Geronda Arsenios, le Spiléote. Vie et enseignements (6)

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

Le moine Joseph prend l’initiative
Leur geronda n’étant plus de ce monde, le Père Arsenios dit au Père Joseph :
– Frère, tu sais que je ne peux prendre l’initiative, c’est pourquoi je te le demande, prends-là sur toi, et je te promets de t’obéir jusqu’à la mort.
On voit dans ces circonstances la grande humilité qui distingua dès son enfance ce grand héros de l’ascèse. Car l’essentiel n’est pas de tout savoir, mais de connaître sa propre mesure et de reconnaître les dons des autres. Le Père Arsenios était l’aîné de dix ans, non seulement en âge, mais en termes de tonsure monastique, mais il sut terrasser le démon de la vanité, promettant une obéissance modèle à son puîné. Lire la Suite

Geronda Arsenios, le Spiléote. Vie et enseignements (5)

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

Obéissance des deux héros de l’ascèse au simple et saint Geronda Ephrem

La lettre 37 dit encore : «Finalement, nous trouvâmes un geronda simple, gentil et ingénu, qui nous donna sa bénédiction pour que noue menions le combat ascétique autant que possible et de nous confesser avec le confesseur qui nous conviendrait le mieux.» Ce geronda était le célèbre Père Ephrem le tonnelier, dont la kaliva était dédicacée à l’Annonciation à la Très Sainte Mère de Dieu et se trouvait un peu en-dessous du célèbre hésychastère des Danieli. Ce bon geronda n’a pas tardé à tonsurer au grand schème le novice Francis, le renommant Joseph. Lire la Suite

Geronda Arsenios, le Spiléote. Vie et enseignements (4)

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

Premières années sur l’Athos. Stavronikita.
Le moine Anatole quitta la Terre Sainte environ en 1918 et, ‘tel un aigle aux ailes puissantes, il fondit sur la Sainte Montagne, où il choisit le monastère le plus pauvre de l’époque, Stavronikita, où la règle idiorythmique lui permettait d’accomplir ses exploits ascétiques austères. Mais très vite, les vertus du jeune homme devinrent évidentes ; il participait pendant la journée à toutes les obédiences où son aide était nécessaire, et la nuit, il veillait, comme le lui avait enseigné Jérôme, ce héros de l’ascèse.
Après une courte période, il fut revêtu du schème angélique et reçut le nom d’Arsenios. La tonsure, fut célébrée, selon la volonté de son parrain, dans la kelia de l’Annonciation à la Très Sainte Mère de Dieu, à Kariès, dépendance du Monastère de Simonos Petras.
Ayant endossé ce schème, le jeune Arsenios sentit son cœur s’enflammer du désir de grands exploits ascétiques. Le Monastère de Stavronikita lui parut trop étriqué pour dont il était assoiffé.
Le jeune moine fut saisi de sentiments mélangés : d’un côté le souhait de l’hésychia, d’un autre, la peur que peut-être la Volonté de Dieu ne soit pas qu’il quitte le lieu de son repentir pour un mode de vie ascétique plus élevé. Il prit conseil auprès de son geronda et conclut avec lui qu’il allait commencer par prier selon ce qu’il est écrit dans le Psaume: «fais-moi connaître la voie où je dois marcher» (Ps.143;8). Dieu, ami des hommes , et Qui fait la volonté de ceux qui Le craignent, ne tarda pas à faire entendre par Sa voix à cette âme pure, les paroles mêmes qu’entendit jadis Saint Arsenios le Grand : «Arsenios, fuis et tu sauveras ton âme», «Arsène, fais silence et garde le».
Vers le désert intérieur
Ainsi, dès qu’Arsenios entendit cette injonction, cet appel du Très Haut, rien ne put le retenir. Ayant reçu la bénédiction de son parrain, il se hâta, tel une biche assoiffée, vers le sommet de l’Athos, orné à cette époque par la gloire étincelante d’un nombre important de héros de l’ascèse théophores et de pères spirituels, parmi lesquels scintillait, tel l’étoile du matin, le saint geronda Daniel de Katounakia, fondateur de l’hésychastère des Danieli, qui porte son nom.
– Rencontre du moine Arsenios avec le jeune Francis

