Les Secrets de Saint Jean de Kronstadt (2/2)

Texte composé par Anton Jogoliov à partir d’un entretien avec l’Archiprêtre Guennadi Belovolov, fondateur et conservateur de l’appartement-mémorial de Saint Jean de Kronstadt, à Kronstadt. Le texte fut publié le 24 octobre 2008, à l’approche du centième anniversaire de la natalice de Saint Jean de Kronstadt (20 décembre 1908/02 janvier 1909), sur le site «La bonne nouvelle. Journal Orthodoxe» (Благовестъ Православная газета). La première partie de la traduction se trouve ici..

«Le Père Jean aimait tout le monde»

Quels sont les autres paroles ‘légendaires’ attribuées à Jean de Kronstadt, et dont on n’a pas trouvé confirmation dans les faits ?

Le Monastère de Leouchino sous eau

Dans le livre de Sourski consacré au Saint et juste Jean de Kronstadt, se trouvent ces paroles : «Au-dessus de Perm, une croix noire ». On pourrait tout à fait lier cette prophétie avec l’assassinat par fusillade dans cette ville du Grand Duc Mikhaïl Romanov [Le frère du Tsar-Martyr Nicolas II N.d.T.] … Mais ce lien est impossible à prouver. Sourski écrivit cela plus d’un quart de siècle après la mort du saint, sur la parole d’émigrants… Généralement, on attribue à Saint Jean de Kronstadt des prophéties menaçantes, sombres. On connaît ainsi à Ekaterinodar, aujourd’hui Krasnodar, la prophétie , attribuée au Père Jean, selon laquelle cette ville serait noyée. Mais, jusqu’à présent, on voit qu’elle n’a pas été noyée. Et pourtant, Saint Jean de Kronstadt séjourna à de nombreuses reprises au Monastère de Leouchino (Ce monastère était pour lui ce que fut Divieevo pour Saint Seraphim de Sarov). Et jamais, il n’annonça que ce monastère serait englouti sous les eaux… Mais quelques décennies plus tard, le Monastère de Leouchino fut noyé… On connaît aussi la célèbre prophétie à propos de Saint-Pétersbourg. Quand les bolcheviques profanèrent les reliques de Jean de Kronstadt, il se serait levé et aurait dit «je vous punirai!»… et il aurait prié pour qu’ait lieu le blocus de la ville. Évidemment, penser que par la prière de Saint Jean de Kronstadt, la ville de Saint-Pétersbourg dut subir l’effroyable blocus est tout à fait déplacé. Le Père aimait «tous et toutes», et soudain il aurait «prédit» le blocus… Il s’agit ici d’une substitution subtile:l’homme à l’âme débordante de bonté, celui qui se lamente et se repent du mouvement le plus évanescent de son âme prononcerait soudain un «oracle» des plus lugubres…
Dans un des livres publiés récemment au sujet de l’époque de la persécution de l’Église Russe, les «johannites» n’apparaissent pas comme nous sommes habitués à nous les représenter, sous forme de fanatiques égarés, comme les «khlisti», et autres sectaires, mais comme des gens à la foi profonde, capable de défendre celle-ci pendant les persécutions et accédant même pour certains à la couronne de martyr… Que sont donc les «johannites»?
Pour les ennemis, il était nécessaire d’accrocher l’une ou l’autre «casserole» à Jean de Kronstadt. Car il était le rempart de l’Orthodoxie et de l’Autocratie; il fallait le noircir. A partir de 1905, la presse jaune, désespérée de ne pouvoir piéger Batiouchka lui-même d’une façon ou l’autre, s’attaqua à son entourage. C’est alors que fut créé le mythe des johannites. Ces gens existaient réellement, mais la réalité ne correspondait pas avec l’image qui en fut créée de toute pièce. Dans leur grande majorité, les johannites étaient de simples et fidèles enfants spirituels du Père Jean. Aucun d’entre eux ne considérait qu’il était «dieu» ou «une incarnation de la divinité», comme les petits journaleux l’inventèrent. Il est invraisemblable qu’après dix siècles de Christianisme en Russie apparaisse soudain un mouvement qui dans son essence serait tout proche des cultes orientaux, les krishnaïtes et autres… Les khlisti eux-mêmes n’allèrent pas, dans leurs égarements, jusqu’à identifier pleinement leur dirigeant à un «dieu». Il voyaient en lui seulement une certaine «ressemblance»… Il est possible que certains cas isolés de fanatisme et d’aveuglement, de maladie spirituelle, aient existé, mais en général, les johannites ne se distinguaient en rien des habituels fervents fidèles Chrétiens. C’était une sorte de fraternité portant le nom du Père Jean. Le batiouchka de Kronstadt avait entrepris une démarche de service tellement importante qu’il ne pouvait la maintenir à flots à lui seul. Il avait besoin d’aides, de fidèles proches. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes venaient aux offices à Kronstadt. Il fallait les accueillir, les nourrir, les loger. La Cathédrale Saint-André pouvait contenir jusqu’à cinq mille fidèles, mais lors des grandes fêtes, jusqu’à sept mille venaient y prier! Ces années-là, la ville de Kronstadt comptait au plus quinze mille habitants, chaque jour, des milliers de pèlerins y arrivaient… Il y avait donc des gens qui aidaient en permanence le Père Jean à recevoir les pèlerins. Ce sont eux qu’on appelait les johannites. Il en existait aussi une communauté à Oranienbaum, ville voisine. Que n’a-t-on dit d’eux! Qu’ils volaient les enfants, qu’ils les affamaient… Mais en fait il y a là un orphelinat, où les enfants apprenaient à prier, recevaient à manger et à boire… Si Batiouchka n’était pas mort fin 1908, on ne sait jusqu’où seraient allés ces empilements de mensonges. Peut-être lui serait-il arrivé ce qui plus tard arriva à Raspoutine.
Un incident me permit de comprendre à quelle effroyable harcèlement le Père Jean fut soumis. Il y a chez nous à Piterbourg ce collectionneur de cartes postales nommé N. Schmitt-Fogelevitch. Sa collection compte deux cents mille cartes postales. Je me suis rendu chez lui. Deux pièces sont tapissées de cartes postales,du sol au plafond! Et j’ai vu là une vingtaine de cartes avec des caricatures de Saint Jean de Kronstadt. C’était affreux de voir cela!… Ces cartes furent imprimées alors que Batiouchka vivait encore. Il est représenté dans des scènes en compagnie de filles à peine habillées, tenant un verre de vin… Ces images calomnieuses ne correspondaient à rien dans la réalité ; il s’agissait seulement de diffamer ce Juste.

