Le texte ci-dessous est traduit des pages 422 à 424 du livre «My Elder Joseph the Hesychast», de Geronda Ephrem de Philotheou et d’Arizona, publié par les Éditions du Monastère Saint Antoine, en Arizona. Il rappelle une loi spirituelle fondamentale et donne à comprendre que Geronda Joseph avait atteint le niveau spirituel propre aux saints de notre Église.
Nonobstant le fascinant don de narration dont jouissait Geronda, lorsqu’il essayait de parler de l’illumination divine, des états de grâce et des contemplations célestes, l’inadéquation du vocabulaire humain ne lui permettait pas d’exprimer ses expériences ineffables. Il aurait eu besoin d’un autre vocabulaire, un vocabulaire céleste, celui qu’on apprend dans l’autre monde seulement.
Malgré cela, Geronda s’efforça de nous enseigner beaucoup de choses. Il participait constamment à la lumière incréée, et il nous en parlait, mais ses paroles nous dépassaient, suite à notre immaturité spirituelle. Nous parvenons à percevoir la grâce seulement à la mesure de notre niveau spirituel. Souvent, à l’issue de ses vigiles, il sortit de sa kaliva et nous disait : «Aujourd’hui, il y a eu un entretien avec la Sainte Trinité!» Il soupirait alors et ajoutait en chantonnant d’un ton jovial «Mais maintenant, qu’est-ce qui m’attend!»
Papa-Ephrem de Katounakia l’interrogea un jour : «Geronda, que veux-tu dire?»
«Il est une loi dans la vie spirituelle, selon laquelle si tu vis soudainement l’expérience d’une effusion de grâce divine, alors que tu te trouves dans des conditions spirituelles normales, c’est-à-dire ni très élevées, ni très basses, cela signifie qu’une tentation arrive, dont l’intensité sera proportionnelle à la quantité de grâce reçue. Dieu ne distribue pas Ses loukoums gratuitement ; nous devons les payer chèrement. Et comme elle n’a pas été précédée par un combat spirituel, cette caresse divine ne constituait pas la récompense de mes efforts, mais l’annonce d’une tentation toute proche».
«Mais Geronda, tu as atteint la theosis. Comment peux-tu encore avoir à affronter des choses mauvaises?»
«Tu verras», répliqua Geronda.
Deux jours plus tard, Papa-Ephrem revint, pour célébrer la divine liturgie, et Geronda semblait être d’une humeur si belle, au point qu’il racontait des blagues. Mais intérieurement, il vivait un enfer. Le voyant tellement heureux, Papa-Ephrem lui demanda:
«Alors, qu’est-ce qui t’attendait? La joie et les bénédictions!»
Geronda Joseph lui dit:
«Viens ici!»
Il l’emmena à part afin que les autres ne l’entendent pas, et lui dit: «Maintenant je comprends la douleur que ressentent les âmes possédées par les démons. Je vois l’ennemi de nos âmes nous surveiller pour voir si ses flèches empoisonnées atteignent leurs cibles. Mais je ne vais pas donner à ce monstre cornu le plaisir de me voir dans l’affliction et les douleurs ».
Ma Vie avec Geronda Joseph (6)
Le livre de Geronda Ephrem de Philotheou «Mon Geronda Joseph, l’Ermite et Hésychaste» fut publié en 2008 à Athènes. Cette publication constitua un véritable événement dans la vie spirituelle des Orthodoxes grecs. Il fut lu pendant le repas dans tous les monastères de Grèce. En 2011, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, le livre fit l’objet d’une traduction en russe, et y furent intégrés de nombreux éléments qui n’avaient pas été inclus dans la version originale. (Le livre russe ne porte d’ailleurs pas le même titre que le livre grec, et son organisation en chapitres est différente). Le texte lui-même du livre est la transcription des enregistrements de récits et souvenirs narrés par Geronda Ephrem à ses enfants spirituels. La Lorgnette de Tsargrad propose la traduction d’extraits de la version russe du livre, qui s’intitule «Ma Vie avec Geronda Joseph» (Моя жизнь со Старцем Иосифом). Sixième extrait.
Chapitre septième. Nos Vigiles.

Notre occupation essentielle, c’était les vigiles. Tout était organisé pour que nous puissions effectuer la prière nocturne dans les meilleures conditions. A cette époque, dans notre ermitage, la règle nous imposait d’interrompre le sommeil après le coucher du soleil, et d’entrer alors en prière. Nous nous levions et buvions alors une petite tasse de café, juste pour avoir un coup de pouce pendant les vigiles. Geronda nous avait ordonné de boire du café avant la prière nocturne. En étaient dispensés seuls ceux qui ne supportaient pas le café. Les frères malades ou faibles étaient autorisés à manger un peu pour prendre des forces. Après le café, nous faisions une métanie à Geronda et nous entrions dans le silence, nous ne disions plus un mot, chacun dans sa cellule. Et là, nous commencions prière et vigiles, selon le mode et la méthode que nous avait enseignés Geronda. Nous récitions le Trisagion et nous nous asseyions ensuite sur un petit banc et nous concentrions sur les afflictions, le souvenir de la mort, la crucifixion du Christ. Rien d’autre ne nous venait à l’esprit. Après notre réveil, le souvenir de la mort était omniprésent en nous. Geronda nous expliquait qu’après avoir dormi, l’esprit est reposé et pur. Et dans la mesure où il se trouve dans cette pureté et ce calme, le moment est idéal pour lui donner pour première nourriture spirituelle, le Nom du Christ. «Assieds-toi sur ton petit banc et commence avant tout à réciter ‘Seigneur Jésus christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi’, et après quelques minutes, réfléchis, pense à la mort». Voilà ce que nous enseigna notre bienheureux Geronda, dont la vie entière ne fut rien d’autre qu’un éveil permanent à la prière.