Francis, le futur Saint Joseph l’Hésychaste

L’économie divine et l’appel de Dieu voulurent qu’un autre jeune homme quitte le monde et arrive au Mont Athos, mu par un rare zèle pour Dieu, vers 1920-1921 et explore les grottes et gorges de la Sainte Montagne afin d’y trouver des héros théophores de l’ascèse et étancher sa soif spirituelle. Selon le plan divin, les deux jeunes gens se hissèrent vers le saint sommet le 5 août, pour y être lors de la Fête de la Transfiguration à la petite église dédicacée à Celle-ci. C’est en ce lieu, tout en haut, qu’ils se rencontrèrent pour la première fois. Convaincus de la similitude de leur quête et de la soif divine qui les faisait languir, ils promirent de rester inséparables jusqu’à la mort. Il faut toutefois souligner ceci : le Père Arsenios, conscient de sa mesure et voyant en Francis, encore laïc, de grands dons et des capacités administratives, demanda à celui-ci de prendre l’initiative. Ses propos, caractéristiques, furent : «A partir de maintenant, tu sera les yeux et moi, les oreilles». Et sur leur chemin en descendant du sommet, ils visitèrent l’hésychastère de Geronda Daniel et ils reconnurent réellement en celui-ci un père théophore contemporain. Mais dans la mesure où l’ardeur de leur zèle pour Dieu les empêchait de faire table commune comme il est d’usage dans de telles fraternités. Ils ne restèrent donc pas, mais avant de commencer leur voie de recherche spirituelles, ils trouvèrent bon de prendre conseil auprès de ce geronda à la spiritualité glorifiée, et dont l’expérience permit de déceler leur zèle authentique. Il ne découragea donc pas leur entreprise. Il souligna toutefois qu’il leur était tout à fait indispensable de se soumettre à l’un ou l’autre geronda jusqu’au bout, afin de recueillir sa bénédiction et d’éviter les filets de l’illusion spirituelle.
Voulant brosser un tableau haut en couleurs et permettre au lecteur de se représenter fut-ce partiellement l’exceptionnel zèle pour Dieu et les premiers podvigs de Francis, je vais lui céder la plume. Voici donc quelques lignes autobiographiques tirées d’un de ses nombreux écrits :
«Quand je vivais encore dans le monde je menais secrètement des podvigs très sévères, jusqu’à verser du sang. Je mangeais une fois tous les deux jours, et seulement après la neuvième heure. Les montagnes et les grottes de Penteli me connaissaient comme un pélican souffrant de faim, pleurant, à la recherche de son salut. Je me mettais à l’épreuve afin de voir si je pouvais supporter la souffrance et devenir moine à la Sainte Montagne. Quand je me fus exercé convenablement pendant quelques années, je demandai que le Seigneur me pardonne de manger une fois tous les deux jours, et je dis que quand je serai à la Sainte Montagne, alors, je ne mangerai que tous les huit jours, comme il est écrit dans la vie des saints».
Sous l’influence de cette exceptionnelle aspiration à Dieu, les deux héros de l’ascèse visitèrent tous les ermitages et toutes grottes de renom sur l’Athos, afin d’étancher leur soif spirituelle. Voici encore quelques lignes et de lettre déjà citée ci-dessus: «Toutes les grottes de l’Athos m’accueillirent. Pas à pas… aspirant à trouver un père spirituel qui m’enseignerait la theoria et la praxis célestes».
A la recherche d’un geronda
Plus bas que l’hésychastère des Danieli, Callinique, un autre grand et glorieux hésychaste menait son combat et ses exploits spirituels. Le Père Arsenios raconta : «Nous lui rendîmes visite et lui demandâmes de nous accepter dans sa communauté. Et il nous accepta, effectivement, mais son premier conseil fut le respect strict de l’obéissance.
– Oui, que cela soit béni, Geronda, qu’il en soit ainsi. Mais dites-nous comment mener notre combat.
Alors, le grand héros de l’ascèse nous dit :
Si je vous enseigne mon art et si vous goûter au miel de l’hésychia, qui alors fera les travaux?
– Comment faire, alors?
– Maintenant, soyez obéissants et quand je mourrai, je vous transmettrai mon don.
Les deux jeunes se regardèrent l’un l’autre : paroles difficiles à entendre. Mais par ailleurs, c’était la condition posée par ce grand hésychaste.

Le saint Geronda Daniel de Katounakia

Le Père Arsenios continua : en réalité, c’était, à mots couverts, une invitation à aller voir ailleurs. En effet, le Père Callinique demeurait en réclusion permanente et n’ouvrait à personne. Mais il existait une convention connue dans le voisinage : s’il avait besoin de quelque chose, il fixait un foulard en guise de drapeau. Cela signifiait que quelque chose lui était nécessaire. Et le premier à voir le foulard entrait dans la kaliva. Nous lui demandâmes à nouveau :
– Geronda, si nous partons, accepteras-tu de nous recevoir parfois pour nous donner des conseils?
– Bien sûr, mais seulement, trouvez d’abord votre geronda, et qu’il donne sa bénédiction, alors je serai à votre disposition».
Je pense qu’il ne faut pas passer sous silence la tactique de ce grand ascète. Il a passé sa vie dans le jeûne des aliments secs et des veilles de chaque nuit, mais la préférence donnée à l’obéissance bénie et au rejet de toute volonté personnelle le mettait en accord complet avec Geronda Daniel, ce luminaire de la petite cénobie des Danieli de même qu’avec le chœur de tous les moines saints et théophores qui confessent à l’unisson que sans l’obéissance, nous construisons sur le sable, quelque soit l’austérité de notre vie.
Dans la lettre de Geronda Joseph, déjà mentionnée, il décrit sa première vision spirituelle, lorsqu’il acquit la prière permanente. «Soudain, j’eus de nombreuses tentations». Toutefois, Geronda se tait et passe sous silence ce qu’il vit, de même que l’importance de ces «nombreuses tentations», avec lesquelles le Père Arsenios, en tant que témoin visuel, nous permet de faire connaissance. La seule chose que nous pouvons constater avec stupéfaction, c’est qu’il est, comme le dit le Psalmiste, «passé par le feu et par l’eau»(Ps.66;12). Le Seigneur montra donc que «c’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu»(Actes14;22), et le Père Joseph reçut, comme je l’ai dit sa première Divine Visite, «affamé et épuisé par les larmes», comme il l’écrit lui-même dans sa 37e lettre. (A suivre)
Traduit du russe

Traduit du russe

Source :

Geronda Arsenios, le Spiléote. Vie et enseignements (2)

