Saint Luc de Crimée. La profondeur du cœur des saints.

«... en 38 années de sacerdoce presbytéral et épiscopal, j'ai prononcé environ 1250 homélies, dont 750 furent mises par écrit et constituent douze épais volumes dactylographiés...»
(Le Saint Archevêque Confesseur et chirurgien Luc de Crimée)
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Homélie prononcée par Saint Luc de Crimée, le 11 avril 1954. Le texte original traduit ici est traduit de la version mise en ligne le 27 octobre 2021 sur le site de la paroisse Saint Luc de Crimée à Ekaterinbourg.

Voici peu, je vous ai parlé de la profondeur inhabituelle du cœur du larron, qui soudain a cru en notre Seigneur Jésus Christ, crucifié à côté de lui. Maintenant, je propose de vous parler du cœur de tous les saints. À cela s’ajoute le fait que la Sainte Église consacre le cinquième dimanche du Grand Carême à la mémoire d’une toute grande Sainte, Marie l’Égyptienne. Je vais tout d’abord parler de son cœur.
Marie était une brillante jeune fille d’une grande beauté. Elle vivait dans l’immense Alexandrie, la capitale de l’Égypte. Par sa beauté, elle captivait beaucoup, beaucoup de jeunes gens, par la débauche elle acquit une grande richesse et vécut dans le luxe. Un jour, elle alla se promener au bord de la mer, et elle vit un navire prêt à appareiller, et apprit que ce navire emmenait beaucoup de pèlerins à Jérusalem pour la fête de l’Exaltation de la Croix du Christ. Par caprice elle monta sur ce bateau, et agit tout au long du voyage comme elle le faisait d’habitude, séduisant les jeunes hommes qui voyageaient avec elle, et péchant tout au long du trajet. Ils arrivèrent en Palestine et se rendirent au temple de Jérusalem. Toute la foule du peuple entrait dans le temple, mais quand Marie voulut y pénétrer, une force inconnue l’en empêcha, lui interdisant l’entrée du temple. Elle en fut stupéfaite. Elle essaya d’entrer à plusieurs reprises, et à chaque fois une force inconnue la repoussa, l’empêcha d’entrer dans le temple. Alors son regard tomba sur une icône de la Très Sainte Mère de Dieu, suspendue au-dessus de la porte d’entrée, et elle, de son cœur profondément ébranlé, fit une prière ardente à la Très Sainte Mère de Dieu, Lui demandant de l’aider, Lui demandant d’intercéder devant son Fils né avant les siècles, et d’obtenir le pardon pour elle, pécheresse repentante. Après cette prière, elle put entrer dans le temple.
L’exaltation de la Sainte Croix la stupéfia encore plus, et elle vécut brusquement une conversion profonde. Elle sortit du temple et parcourut un long chemin, sur la rive du Jourdain, puis elle traversa le Jourdain et entra dans le désert de Jordanie. Elle marcha loin, loin dans le désert, et dans ce désert, elle vécut pendant 47 ans, sans jamais voir un visage humain, sans savoir que manger. Comment sa vie s’y déroula, on ne sait pas. Nous savons seulement, par le récit qu’elle fit avant sa mort, que pendant seize ans, elle fut tourmentée, gravement tourmentée, par les souvenirs de sa vie dans le luxe, des plats exquis et des vins fins dont on la régalait. Et au bout de seize ans seulement, ces souvenirs douloureux et tentateurs l’abandonnèrent. Au cours de sa vie dans le désert pendant 47 ans, elle acquit des dons extraordinaires du Saint-esprit. Elle ne lut jamais les Sainte Écritures, mais elle les connaissait profondément, car elles lui furent enseignées par le Saint-Esprit Lui-même. Sa prière était si extraordinaire qu’elle s’élevait dans les airs, assez haut, et priait très longtemps, avec larmes, suspendue debout dans les airs, les bras et mains levés vers le ciel. Nous voyons ainsi ce qu’était le merveilleux cœur de cette femme, ce cœur autrefois plein d’impureté, d’abomination, de fornication, de débauche, et dans lequel se produisit soudainement un retournement aussi radical et merveilleux. Ce cœur fut ébranlé par la puissance de Dieu. Le Seigneur savait la profondeur de ce cœur autrefois pécheur, Il savait de quels exploits extraordinaires ce cœur était capable. Et le Seigneur toucha de Sa dextre le cœur de Marie, et ce cœur, autrefois pécheur, devint l’un des plus grands cœurs de l’histoire de l’humanité.
