Saint Mardaire. L’immortalité de l’âme humaine et le songe de Lomonossov.

Le texte ci-dessous est un «entretien» accordé par le Saint hiérarque Mardaire Ouskokovitch (1889-1935) le 8 février 1910 à la Métropole de Chisinau, et publié le 05 mars 2021 sur le site Pravoslavie.ru.Saint Mardaire est un Saint de l’Église Orthodoxe de Serbie, glorifié, en présence du Patriarche Irénée en juillet 2017 aux États-Unis, où il a terminé sa vie. Il vécut de 1912 à 1917 à Saint Pétersbourg – Petrograd, et en 1917, il fut nommé dirigeant de la Mission Serbe en Amérique.

Aucune autre question n’a tant troublé l’esprit de l’homme depuis le début de son existence que la question de l’immortalité de l’âme, de la vie outre-tombe. Avant de procéder au déballage de cette question, il faut dire que même à l’époque actuelle, elle s’avère être une des plus pressantes, et sa difficulté est admise par les plus grands philosophes et penseurs. Mais nous serons guidés non seulement par notre raison, mais surtout par l’Écriture Sainte.
Je sais qu’en choisissant aujourd’hui pareille question comme sujet de conversation avec vous, je vais faire face aux préjugés et aux différents enseignements actuels et je vais devoir aller à contre-courant des philosophes modernes.
Depuis le début de l’existence du Christianisme, aucune époque n’a été moins imprégnée que la nôtre du sens de l’éternité. Les pensées des générations modernes qui nous entourent, sont dirigées vers les événements de l’heure actuelle, vers le domaine du monde visible. La question qui fait l’objet de la conversation d’aujourd’hui, à première vue, ne représente rien de réel, de concret. Cette vision de la chose m’embarrasse un peu, en quelque sorte on laisse tomber les bras, on sent l’inconsistance de nos connaissances théologiques et philosophiques, et on paraît prêt à descendre de cette haute chaire ecclésiastique muet, en silence mais sans perdre d’énergie. La religion chrétienne concerne l’âme de l’homme et non les goûts de l’époque, des individus ou des écoles, des tendances ou des directions. Le Christianisme est établi sur une base solide, dont les fondements sont inébranlables, et il ne cherche pas un appui dans les pensées dominantes du jour, il le cherche et le trouve dans les souffrances et les aspirations constantes de l’humanité. La vie du siècle à venir a été niée par beaucoup à toutes les époques, elle est niée par beaucoup à notre époque. Certains approchent du cercueil du défunt pour prendre son corps comme une chose inutile et même nuisible et l’enterrer au cimetière. Aucune prière ne sort de leur bouche, aucune parole divine n’éclaire leurs chagrins, mais à quoi serviraient les prières et les paroles divines quand ils ne croient pas en Dieu et dans l’au-delà? D’autres, les croyants, accompagnent le défunt avec l’espoir de se rencontrer dans le monde d’outre-tombe. Les uns se disent : « mangeons et buvons, car demain nous mourrons»(1Cor.15;32) et si parfois ils admettent la vie du siècle à venir, ils le font par matérialisme pratique. D’autre œuvrent avec crainte et tremblement à leur salut. Les affirment qu’avec la mort, tout se termine pour l’homme. Selon leur propre opinion, il n’y a pas d’âme en l’homme, et ce que nous appelons âme meurt avec l’homme selon eux. C’est ce que prétendent seulement qui nient l’existence de Dieu en même temps que l’âme. Le principal trait de caractère de ces gens, est l’insouciance : ils vivent, ne réfléchissant à rien, pour eux rien ne les intéresse dans le domaine supérieur, spirituel. La plupart du temps ils vivent une vie déréglée, visant une seule chose : comment vivre plus facilement, plus confortablement, avec plus d’amusement ; la vie les satisferait alors, même si elle serait remplie de mensonges, d’injustice, de saleté et de malice. Voilà pourquoi l’existence de Dieu et celle de l’âme sont pour eux un phénomène désagréable. Cela empêcherait leur grande vie de s’écouler comme elle s’écoule. Voilà pourquoi ils nient Dieu et l’âme. Ils savent qu’il faut répondre de l’iniquité, alors, ils se rassurent en disant que Dieu n’existe pas, et qu’il n’y a pas d’âme immortelle. Pareille vision de Dieu et de l’âme flatte leur nature pécheresse et corrompue, un tel regard leur donne le courage de manger, de boire et de s’amuser, car, selon eux, demain ils mourront de toute façon, et là, derrière le cercueil, il n’y a pas de vie, il n’y a pas d’âme et personne à qui rendre compte des actes commis.
Mais laissons-les dire et affirmer tout cela. Nous savons que l’âme est, et qu’elle est immortelle. Cela nous est confirmé par les Saintes Écritures. Dans le livre de l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament, il est dit: «L’homme s’en va dans sa maison éternelle (c’est-à-dire après la mort corporelle)… et en poussière (c’est-à-dire le corps) il retournera à la terre. Qu’il était. Mais l’esprit retournera à Dieu qui l’a donné» (Eccl. 12;5,7). Il en est de même dans le livre de la Sagesse: «Les Justes vivent pour toujours; leur récompense est dans le Seigneur et leur garde est auprès du Très-Haut»(Sag.5;15).
Tous les justes de l’Ancien Testament croyaient à l’immortalité de l’âme humaine (donc à l’au-delà). Mais l’immortalité de l’âme humaine est particulièrement claire dans le Nouveau Testament. Il est dit explicitement: «ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme; mais craignez plus celui qui peut faire chuter l’âme et le corps dans la géhenne» (Mth. 10;28). «Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants» (Mth.22;32). Ceux des chrétiens qui sont morts et qui ont atteint la résurrection des morts ne peuvent plus mourir, car ils sont égaux aux anges (Lc.20;35–36). Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ a souvent dit et répété à Ses disciples et à ceux qui Le suivaient : «Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers rongent, et où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne rongent, et où les voleurs ne percent pas les murs ni ne dérobent» (Mth.6;19-20). Ou lisez le vingt-cinquième chapitre de l’Évangile selon Saint Matthieu à propos des vierges, cinq sages et cinq folles, comment Il met en garde ceux qui le suivent afin qu’avec les mèches brûlantes ils achètent de l’huile pour que les lampes ne s’éteignent pas et que l’Époux surviennent à ce moment. C’est le moment du Jugement Dernier qui est révélé ici. S’il n’y avait ps de vie outre-tombe et, de même, si l’âme de l’homme n’était pas immortelle, alors pourquoi le Christ Sauveur aurait-Il prévenu Ses disciples du Jugement qui vient?
En plus des paroles des Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament au sujet de l’immortalité de l’âme humaine, la relation des âmes des morts avec les personnes vivantes nous en convainc également. Cette relation exista toujours pendant tout le temps de l’Ancien et du Nouveau Testament. On peut s’en assurer à la lecture de la vie de Moïse, du Roi Saul, du Prophète Samuel et d’autres encore. Mais nous ne choisirons pas d’exemples vétérotestamentaires. Nous prendrons un exemple du passé relativement récent. Voici deux cents ans, naquit en Russie un savant célèbre, Mikhaïl Vassilievitch Lomonossov. Alors que celui-ci naviguait de Hollande vers la Russie, il fit le rêve suivant, sur le bateau. A son regard s’offrait une mer glaciale infinie, dans laquelle il nageait souvent dans son enfance. Et sur la mer, il a remarqué une embarcation et son père, un pêcheur, assis dedans. Le vent fort et la tempête se sont levés, les vagues de la mer s’apprêtaient à engloutir son père bien-aimé. Lomonossov voulut se précipiter vers son père pour l’aider, mais ses bras s’engourdirent. L’embarcation, s’écrasant sur les côtes près d’une île rocheuse, éclata en morceaux. Lomonossov vit un scène terrible et effroyable. Son père luttait contre les vagues géantes de la mer cruelle.