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

Les Années d’enfance, l’appel de Dieu
Comme le raconte Geronda Arsenios lui-même (dans le monde, Anastasios Galanopoulos, fils de Dimitri et Sotiria), sa première patrie fut le Pont, béni et glorieux, qui malgré toute la pesanteur du joug turc, put demeurer inébranlable dans sa fidélité à la tradition orthodoxe grecque. Toutefois, la pression du côté turc se faisait tellement forte qu’il fallait choisir : soit renoncer à sa foi, soit s’installer ailleurs. C’est ce qui arriva à la famille du petit Anastasios. Quand il eut douze ans, les harcèlements incessant, le pillage, les attaques nocturnes et bien d’autres persécutions obligèrent sa grande famille, de même que beaucoup d’autres compatriotes à déménager dans le Sud de la Russie. Là, dans un environnement orthodoxe, l’hellénisme pontique conserva sans entrave ses traditions inimitables et bénies.
Je cite une partie de ce que j’ai entendu des lèvres saintes de Geronda, car je pense qu’il serait dommage d’oublier cela. Je crois que cela nous profitera et nous servira de bon exemple. Les pontiques avaient une très bonne coutume: dans la maison des familiale, tant que le grand-père vivait, tous les enfants de sexe masculin restaient ensemble même après leur mariage jusqu’à la mort du grand-père. On peut dire que les maisons pontiques étaient en quelque sorte des exemples de petites ou grandes cénobies, et dans celles-ci, comme une sorte de geronda, le grand-père occupait la première place, et on lui accordait un respect particulier. Chaque matin, tous les membres de la famille devaient, avant de partir gagner leur pain quotidien, se rendre auprès du grand-père, lui baiser la main et recevoir sa bénédiction. Quand au soir, les hommes rentraient du travail, la cadette des épouses était obligée de leur laver les pieds. Et des hommes, il y en avait beaucoup. Geronda nous a dit que sa maison avait grandi jusqu’à «cinquante deux cuillères». En ce qui concerne l’obéissance, le respect des aînés et la piété religieuse qui régnaient dans ces familles, sans exagération, ils seraient aujourd’hui enviés à cet égard par le monastère le plus harmonieux.
Et en matière de jeûne, ils auraient pu sans aucun doute rivaliser avec les monastères actuels. Les jeûnes stricts de toute l’année étaient respectés avec précision. Le jeûne de la première semaine du Grand Carême (lorsque pendant les trois premiers jours on s’abstient généralement de nourriture) se poursuivait, comme nous l’a dit Geronda, du lundi au samedi. Mercredi et vendredi, après avoir pris part à la liturgie des Dons présanctifiés, on affermissait ses forces avec de l’antidoron et un peu de pain, et ainsi, jusqu’au samedi même, quand on mangeait uniquement de la nourriture avec de l’huile végétale.
Quant aux vertus, comme l’a dit Geronda Arsenios, le grand-père occupait fermement sa place. Il était un modèle pour tout le monde, jamais en colère, il donnait des conseils remplis d’amour et fut toujours le premier à les mettre en pratique. Et de même, la grand-mère ne manquait aucune occasion d’éclairer les enfants par ses vertus.
Un jour, le grand-père revint fatigué du travail et s’assit à la table. La grand-mère avait expressément ajouté tellement de sel à la nourriture qu’elle en était devenue complètement immangeable. Le grand-père, portant une cuillerée à la bouche, la recracha aussitôt. Et, sans aucune indignation, sans aucune remarque, il cria: «Sou, sou, ketir sou», ce qui signifie «apportez de l’eau». Il versa suffisamment d’eau de la cruche pour que la nourriture devienne mangeable et continua le repas comme si rien ne s’était passé. Une autre fois, la nourriture avait été préparée, au contraire, complètement sans sel. Et de nouveau: «Touz, touz, ketir touz», c’est-à-dire «apportez du sel». Après avoir mangé cette nourriture insipide, il se leva, se signa et dit de tout son cœur: «Gloire à toi, ô Dieu, nous avons mangé aujourd’hui».
Je pense que ces exemples suffisent pour tirer profit de la vie dure de nos ancêtres. C’est dans pareil environnement béni qu’Anastasios vécut ses années d’enfance. Alors déjà il se distinguait, avec sa sœur Parthena, par leur piété. Il ne savait quasiment pas le Grec, mais il parlait bien le Pontique et le Turc. Ensuite, il apprit le Russe. Et il lut des livres religieux, avant tout les vies de saints, dans ces langues qu’il connaissait.
Saint Alexis, l’Homme de Dieu, occupait une place à part dans son cœur. Dès que le Père Arsenios nous parlait de lui, son cœur s’ouvrait. Pendant toute sa vie, ce saint accorda sa protection particulière à Geronda et l’aida souvent dans les situations difficiles. Geronda raconta un jour à un de ses enfants spirituels la vision qu’il eut de Saint Alexis, sous la forme d’un de ses propres amis nommé Alexis. Cet ami conduisit Geronda jusqu’à une route merveilleuse, où ils devaient se séparer, et il disparut. Geronda le chercha comme il put et soudain le retrouva devant lui.
– Mais où es-tu allé, mon ami, je te cherchais.
– Comme je voulais t’emmener chez moi, je suis allé acheter de quoi te régaler.
Ils arrivèrent soudain devant un palais magnifique, ressemblant à une église couverte de fresques. Geronda demanda :

– Ce palais est magnifique ! A qui appartient-il?
– C’est le mien.

– Alexis, mon ami, crois-moi, je suis jaloux!
– Non, ne sois pas jaloux, patiente encore un peu et plus tard, tu iras aussi dans un endroit pareil.

Aspiration à Dieu et décision courageuse.