Rappelons-nous aussi la grande et ardente myrophore, Sainte Marie-Madeleine. Ne lisons-nous pas à son sujet que notre Seigneur Jésus-Christ a chassé sept démons d’elle, alors imaginez à quel point la souillure de son cœur était énorme, quelle terrible méchanceté faisait rage en elle, si sept démons habitaient en elle. Et pourtant, ce cœur s’est avéré être tel que dans sa vie ultérieure, elle reçut le titre d’«égale aux apôtres», car son amour pour le Seigneur Jésus-Christ était ardent. Elle manifesta envers Lui un amour qu’aucun amour humain ne peut égaler.
Et maintenant, souvenons-nous du grand enseignant de l’Église, Tertullien. Il est considéré comme un grand maître, en particulier dans l’Église d’Occident, bien qu’il ne figure pas parmi les Pères de l’Église, car pendant un certain temps il tomba dans l’erreur et l’hérésie montaniste. Il était presbytre à Carthagène, au deuxième siècle après J.C. I était doué d’une intelligence remarquable, d’une grande profondeur. Il composa de nombreuses œuvres qui exercèrent une influence telle sur tous ses contemporains et sur tous les hiérarques ultérieurs de l’Église, qu’elles devinrent la lecture de référence de très nombreux grands et saints évêques. Et le grand Tertullien, ce cœur ardent qui brûlait d’amour pour le Christ, qui brûlait d’amour pour la vérité éternelle, raconta à son propre sujet que dans sa jeunesse, avant qu’il ne connaisse le Christ et reçoive le saint baptême, il menait une vie très dépravée. Comme vous le voyez, dans ce cœur coexistaient la perversité et cette grande sagesse qui lui permit d’expliquer de nombreux passages difficiles à comprendre dans la Sainte Écriture. Cette sagesse lui permit de rédiger de nombreux ouvrages dénonçant les hérétiques de son temps, et ils formèrent la base de la formation théologique des évêques et des prêtres.
Rappelons-nous également un autre grand Père de l’Église, particulièrement honoré dans l’Église Latine, le Bienheureux Jérôme, un homme merveilleux, qui vécut plusieurs dizaines d’années dans des grottes en Palestine, consacrant son temps à l’étude et l’analyse des Saintes Écritures. Pour ce faire, il étudia de façon approfondie toutes les langues nécessaires : il savait non seulement le latin et le grec, mais aussi l’araméen, ancienne langue juive, le syro-chaldéen, et l’arabe. Il écrivit un nombre impressionnant d’interprétations de passages de la Sainte écriture. Et ce grand homme, lui aussi, raconta qu’il avait auparavant, dans sa jeunesse, mené une vie impure.
Au même siècle vivait à Carthage l’un des grands maîtres-enseignants de l’Église, le Saint Martyr Cyprien. Il fut païen jusqu’à l’âge de 40 ans, et dans le paganisme, il mena une vie déréglée et impure, puis tout à coup, sous l’action de la puissance du Christ, son cœur naquit de nouveau, complètement. Il crut ardemment en Christ. Il fut consacré prêtre par l’Évêque de Rome, et un peu plus tard, il devint Évêque de l’Église de Carthage.Il fut lui aussi l’un des plus grands saints de l’ancienne Église.