Nous restions assis dans nos cellules, dans l’obscurité. Nous avions le komboschini et les métanies, les métanies et le komboschini, rien d’autre. Je demeurais ainsi fermé sur moi-même pendant deux, trois heures, récitant la prière du cœur. Souvent, je restais assis pendant cinq heures. Lorsque mon esprit s’embrumait et que je commençais à incliner vers le sommeil, je sortais dans la cour. Geronda m’avait conseillé, quand je commençais à me fatiguer de la prière du cœur, de lire, de réfléchir à des sujets spirituels, de me rappeler mes péchés, et ensuite, de retourner à la prière du cœur.
Il me donnait ses instructions ainsi : «Tu vois, lorsque je ne trouve plus de consolation dans la prière, je chante doucement un tropaire, un deuxième, et puis je pleure. Je me souviens de la mort et des afflictions. Toi mon enfant, quand la prière ne va pas, quand elle ne se fait pas d’elle-même, tourne-toi vers les larmes, tu en tireras un bénéfice. Si tu n’en tires aucun bénéfice, tourne-toi vers la crucifixion du Christ. Si tu n’en tires pas de consolation, tourne-toi vers tes péchés. Si rien n’en sort, souviens-toi de tes faiblesses, remarque quand elles se manifestent, et le lendemain, tu pourras ainsi lutter contre elles ». Voilà une instruction bien exhaustive, sans tourner autour du pot, droit à l’essentiel, les yeux dans les yeux.
L’hiver, il faisait froid, mes os geignaient, mais nous n’avions ni alcool, ni kérosène. Les vigiles étaient un vrai combat, mais il s’agissait de véritables vigiles : de huit à dix heures de prières, de métanies, de souffrances et d’accablement, non pas de l’âme, mais du corps. Tout le confort présent aujourd’hui n’existait pas de ce temps-là. Quand il fallait écrire, on allumait une lampe à huile. Dans chaque cellule on disposait d’un grand support en bois en forme de T sur lequel nous prenions appui pour ne pas fatiguer les bras pendant que nous accomplissions notre règle. Quand le sommeil faisait mine de s’approcher, nous nous tenions bien droits et nous accrochions au komboschini. Et quand arrivait l’heure du repos, nous attrapions un coussin et nous nous endormions sur place.
L’été, chacun avait sa place dans la cour. Pour commencer, chacun priait dans sa cellule, autant de temps qu’il le souhaitait, et ensuite, quand la nuit était tombée, nous sortions dans la cour et y priions. Pour chacun d’entre nous, les vigiles duraient au moins huit heures. Nous pouvions aller dormir après huit heures de vigiles. Chacun essayait de rester le plus longtemps possible dans la prière du cœur, enfermé dans sa cellule, sans komboschini, sans lumière. L’un, une ou deux heures, l’autre trois, un autre encore, quatre heures ; autant que le corps pouvait supporter, et tant que la force ne venait pas à manquer à l’esprit. Moi, évidemment, étant le plus jeune et faible, je sortais dans la cour avant tous les autres et je priais avec le komboschini sur une pierre, à ma petite place. Geronda demeurait sept ou huit heures dans la prière du cœur. Après, il récitait l’office sur son komboschini, avec des métanies.
Geronda veillait toujours à ce que nous restions dans un état de sobre attention. Nous ne savions ce qu’était la négligence, ce que signifiait dormir au moment des vigiles. Cela n’existait pas dans notre communauté. Geronda nous transformait en acier. Et il était le premier à l’être, de pur acier. J’étais le petit dernier, et donc le plus faible, d’âme et de corps. Mes frères étaient nettement meilleurs que moi.
Les vigiles devaient durer toute la nuit, selon notre typikon. Si nous pouvions dormir la veille au soir, il n’était pas question que nous nous endormions après, fût-ce à cause de la monotonie ou pour toute autre raison ; les vigiles devaient être accomplies! C’était notre typikon. Jamais on ne disait : «Je suis épuisé, j’ai travaillé et porté beaucoup de lourdes charges, je vais me reposer un peu». On ne pouvait déroger au typikon. Quel qu’ait été la fatigue du jour, les vigiles se déroulaient sans exception. Que l’on ait dormi ou pas au moment adéquat, nous devions être debout au coucher du soleil et commencer les vigiles. Le sommeil passait à l’attaque, tu n’en pouvais plus de le combattre ? «Tu dois faire les vigiles!», disait Geronda. Il n’admettait aucune dérogation, les frères n’étaient jamais dispensés des vigiles.
Le programme des journées ne souffrait aucun désordre. L’un ne pouvait se lever à une certaine heure et l’autre à une heure différente, ou ne pas aller se coucher. Si cela ne convenait pas à certains, ils allaient se trouver une place ailleurs. Chacun devait respecter les instructions, autrement, il ne pouvait demeurer parmi nous ; soit il quittait de lui-même, soit Geronda le faisait partir. Nous devions accomplir notre règle, mener intégralement notre combat ascétique.