Dès leur jeune âge, Anastasios et Parthena manifestèrent le souhait d’adopter la vie monastique. Finalement, la décision fut prise et bénie. Quand le jeune homme entendit parler d’un pèlerinage en Palestine, son cœur s’enflamma, et il décida de se mettre en chemin, avec le but de se mettre au service de Dieu en Terre Sainte, le lieu que le Seigneur Lui-même gratifia de Sa présence.
Il restait toutefois un dernier obstacle à franchir. Il existait une tradition pontique bénie selon laquelle à l’homme qui en ce monde n’a pas baptisé au moins un enfant, le Seigneur réserve une mauvaise surprise dans l’autre monde. Dans sa simplicité toute naturelle qui le distinguait en tout, Arsenios croyait en cette tradition. C’est pourquoi, dès qu’il apprit que l’épouse de son frère Léonidas était enceinte, il se hâta d’aller leur proposer d’âtre le parrain. Lors du baptême, le bébé fut nommé Charalampos. Laissons maintenant le petit Charalampos grandir. Nous reviendrons à lui plus tard.
Par la suite, Anastasios disait, parlant de lui-même : «Alors, plus rien ne me retenait. J’ai épargné un peu d’argent pour le billet du bateau, pris dans un sac une rechange de linge de corps, et un beau jour, je suis parti pour la Terre Sainte».
A pieds à Constantinople
Brûlant de zèle pour Dieu, après avoir parcouru à pieds un chemin long de nombreux jours de marche et jonché de maintes difficultés, Anastasios arriva, fatigué, à sa première étape. Il raconta: «Ma première étape, c’était Constantinople. Là, je cherchai un navire qui devait lever l’ancre pour voguer vers la Palestine. Quelque chose d’inattendu m’est arrivé là-bas. Un escroc s’approcha de moi et me proposa d’être mon guide. En conséquence, il me prit l’argent que j’avais pour mon billet. Alors même que je lui avais dit, sans malice, que je voulais devenir moine. Il me prit tout mon argent, prétendument pour m’acheter mon billet, et il m’emmena dormir dans une mauvaise maison. Là, il recommanda aux «gentilles» femmes de m’accorder des soins «spéciaux». À peine arrivé dans cette maison, comme j’étais fatigué de la route, j’ai demandé à être installé quelque part pour dormir. Une femme me montra un coin dans un couloir. Je me suis immédiatement allongé et je me suis endormi, mais je me suis souvent réveillé à cause du bruit, des chansons et des conversations inconvenantes. L’aube arriva. Je me suis levé, j’ai remercié pour la nuit et je suis parti. Quand je suis sorti, un inconnu m’a arrêté et m’a demandé:
– Que faisais-tu là-bas?
– On m’a amené là pour dormir.
– Ici, mon enfant, tu as été amené dans une mauvaise maison, mais ton ange t’a protégé. Eh bien, maintenant mets-toi en route, mais la prochaine fois, sois attentif».
Nous avons demandé à Geronda qui était l’inconnu. Et il dit, avec la simplicité qui lui est propre:
– Comment savoir! C’était peut-être mon Ange-Gardien, ou peut-être Saint Alexis!
L’escroc avait disparu et Geronda était sans un sou en poche. Mais il parvint cependant, avec l’aide de Dieu, à récolter de nouveaux fonds pour un billet pour la Palestine.
En Terre Sainte
Finalement, Anastasios arriva en Terre Sainte. Comme il le raconta, chaque pas qu’il faisait s’accompagnait de la pensée qu’il n’était pas digne de poser le pied là où marchèrent le Christ et Sa Toute Sainte Mère. Il arriva en Terre Sainte vers 1910 et y vécut pendant environ huit ans, servant dans divers lieux saints: au Saint-Sépulcre, au Monastère Saint Jean le Précurseur, à Bethléem. Partout où il était envoyé, il y allait volontiers. Enfin, il fut tonsuré comme rasophore avec le nom d’Anatole sur le Mont des Quarante Jours.
Sa sœur, Parthena, tonsurée à l’âge de seize ans déjà en tant que moniale au monastère de la Protection de Dieu, dans le Pont, et qui avait reçu le nom d’Eupraxie lors de sa tonsure monastique, arriva ensuite, brûlante elle aussi de zèle pour Dieu, dans les lieux salvateurs de Palestine. Ils s’y rencontrèrent et Anastasios fit entrer sa sœur dans l’un des monastères pour femmes. (A suivre)
Traduit du russe

Source :

Geronda Arsenios, le Spiléote. Vie et enseignements (1)

Le texte ci-dessous est le début de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste». Geronda Joseph a rejoint officiellement il y a peu le Chœur des Saints. Ce n’est pas encore le cas de Geronda Arsenios, qui demeure un des nombreux saints glorifiés par Dieu et par les fidèles mais pas encore par l’Église.
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction est entamée ici et sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

Dédicace de l’auteur
Le présent ouvrage est dédié à mon Geronda de bienheureuse mémoire et vénérable higoumène du saint monastère de Dionysiou, Charalampos.
Il fut écrit par devoir envers mon Geronda, mais aussi parce qu’il le méritait, faisant partie physiquement et spirituellement de la lignée de Geronda Arsenios le Spiléote.
Accepte dès lors, Père à la mémoire bénie, cet ouvrage comme une épitaphe manuscrite exprimant ma gratitude sans bornes.

Salutation de Sa Béatitude l’Archevêque Chrysostome
C’est avec notre intérêt paternel que nous saluons l’édition du livre «Geronda Arsenios le Spiléote»
Son auteur, le Père Joseph Dionysatis, est cypriote d’origine, et moine. Il vécut plus de trente ans à la Sainte Montagne, et eut le bonheur de rencontrer de saints hommes qui vivaient les commandements de l’Évangile et étaient des modèles de vertu et de sainteté. L’un d’eux, nos contemporains, fut Geronda Arsène. Le présent livre contient le récit de sa vie et ses enseignements.
Convaincu de ce que les lecteurs du livre «Geronda Arsenios le Spiléote» en tireront grand profit, nous bénissons son édition et en recommandons la lecture aux fidèles chrétiens de la plénitude de notre Église.
Nous accordons nos paternelles bénédictions à l’auteur, Père Joseph. Et nous exprimons notre profonde satisfaction de ce que les profits de la vente de l’ouvrage seront consacrés à l’aide de jeunes gens captifs du vortex de la dépendance narcotique.
Avec nos prières au Seigneur.
Votre intercesseur auprès du Seigneur, Chrysostome, Archevêque de Chypre
Saint Archevêché de Chypre, le 20 juin 2001