À ses côtés on trouve un quatrième grand Père de l’Église, le Bienheureux Augustin, évêque d’Hippone. Lui aussi connut le Christ seulement à l’âge adulte, après avoir passé une jeunesse violente et pécheresse. Déjà à l’âge de 18 ans, il devint père hors de la légalité. Il maltraitait sa concubine, dont il avait eu un fils. Monique, mère d’Augustin, une femme au cœur le plus pur et de la plus grande piété, une vraie chrétienne, versa des larmes amères au sujet de son fils, car elle voyait sa vie perverse et savait qu’il avait par nature des capacités scientifiques et un grand talent oratoire. La pauvre mère pleura toutes les larmes de ses yeux, devant la mauvaise vie de son fils. Un jour, elle alla trouver l’évêque, un starets, et le supplia de sauver son fils de la perte. Et l’évêque lui dit des paroles étonnantes: «Le fils de tant de larmes ne peut aller à sa perte». Et ces paroles devinrent prophétiques. Augustin s’inscrivit à l’école de rhétorique à Carthage, où il montra de brillantes capacités oratoires. Il ouvrit même son école dans laquelle il enseignait. Mais sa vanité était blessée du fait qu’il avait très peu d’élèves; alors il alla à Rome. Puis, il fut nommé juge à Milan, et s’y installa. A cette époque, à Milan, l’évêque n’est autre que le grand Saint Ambroise. Augustin alla écouter les homélies de Saint Ambroise, s’intéressant à la rhétorique de celui-ci afin d’améliorer ses propres facultés oratoires. Mais la rhétorique s’effaça devant la vérité de ces homélies apostoliques, qui pénétra immédiatement jusqu’en son âme. Il fut e plus en plus pénétré par les enseignements du Christ, et il intensifia sa lecture des Saintes Écritures. Et par la même occasion, il abandonna ses tendances pécheresses, quitta la secte des manichéens à laquelle il appartint environ neuf ans, et devint un pourfendeur ardent et talentueux de l’hérésie manichéenne. Il vécut alors au milieu d’un nouvel entourage, chrétien, étranger à ses anciennes fréquentations.
Un jour, il entama la lecture des récits concernant les héros de l’ascèse vivant dans les ermitages et déserts de l’Égypte, et ces récits ébranlèrent Augustin jusque dans les profondeurs de son âme. S’adressant à ses amis, comme lui, jeunes et bien éduqués, et leur dit : «Qu’est-ce donc?! Nous avons consacré tant de temps à la philosophie et à l’éloquence: pourquoi n’avons-nous pas réussi à construire notre vie comme l’ont construite ces gens qui vécurent bien avant nous?» Et, sortant dans le jardin, Augustin tomba à terre, et pleura, demandant à Dieu de le guider sur une nouvelle voie: «Quand, quand donc, Seigneur, auras-Tu pitié de moi? Aie pitié de moi, Seigneur, aie pitié, aie pitié maintenant!» Et soudain, il entendit une voix: «Prends, lis, prends, lis!». Et voici ce qu’il lut dans l’Épître aux Romains : «Marchons honnêtement, comme en plein jour, ne nous laissant point aller aux excès de la table et du vin, à la luxure et à l’impudicité, aux querelles et aux jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne prenez pas soin de la chair, de manière à en exciter les convoitises» (Rom.13;13-14). Voici la réponse de Dieu reçue par Augustin. Après cela, il fut bientôt honoré du rang de presbytre. Puis il devint évêque, et en ce rang, il lutta pendant trente-cinq ans, menant une vie sans faille. Il vivait comme un vrai moine, comme un ermite, jeûnait durement, priait toujours, reclus dans sa cellule, se nourrissant de la nourriture commune avec ceux qui servaient à ses côtés, prêtres et diacres. Au cours de ses trente-cinq années de service épiscopal, il composa un grand nombre d’ouvrages théologiques qui formèrent la base de la théologie pour d’autres grands Pères de l’Église. Non seulement les latins, mais aussi l’Église orthodoxe l’honorent comme un grand Maître de l’Église. Ses écrits théologiques et ses enseignements sont remplis d’une sagesse extraordinaire et d’une connaissance profonde.