Songe de Lomonossov

Après avoir coulé dans l’eau pendant une minute, il réapparut à la surface de l’eau et cria: «Mikhailo!», mais bientôt il fut de nouveau recouvert par les vagues et disparut de la vue de Mikhail Lomonossov, son fils. Quelques minutes plus tard le corps fut rejeté à terre. Lomonossov se réveilla alors. Le rêve qu’il venait de faire le rendit très inquiet et il décida en son âme que son père s’était vraiment noyé dans la mer et, rejeté par les vagues sur le rivage, gisait sans sépulture. A l’arrivée à Saint-Pétersbourg, de laborieuses recherches lui permirent de trouver la trace de gens originaires de sa région et il s’enquit du sort de son père. Ces gens lui racontèrent qu’au début du printemps, son père et ses camarades avaient pris la mer, mais que depuis lors, on n’avait toujours aucune nouvelle d’eux. Incapable d’apaiser le tourment de son âme, Lomonossov voulut se rendre sur l’île qu’il avait vue dans son rêve, et qu’il connaissait depuis son enfance, mais il n’eut pas l’autorisation de quitter Saint-Pétersbourg. Il demanda alors à des pêcheurs locaux de se rendre dans l’île, et s’ils y trouvaient le corps de son père, de lui donner une sépulture. Et effectivement, à l’endroit que leur avait décrit Lomonossov, les pêcheurs trouvèrent le corps de son père et l’enterrèrent. Ne ressort-il pas clairement de tout cela que l’âme du père apparut en rêve au fils, pour lui faire part de la noyade qui précéda sa mort et du désespoir post-mortel dans lequel il se trouvait sans sépulture pour son corps et sans prière? Le célèbre Mikhaïl Vassilievitch Lomonossov lui-même y croyait. (A suivre)

Traduit du russe

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