Préface.
Un grand et doux pratiquant des vertus

Geronda Arsenios

A Geronda Arsenios s’appliquent les paroles de l’Évangile : «Voici un vrai Israélite, en qui il n’y a pas de fraude» (J.1;47). Il était d’une nature spontanée, simple, ingénue, humble, obéissant. Il fut un rare héros de l’ascèse, et du dépouillement. Les mots de l’Évangile : «Que ton oui soit oui et que ton non soit non»(Mat.5;37) pouvaient en permanence être appliqués à Geronda Arsenios. Jamais il ne fut rancunier, quoi qu’on lui ait fait, jamais il ne se mit en colère, jamais il ne fit tort à personne. Son obéissance était parfaite ; grâce à cette obéissance et à sa foi absolue en son geronda, il vécut quotidiennement au-dessus des lois de la nature.
Le soir, il commençait ses vigiles durant lesquelles son labeur ascétique consistait en des milliers de grandes métanies, et en prière en station debout, jusqu’au lever du soleil. Il se concentrait de la sorte dans la prière et s’y attachait tellement intimement, qu’il ne pensait pas à l’interrompre quand venait le moment des travaux quotidiens. Alors, nous devions aller l’appeler, et nous approchant jusqu’à sa petite fenêtre, nous pouvions le voir se tenant droit comme un cierge, dans un autre monde.
– Geronda, l’heure des travaux est arrivée.
Et Geronda, revenant à lui nous répondait, incrédule :
– Est-ce possible que le soleil soit déjà levé ?
Dans son immense simplicité, ce geronda atteignit l’essence même de la vie monastique. Il se donna tout entier à ses obédiences et à ses exploits ascétiques, c’est pourquoi il atteignit ce qu’il souhaitait. Il acquit en lui la prière, il acquit Dieu en lui. Le moine qui ne s’efforce pas d’atteindre ce but avant tout essuiera un échec
Geronda Arsène était un grand et doux pratiquant des vertus. Il fut un des saints athonites contemporains. Que sa bénédiction soit sur nous.

Geronda Joseph de Vatopedi.

Introduction

«Souvenez-vous de ceux qui vous conduisent, qui vous ont annoncé la parole de Dieu ; et considérant quelle a été l’issue de leur vie, imitez, leur foi»(Heb.13;7).
Lorsque je décidai de visiter pour la première fois la Sainte Montagne de l’Athos, en la salutaire année 1964, la Divine Providence voulut que le monastère de Saint Denis l’Athonite fût le premier monastère de la Sainte Montagne à m’accueillir. J’y vécus une vingtaine de jours avec l’ami laïc qui m’accompagnait, aujourd’hui hiéromoine.
Là, on vénérait particulièrement, parmi d’autres pères, l’Higoumène Gabriel de bienheureuse mémoire. Par l’élévation, comme il disait, du niveau spirituel, ce merveilleux higoumène attira hors des ermitages athonites de vertueux porteurs de l’Esprit, pour l’aider dans ses saints labeurs. A cette époque, le monastère avait reçu une bénédiction particulière, s’enrichissant d’un de ces porteurs de l’Esprit, un des fils spirituels du grand hésychaste de notre temps, Geronda Joseph l’Ermite. Ce porteur de l’Esprit, ce père spirituel s’appelait Père Charalampos. Un des novices, originaire de notre région, proposa de nous emmener à la kaliva où ce père spirituel menait ses exploits ascétiques. Elle se trouvait à un peu plus d’une heure de marche du monastère, dans la direction de Nea Skiti.
Et un beau matin de printemps, mon ami, notre guide-novice et compatriote et moi, sommes sortis du monastère. Ma première impression, que je n’oublierai jamais, je la reçus de cette belle promenade le long d’un sentier étroit parmi la forêt et les buissons fleuris et parfumés à gauche, du côté du Mont Athos, et la pente raide et abrupte à droite, où l’on pouvait apercevoir l’immense Golfe Singitique au fond de la deuxième péninsule de Chalcidique. Plus loin, après l’une des descentes, surgit le monastère de Saint-Paul et juste au-dessus, une gorge enneigée et un Athos blanc éblouissant, comme un géant mythologique. Une vue panoramique s’ouvrit sur le saint sommet couvert de nuages blancs, comme d’un voile. Peu de temps après apparu la haute tour de Nea Skiti.Alors qu’on apercevait la première kaliva, notre guide nous dit :
– C’est le Père Ephrem, le frère spirituel de notre père spirituel. Vous voulez faire sa connaissance?
– Oui, évidemment !
Nous entrâmes. Geronda nous accueillit très chaleureusement et ses paroles éclairées produisirent sur nous une impression spirituelle extraordinaire. Une autre chose laissa sa marque dans mon âme; le comportement de trois ou quatre de ses novices, qui nous apportèrent la friandise habituellement servie dans de tels cas. Ils nous l’apportèrent en silence, seulement en murmurant continuellement la prière: «Seigneur Jésus–Christ, aie pitié de moi». J’eus l’impression qu’ils vivaient dans un autre monde.
De la fenêtre de la kelia, nous avions vue, vers le bas, sur deux autres petites kalivas.
– Quelles sont ces kalivas?
– C’est la kaliva de notre père spirituel.
– Et là-bas, la petite?
– C’est là que vit un saint vieillard, le Père Arsène… Mais ne vous pressez pas, nous verrons tout.
Après être sortis, nous descendîmes à la kelia du Père Charalampos, le père spirituel. Nous regardâmes. Quelqu’un travaillait dans le jardin. «Eh bien le voilà», nous dit notre guide. A peine nous eut-il vus que le Père Charalampos abandonna son labeur et nous accueillit avec beaucoup d’amour, nous invitant à entrer dans sa kaliva. Après les impressions merveilleuses reçues de notre contact avec le père spirituel, il nous restait à aller rendre visite au geronda qui vivait dans la kaliva non-loin.
Dès la première minute, nous vîmes sur son visage calme les traits du saint moine doté de nombreux dons, douceur, amour, humilité. Mais sa simplicité bienheureuse et sa gentillesse le démarquaient le plus. C’était Geronda Arsène.
C’est avec ce saint vieillard qu’il me fut donné de vivre les dix-huit années suivant de sa vie sur terre ; depuis le jour où la Très Sainte Mère de Dieu, notre Souveraine, m’enleva du monde et m’introduisit dans la jeune communauté du père spirituel, le Père Charalampos. Tout le monde considérait que le geronda de la communauté, c’était le Père Arsène, le plus âgé, mais la responsabilité administrative reposait entièrement sur mon geronda, le Père Charalampos.

