Dans de tels cas, il faut se fortifier au moyen de la prière. N’oubliez pas une seconde que le Seigneur est très miséricordieux et prompt à nous entendre. Toujours, Il tend l’oreille à notre prière et très vite, Il accède à nos demandes et nous aide, pour autant que nous nous en remettions intégralement à Sa sainte et parfaite volonté.»
S’adressant à tous ses auditeurs, le Père Jean reprend son propos.
-«Je vous le dis à tous, Pères bien-aimés, la prière doit être notre compagne permanente. Je maintiens toujours en moi une attitude de prière permanente; je rends grâce, je loue et je glorifie notre Dieu Bienfaiteur en tous lieux de Sa domination. La prière, c’est la vie de mon âme. Sans la prière, je ne peux pas être. Pour soutenir en moi cet inclinaison permanente à la prière et la relation à la grâce de Dieu, j’essaie de célébrer aussi souvent que je peux, si possible chaque jour, et de communier aux Saints Corps et Sang du Christ, et chaque fois je puise à cette source sacrée une richesse de forces puissantes pour mes multiples travaux pastoraux.
Pour ma relation de prière avec Dieu, j’ai recours aux prières prévues dans le trebnik. Ce livre constitue une énorme richesse, à laquelle chacun peut puiser ce qui lui est nécessaire, en fonction de ses multiples besoins et de ses respirations de prières vers Dieu. Dans ce livre, l’Église, comme une mère aimante, s’est efforcée de rassembler tout ce dont nous pouvons avoir besoin dans les circonstances de la vie.
Pendant mon temps libre, lorsque je ne suis pas occupé par mes activités liturgiques et pastorales, je lis les Saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testaments, et particulièrement le Saint Évangile, la précieuse bonne nouvelle de notre salut. En lisant, j’essaie de méditer chaque élément, chaque phrase, même certains mots et expressions. Ainsi, suite à cette attitude attentive envers ces livres saints, les riches pensées foisonnent et cette richesse constitue pour les homélies un fondement tel qu’aucun prédicateur n’est en mesure d’épuiser ces profondeurs divines. Et quand il s’agit de prononcer l’homélie, par exemple à propos de la lecture quotidienne des Saintes Écritures, on ne sait quelle idée sélectionner comme base de l’homélie; toutes sont tellement édifiantes. Et comme l’âme humaine est divinement révélée dans les Écritures, on dirait qu’il n’est aucune situation de l’âme qui n’y trouve son écho. Mais cette richesse incommensurable échappe à une lecture superficielle et insuffisamment méditative des Saintes Écritures. Mais pour ne pas décrocher de la vie actuelle, quand j’ai quelques minutes de libre, je lis l’un ou l’autre périodique contemporain.»
Un des participants s’adresse alors au Père Jean.
Batiouchka, au cours de vos voyages incessants dans toute la Russie, dans tant de maisons, vous changez continuellement de concélébrants. Et il arrive souvent que ceux-ci commettent des erreurs, qu’il se produise de la confusion entre eux. Et vous faites comme s’il n’en était rien; vous levez juste les yeux, mais quelques secondes plus tard, vous êtes de nouveau plongé dans la concentration de la prière. Dites-nous, s’il-vous-plaît, comment vous parvenez à réaliser cela?
Le Père Jean répondit:
– «Seulement par habitude, je suis habitué à prier toujours. Lorsqu’une attitude devient pour l’homme une habitude, il retrouve très rapidement cette attitude. J’ai intégré l’attitude de la prière continuelle, et donc, je peux très rapidement me concentrer dans la prière.»
Un participant intervient.
Batiouchka, dites-nous quelle règle de prière vous observez avant de célébrer la liturgie et avant vos multiples travaux qui vous prennent énormément de temps, et de gros efforts de volonté.