Lorsqu’un prêtre venait chez nous, nous célébrions la liturgie au milieu de la nuit, après six heures de prière solitaire. L’hiver, à la fin de la liturgie, il faisait encore nuit. Nous allions dormir, et quand nous nous levions, l’obscurité régnait. Mais l’été, quand nous nous levions, il faisait clair. Toute la nuit nous demeurions isolés chacun pour soi. Nous nous rassemblions seulement pour la liturgie et pour le repas. C’était très sain et cela me plaisait beaucoup.
J’étais fort fatigué pendant les vigiles et je devais dormir un peu avant les tâches de la journée. Dès le matin il fallait se remettre à transporter de lourdes charges, ramener des bûches, aller chercher de l’eau.
Les jours où nous mangions deux fois, je devais être debout avant le lever du soleil pour préparer le repas afin que les pères puissent manger avant d’aller travailler. Dès que je quittais la table, je lavais la vaisselle et je commençais à préparer le repas suivant. Les pères entreprenaient alors de coudre ou accomplissaient d’autres travaux. Je me rendais à la réserve. C’était une belle vie ! La journée, pendant les travaux, nous priions. Nous avions l’âme simple comme les enfants. «Elle est bénie la vie au désert. L’aspiration permanente à Dieu et le retrait hors du vain monde». [32]
Souvent, je m’éveillais le soir, je m’asseyais, avec l’impression de ne pas m’être reposé. «Quelle heure peut-il être? Est-ce déjà la nuit? Ou encore le jour?» Je fermais tout quand je dormais. «Quelle est la date aujourd’hui? Je pourrais dormir encore un peu. Je n’ai dormi qu’une demi-heure. Comment vais-je tenir pendant dix heures de vigiles?» Je voyais la nuit arriver et me disais : «Supplice de martyre ! Comment tenir sans avoir dormi, sans être reposé?» Après la liturgie, je dormais un tout petit peu. Et ensuite, il fallait travailler, travailler, travailler. Voilà pourquoi j’allais tout droit vers la tuberculose. Mais mon obéissance envers Geronda était absolue. Labeur incessant, réprimandes, remontrance. Je n’avais littéralement jamais la paix : d’un côté le travail, et de l’autre les savons et les reproches. Et je devais la boucler! Qu’aurais-je pu répliquer! Il était strictement interdit de parler. Sauf avec le Père Arsenios, quand j’étais auprès de lui.
Geronda nous enseignait qu’on ne peut appeler moines ceux qui n’accomplissent pas les vigiles et qui n’ont pas acquis la prière de Jésus. Le moine sans les vigiles, celui qui ne s’est pas fait hibou dans une masure (Ps 101;7), est comme un oiseau qui ne dort pas et ne chante pas, le moine qui n’a pas acquis l’attention vigilante et la prière ne peut être appelé moine. Il est moine extérieurement, mais pas selon l’âme. Il n’est pas encore né, il n’a pas encore fait la connaissance de la grâce particulière de la vie monastique.
A travers l’accomplissement conscient des vigiles, le moine conquiert, comme disent les pères, des yeux de chérubins. Il atteint une vigilante sobriété telle qu’il peut apercevoir de loin les démons, qui se soulèvent contre lui avec une vicieuse fourberie, tentant de faire vaciller le moine-lutteur ascétique. Il parvient à voir le moindre mouvement des passions et est ainsi en mesure d’adopter les mesures nécessaires. Geronda, ce philosophe de notre époque, savait ce que signifiait accomplir les vigiles pour Dieu. Il ne s’agit pas de demeurer éveillé toute la nuit pour pêcher le poisson ou vagabonder dans les rues et les discothèques. Les vigiles, je les accomplis en Dieu. Que signifie «en Dieu»?, que signifie «pour Dieu»?. Cela signifie que l’esprit s’élève aux Cieux, y voit le Verbe de Dieu, Qu’on ne peut comprendre ni concevoir, sur Son Trône et dans la Gloire céleste, et il converse avec Lui. Alors le cœur se réjouit et l’homme s’écrie «Heureux celui dont l’esprit est en Dieu! Il est béni et heureux!» Les Pères ont dit : «Le moine qui accomplit les vigiles avec diligence, qui prie avec vigilance, il n’a plus l’apparence de l’homme, mais celle des anges de Dieu». Voilà en vérité ce qu’est un tel moine. Mon Geronda insistait sur les vigiles, sur les belles vigiles, celles qui purifient l’esprit et le rendent divin. Les vigiles donnent à l’esprit la possibilité de se hisser au troisième ciel et de toucher spirituellement les indicibles secrets de la vie.
Ma Vie avec Geronda Joseph (5)
Le livre de Geronda Ephrem de Philotheou «Mon Geronda Joseph, l’Ermite et Hésychaste» fut publié en 2008 à Athènes. Cette publication constitua un véritable événement dans la vie spirituelle des Orthodoxes grecs. Il fut lu pendant le repas dans tous les monastères de Grèce. En 2011, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, le livre fit l’objet d’une adaptation en russe, et y furent intégrés de nombreux éléments qui n’avaient pas été inclus dans la version originale. (Le livre russe ne porte d’ailleurs pas le même titre que le livre grec, et son organisation en chapitres est différente). Le texte lui-même du livre est la transcription des enregistrements de récits et souvenirs narrés par Geronda Ephrem à ses enfants spirituels. La Lorgnette de Tsargrad propose la traduction d’extraits de la version russe du livre, qui s’intitule «Ma Vie avec Geronda Joseph» (Моя жизнь со Старцем Иосифом). Cinquième extrait. (Le quatrième est ici; il rapporte le début des «épreuves dentaires» de Geronda Ephrem, qui se poursuivent au début du présent extrait).