Le Saint Geronda Charalampos

Beaucoup de livres ont été édités au cours des dernières années au sujet des gerondas du Mont Athos. Mais dans la mesure où jusqu’à ce jour, quasiment rien n’a été écrit au sujet de la vie miraculeuse vécue par le Père Arsène, particulièrement à propos de ces années qu’il vécut sous la direction de son grand compagnon d’exploits ascétiques, Geronda Joseph l’Ermite, mon indignité, malgré toute mon incapacité au travail littéraire, a estimé qu’il était obligatoire d’esquisser au moins quelques lignes sur ce saint geronda. En outre, tel était le souhait général de beaucoup de ses enfants spirituels.
Tout ce que j’écris ici est emprunté soit aux récit de geronda lui-même, soit aux récits de ceux qui composèrent son environnement le plus proche.
Cette édition peut être décrite comme une sorte de récit de synthèse sur la vie de deux grands compagnons, les Pères Joseph et Arsène, et avec eux, de leurs enfants spirituels. Cependant, le centre et le visage principal du récit demeure Geronda Arsène.
En ce qui concerne la langue, je transmets dans une certaine mesure librement et dans un style mélangé les expressions de geronda, parce que, comme on le sait, le Père parlait plutôt imparfaitement la langue Grecque moderne.
À tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la rédaction de ce livre, j’exprime ma chaleureuse gratitude. (A suivre)
Traduit du russe

Source :

Histoires athonites du Père Savva

Dans le texte traduit récemment ici et intitulé «Les traces de Saint Seraphim dans la neige» l’auteur, Madame Olga Rojniova évoquait le récit du pèlerinage de moniales du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Triphon auprès des reliques de Saint Seraphim à Diveevo. Ce désert précité est situé sur une colline de la région de Perm, la Colline Miteïnaïa. Madame Rojniova a écrit une série de textes relatifs à cette communauté monastique, qu’elle a intitulés «Histoires de la Colline Miteïnaia». Selon la tradition, en des temps lointains, on apercevait parfois le bienheureux ‘Miteïka’ en prière, la nuit sur la colline, qui a depuis adopté le nom du ‘bienheureux’. La traduction d’une série de ces textes est proposée sur ce blog. Celle qui se trouve ci-dessous, concerne le Père Savva (Roudakov), père spirituel de la communauté depuis les années ’80 (et qui participa aussi au pèlerinage auprès des reliques de Saint Seraphim). Le Père Savva fut le confesseur et père spirituel de Madame Rojniova elle-même, et il est aujourd’hui encore le Recteur de l’église de ce désert, et de deux autres églises paroissiales situées elles aussi sur cette colline. L’original a été publié initialement sur la page VK de l’auteur et fut mis en ligne sur le site du Monastère le 28 mai 2019.

Première nuit sur l’Athos
C’est en 2000 que j’allai pour la première fois au Mont Athos. A l’époque, la pensée que j’étais le père spirituel et le bâtisseur d’une communauté de moniales me troublait quelque peu. Même si le monastère avait été construit suite à la bénédiction de mon propre père spirituel, l’Archimandrite Ioann (Krestiankine), même si le Starets Archiprêtre Nikolaï (Ragozine) avait prédit sa fondation, j’étais torturé par la pensée suivante : «Mais que fais-je ici sur la Colline Miteïnaïa? Est-ce bien ma place? Peut-être devrais-je abandonner tout ça, car c’est un monastère pour femmes, pour des sœurs, abandonner toutes ces babouchkas et partir au Mont Athos? Mener mon podvig là-bas… Ou alors entrer dans un monastère d’hommes?»
Et puis voilà, c’était ma première nuit sur l’Athos… Je participais à l’office. Trois heures du matin. Le soir, je n’était pas parvenu à somnoler. Cela faisait plus de vingt-quatre heures sans sommeil… Dans l’église, il n’y avait pas d’électricité, les cierges brûlaient, on priait. Il faisait étouffant. La tête me tournait, je sortis dans le porche et m’assis sur un banc. Là, il faisait plus frais, l’air froid arrivait de la cour, mais le son de l’office me parvenait clairement de l’église. Je fermai le yeux et commençai à prier.
Soudain, j’entendis : un vieux moine du grand schème arrivait en traînant les pieds, tout courbé. Il approcha, s’assit dans un coin du porche, sur un banc de pierre. Je ne voyais pas son visage, seulement sa barbe blanche, et il était tout lumineux, il éclairait les ténèbres! Il se signa et me demanda à voix basse :
– Qui es-tu?
– Je suis un hiéromoine.
– Où sers-tu, depuis combien de temps?
– Dans un monastère pour femmes, depuis treize ans.
Il m’interrogeait d’une voix impérieuse, comme s’il disposait de tout pouvoir. J’en perdis le souffle. Je compris que dès ma première nuit sur l’Athos j’entendais ce pourquoi j’avais entrepris ce long voyage : pour que le Seigneur et la Très Sainte Mère de Dieu me dévoilent Leur volonté au sujet de la suite de mon chemin. Et ce moine du grand schème me parlait comme s’il connaissait mes pensées idiotes, comme s’il savait que je voulais quitter le monastère de moniales. Il me dit brièvement et très simplement :
– Eh bien, c’est là que tu vis, restes-y. Ne vas nulle part ailleurs. C’est là que tu dois mourir. Porte ta croix jusqu’au bout, et tu seras sauvé.
Il se leva en silence et s’éloigna lentement, de son pas traînant de vieillard. Je restai assis. Je ne lui avais rien demandé, je n’avais pas essayé d’engager la conversation. Et voilà que dès le premier jour de mon séjour sur l’Athos, le Seigneur me révélait Sa volonté.
Startsy athonites
Oui… Là, sur l’Athos, des startsy mènent leur podvig… Certains d’entre eux restent inconnus du monde entier… Dans le kondakion de l’office aux saint héros de l’ascèse de la Sainte Montagne, on dit : «Menant sur elle la vie angélique»…
On me raconta que dans les années ’70, un groupe de nos prêtres russes arriva sur l’Athos et s’arrêtèrent au Monastère Saint Panteleimon. Ils partirent ensuite en promenade dans les environs et tombèrent sur une skite abandonnée. Ils décidèrent d’y célébrer la liturgie, le lendemain. Ils interrogèrent les frères athonites au sujet de la skite et apprirent que cela faisait longtemps que plus personne ne vivait ni ne célébrait là. Le lendemain donc, ils commencèrent la liturgie, et au cours de l’office ils virent se faufiler dans l’église un petit moine, vieux, très vieux. Il était tellement vieux qu’il ne pouvait plus marcher ; il avançait comme il pouvait à quatre pattes. Même les moines les plus anciens de Saint Panteleimon ne le connaissaient pas. C’était manifestement un de ces moines d’avant la révolution. Il se traîna à sa place et dit d’une voix à peine audible :
– La Mère de Dieu ne m’a pas trompé. Elle m’a promis que je communierais encore une fois avant de mourir.
On lui donna la communion et il mourut sur place, dans l’église. Comment vivait-il? De quoi se nourrissait-il? Il avait reçu les Saints Dons et était parti tout droit vers Dieu et la Très Sainte Mère de Dieu, qu’il avait priés toute sa vie.
A pied sur l’Athos
Après mon premier séjour sur l’Athos et ma rencontre avec le starets, ma folle idée de partir dans un autre monastère, même à la Sainte Montagne, s’évanouit. Quelques années s’écoulèrent… Pendant tout un temps, il fit calme chez nous au monastère. Mais de façon générale, dans la vie monastique, le calme complet ne règne jamais. Si on mène son podvig correctement, si on mène la lutte spirituelle, alors les afflictions et les tentations sont les compagnes inséparables de ce combat. Commença une période de pénibles tentations, intérieures et extérieures. L’arme principale dans le combat spirituel, c’est la prière.Bien sûr, tous nous priions, tout le monastère. Mais il fallait admettre que nos faibles forces de prière étaient insuffisantes. Il fallait une aide, un soutien spirituel. On me donna la bénédiction d’aller prier chez les startsy de l’Athos, là ou le ciel est plus près de la terre, et où s’élève sans cesse la prière pour le monde entier. Jadis, ceux qui faisaient monter leur prière vers Dieu prenaient un vœu, comme par exemple aller en pèlerinage dans un lieu saint ou dans un monastère connu. Ils y allaient, du moins en partie, à pied, afin d’offrir leurs efforts à Dieu. Il me sembla que je devais, pour mon monastère bien-aimé, offrir un effort, un sacrifice. Quand je demandai la bénédiction pour offrir ce genre d’effort, on me bénit pour aller marcher en priant sur le Mont Athos, et de vénérer les trésors sacrés de chaque monastère, d’y prier y demander de l’aide.
Les terribles Karoulias

