
Le texte ci-dessous est le début de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Xénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.
Grand-Mère posa abruptement la question.

Mon papa est né quand mon grand-père avait cinquante ans. Quand je suis née, papa aussi était déjà avancé en âge. Il se trouve que mes grands-parents sont nés au XIXe siècle et que je vis au XXIe siècle. Grand-Père et Grand-Mère ont été élevés dans la foi et la piété, mais maman et papa ont grandi à l’époque soviétique, lorsque les gens étaient écartés de la foi. C’est comme ça qu’ils grandirent: la mémoire d’octobre, les pionniers, les komsomols, «la religion est de l’opium du peuple.» Et ma sœur et moi avons été élevés sans être baptisées, non-croyantes. Pour Grand-Mère, comme pour toutes les babouchkas, pareille situation était très pénible. Elles souffrirent tellement, cela leur faisait si mal, qu’on ne pouvait baptiser les bébés, qu’on ne pouvait jamais communier. Je ne sais pas comment ma vie aurait évolué si finalement ma babouchka n’avait posé la question abruptement, disant à sa fille, à ma mère:
– Je ne peux pas mourir en paix si mes petites-filles ne sont pas baptisées.
En 1984, les autorités suivaient avec attention ceux qui baptisaient les enfants ou même les amenaient simplement à l’église. Mes parents travaillaient dans une usine militaire à Perm et eurent peur de baptiser leurs filles dans cette ville. Ma sœur et moi avons été emmenées dans une autre région, dans un village isolé où par miracle une église était encore ouverte, et nous avons été baptisées secrètement. J’avais treize ans à ce moment-là.
Nos babouchkas
Maintenant, en tant qu’higoumène du monastère, il m’arrive de rencontrer de nombreux pèlerins et d’écouter différentes histoires de leur vie. Et les gens avouent souvent: «Je suis venu à Dieu à l’âge adulte. Je ne sais pas pourquoi. Sans raison apparente…». Mais si je leur demande : «Et dans votre famille, il y avait des croyants?», ils répondent habituellement : «Oui, babouchka!». Les prières de nos babouchka sauvent, vivifient, font renaître à la vie éternelle nos âmes encroûtées. Elles ne sont pas dans le chœur des saints, nos babouchkas. Alors, comment plurent-elles tant à Dieu, qu’Il écoute leurs prières? Beaucoup d’entre elles sont mortes sans pouvoir attendre de recevoir la possibilité d’éduquer leurs petits-enfants dans la foi. Elles étaient les seules à croire. Et aussi, elles faisaient confiance à Dieu. C’est une chose que de simplement aller à l’église. Ce qu’il faut, c’est faire entrer Dieu dans notre vie, Lui faire confiance, espérer en Lui. Elles intercédaient auprès de Dieu pour leurs enfants et petits-enfants incroyants. Et le Seigneur ne fit pas honte à ces confesseurs de la foi. Mes deux babouchkas, du côté de maman et de papa, étaient profondément croyantes. Babouchka Daria était très pieuse, elle aimait les pauvres, accueillait les vagabonds, donnait jusqu’à ses miettes. Après avoir lavé les vêtements des pauvres, elles les mettait dans le four pour les tiédir. Grand-mère Xenia était un vrai cierge de prières. Elle est morte quand j’avais seulement trois ans. Mais elle a tellement prié pour moi que, quand on m’a demandé mon nom avant de me tonsurer, j’ai senti mystiquement que je voulais son nom. Et je suis tellement reconnaissante envers mes babouchkas! L’une était charitable, l’autre priait pour moi. Et par leurs prières, je suis la moniale Xénia.
De l’audace devant Dieu
Un jour, on nous amena au monastère une femme de trente sept ans, on l’amena comme on amène quelqu’un à l’hôpital. Et elle me raconta son histoire. Son mari faisait la noce, et pour que sa femme ne le gêne pas, il la saoulait. Un jour, il la quitta. Elle avala des médicaments. Réanimation, mort clinique. Soudain elle sentit son âme se détacher de son corps. Et elle vit ceci : son arrière-grand-mère se tenait à genoux devant Dieu et demandait en pleurant : «Reporte cela, Seigneur!». Et elle sentit son âme revenir dans son corps. Les gens de réanimation s’apprêtaient à l’emmener à la morgue. Mais ils l’observèrent : le pouls venait de recommencer à battre. Nos babouchkas, elles ont de l’audace devant Dieu…
La prière pour les proches