C’est seulement deux ans plus tard, alors que j’étais à la Skite Nouvelle, que je compris ce qui aurait pu m’arriver, quand la même dent redevint douloureuse. J’allai auprès de Geronda et je lui dis : «Bénissez que l’on arrache ma dent ». «Va à Karyes, on te l’y arrachera. Et reviens aujourd’hui». Pour aller de la Skite Nouvelle à Karyes, il faut prendre le bateau jusque Daphni ; le trajet dure deux ou trois heures. Et de là, il faut encore marcher deux ou trois heures pour arriver à Karyes. C’était difficile d’effectuer le voyage aller-retour en un jour. C’est pourquoi les pères logeaient d’habitude à Karyes, soit dans la kellia d’un moine de leurs connaissances, ou au Monastère de Koutloumoussiou, à côté de Karyes. Mais Geronda m’avait dit : «Ne loge pas à Karyes!»

J’allai donc à Karyes. Le Père Nikita y était dentiste. C’était le premier dentiste sur la Sainte Montagne. Il était très expérimenté. Ayant observé ma dent il dit : «Mais enfin, frère! Pourquoi donc veux-tu faire enlever cette dent? Il ne faut pas mettre Dieu en colère ! Je m’en vais te soigner cette superbe petite dent. Sinon, plus tard, il te faudra trois dents artificielles, car tu n’auras plus tes dents naturelles». «Geronda a dit que tu l’enlèves». «Bon, je vais le faire. Mais tu es encore un jeune homme. C’est dommage que je l’arrache, car plus tard, je devrai te fabriquer des fausses dents». «Geronda a dit de l’arracher, donc arrache-la!» Alors il comprit. Le stupide et jeune moinillon faisait preuve d’obéissance. Il me fit une injection, et tira, tira encore. Il transpirait et soupirait, reprenait son souffle et recommençait à tirer. Alors, je compris ce qui me serait arrivé à Sainte Anne, avec des pinces. Il réussit finalement à l’enlever.
La voilà, ta dent. Je te la donne car elle a été arrachée pour rien.
Combien dois-je ?
Autant
Je le payai et m’apprêtai à partir.
Où vas-tu ? Me demanda-t-il.
Je rentre. A la Skite Nouvelle.
Comment cela ? Et si tu as une hémorragie ? C’est moi qui serai tenu pour responsable !
Que tu sois ou non tenu pour responsable, je ne peux pas rester. Geronda m’a dit de rentrer, donc je rentre.
Eh bien, il est impossible de raisonner avec ce gars ; il est fou. Je vais te mettre un pansement spécial qui arrête les saignements. Mais si en chemin tu devais avoir une hémorragie, ce sera toute une histoire. Quand vous arriverez à Dafni, remplace le coton avec le médicament par un propre, et rince ta bouche à l’eau salée.
D’accord.
A Dafni, le coton fut changé et je m’éloignai un peu pour gargariser avec l’eau de mer. Et en route vers Geronda. J’avais marché deux heures et demie, et il restait deux heures et demie de navigation. C’était si sévère. Geronda ne plaisantait jamais. Il te disait «Patience ! Et arrivera ce qui doit arriver». Je ne sais s’il y eut un autre homme aussi saint sur la Sainte Montagne au vingtième siècle. Il était sévère, autoritaire, héroïque. «Ou je parviens à le faire, ou non. Point». Sa foi en Dieu était grande : si tu dois mourir, tu meurs. A la fin de sa vie, toutefois, il modifia son point de vue à l’égard de la médecine. Quand arrivèrent ses derniers jours, je tombai malade, mais par obéissance envers Geronda, je ne fis pas appel à un médecin. Quand j’allai voir Geronda et lui demandai ce que je devais faire, il me répondit «Tu es un gars valétudinaire. Tu dois aller voir un médecin. Ne tient pas compte de la manière dont j’ai agi par rapport à cela jusqu’à présent. Tu es faible. Si les médecins et les médicaments peuvent t’être utiles, alors, tu dois y recourir. Cette leçon, je ne l’ai pas comprise pendant toutes ces années. Mais maintenant, je suis vieux, et j’ai compris. Maintenant, ma fin approche et j’ai compris qu’il faut faire preuve de compassion. L’enseignant doit apprendre en permanence, disait le sage Socrate. Tu es un enfant, et tu as besoin de l’aide du médecin. Vas donc le voir et prends des médicaments et tout ce qui sera nécessaire».
Chaque jour, nous portions des charges ; nous les portions sur notre dos. A cet endroit, il n’y avait bien sûr pas de voiture, ni même aucun animal de bât. Le sable, le bois, les denrées, tout ce dont nous pouvions avoir besoin, c’est sur notre dos qu’ils arrivaient. Et parfois même, nous n’y parvenions pas. Pour nous, c’était un vrai martyre, un travail pénible. Geronda nous envoyait scier des sapins sur les contreforts de l’Athos, à plusieurs heures de marche. Nous devions escalader et dégringoler des gorges boisées. Il fallait monter, alors que l’épaisseur de la neige dépassait les deux mètres. Nous coupions les branches et ensuite, nous attachions ensemble à l’aide de cordes deux têtes d’arbres que nous avions abattus, nous hissions la base des troncs sur nos épaules et il nous fallait ensuite traîner cette charge jusqu’à nos kalivas. Nous avions besoin de ce bois pour construire des cellules. Partis au petit matin, nous rentrions au crépuscule. Les kalivas qui nous avons érigées le furent au prix de notre sang.