Je vous ai montré le cœur de deux saintes, autrefois femmes très corrompues, et le cœur de quatre grands Pères et instructeurs de l’Église, eux-aussi d’abord corrompus et ayant mené une vie impure. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce récit pour nous-mêmes?
Nous dirons que le cœur humain, même le cœur pur, est souvent recouvert d’une croûte sale, et nous, les pécheurs, avons l’habitude de condamner chaque personne dont le cœur nous semble couvert d’une croûte sale. Et si nous avions été contemporains de ces grands pères de l’Église, nous les aurions condamnés, sans pitié. Mais le Seigneur ne voit pas seulement la croûte sale autour du cœur de l’homme. Il voit ce qui est à l’intérieur de ce cœur, ce qui est caché profondément dans le cœur: il sait de quoi le cœur est capable, même quand il est temporairement recouvert d’une croûte sale. Sous la croûte de boue, Il voit le plus grand Saint, il voit de grandes vertus spirituelles. Et Il protège Ses Saints tout le temps où leur cœur reste couvert de la croûte de vilenie.
Souvenez-vous de cela et ne vous aventurez jamais à condamner des gens qui vous semblent manifestement pécheurs, et même vicieux. Pensez au fait que le cœur de leurs forces cachées, de leurs capacités spirituelles, nous ne le connaissons pas, et donc retenez votre mauvaise langue, qui brûle du désir de prononcer la condamnation. Et à vous, mères qui avez des enfants pervers, je vous dirai ceci : souvenez-vous de Sainte Monique, mère du Bienheureux Augustin, rappelez-vous comment, par ses larmes, elle supplia Dieu d’aider son fils. Pleurez sur vous et sur vos enfants pervers, mais ne tombez pas dans le désespoir: rappelez-vous que le Seigneur a la puissance de faire de vos enfants impurs et pervers, des purs et même des saints.
Amen.

Traduit du russe
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Archimandrite Raphaël (Kareline) : le saint, rencontre de deux personnes (3/3)

L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la traduction de la troisième partie d’un original dû au Père Archimandrite Raphaël (Kareline), et extrait de son livre »Le Souffle de Vie» (Дыхание жизни), publié en 2007 par les Éditions de l’Éparchie de Saratov et repris par la suite sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agit, comme son titre l’indique, d’un examen approfondi de la notion de sainteté, mais aussi de l’essence de la prière. Le début du texte se trouve ici. Des éléments de biographie de l’Archimandrite Raphaël sont accessibles ici.

Nous ne sommes pas du tout opposé à la tradition liturgique ni même aux coutumes qui ont un fondement solide. Mais ici, il s’agit simplement d’une destruction de la tradition en tant que transfert de connaissances dans le courant de la vie de l’Église, du remplacement de la tradition par des spéculations individuelles. Le saint est lié à Dieu comme un rayon l’est au soleil, non par sa nature, mais par la grâce; et chaque saint a sa propre audace de prière envers Dieu. Ces nombreux manuels avec leurs recommandations et recettes, inventées pour la plupart à la table de travail, sont l’occasion de critiques aiguës et injustes de l’Orthodoxie de la part de diverses sectes, en particulier protestantes. En fait, ce n’est pas un enseignement de l’Église, mais un produit de consommation. Les saints ont pu demander des dons spéciaux à Dieu, mais alors nous voulons entendre leur propre témoignage en la matière, conservé dans l’hagiographie et la liturgie, et non l’opinion de ceux qui leur collent un certain «type d’activité» et un «caractère» particulier à leurs miracles.