Les Karoulias

Et au cours de mes pérégrinations sur la Sainte Montagne, je séjournai aux Karoulias. Une «karouli», c’est une poulie, un système de levage à l’aide duquel les moines-ermites, sans descendre au bas des falaises, pouvaient échanger avec les pêcheurs des poissons, du sucre, des olives, etc. contre les produits de leur artisanat. Les Karoulias se situaient à l’extrême Sud de la péninsule athonite, non-loin de Katounakia.
Les Karoulias sont d’inaccessibles falaises, des sentiers très étroits, des kelias désertes, anciens havres d’ermites. Accrochés aux falaises, des nids d’hirondelles et des maisonnettes d’ermites, celles-ci ressemblant à celles-la. Il y a les Karoulias extérieures et les Karoulias intérieures ou «terribles», appelées ainsi car les cellules des moines sont collées aux falaises et pour y parvenir, il faut se hisser, quasiment ramper le long de la falaise en se tirant à l’aide de chaînes et de cordes; c’est très dangereux et absolument effrayant.
Le vapeur de Daphni arriva à son arrêt terminus, les Karoulias, et je descendis sur le quai de béton, l’arsana. De l’arsana un sentier d’escaliers de pierres s’élevait dans la montagne. En montant je découvris les ruines d’une petite église, la paraklisis et la kelia incendiée du célèbre Archimandrite du grand schème Stéphane le Serbe, qui vécut là. A côté se trouvait une grotte, dans laquelle je savais que l’Archimandrite Sophrony (Sakharov), fils spirituel de Saint Silouane l’Athonite, avait mené son podvig. Des Russes vivaient non loin de la kelia qui avait brûlé : le Hiéromoine Elie et un moine. Nous fîmes connaissance. Ils vivaient là depuis deux ans, et ils avaient connu le Père Stéphane quand il vivait encore. J’avais lu à son sujet jadis et voilà que je rencontrais des gens qui me parlaient de lui l’ayant connu personnellement.
L’Archimandrite du grand schème Stéphane des Karoulias
D’origine serbe, il fut antifasciste pendant la seconde guerre mondiale, participant à la résistance. Il raconta comment il avait été arrêté, avec d’autres combattants de la résistance et comment on l’avait condamné à être fusillé. Il fit alors à la Très Sainte Mère de Dieu le vœu selon lequel s’il demeurait vivant, il partirait et deviendrait moine sur le Mont Athos. Quand ils ont commencé à tirer, on l’a poussé et il s’est encouru. Il sentit les balles lui mordre le dos, les bras, la joue, sans lui causer de dommage. Les Allemands ne le poursuivirent pas, ce qui fut également un miracle. Après la guerre, il reçut la tonsure monastique sur l’Athos et mena ici son podvig pendant une petite cinquantaine d’années. Il connaissait plusieurs langues étrangères, écrivit des articles sur la spiritualité, des instruction. Le Père Élie voyait le Starets travailler sur sa terrasse et pendant ce temps, des colombes blanches comme neige arrivaient et se posaient sur ses épaules. Quand il avait terminé d’écrire, soudain, les colombes s’envolaient.