«Des familles heureuses, il y en a beaucoup. Toi et moi, vivons donc pour Dieu!»

On sait très peu de choses de la ville de famille de Jean de Kronstadt. Matouchka Élisabeth Konstantinovna demeure toujours comme dans l’ombre de son saint époux. Parlez-nous d’elle…
Matouchka décéda le 17 mai 1909, survivant juste six mois à Batiouchka. Élisabeth Nezvitskaia était la fille du recteur de la Cathédrale Saint André à Kronstadt. Elle naquit au village de Kiarovo, dans le raïon de Gdov, oblast de Pskov, qui faisait alors partie du Gouvernorat de Saint-Pétersbourg. A notre époque, c’est dans cette paroisse que célébra longtemps le célèbre auteur et chanteur, le hiéromoine Roman Matiouchine. C’est là qu’il écrivit beaucoup de ses chansons. Élisabeth Konstantinovna fut éduquée selon les traditions patriarcales et cela l’aida grandement à accepter humble son destin malaisé. Elle mena son podvig avec Jean de Kronstadt. Le Père Jean avait été appelé par Dieu ; il avait conscience de cet appel et était prêt pour la vie monastique. Étant intérieurement un ascète, il ne ressentait aucun appel à une vie de couple. Mais il choisit la vie de prêtre marié car il considérait que le temps était venu pour les héros de l’ascèse de ne pas quitter le monde, mais au contraire d’aller sur les places, d’aller vers les gens. Encore à l’Académie, il fréquentait assidûment les cercles missionnaires et envisageait même de partir en mission en Chine. En passant, je ferai remarquer que si cela s’était réalisé, je pense que la Chine aurait pu devenir un pays Orthodoxe.
Mais sa matouchka n’était pas d’emblée préparée à une vie de podvig aussi sévère. Elle fut mise devant le fait accompli. Les Père Jean lui dit : «Lisa, des familles heureuses, il en est beaucoup. Toi et moi, vivons plutôt pour Dieu». Accepter le dur chemin du mariage angélique ne fut pas facile pour elle. Elle ressentait le besoin de devenir mère. Ce n’est pas un hasard si vers la fin de sa vie, elle prit auprès d’elle la fille de sa sœur, sa nièce Rufina Chemiakina, qui dans les faits devint sa fille adoptive. Élisabeth Konstantinovna exprima de la sorte la maternité qu’initialement elle n’avait pu réaliser. Et quel podvig elle accomplit! Vivant mariée à un saint, elle ne le gêna en rien, l’aida en tout, mais en demeurant inaperçue… Certains écrivains montrent qu’il y aurait eu de sa part quelques murmures contre son mari, et , disent-ils, elle aurait même adressé au consistoire une plainte contre lui… Mais personne n’a jamais trouvé cette lettre de plainte. Dès lors, nous ne pouvons à ce jour ni infirmer ni confirmer cette histoire de plainte.
Mais en revanche, il est tout à fait connu qu’elle fut durant de nombreuses décennies la collaboratrice de son mari. Quand Élisabeth Konstantinovna devint veuve, elle enfilait la tunique de son mari et priait ainsi vêtue… Ce fait en dit long sur le lien profond unissant Matouchka et son Batiouchka ; la tunique de celui-ci devint son vêtement à elle! Et si un jour on décide de la glorifier comme sainte (Pour ma part, je considère que le saint Batiouchka avait une sainte Matouchka!), on écrira sans aucun doute dans le récit de sa vie, que son podvig fut avant tout celui de l’humilité. On n’a conservé qu’une seule photographie où ils figurent à deux, côte à côte (il en existe d’autres dans lesquels ils font partie d’un groupe plus large), et ce fait en dit long, lui aussi.