La prière est communion. Mais ici, l’idée de cette communion en tant que contact avec une nouvelle vie, sanctification par la grâce, en tant que rencontre de deux personnes vivantes se ternit et s’estompe: le saint doit faire une chose concrète, fournir l’aide que le manuel lui prescrit, et il devient superflu si le mouvement d’aide ne se reproduit pas. Et peu de gens réfléchissent à ce qui arrive dans la conscience de l’homme, à quoi le nom du saint est associé. Les Saints Pères ont écrit qu’en louant la vertu, nous devenons participants à la vertu, que la prière est l’un des moyens de ressembler à celui à qui elle est adressée. Maintenant, la prière perd progressivement sa profondeur mystique : « celui qui n’est pas nécessaire perd sa personnalité».
Ces derniers temps on a vu apparaître aussi beaucoup de prières composées par des inconnus, et qui sont difficilement qualifiables de prières. Elles sont écrites au niveau du mental et des sentiments; leur style ne répond absolument pas à la dynamique interne de la prière. Si nous les comparons aux prières de l’Église, nous verrons qu’elles sont quelque chose de semblable à des réflexions, des méditations ou des poèmes, et le plus souvent, pas de la meilleure des qualités.
Dans les livres des prières de l’Église, l’âme peut se retrouver, elles transmettent l’expérience mystique des saints, son expression verbale. Cette expérience est si profonde que la personne qui les lit s’y retrouve intimement. Ces prières sont l’effusion d’un cœur purifié par la grâce et qui, par conséquent, ressent plus intensément la pression hostile de la force démoniaque et la gravité du péché; elles contiennent une énorme tension spirituelle, mais en même temps il n’y a pas d’enthousiasme sensuel, de drame extérieur. C’est pourquoi, de siècle en siècle, elles ont été lues par les chrétiens orthodoxes, transmises de génération en génération; elles sont acceptables pour tout âge spirituel; héritées pour la plupart des anciens, elles ne deviennent jamais obsolètes, et passent d’esprit en esprit, noyau de la personnalité humaine. Alors que les prières, composées «pour les diverses occasions de la vie», adaptées à diverses circonstances et besoins, sont écrites par la raison et touchent donc l’âme, mais pas l’esprit. Ces prières, on les prie rarement, c’est-à-dire qu’on élève rarement l’œil de l’âme vers Dieu; le plus souvent, on les lit comme un enseignement sur ce qu’un chrétien doit faire, penser et expérimenter dans ce cas. Et cela réduit aussi le sentiment religieux. La prière, non seulement dans son contenu, mais même dans la structure de la phrase et l’arrangement des mots, reflète l’état interne de son auteur: et ici, dans ces prières écrites dans une veine narrative, avec une présentation détaillée de l’essence de l’affaire demandée à Dieu, on constate un évident glissement de l’esprit à l’âme. L’homme ne peut pas se retrouver dans de telles prières, il ne peut pas entendre en eux les consonances de son esprit. En lisant une telle prière, il «explique» à Dieu, et à lui-même, ce qu’il faut faire, mais il est peu probable que son esprit se réveille de sa sieste habituelle.
Par la prière, nous entrons dans l’Église Céleste, dans le champ de lumière de la grâce divine, nous surmontons nos limites de créature et nous amenons à la vie ce potentiel spirituel dans lequel l’image et la ressemblance de Dieu sont imprimées. Nous approfondissons et élargissons notre être, ou plutôt, pas nous, mais la force divine, à laquelle, par la prière, l’homme donne la possibilité d’agir dans son âme.
Certains se demandent: à quel sujet prier alors que Dieu sait mieux que nous ce dont nous avons besoin? Celui qui dit cela ne comprend pas l’essence de la prière. Dieu veut Se donner Lui-même à nous, comme le plus grand bien, mais ce don ne peut être accepté que par l’amour. Ce n’est pas Dieu que nous n’aimons, mais nous-mêmes. C’est la pire conséquence de la chute. Le fondement de la vie n’est plus Dieu, mais le soi. Par conséquent, nous devons tourner notre cœur vers Dieu, nous devons rechercher ce qui est perdu, recréer ce qui est détruit, sortir de la captivité des passions et des illusions qu’elles créent dans le monde de la vérité suprême que l’Évangile nous révèle.