Nos kalivas… des mille-pattes, des serpents… Nous étions comme forgés dans l’acier. La vie à la Petite Sainte Anne n’était pas une rigolade. Mais c’était bien la raison pour laquelle j’y étais allé. Gloire à Dieu !
Geronda me disait : «Cours à la mer». En dix minutes, j’étais en bas, galopant de marche en marche, tombant sur certaines, en veillant toutefois à ne pas me rompre les os. Quand je montais les charges, la sueur ruisselait. Je pensais : «Cette sueur est comme le sang des martyrs». Ces pensées lumineuses m’aidaient à hisser les charges avec joie.

Chez nous, à la Sainte Montagne, nous n’avions pas de lait. Et si tout à coup nous recevions une boîte de lait concentré, nous l’ouvrions et diluions le lait avec de l’eau ; et c’était notre festin ! Même si cette boisson rappelait le lait seulement par sa couleur. Du reste, il était malaisé d’avoir du vrai lait à cette époque car les partisans dissimulaient tous les moutons. Un jour nous avions entendus qu’un troupeau de moutons paissait pas très loin du poste de police, près du Monastère Saint Paul, à une altitude d’environ mille mètres. Geronda dit alors : «Père Athanasios, va donc nous chercher un peu de lait. Nous le ferons bouillir, et puis on émiettera du pain dedans, pour faire du pain trempé comme dans notre enfance». «J’y vais Geronda» «Prends un bidon et de l’argent. On fera la préparation demain matin. On mangera le pain trempé à la cuillère, comme quand nous étions petits». Le pauvre Père Athanase se mit en route. Mais comment aurait-il pu revenir à temps? Il devait marcher autant qu’a dû voler la colombe de Noé avant de revenir avec la nouvelle de la fin du déluge. A peine avait-il atteint le col que les pensées l’assaillirent. Et il se dit «Je ne vais tout de même pas faire tout ce trajet rien que pour le lait. J’irai en même temps chercher des tomates au Monastère de Karakallou». Pour atteindre Karakallou, il fallut au moins quatre heures de marche pour passer le col. Le Père Athanasios, prenant les tomates, appris qu’au metochion des Monoxilites, on faisait les vendanges. «Je vais y aller maintenant, mais pourquoi devrais-je y emmener les tomates?», pensa-t-il. De Karakallou il fallait dix heures pour rejoindre Monoxilites. Et il déposa les tomates dans le ‘bidon’ qu’il dissimula dans les branchages pour les récupérer sur le chemin du retour. Il était parti pour ramener du lait, et voilà qu’il s’en allait chercher du raisin. Il y alla donc et revint chercher les tomates. Entretemps, elles étaient devenues blettes et avaient gâté. Quel homme redoutable, ce Père Athanasios! Il laissa les raisins à Dafni et retourna chercher des tomates à Karakallou, cela faisait une dizaine d’heures de marche aller-retour.
Entretemps, Geronda scrutait le sentier par lequel il devait revenir. Ne le voyant pas arriver, Geronda dit : Père Athanasios est tombé. Maintenant, il ne reviendra plus. Il a été vaincu par des pensées de tomates et de raisin. Qu’allons-nous faire? On n’aura pas de lait. Petit, n’irais-tu pas en chercher?
J’y vais, Geronda, que cela soit béni.
Alors écoute-moi. On fera des vigiles plus courtes. Tu iras dormir à six heures ; je t’éveillerai à huit heures, car je ne dormirai pas. Trois heures de chemin, cela fera onze heures.
Je devais passer Sainte Anne, la Skite Nouvelle, le Monastère de Saint Paul, et grimper jusqu’à mille mètres. Je m’éveillai donc cette nuit-là pour les vigiles, j’accomplis ensuite ma règle de prière et entendis soudain Geronda me disant «Allonge-toi, mon enfant, et dors je t’éveillerai». Dans mon sommeil, je vis un démon m’attaquer, voulant m’empêcher de partir et d’obéir à l’instruction de Geronda. Je lui dis «Tu n’arriveras à rien, démon!» Geronda m’éveilla à huit heures moins le quart. Je me levai en sursaut : «Bénissez Geronda, je m’en vais». Je ne parlai pas à Geronda de l’attaque du démon qui voulait m’empêcher de partir, afin qu’il ne s’imagine pas que je ne voulais pas y aller. Je jetai une musette sur mon épaule et pris le ‘bidon’ pour le lait.
Prends cette musette, m’avait dit Geronda. Quand tu passeras à Saint Paul, tu la feras remplir de légumes, et ainsi, tu ramèneras le lait et les légumes.
Nous n’avions vraiment rien à manger là où nous étions ; rien ne pousse, sinon des buissons, sur ces rochers.
En route, mon petit oiseau, ramène-nous ces légumes.
Que cela soit béni, Geronda.