La prière pour les proches, avec un cœur contrit, avec amour, porte tôt ou tard ses fruits. Dans notre monastère, la moniale du grand schème Valentina m’a parlé un jour de la façon dont sa mère croyante priait beaucoup pour elle, quand elle-même n’allait pas à l’église. Quand sa mère est morte, la fille commença à fréquenter l’église. Elle devint ensuite la moniale Barbara, et plus tard la moniale du grand schème Valentina. Voilà un modèle de mère-confesseur de la foi, et du fruit abondant des prières maternelles. Quand je devint moniale, j’ai moi-même commencé à prier assidûment pour mes parents, qui étaient à ce moment-là des personnes totalement incroyantes. Au bout de sept ans, maman a commencé à lire les psaumes. Puis papa et elle se sont mariés.
Première rencontre avec le monde invisible
Après mon baptême, tout dans ma vie semblait continuer comme avant, mais déjà la grâce commençai à agir dans mon âme. Quand j’étais en huitième classe, mes parents m’envoyèrent en voyage de Perm à Plioss, une vieille petite ville sur la Volga. Là je vis un grand nombre d’églises à demi-détruites, et sans explication je voulus soudain entrer dans chacune d’elles. Je parvins à convaincre deux amies et nous décidâmes de nous glisser secrètement dans les églises. Dans l’une, nous avons grimpé par-dessus la clôture, dans une autre, nous sommes entrées par une fenêtre à moitié fermée par des planches, dans une autre encore, nous avons escaladé les échafaudages, et dans une autre, nous nous sommes faufilées par l’étroit escalier en colimaçon jusqu’au clocher.
Et tout à coup, dans ces églises oubliées, mon âme a connu un frisson étrange, une caresse divine, le contact de la grâce divine. Maintenant, je sais que chaque église, même détruite, a son propre Ange Gardien, mais alors je ne savais pas pourquoi mon cœur était rempli d’une joie tranquille. C’était le premier contact de mon âme avec le monde invisible, et il est demeuré dans ma mémoire, longtemps, jusqu’à présent.
«Alors je pleurai.»
Je souhaite partager mon expérience de ce qu’il est utile, même pour les incroyants, d’aller dans des lieux saints. En 1991, j’étais encore incroyante. Un jour, sans raison, j’achetai un billet de voyage organisé de quelques jours, «Bakhtchisaraï-Yalta». Une excursion nous conduisit dans un monastère creusé dans la montagne. Je regardai la falaise et aperçus une image, une représentation, rouge au centre et comme quadrillée sur ses bords. Qui était-ce, impossible à comprendre. Mais je persistai à observer longuement cette représentation, comme si je voulais percer un secret, comprendre ce qui se passait dans mon âme, qu’était-ce? Absolument incompréhensible. Je rentrai à la maison. Plus tard, je me tournai vers Dieu, et plus tard encore, j’entrai au monastère. Un jour, je décidai de vérifier quand exactement j’avais reçu la tonsure monastique. Il s’avéra que c’était le 20 mars, le jour de la fête des sept hiéromartyrs de Chersonèse. Je fus perturbée, parce que le jour de la tonsure est toujours important pour les moines, et correspond le plus souvent avec une fête de l’église, et à ce moment-là, je ne savais absolument rien de ces saints martyrs. Dix ans après mon premier voyage, en 2001, alors moniale, j’étais à nouveau, à Bakhtchisaraï, près de la même falaise. Cette fois, l’église de la Dormition y avait été restaurée, et au–dessus, une reproduction restaurée elle aussi de la Très Sainte Mère de Dieu, en rouge, entourée par les sept hiéromartyrs de Chersonèse. Alors je pleurai. Je ne pense pas avoir besoin d’expliquer la raison de mes larmes…
Nous ne savons quand le Seigneur touchera notre âme.

