Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Ksénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Bénédiction pour la vie monastique
Petit à petit, de nombreux jeunes, garçons et filles, apparurent sur la colline. Alors, Batiouchka nous emmena chez le Starets Ioann (Krestiankine), qui était son père spirituel depuis quelques années déjà. Chemin faisant, nous discutâmes à en perdre la voix : «Chez nous ce sera un monastère de femmes!» «Non, un monastère pour hommes!» «Eh bien, nous demanderons au Starets, et ce sera comme il bénira!». Le Père Ioann nous accueillit avec amour. Mais il n’adressa quasi pas la parole aux garçons ; ils restèrent debout près du mur. Il s’adressa immédiatement à nous, les jeunes filles, et se mit à donner des instructions. Il expliqua comment devaient se comporter les moniales, comment devait être un véritable monastère. Il nous bénit pour prendre le chemin du retour et pour la vie monastique, en fait, pour un monastère pour femmes. Et il en fut ainsi. Les garçons qui nous accompagnaient se dispersèrent : les uns se marièrent, les autres devinrent diacres ou prêtres mariés. Mais les sœurs restèrent.
Ma première obédience

L’Higoumène Xénia et sœurs du monastère (Photo : Pravoslavie.ri)

Au début, la vie de notre communauté était très peu organisée. L’hospice a été construit à partir des planches d’un ancien club (Il avait été démonté en ville et un club en briques avait été construit à la place). Toutes celles qui s’étaient installées dans le bâtiment, babouchkas et jeunes sœurs, toutes, nous gelions fortement. En hiver, on se couchait sous les couvertures et on empilait au-dessus un tas de vêtements. Et on comprenait très bien que le lendemain matin, on ne pourrait se lever que grâce à la prière, qui nous réchaufferait. Ma première obédience consista à prendre soin des babouchkas. Personne ne m’avait jamais rien appris dans ce domaine, mais ma maman avait soigné un malade alité pendant cinq ans. Ce ne fut pas difficile pour moi non plus de m’occuper des petites vieilles; je m’efforçais de le faire consciencieusement. De nombreuses babouchkas souffrirent avant leur mort, mais après, elle étaient couchées, toutes lumineuses dans leur cercueil, le visage comme de la cire. Passage de la vie corruptible à la vie incorruptible. Il était clair que leurs souffrances avant de mourir allégeaient leur sort après leur mort. C’était comme le signe de la part de Dieu de ce qu’elles étaient dignes de Sa miséricorde, le témoignage de ce qu’il leur avait été pardonné et qu’elles n’avaient pas souffert en vain. Nous pleurons ceux qui partent, mais le Seigneur nous donne des signes par lesquels nous pouvons comprendre que l’homme a reçu miséricorde. Pour moi, ces signes apparaissent notamment dans le jour précis où survient la mort, et dans la fête qui tombe le quarantième jour… Ainsi juge l’homme, ainsi juge Dieu… Les gens ont besoin de soutien et de consolation. Je me souviens de babouchka Valentina Ogloblina. Elle termina sa vie dans notre hospice. Avant de mourir, elle s’affaiblit notablement. Batiouchka devait partir pour affaires, et intuitivement, il décida de ne pas reporter au lendemain la communion de la malade. Le Seigneur l’avait donc informé et il se rendit auprès d’elle avant son départ, à trois heures et demie du matin, et lui donna les Saints-Dons. Il partit alors immédiatement. Et elle aussi, dès après la communion, s’en alla dans l’autre monde.

Le Père Savva

Maria Beliaeva. On l’amena chez nous déjà alitée. Elle était si douce, le visage rond, joyeux. Elle souriait et plaisantait. Avant de mourir, elle souffrit de fistules si profonde qu’elle atteignaient les os. Elle est morte le soir du Grand Samedi, quand s’ouvrent les Portes Royales et retentit le chant «Le Christ est ressuscité des morts, par Sa mort il a terrassé la mort!».
Une autre matouchka, Valentina, glissait dans la mort alors que le Père Savva était en route. Nous l’avons appelé, il est venu en hâte et a eu le temps de donner la communion. Tous ceux qui ont fini leur vie dans notre hospice sont partis, munis des Saints Dons. Ils étaient des gens extraordinaires, une autre formation, une autre éducation et une foi fervente.
«Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure»
En 1993, la moniale Agnia fut amenée chez nous, elle avait été tonsurée par le défunt Vladika Athanase (1927-2002). Elle était l’une de ces moniales en secret qui furent tonsurées pendant les années de persécution de l’Église. Elle vécut avec plusieurs autres moniales en secret, sous la Cathédrale de la Trinité à Perm, aidant à l’autel et dans l’église. Mère Agnia vécut avec nous pendant quelques années, jusqu’à sa mort. Parfois, nos babouchkas se disputaient entre elles, à l’hospice. Elles se querellaient, qu’y faire ? Avec la vieillesse, toutes les infirmités relèvent la tête, les caractères changent. Mais Matouchka Agnia n’a jamais juré, ne s’est jamais disputée, elle gardait le silence et priait, très douce et humble. Avant de mourir, elle fut tonsurée au grand schème et nommée Hilaria. Notre père spirituel dit qu’aujourd’hui, nous employons les mots «humilité», «douceur», «longanimité», mais nous ignorons ce qu’ils signifient.