Je pris le ‘bidon’, l’argent, la musette, reçus la bénédiction de Geronda, empoignai la lanterne et me mis en chemin. Je longeai Sainte Anne et la Skite Nouvelle et passai à côté de Saint Paul. Il faisait encore nuit. Il fallait alors monter. Des chacals accoururent et se mirent à crier, comme des petits enfants. Ils avaient entendu la cloche du monastère et poussaient des hurlements. C’était la première fois que je les entendais hurler de la sorte. Il faisait nuit. Tout était désert. Il me semblait être entouré par des loups. Je commençai à chanter. Ils hurlaient et moi je chantais. J’étais seul, avec mon komboschini et ma lanterne.
A l’aurore, j’arrivai à la bergerie, tout en haut de la montagne. Ohhh! Deux chiens foncèrent sur moi! Panagia! C’est la fin, me dis-je ; ils vont me dévorer, je ne saurais m’en défaire. J’essayai de me protéger à l’aide de la musette, et je me mis à crier. Le berger cria alors, et les chiens se calmèrent.
Et bien, mon enfant, mon petit moine, comment es-tu parvenu jusqu’ici à pareille heure ?
Geronda m’avait ordonné de dire seulement «Je suis venu chercher du lait. Remplissez mon bidon. Combien vous dois-je?» Je ne devais rien dire d’autre.
Viens près de nous. Tu mangeras un morceau.
Remplissez mon bidon, que je puisse partir. Combien vous dois-je?
Attends un peu, nous devons encore traire.
Je m’assis dans la kaliva. Il partit à la bergerie, et en ramena bientôt du lait.
Bois un peu, mon gars.
Je n’ai pas reçu la bénédiction pour en boire.
Je n’avais rien mangé et j’avais faim, mais je ne bus pas.
Je dois combien ?
Autant.
Je dois partir.
Il me donna le lait, je payai, plaçai le ‘bidon’ dans la musette et descendit vers le Monastère Saint Paul où je m’adressai au jardinier. J’ôtai le ‘bidon’ de la musette, et il glissa dedans des pommes de terre, des aubergines et des tomates. Père Daniel, le jardinier, en remplit la musette à ras-bord.
Dis-moi, frère, comment vas-tu trimballer tout cela jusqu’auprès de ton Geronda ?
Grâce aux prières de Geronda. S’il t’en reste, tu peux les placer au-dessus. Tu sais, Père, là-bas, nous n’avons rien.
Mais comment vas-tu transporter tout cela ? Même moi je n’y parviendrais pas.
Le Père Daniel avait une taille de géant et moi, j’étais un gringalet.
Chez nous, seuls les buissons poussent. Ajoutes-en un peu, Père Daniel.
Il en rajouta et me regarda alors avec pitié. Je soulevai tout et me mis en route. Comment savais-je que je n’aurais pas la force de monter tout cela jusque chez nous ? D’une main je portais le ‘bidon’ de lait et de l’autre, la grande musette avec les légumes. Mais le lait était tellement secoué qu’il allait sûrement se transformer en beurre. «Ahhh, je n’y arriverai pas…» pleurnichai-je. Et que fit alors le Dieu de bonté, par les prières de mon Geronda? A peine avais-je commencé à descendre le chemin qui partait de Saint Paul que je rencontrai le Père Élie de la communauté du Père Artemios : «Ephrem, comment se fait-il que tu te trouves ici?». Et il prit le ‘bidon’. Il portait déjà une charge, mais il était solidement bâti, et plus âgé que moi. Nous fîmes chemin commun. Nous longeâmes la Skite Nouvelle et dépassâmes Sainte Anne. Le Père Élie devait continuer vers son Geronda, et je devais monter à l’ermitage. Comment allais-je faire sans lui ? Nous nous trouvions au bord de la mer.
Oh, Ephrem, et comment vas-tu faire maintenant ?
Mais, c’est juste là-haut…
Je pris le ‘bidon’. Comment allais-je pouvoir monter ? Pour aller chercher le lait, j’avais cheminé trois heures. Pour le retour, cinq heures, sans m’arrêter pour souffler. Je commençai à grimper le long des marches creusées dans la roche. J’avais l’impression d’être au bout de mes limites. Finalement, je ne sais trop comment, je parvins à me hisser jusqu’en haut. Un auvent était fixé à la kaliva de Geronda, pour la protéger du soleil, car les buissons ne donnaient pas d’ombre. Geronda cousait, assis sous l’auvent. C’était là que nous mangions, à côté de lui. On avait disposé des billots et nous sous rassemblions autour de Geronda.
– Mon Geronda…
– Tu y es arrivé ?
– J’y suis arrivé mais je suis à peine vivant.
– Vas donc te reposer, je vais m’occuper de tout cela.
Il y avait des tomates, des aubergines, des melons, donnés par le Père Daniel. J’ai tout remis à Geronda. Je ne sais ce qu’il en fit. Je suis tout simplement tombé. Je ne me rappelle pas combien de temps j’ai dormi et quand je me suis éveillé. Je ne sais même plus ce qu’il advint du lait…
Le Père Athanasios revint une semaine plus tard. Il cria de tout en bas : «Père Arsenios!» Geronda dit alors : «Oh! Le Père Athanasios est vivant! Gloire à Dieu! Descends auprès de lui. Qui sait ce qu’il nous a ramené». Je descendis. Dans les monastères, quand on entendit qu’un moine de Geronda Joseph était arrivé, on lui donnait de tout, car Geronda jouissait d’une grande renommée d’ascète. Parfois, les gens donnaient toutes sortes de vêtements, de chaussures, même. Mais tout ce que ramenait le Père Athanasios était pourri et s’était transformé en bouillie. Les raisins, le sucre, le beurre, tout ce qu’on lui avait donné dans les monastères où il était passé. Les tomates dataient d’une semaine. Vous imaginez-vous à quoi elles pouvaient ressembler ? Quoiqu’il en soit, on monta tout cela.