Le confessionnal de toute la Russie

Quelles étaient les convictions politiques de Jean de Kronstadt? Était-il affilié à un parti quelconque?
Il bénit la création de l’Union du Peuple Russe. Il fut membre de cette organisation et partageait l’idéologie de l’Union. Il considérait qu’il s’agissait d’une des possibilité permettant de dépasser la maladie de la révolution qui sévissait à cette époque en Russie. Une histoire existe, selon laquelle Jean de Kronstadt aurait eu la carte d’affiliation n°1 de cette organisation. Mais je n’ai jamais vu cette carte, et je ne puis donc le confirmer.
Beaucoup de gens parlent de «confession communes» menées par Saint Jean de Kronstadt. Comme se déroulaient-elles en pratique?
Physiquement, le Père Jean ne pouvait confesser individuellement chacun de ceux qui venaient demander à être lavés de leurs péchés. Quand aujourd’hui un prêtre veut se relier à l’expérience de Saint Jean de Kronstadt sans introduire dans sa paroisse la «confession commune», ce n’est pas une démarche tout à fait correcte. Il n’y a tout de même plus cinq ou sept mille fidèles dans les églises. Celui qui compte cinquante à soixante fidèles dans sa paroisse, ne doit se faire passer pour un continuateur de l’œuvre de Saint Jean de Kronstadt s’il recouvre celle-ci de son manque de zèle. Quand le Père Jean était seulement le pasteur de Kronstadt, il confessait chaque paroissien individuellement. Quand il est devenu pasteur de toute la Russie, il ne pouvait plus le faire. Il adressa au consistoire de Saint-Pétersbourg une demande d’autorisation de mener des confessions communes. Et il fut le seule à recevoir pareille autorisation. Il n’avait pas décidé de célébrer à sa manière! Mais cette autorisation fut refusée aux autres… La Cathédrale Saint-André fut ainsi le confessionnal de toue la Russie. Le Père Jean confessait après la célébration du Mystère de l’Eucharistie, pendant la Liturgie. Après avoir communié lui-même (Et je pense que pour lui, c’était très important), il sortait sur l’ambon et prononçait une courte homélie. On en a conservé quelques-unes. C’était tout juste six ou sept phrases, et quand on les lit aujourd’hui, on se demande en quoi réside leur force. Il s’agissait des mots habituels, que n’importe quel prêtre aurait pu prononcer. Mais ses mots contenaient une impulsion puissante, une force telle que le courant de la grâce, pareil à un courant électrique, traversait les gens. Ceux-ci commençaient à se repentir, chacun criait ses péchés, tout haut, ils hurlaient les péchés qui pesaient lourdement sur leur âme… Parfois, Batiouchka énumérait une liste de péchés et elle commençait par l’égoïsme. Ensuite il élevait son épitrachilion et l’orientait vers tous les fidèles, prononçant la prière d’absolution… Après cela, les gens éprouvaient un profond soulagement. Ils sentaient que leurs péchés avaient été pardonnés. Alors, le Père Jean distribuait la communion aux fidèles. Parfois, il ne permettait pas à certains de communier. Il arrivait que six prêtres distribuent la communion en même temps, et cela pouvait se prolonger pendant quatre à six heures.