Cependant, ce n’est pas notre nature corrompue qui peut véritablement le faire, mais la grâce divine. Seulement, la grâce veut que nous-mêmes, librement, par notre propre volonté, nous nous efforcions de l’acquérir, en lui soumettant notre esprit et nos sentiments. Et ici, il y a une interaction complexe entre la volonté humaine et la grâce, qui est difficile à saisir par la pensée et à conclure par la parole: «je ne peux pas, mais je décide; je suis impuissant, mais sans moi Dieu ne peut pas me sauver; je suis frappé par le péché qui est entré comme une maladie dans ma nature, mais sans l’aide de Dieu, je ne peux même pas penser au bien, et en même temps je suis responsable du mal que je fais, y compris de chaque parole fausse et chaque pensée impure. Puisque je suis responsable de ma propre âme et que ma conscience me dit que je fais le bien et le mal non pas par nécessité, mais arbitrairement, cela signifie qu’il y a quelque chose en moi qui se dresse au-dessus de l’abîme du péché dans mon âme. Ma volonté est corrompue, comme tous les sentiments, mais que reste-t-il en moi?».
Saint Maxime le Confesseur nous révèle qu’il existe deux volontés: l’une est la volonté naturelle et une autre, qu’il qualifie de volonté gnomique, et qui est la capacité de faire des choix. «Ce n’est pas moi qui d’abord cherche Dieu, mais c’est d’abord Dieu me cherche», et ici la réponse à l’appel de Dieu doit être donnée par la volonté gnomique: «Non pas “qui je suis”, mais “qui je veux être” et “Qui peut me sauver”». Se déploiera alors l’interaction de la grâce et de la volonté, appelée synergie. Mais ce mot peut être mal compris, dans un sens semi-pélagien. C’est pourquoi nous devons nous rappeler qu’il ne s’agit pas ici de l’interaction de forces égales, volonté et grâce. Ici, c’est la grâce qui accomplit: elle crée, sanctifie, donne de la force et renouvelle la nature humaine déchue, et la volonté est tournée vers la grâce comme seul moyen de salut. C’est une aspiration de soi à la grâce.
Imaginons le tableau suivant. L’homme est tombé dans un tourbillon qui le retient. Par lui-même, il est incapable de résister au mouvement de l’eau. Mais soudain, une corde lui est jetée du rivage, il la saisit des deux mains, et est tiré sur le rivage. L’homme ne pouvait pas être sauvé par ses propres forces, mais il a fait le bon choix: sans essayer de résister à l’eau qui le tordait comme un ruban, il a saisi la corde et l’a utilisée pour atteindre le rivage. Quelque chose de similaire se produit dans l’interaction de la volonté humaine et de la grâce. Le Seigneur, par amour pour nous, donne et retire ensuite Sa grâce, ou plutôt l’action apparente de la grâce. Elle semble se cacher de nous et agit en secret. Nous devons la chercher encore et encore, en voyant notre impuissance et en plaçant tout notre espoir en Dieu seulement. C’est ainsi que se forme la personnalité de l’homme. L’animal n’a pas de personnalité, mais seulement une nature: le genre, l’espèce et, à certains égards, l’individualité, c’est-à-dire la particularité. La personnalité n’appartient qu’à la divinité, aux Anges et aux hommes et femmes.