Je suis arrivée à l’Église après une excursion en bus dans ma région natale de Perm. Je pense que j’étais prête pour l’Église. Nous sommes passés devant la Cathédrale de la Sainte-Trinité, et le guide a dit: «Il y a une école du dimanche à la cathédrale». J’ai tout de suite vraiment voulu y aller, et ainsi, grâce à une excursion touristique toute banale, je me suis retrouvée à l’église. C’est pourquoi maintenant, étant higoumène d’un monastère, je soutiens de tels voyages dans les lieux saints, même s’ils ne sont pas des pèlerinages, mais sont de nature touristique: nous ne savons jamais à quel moment le Seigneur touchera notre âme et, peut-être, après avoir visité un monastère, des non-croyants viendront-ils à Dieu. À l’école du dimanche, j’appris beaucoup de choses, je commençai à entrer dans l’Église. Nous avions d’excellents enseignants, non seulement ils nous parlaient de Dieu, mais ils vivaient en Lui . Le Père Dimitri, l’un de nos professeurs, était fils spirituel du Starets Ioann (Krestiankine), et quand il racontait quelque chose, ses paroles tombaient directement dans le cœur, parce qu’elles avaient le pouvoir de l’expérience spirituelle personnelle. Alors, chaque soir, quand je rentrais chez moi, je lisais la Parole de Dieu. La littérature mondaine et la télévision étaient devenues sans intérêt pour moi. Pour la première fois, je communiai aux Saints Dons en toute conscience.
Comment choisir le bon chemin dans la vie ?

Dans notre école du dimanche, jeunes et vieux venaient suivre les enseignements. Un jour, une servante d’autel de la cathédrale nous dit à nous les jeunes : «Pour choisir le bon chemin dans la vie, pour accomplir la Volonté de Dieu en ce qui vous concerne, il faut prier la Très Sainte Mère de Dieu. Lisez quarante fois son acathiste!». Je n’avais pas de recueil d’acathistes, et je lus à la place quarante fois le Canon à la Très Sainte Mère de Dieu. Aujourd’hui, il me semble que c’est précisément ma prière fervente de jeune fille qui m’amena ici au monastère. La plupart du temps, les gens ne connaissent pas la Volonté de Dieu à leur égard. Chacun, chacune, à la mesure de ses moyens, de ses connaissances, souhaite s’orienter dans une direction, mais il est possible que le Seigneur ait prévu quelque chose de tout différent. Et pour comprendre ce à quoi on est appelé, il faut prier, demander que coïncident notre volonté et la Volonté de Dieu, et que notre travail porte du fruit en cette vie sur terre.(A suivre)
Traduit du russe
Source

C’est sur le territoire de notre monastère que se trouve la kelia et la petite tombe de la bienheureuse et célèbre staritsa, la moniale du grand schème Sepfora. Elle passa ici la dernière année de sa vie sur terre. Matouchka était clairvoyante. Des guérisons miraculeuses se produisirent alors qu’elle était encore vivante, et elles continuèrent à se produire après sa mort. Elle accorda son aide spirituelle à tous les malades et aux affligés.
Dans le texte traduit récemment ici et intitulé «Les traces de Saint Seraphim dans la neige» l’auteur, Madame Olga Rojniova évoquait le récit du pèlerinage de moniales du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Triphon auprès des reliques de Saint Seraphim à Diveevo. Ce désert précité est situé sur une colline de la région de Perm, la Colline Miteïnaïa. Madame Rojniova a écrit une série de textes relatifs à cette communauté monastique, qu’elle a intitulés «Histoires de la Colline Miteïnaia». Selon la tradition, en des temps lointains, on apercevait parfois le bienheureux ‘Miteïka’ en prière, la nuit sur la colline, qui a depuis adopté le nom du ‘bienheureux’. La traduction d’une série de ces textes est proposée sur ce blog. Celle qui se trouve ci-dessous, concerne le Père Savva (Roudakov), père spirituel de la communauté depuis les années ’80 (et qui participa aussi au pèlerinage auprès des reliques de Saint Seraphim). Le Père Savva fut le confesseur et père spirituel de Madame Rojniova elle-même, et il est aujourd’hui encore le Recteur de l’église de ce désert, et de deux autres églises paroissiales situées elles aussi sur cette colline. L’original a été publié initialement sur la page VK de l’auteur et fut mis en ligne sur le site du Monastère le 28 mai 2019.
Et puis voilà, c’était ma première nuit sur l’Athos… Je participais à l’office. Trois heures du matin. Le soir, je n’était pas parvenu à somnoler. Cela faisait plus de vingt-quatre heures sans sommeil… Dans l’église, il n’y avait pas d’électricité, les cierges brûlaient, on priait. Il faisait étouffant. La tête me tournait, je sortis dans le porche et m’assis sur un banc. Là, il faisait plus frais, l’air froid arrivait de la cour, mais le son de l’office me parvenait clairement de l’église. Je fermai le yeux et commençai à prier.
Oui… Là, sur l’Athos, des startsy mènent leur podvig… Certains d’entre eux restent inconnus du monde entier… Dans le kondakion de l’office aux saint héros de l’ascèse de la Sainte Montagne, on dit : «Menant sur elle la vie angélique»…