Le Père Athanasios s’approcha de Geronda en soufflant comme un phoque. Geronda, en psychologue avisé, l’accueillit avec douceur. Il savait qu’un homme qui avait monté des charges était fatigué et avait du mal à tenir une conversation.
Père Athanasios, que t’est-il arrivé ?
Ce qui m’est arrivé ? Des pensées.
Quelles pensées ?
Quand je suis arrivé là-bas, j’étais fatigué et je me suis allongé pour dormir. Une pensée m’a dit : le lait c’est bien, mais va chercher des tomates. Que devais-je faire ?
C’est bien, Père Athanasios, les mésaventures sont utiles, elles aussi.
Mille excuses !
Geronda le calma. Visiblement il pensait «Quoi qu’il en soit, cet homme s’est donné de la peine. Si j’en rajoute, ce sera trop pour lui». C’est pourquoi Geronda dit seulement que le Père Athanasios avait été vaincu par la confusion des pensées à propos de tomates à Karakallou et de vendanges. Et Geronda raconta tout ce qui s’était passé ! Voilà comment il était notre Geronda. On peut dire que c’était un des derniers saints de la Sainte Montagne. Le Père Athanasios s’enfuit à ses travaux. Geronda restait en paix. Je fis le service. Les pensées accablaient le Père Athanasios. Geronda l’encourageait : Allons, Père Athanasios, accorde ton violon, ne te décourage pas, relève la tête!»
Je travaillais beaucoup, je travaillais énormément. Toute la journée, il fallait porter des charges, et Geronda ne cessait pas un instant de me houspiller. Et les conditions de vie étaient dures ; les vigiles nocturnes, les pensées, la guerre contre les passions, les attaques des démons en songe, et aussi tout éveillé. En plus de tout cela, le lieu où nous vivions était sévère. Ce n’était pas comme aujourd’hui ; il y fait doux, les poêles ronronnent, les radiateurs chauffent. Maintenant j’ai tout cela, mais alors c’est tout différent. Mais tout cela a constitué la base sur laquelle, par les prières de Geronda, je tiens debout aujourd’hui encore. Bien sûr, je souffre d’anémie spirituelle, je suis spirituellement délabré, je tombe en pièces, mais les prières de Geronda me tiennent debout.
Et pourtant comme ces œuvres étaient belles ! Comme ces années furent bénies et superbes ! Aujourd’hui, je me les remémore, je revois ma kaliva, et je pense à ce qu’y fut ma vie : un véritable Waterloo de travaux lourds et de maladies! Cette époque dense de luttes et d’exploits ascétiques donna un fruit de grâce, d’innocence, de pureté intérieure et extérieure, dans l’âme et le corps, grâce, évidemment, aux prières de Geronda. Il nous enseignait la théorie, il nous guidait afin que nous ne déviions ni à droite ni à gauche, il nous aidait. Et notre vie était inondée de bénéfices spirituels. Cette éducation sévère servait à éteindre les passions et à acquérir tout ce qui était nécessaire, tout ce qui nous manquait. J’étais un petit enfant et j’avais besoin d’une telle éducation. Pour moi, ce fut une fête, car je savais que ces difficultés auraient pour fruit la grâce de Dieu sans cesse renouvelée.
Les tentations, les pensées, les élans des passions m’accablaient, mais tout cela était sous le contrôle de Geronda et n’échappait pas à mon attention soutenue. La guidance de Geronda permettait à mon esprit de demeurer alerte et d’être toujours prêt à chasser les pensées contraires à Dieu dès qu’elles se pointaient, avant qu’elles n’aient le temps de former des images du péché. Inlassablement, Geronda veillait sur toute ma vie. Je jeûnais, veillais, priais et m’efforçais d’empêcher mon esprit de faire marche arrière vers le monde. Et en vérité, mon esprit ne sortait pas au-delà des limites de ma kellia et des proches environs. Il s’efforçait de se tourner vers le haut. Je me suis volontairement privé de bien des choses, dans un seul but : la réussite spirituelle. C’était surtout la nuit que nous menions notre combat ascétique. Car par sa nature, la nuit aide à apaiser l’esprit et donne du temps à la prière. (A suivre)
Traduit du russe.
Gerondissa Theophano, Novice de son propre Fils, Geronda Ephrem de Philotheou.
Le Site Pravoslavie.ru a mis en ligne le 28 octobre 2016 la version russe du texte ci-dessous, consacré à la vie et l’exploit ascétique de Gerondissa Theophano, appelée dans le monde Viktoria Moraitis, la maman de Geronda Ephrem de Philotheou et d’Arizona. Le texte russe a été composé par Mesdames Olga Zatouchevskaia et Olga Rojniova. La majorité des photos proposées sont reprises du site Pravoslavie.ru.