«La reconstruction de la chapelle sera le début de la reconstruction de la Cathédrale Saint André!»

Nous approchons de la fin de l’«Année de Saint Jean de Kronstadt», un siècle après sa mort. Êtes-vous satisfait de cette année-mémorial?
Voici vingt ans, dans les années ’80, à l’Académie de Théologie de Saint-Pétersbourg, on conservait toutes les œuvres du Pasteur de toute la Russie dans une chambre forte spéciale. Vladimir Sorokine, le Recteur de l’Académie m’a raconté que pour pouvoir livre un ouvrage de Saint Jean de Kronstadt, il devait adresser une demande écrite particulière. Ensuite, on lui amenait le livre de la chambre forte. Voilà à quel point le pouvoir soviétique craignait Saint Jean de Kronstadt. On peut également voir un miracle en ce que cette année ait pu être considérée comme «l’année Saint Jean de Kronstadt»! Un monument à Saint Jean de Kronstadt a été érigé dans sa ville, un superbe monument… Trois ou quatre jours après qu’il fut installé, un groupe de moines du Mont Athos est arrivé. Il virent le monument et dirent «Le Père Jean. Il est des nôtres, c’est un hésychaste, un ascète de la prière…». Le grand événement de cette année fut la visite à Kronstadt, le 22 septembre, du Patriarche de Moscou et de toute la Rus’ Alexis II. Le Patriarche a bénit la pose de la première pierre de la chapelle dédiée à la Très Sainte Mère de Dieu de Tikhvine, qui se trouvait auparavant à côté de la Cathédrale Saint-André. Voici un siècle, cette chapelle avait été consacrée par Saint Jean de Kronstadt. Dans son homélie, Sa Sainteté le Patriarche Alexis II a dit «Je crois que la reconstruction de cette chapelle sera le début de la reconstruction de la Cathédrale Saint-André». Les paroles du Patriarches sont significatives et nous espérons qu’elles se réalisent. Après la reconstruction de l’église du Christ Sauveur à Moscou, on commença chez nous à Saint-Pétersbourg, à réfléchir à l’idée que le moment était venu de relever la Cathédrale Saint-André à Kronstadt, qui spirituellement fut la Cathédrale de toute la Russie car c’est là que célébrait le Pasteur de toute la Russie! Et un premier pas a donc été franchi dans cette direction. La Cathédrale Saint-André avait été consacrée par l’Évêque de Revel, le futur Métropolite Philarète (Drozov)de Moscou, maintenant glorifié dans le choeur des saints. Svetlana Vladimirovna Medvedeva, l’épouse du Président de la Russie Dimitri Anatolevitch Medvedev est native de de Kronstadt. Elle vint à Kronstadt avec le Patriarche, et avec lui, elle coupa le ruban à l’entrée du bureau de Saint Jean de Kronstadt. Le Patriarche consacra la pièce, l’aspergea d’eau sainte au moyen de l’aspersoir du Père Jean! Ensuite, depuis le balcon du bureau, le Patriarche bénit le peuple, comme le faisait Saint Jean de Kronstadt en 1908. La célèbre chanteuse Galina Pavlovna Vichnevskaia et sa fille Elena Rostropovitch prirent part à la rencontre avec le Patriarche et entrèrent dans le conseil d’administration du appartement-mémorial de Saint Jean de Kronstadt. Galina Vichnevskaia est native de Kronstadt. Jusqu’à l’âge de douze ans, elle vécut en face du lieu où se trouvait la Cathédrale Saint-André, déjà détruite, alors que la chapelle existait encore. Elle se rappelle qu’un jour, alors qu’elle venait de rentrer de l’école, elle regarda par la fenêtre et soudain, elle entendit une explosion et la chapelle se transforma sous ses yeux en un nuage de poussières. Ensuite le nuage se dissipa. La chapelle avait disparu. Cet horrible «arrêt sur image» a marqué pour toujours sa mémoire. Maintenant, elle consacre ses efforts à la reconstruction de la chapelle. Aujourd’hui, celle-ci est quasiment reconstruite.
Traduit du russe.
Source.