La relation mutuelle entre la grâce et la volonté se définit surtout dans la prière. Dans la prière, on se tourne vers Dieu pour s’adresser à Lui. Dans la prière, la grâce renouvelle l’image et la ressemblance de Dieu dans l’homme, c’est-à-dire, parlant le maladroit langage contemporain, qu’elle les active, les met dans un état dynamique, et la propriété de l’image de Dieu est de refléter en elle-même l’Image Originelle. Par conséquent, dans la prière, l’homme apprend à aimer Dieu. Mais l’amour spirituel est aussi une action et un don de la grâce. La prière est inséparable de la vie humaine. Si quelqu’un prie correctement, alors l’accomplissement des commandements de l’Évangile s’ouvre à lui comme la vraie vie, à travers eux il sent que le Seigneur est bon. La prière sans obéir aux commandements devient un travail stérile. En même temps, sans prière, il est impossible d’accomplir les commandements de l’Évangile, car le Seigneur a dit: Sans Moi, vous ne pouvez rien faire. Et encore une fois, quand on fait preuve de négligence à propos de l’accomplissement des commandements, la prière est semblable à un arbre planté sur un sol rocheux et il ne peut s’enraciner.
La prière est l’art le plus élevé, et en même temps la chose la plus simple, comme le babillage d’un enfant. Quand le petit enfant dit: «Maman», sentant sa présence, sa chaleur, il sent de toute son âme que sa vie est impossible sans sa mère. Dans la prière, la chose la plus importante est de ne pas perdre le sens de la présence de Dieu en tant que personne vivante. Quand il y a ce sentiment, il n’y a pas besoin de mécanismes externes à la prière, alors l’homme remercie le Seigneur pour le don même de la prière, pour le fait qu’il peut tourner l’œil de son cœur vers Celui que les Anges adorent avec crainte.
Traduit du russe

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Archimandrite Raphaël (Kareline) : le saint, rencontre de deux personnes (2/3)

L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la traduction de la deuxième partie d’un original dû au Père Archimandrite Raphaël (Kareline), et extrait de son livre »Le Souffle de Vie» (Дыхание жизни), publié en 2007 par les Éditions de l’Éparchie de Saratov et repris par la suite sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agit, comme son titre l’indique, d’un examen approfondi de la notion de sainteté. Cette deuxième partie du texte propose en outre des phrases merveilleuses sur la nature de la prière. La première partie du texte se trouve ici. Des éléments de biographie de l’Archimandrite Raphaël sont accessibles ici.

L’homme est un être social. C’est avec joie que nous nous retrouvons au sein d’un cercle de gens honorables. Nous sommes heureux de parler avec un starets ou un ascète, et même d’être simplement un peu près d’eux, car leur présence réchauffe notre cœur; il semble se décongeler de la mortelle froidure des péchés. Par conséquent, la possibilité même de communiquer avec les saints par la prière est un don, plus que ce que nous leur demandons habituellement dans cette prière. La prière, liturgique et domestique, est l’image de cet amour céleste qui unit les anges et les saints dans la vie éternelle. L’amour est personnel. Un objet peut plaire, on peut y être attaché, mais l’objet ne peut être aimé, car il ne peut être question de réciprocité. Nous utilisons souvent à tort le mot «amour» en référence à quelque chose: ce n’est pas de l’amour, mais un désir d’en être propriétaire et détenteur. Lire la Suite

Archimandrite Raphaël (Kareline) : le saint, rencontre de deux personnes (1/3)

L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la traduction en plusieurs parties d’un original dû au Père Archimandrite Raphaël (Kareline), et extrait de son livre »Le Souffle de Vie» (Дыхание жизни), publié en 2007 par les Éditions de l’Éparchie de Saratov et repris par la suite sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agit, comme son titre l’indique, d’un examen approfondi de la notion de sainteté. Des éléments de biographie de l’Archimandrite Raphaël sont accessibles ici.

Que signifie le mot «saint», que nous utilisons non seulement dans la vie liturgique, mais aussi, souvent, dans la vie quotidienne? Sur base de quoi l’Église glorifie-t-elle les héros de la foi, témoignant ainsi de leur sainteté et nous donnant le droit de nous adresser à eux dans nos prières?
Si nous demandons aux gens qui nous entourent, et parmi eux aux chrétiens vivant la vie de l’Église, ce que signifie «un saint homme?», nous obtiendrons des réponses disparates. Lire la Suite