Colline Miteïnaïa

Je priai pour que le Seigneur me fasse sentir ce que signifiait être humble et douce. Après ma prière, un moine de l’Athos m’offrit un petit livre d’instructions spirituelles, qu’il me dédicaça de ces mots : «Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure». Je pense que la moniale du grand schème Hilaria possédait cette paix intérieure. Tout comme le mal est concret, la vertu est concrète aussi, et quand l’homme vit une vie spirituelle, il apprend à discerner l’esprit de douceur ou, au contraire, l’esprit d’agressivité, il les ressent. Avant, les gens allaient trouver les pieux héros de l’ascèse et ne voulaient plus les quitter, sentant qu’autour d’eux rayonnait la Grâce Divine. Ils ne parlaient même pas, ils restaient juste à côté d’eux, et ils ne voulaient plus partir de là.
Les enfants spirituels du Père Nicolas Ragozine témoignaient de ce que l’esprit d’humilité et de douceur émanait du Starets. Le simple fait de se trouver à côté de telles gens nous transforme. La surabondance de grâce s’écoule d’elles et se déverse un peu dans notre vase. Chaque matin, je me rends sur la tombe du Père Nicolas et je sens son aide.
«Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire.»

Tombe du Père Nicolas dans la crypte

Peu de temps après mon arrivée au monastère, je tombai gravement malade. Je restait alitée six mois à l’hôpital, sans aucune amélioration. Les médecins m’avaient préparée à l’idée de mourir et voulaient me renvoyer mourir à la maison. Je craignais qu’étant si faible je ne puisse rentrer au monastère, mais le Père Savva me repris. Lors de mon départ, les médecins lui dirent «Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire». Quand Batiouchka me ramena à la Colline Miteïnaïa, des connaissance lui dirent : «Pourquoi amenez-vous une mourante dans votre désert?! Il n’y a quasi rien à manger chez vous!» Pour moi, la maladie était devenue une école de prière. C’est effrayant de regarder la mort dans les yeux. En ces moments, je compris que la prière n’est pas une obligation, mais un cri de l’âme. Chacun a ses tentations, et beaucoup de ceux qui vécurent dans les camps admirent plus tard qu’ils avaient perdu la prière telle qu’ils la pratiquaient dans les camps. Dès lors, la période de ma maladie se déroula de façon profitable. Quand on me ramena au monastère, Batiouchka donna sa bénédiction pour que je reçoive la tonsure monastique puisqu’on ne savait pas dans quel sens les événements allaient s’orienter. J’en suis sincèrement reconnaissante envers Dieu car la tonsure fut pour moi la naissance à une vie nouvelle. Progressivement, et de façon miraculeuse, je retrouvai une bonne santé.
«Tu es le Dieu qui fait des miracles»
Les années se suivent inexorablement et je vis au monastère depuis vingt-sept ans déjà. En 1998, je devins la sœur aînée, et en 1999, la supérieure. Aujourd’hui, je suis higoumène. Quand j’étais une jeune fille, je m’attristais parfois de ce que les miracles de l’enfance étaient loin dans le passé, dans les contes d’enfants. Mais quand je me tournai vers Dieu, les miracles devinrent une partie inséparable de ma vie. Je pouvais le voir même dans les événements de la vie quotidienne. Il suffisait de regarder. Les sages disent : «Tu es le Dieu qui fait des miracles». Et ainsi, ma vie se remplit progressivement de joie, s’ornant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. En effet, si on essaie de plaire à Dieu, toujours Il nous aidera par Ses miracles. La Providence Divine se manifestera en nos vies, nous La verrons et en prendrons conscience.
«Il faut aborder les gens avec discernement»

L’Higoumène Savva (Roudakov)

Je voudrais dire quelques mots sur le père spirituel et confesseur de notre monastère, l’Higoumène Savva (Roudakov). De l’histoire du monachisme et des leçons de la vie moderne, nous pouvons conclure que les monastères féminins qui ont un confesseur et père spirituel sont plus forts. Maintenant, nous voyons comment les monastères de Novo-Tikhvine à Ekaterinbourg, et de Sainte Élisabeth à Minsk prospèrent. Je pense que c’est grâce aux confesseurs de ces monastères, qui non seulement reçoivent la confession, mais s’occupent également des moniales, leur parlent, les nourrissent spirituellement. Chez nous, presque toutes les sœurs ont acquis la foi au début ou au milieu des années ’90 et sont venues au monastère alors qu’elles avaient déjà certaines conceptions profanes qui interféraient avec la vie spirituelle. Nous, les gens élevés à l’époque soviétique, il nous est très difficile de percevoir les vérités spirituelles. Ce qui était autrefois inculqué aux enfants dans la famille: obéissance, crainte de Dieu, amour de la prière, le culte et les Mystères, tout cela doit maintenant être rattrapé à l’âge adulte.
Et selon la parole de l’Apôtre Paul, notre confesseur, toujours avec douceur, «comme un père est pour ses enfants», «priant… persuadant… conjurant, de marcher d’une manière digne de Dieu, qui nous appelle dans Son Royaume et Sa gloire»(1Thes.2, 12).
Batiouchka nous apprend à accomplir les commandements de Dieu dans notre vie, et il dit : «Jadis le pharmacien ne donnait pas des comprimés tout prêts, mais des préparations particulières qu’il exécutait selon la prescription du médecin. A chacun sa poudre, à chacun son emplâtre. De même, toutes les âmes sont différentes. Ce qui est vie pour l’une signifiera mort pour l’autre. Alors, il faut ‘y prendre avec discernement».
Je rends grâce à Dieu de ce que, par les prières et la bénédiction de la Toute Sainte Mère de Dieu et de Saint Tryphon de Viatsk, je vis en ce lieu. Nous conservons au monastère une icône de la Très Sainte Mère de Dieu très vénérée localement, les reliques du Bienheureux Père Nicolas Ragozine reposent ici, et c’est ici que mena son podvig l’Apôtre de la région de Perm, saint Tryphon de Viatsk, et à proximité du monastère se trouvent de saintes sources miraculeuses. Et les gens qui viennent chez nous en retirent grand profit spirituel. […]
Traduit du russe
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