– «Dans ce cas, j’accomplis la règle habituelle de prière prescrite par l’Église à ceux qui vont recevoir la sainte communion. Dans les cas où il m’est impossible de respecter la règle, par manque de temps ou par une autre raison, je raccourcis la règle, mais je lis immanquablement les prières avant la sainte communion. Cela dit, je suis d’avis que Dieu n’attend pas de nous des prières longues et nombreuses, celles-ci ne Lui sont pas particulièrement agréables, mais des prières attentives et ardentes prononcées par toute notre âme. Mieux vaut donc lire une petite quantité de prières, avec une attention totale et un cœur tendre, qu’une grande quantité, à la hâte et distraitement. Mais ce qui m’exalte fortement et me canalise vers la prière avant la célébration de la Divine Liturgie, c’est la lecture du canon des matines. Je lis toujours moi-même le canon des matines. Quelle richesse ici, quel contenu profond, quels merveilleux exemples de la foi ardente en Dieu, de la patience dans les afflictions; l’Église nous présente quotidiennement la fidélité au devoir face aux tourments les plus cruels. A travers la lecture des canons, l’âme se pénètre petit à petit des sentiments et du comportement élevés des justes que glorifie l’Église, elle vit parmi les commémorations de l’Église et ainsi, elle s’accoutume à la vie de l’Église. Je peux dire que j’ai été éduqué à la vie de l’Église par ces lectures, c’est pourquoi je conseille à celui qui souhaite sincèrement acquérir la richesse spirituelle, d’accorder une attention très sérieuse à la lecture des canons de l’Octoèque, des Ménées et du Triode. Et je vous dis, chers Pères: si n’importe lequel d’entre vous se met avec assiduité à la lecture quotidienne des canons, il éprouvera tout ce que je viens de vous dire maintenant; à travers l’intérêt attentif qu’il portera à cette lecture, il s’élèvera quotidiennement dans la vie spirituelle et progressera dans l’imitation de saints ou du chœur des saints qui plurent à Dieu et qui défileront jour après jour sous son regard spirituel.
Voilà, chers Pères et Frères, je vous ai dévoilé mon âme, je vous ai fait voir sa physionomie afin que vous puissiez voir comment j’ai atteint ce que vous voyez en moi. Ma vie est une lutte longue, opiniâtre et constante contre moi-même, lutte que je continue à mener maintenant, avec le renfort incessant de la grâce divine. Chacun de vous peut atteindre pareils résultats pour autant qu’il se surveille sans cesse, obstinément, afin de lutter contre son vieil homme et contre les esprits du mal, et devenir enfin, avec l’aide de la grâce de Dieu, un luminaire qui brûle non pas sous le boisseau, mais sur le chandelier. Je vous le souhaite sincèrement, de toute mon âme.
Tout ce que je viens de vous dire, je ne l’avais pas préparé; j’ai dit seulement ce que le Seigneur a déposé dans mon âme. Je vous remercie pour votre attitude aimante envers moi, manifestée pendant mon court séjour ici, dans votre ville, et je suis très content d’avoir eu, avec la bénédiction de Vladika, la possibilité de m’entretenir avec vous.»
Le Père Jean termina ainsi son intervention, mais les participants lui demandèrent d’évoquer encore certaines questions brûlantes. Il s’agissait avant tout des tâches du clergé contemporains. Le Père Jean répondit qu’il devenait de plus en plus compliqué d’accomplir l’œuvre du Christ dans la société contemporaine: d’une part, la vie du peuple et ses implications deviennent de plus en plus difficiles et d’autre part, les ennemis de l’Église, dans leur tentative d’ébranler ce pilier séculaire, ce support de la vérité, recourent à des méthodes nouvelles plus subtiles. C’est pourquoi les prêtres contemporains, artisans de l’œuvre du Christ sur cette terre, ont non seulement besoin d’une formation élargie et variée, mais doivent faire preuve d’une grande et sage prudence ainsi que de fermeté dans la fidélité à leur devoir afin de rester dignes de paître le troupeau que Dieu leur a confié. Exposant sa vision des différents aspects de la vie contemporaine, Batiouchka insista particulièrement sur la tendance des meneurs autoproclamés du peuple à divertir celui-ci au moyen du théâtre, etc. Batiouchka a qualifié de tels divertissements de «maladie de la société». Il s’agit d’un signe évident de l’appauvrissement de l’esprit, d’une compréhension pervertie de la vie, et de l’absence d’autres intérêts, plus sérieux et précieux. Et ce qui est le plus surprenant en cela, c’est que cette intelligentsia, ayant troqué le vrai sens de la vie pour des balivernes étincelantes, s’efforce d’inoculer ses vues au peuple qui ne comprend rien à leur passe-temps favori. Notre peuple a besoin d’éducation, pas de petits jeux. Voilà un vaste champ pour l’activité pastorale: enseigner au peuple à passer son temps sérieusement, sainement, conformément à l’état d’esprit chrétien.
Traduit du russe.