C’était comme dans une immense ville. On aurait dit Moscou… Mais à la limite des faubourgs. I n’y avait déjà plus de rues, juste quelques petites maisons jetées ici et là… Un lieu au relief accidenté… Des trous boueux. Plus loin, juste des mauvaises herbes et une prairie à perte de vue. Je me trouvais dans une de ces maisonnettes, ou plutôt dans l’isba du paysan. J’étais en rason, sans la panagie épiscopale, mais je savais que j’étais évêque. Dans l’isba s’entassaient entre dix et quinze hommes. Tous issus du simple peuple. Aucun riche, aucun aristocrate, aucun érudit. Le silence régnait. On se déplaçait doucement comme des mouches d’automne sur la fenêtre avant le gel hivernal… Je ne dis ris. Je ne peux rien dire : ils sont incapable d’écouter les reproches et les exhortations, ni d’ailleurs rien qui ait trait à Dieu. Leur âme est tellement blessée, par les péchés, les malheurs, l’incapacité de se relever de la chute qu’ils sont juste des hommes à la peau tellement brûlée qu’on ne peut la toucher fût-ce légèrement… Et je ressens cela et je me tais… C’est suffisant que je sois parmi eux, qu’ils ne me «supportent» pas mais se sentent tout simplement là avec moi (sans aucune familiarité, rien d’émotionnel), ne se gênent pas me considèrent «un des leurs». Silencieusement leurs cœurs me disent : «Seulement, tais-toi. Il suffit que nous soyons ensemble… Ne nous touche pas : nous n’en avons pas la force». Je suis triste pour moi-même et je ne puis rien y faire, mais plus encore, je les plains : ce sont des malheureux.

Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe de Madame Olga Rojniova, publié le 22 janvier 2015 sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agit du récit d’un pèlerinage effectué par un groupe de jeunes moniales accompagnées de leur père spirituel auprès des reliques de Saint Seraphim de Sarov en 1991. Un pèlerinage sur lequel Saint Seraphim veilla lui-même tout particulièrement.
L’article ci-dessous est la suite de l’étude de l’histoire de la formation du Canon de l’écriture du Nouveau Testament entamée avec le texte (traduit ici en cinq parties) «Le Nouveau Testament aux temps apostoliques». Le Saint Hiéromartyr, alors Archimandrite Hilarion, y examine la place des livres et la constitution progressive du Nouveau Testament dans l’Église chrétienne dans la période historique qui suivit celle des Apôtres, le temps des apologistes et des auteurs de polémiques anti-gnostiques. Le texte original compte 99 notes de bas-de pages; toutes sont des références (Épiphane de Chypre, Saint Eusèbe, Saint Irénée, Tertullien, etc.). Pour la simplicité de la lecture, nous avons omis ces notes et renvoyons à l’original ceux qui souhaiteront les examiner.