L’Archimandrite du Grand Schème Stéphane des Karoulias

Un jour un ami du Père Élie arriva de Russie et il l’envoya auprès du Père Stéphane afin qu’il demande sa bénédiction. Le Starets était âgé de presque quatre-vingt ans, il avait les yeux bleus comme le ciel. Pendant des années, selon l’usage des moines athonites, il ne se lava pas, mais il ne dégageait aucune odeur. Il mangeait très peu, il préférait les aliments non cuits ; dans sa poche, il avait toujours des vermicelles secs, qu’il mangeait lui-même et dont il nourrissait les oiseaux. Lors de l’Annonciation, de la falaise il fit descendre un filet à la mer et demanda : «Mère de Dieu, envoie-moi un petit poisson». Il remonta le filet et il contenait un poisson, comme à chaque fois.
Quand il répara sa cellule délabrée, un ami lui apporta des matériaux de construction. Cet ami avait une fille de cinq ans, Despina. Et quand le Starets avait besoin de l’aide de son ami, il sortait devant la mer et criait haut et fort: «Despina, dis à papa qu’il vienne me voir, j’ai besoin de lui!» Et la fille accourait vers son père: «Papa, ton Père Stéphane t’appelle». Pourquoi n’adressait-il pas son appel directement à son ami? Peut-être l’enfant, par sa pureté, pouvait-il mieux entendre l’appel spirituel, qui sait… et quand l’ami arrivait, il demandait : «Père Stéphane, tu m’as vraiment appelé?» Et le Starets répondait: «Oui, j’ai demandé à Despina de te dire que je t’attendais».
Dans les derniers temps, il faisait le fol-en-Christ, afin de cacher ses dons spirituels. Quand des Russes approchaient, le Père Stéphane chantait «Les soirées à Moscou». Et quand ils étaient arrivés et qu’il avait fini sa chanson, il préparait du thé pour régaler ses visiteurs. Un ami du Père Élie regardait l’ermite avec méfiance : un vieillard qui chante pareilles chansons, est-ce cela un starets-intercesseur?!
La bouilloire était vieille, noire de fumée. Elle avait perdu sa poignée, restait le pot. Quand l’eau commençait à bouillir, le Père Stéphane prenait la bouilloire entre ses mains et versait l’eau dans les tasses. Les visiteurs étaient stupéfaits et regardaient le Père Stéphane avec effroi : la bouilloire était bouillante. Mais le Starets versait tranquillement l’eau et n’était aucunement brûlé.
Le Père Élie raconta que lorsque les États-Unis bombardèrent la Serbie, le Starets pria avec ardeur jetant toute sa force spirituelle dans la prière au secours de sa patrie. L’affliction s’abattit sur lui avec une force telle qu’il en ressentit de grandes souffrances spirituelles. C’est alors que sa kelia brûla. Y eut-il une cause spirituelle? On ne peut qu’émettre des suppositions. Quand il s’installa dans la grotte voisine pour prier de façon prolongée en faveur de ses compatriotes qui brûlaient dans les explosions des bombes que la grotte elle-même brûla. Père Stéphane mourut en Serbie. Il était rentré dans sa patrie avant de mourir, dans un monastère dont la supérieure était une parente à lui. Il s’endormit dans le Seigneur lors de la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Et celle qu’il avait priée pendant tant d’années accueillit son âme.
Un accueil chaleureux
Le Père Élie me proposa de passer la nuit dans leur cellule. Ils aménagèrent de la place dans l’entrée et me donnèrent un vieille couverture et même un vieux coussin, déchiré. J’étais tellement fatigué que cet accueil me réjouit profondément. La nuit approchait et ayant prié, je me couchai, les jambes dans la grotte et la tête vers la sortie ; ainsi, je pouvais voir le ciel étoilé. Allongé là, je me dis que ce couchage nocturne me rappelais mes séjours d’enfance dans la forêt. Mais bien vite, il apparut clairement que les séjours d’enfance dans la forêt n’ont rien de commun avec les «nuitées athonites». J’avais beaucoup entendu parler des terreurs de l’Athos, et ici, aux Karoulias, j’en pu faire l’expérience personnelle.

Le Père Savva

La nuit débuta par une tempête: bourrasques et vents forts. Les pierres, des bâtons et des copeaux commencèrent à dévaler du haut des falaises. En bas, la mer faisait rage. J’aspirais à dormir, mais je ne parvenais pas à m’endormir profondément et me retrouvai entre veille et sommeil. Je sentis sur mes épaules, sur ma tête, les éclaboussures des vagues, et dans ce demi-sommeil je me couvris la tête avec le coussin déchiré. Les cauchemars s’abattirent. Dans cette somnolence, il me sembla que les moines complotaient contre moi, qu’ils avaient l’intention de me tuer et de me jeter en bas de la falaise. De toutes mes forces je tentais de m’éveiller, et je compris alors qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Et puis ma conscience s’éteignit à nouveau et les ennemis apparurent. Dans mon sommeil, j’entendais comment un des moines sortit de la grotte en passant à côté de moi, et il ne revint pas. L’effroi me saisit à nouveau : ils avaient comploté contre moi. Je tremblais d’effroi et je sentais que je claquais des dents. Le délire cauchemardesque me tortura toute la nuit; c’est le soleil du matin qui le dissipa. La tempête s’était calmée et toutes les terreurs avaient disparu. Il s’avéra que le moine qui était sorti de la grotte avait souffert d’un mal de dents pendant toute la nuit. Il ne pouvait dormir et erra autour de la grotte toute la nuit. Le matin, il partit à la clinique. Le second moine proposa de me montrer les alentours. En chemin, il raconta comment vinrent quatre pèlerins qui avaient décidé de se rendre aux Karoulias intérieures. Comme moi, il passèrent la nuit dans la grotte. Pendant toute la soirée, l’un d’eux raconta qu’il était alpiniste et considérait que le chemin ne l’effrayait pas du tout. Il guiderait les autres qui n’auraient qu’à suivre. Mais au petit matin, quand ils atteignirent le bord de la falaise d’où partait le sentier de la descente, menant aux Karoulias intérieures, la détermination quitta l’alpiniste, et il refusa catégoriquement de poursuivre le chemin. Et ses amis firent demi-tour avec lui. Manifestement, la cause de cette crainte était plus spirituelle que physique, mais la descente abrupte pouvait toutefois effrayer les plus braves.
Traduit du russe
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