Le Monastère du Saint Archange Michaïl sur l’île grecque de Tassos, est un metochion du Monastère de Philotheou, sur le Mont Athos. Gerondissa Theophano, la maman de Geronda Ephrem de Philotheou et d’Arizona, y a passé les dernières années de sa vie ; c’est là qu’elle s’est endormie dans le Seigneur, le 27 février 1986. Gerondissa Ephremia, higoumène du monastère, a accordé sa bénédiction pour que nous récoltions auprès d’elle et des sœurs du monastère quelques récits et souvenirs relatifs à Gerondissa Theophano. Lire la Suite
Ma Vie avec Geronda Joseph (4)
Le livre de Geronda Ephrem de Philotheou «Mon Geronda Joseph, l’Ermite et Hésychaste» fut publié en 2008 à Athènes. Cette publication constitua un véritable événement dans la vie spirituelle des Orthodoxes grecs. Il fut lu pendant le repas dans tous les monastères de Grèce. En 2011, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, le livre fit l’objet d’une adaptation en russe, et y furent intégrés de nombreux éléments qui n’avaient pas été inclus dans la version originale. (Le livre russe ne porte d’ailleurs pas le même titre que le livre grec, et son organisation en chapitres est différente). Le texte lui-même du livre est la transcription des enregistrements de récits et souvenirs narrés par Geronda Ephrem à ses enfants spirituels. La Lorgnette de Tsargrad propose la traduction d’extraits de l’adaptation russe du livre, qui s’intitule «Ma Vie avec Geronda Joseph» (Моя жизнь со Старцем Иосифом). Quatrième extrait.
Chapitre Cinquième. Conditions difficiles.
Geronda établit mon obédience ; je serais le cuisinier de la communauté. Voici comment cet événement se déroula.
Petit !
Bénissez.
Fais-nous la cuisine.
Où fait-on la cuisine?
Dans la cour.
Je me dis que c’était très bien, mais où donc, dans la cour ? Comme si nous y avions eu une cuisine là quelque part. Et puis, passe encore récolter du bois et allumer le feu, mais cuisiner ?! Qu’aurais-je bien pu préparer comme repas, alors que je n’y connaissais rien du tout ? Je fus assailli par les pensées : «Où vas-tu donc cuisiner ? Où vas-tu faire la vaisselle?». Dans la cour, une cruche cassée nous servait d’évier ; on l’avait attachée à un pieu et on y avait fixé un petit robinet. C’est là que nous lavions notre vaisselle. Mais où cuisiner ? Les pères travaillaient dur, transportaient des charges, ils étaient fatigués et avaient faim ; que mangeraient-ils ? Mais Geronda était rentré dans sa cellule ; il cousait… La cour était un espace ouvert, il y soufflait un vent tout simplement effrayant. Je me souviens encore que je devais me tenir pour ne pas me faire souffler dans le précipice. Quand le vent se levait, je devais faire appel à toute ma patience car en même temps que le vent se levaient en moi murmures et blasphèmes contre Dieu. Il suffisait que ma patience diminue quelque peu et l’esprit de blasphème était là ; il me disait : «Qu’est-ce donc pour un Dieu Qui fait souffler sur toi un vent pareil et Qui te fait souffrir ainsi?». Et je lui répliquais «Ferme-la! Pas un mot!». Lire la Suite
Ma Vie avec Geronda Joseph (2)
Le livre de Geronda Ephrem de Philotheou «Mon Geronda Joseph, l’Ermite et Hésychaste» fut publié en 2008 à Athènes. Cette publication constitua un véritable événement dans la vie spirituelle des Orthodoxes grecs. Il fut lu pendant le repas dans tous les monastères de Grèce. En 2011, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, le livre fit l’objet d’une traduction, ou plus précisément d’une adaptation, en russe, et y furent intégrés de nombreux éléments qui n’avaient pas été inclus dans la version originale. (Le livre russe ne porte d’ailleurs pas le même titre que le livre grec, et son organisation en chapitres est différente). Le texte lui-même du livre est la transcription des enregistrements de récits et souvenirs narrés par Geronda Ephrem à ses enfants spirituels. La Lorgnette de Tsargrad propose la traduction d’extraits de la version russe du livre, qui s’intitule «Ma Vie avec Geronda Joseph» (Моя жизнь со Старцем Иосифом). Deuxième extrait. Le premier se trouve ici.
Chapitre Deuxième. A la Sainte Montagne.
L’heure finit par sonner. Le 26 septembre 1947, au matin, un bateau m’emmena lentement du monde vers la Sainte Montagne, comme des rives de la vie dans le siècle vers la rive opposée, celle de la vie éternelle. Nous accostâmes a Daphni, principal débarcadère de l’Athos. Je descendis du bateau pour monter avec quelques autres dans une grande barque à destination de la skite de la Petite Sainte Anne, faisant arrêt à chaque monastère en chemin. Dès que nous quittâmes Daphni, je fus assailli par une attaque du diable. Je vis les pères et les monastères comme des prisonniers et des prisons, me disant «Comment ces moines peuvent-ils vivre ici ? Comment pourras-tu supporter cela ? Mais où donc vas-tu te mettre ?» J’étais loin d’être chevronné. Jusqu’à ce jour, je n’étais allé nulle part sinon à l’église, au marché, dans l’atelier de mon père, et à la maison. Tout ce que je voyais maintenant était neuf à mes yeux. Je n’avais jamais voyagé auparavant, et j’ignorais jusqu’alors l’existence de ce que j’étais en train de découvrir. Et voilà que je quittais le monde pour rejoindre volontairement une destination inconnue. Lire la Suite