Texte mis en ligne sur le site du journal russe «Pokrov», sour le titre Лаборатория святости . le 13 juillet 2017. Il reprend des enseignements spirituels dispensés par le Métropolite Nikolaos de Mésogée et Lauréotique, sous la forme d’aphorismes et de courts récits, que celui-ci affectionne particulièrement, méthode qu’il a apprise lors de son séjour à la Sainte Montagne auprès de son père spirituel, le Saint Geronda Païssios l’Athonite.

Mon diplôme de novice
Je suis né à Thessalonique, j’ai grandi à la maison, qu’on pourrait appeler notre «petite église». Maman était physicienne, ma sœur, physicienne, et mon frère, physicien. Donc, pendant trente ans, j’ai eu pour but de devenir un savant célèbre. Et le Seigneur me le permit de la meilleure des façons. J’ai étudié la physique à l’Université de Thessalonique, et j’ai ensuite poursuivi mes études au MIT, à Harvard, aux États-Unis. A trente ans, j’avais engrangé de sérieux succès, mais dans mon cœur, c’était comme une sorte de désert. Je suis redevenu étudiant, en me rendant chaque année au Mont Athos.
Je me souviens d’une de ces visites. J’attendais de pouvoir parler à Geronda Païssios. Il était occupé avec deux jeunes qui lui avaient demandé de les accepter comme novices. Il leur demanda : «Où étudiez-vous?». Ils lui répondirent qu’ils venaient juste de terminer le lycée. Il plaisanta alors : «Pour que je puisse vous recevoir comme novice, il vous faudrait un diplôme universitaire». Ce jour-là, je me tus, je ne lui dis rien. Mais lorsque j’eus terminé le cycle universitaire aux États-Unis, et obtenu mon diplôme, je retournai voir Saint Païssios et lui dis : «Voilà, j’ai obtenu mon diplôme. Comme vous l’avez expliqué lors de ma visite précédente, vous devez m’accepter comme novice». Et j’eus la grâce de vivre cinq mois côte à côte avec Saint Païssios. Il avait été le premier à qui j’avais fait part de mon souhait de servir le Seigneur et il m’avait donné sa bénédiction.

Un point de vue supérieur
Je me souviens de l’accueil au Mont Athos, quand j’y arrivai en tant que touriste. Je cherchais quelque chose, mais ma recherche intérieure n’avait pas de but concret. L’environnement naturel m’avait enchanté, de même que le déroulement de la vie quotidienne à la Sainte Montagne. Les gens me plaisaient également ; ils étaient différents.
Jusqu’en 1968, la vie s’éteignait progressivement au Mont Athos, il n’y vivait plus que des moines d’âge avancé, les bâtiments tombaient en ruines. Il semblait que la gloire de la Sainte Montagne allait bientôt appartenir au passé. En 1963, on avait fêté le millénaire de l’Athos. Un personnage haut-placé avait dit : «Il est vraisemblable que nous soyons venus ici pour les funérailles de l’Athos». Mais bientôt, un miracle se produisit, et au bout de cinq ans la Sainte Montagne était méconnaissable. Le nombre de jeunes moines avait dépassé de loin celui des moines âgés. La vie consacrée au combat ascétique atteignait de nouveaux sommets. En 1981, la Grèce entra dans l’Union européenne, et on lui proposa les fonds permettant de reconstruire l’Athos. Il ne fait aucun doute que cela sauva la majorité de ces très anciens bâtiments. Sans cela, ils seraient déjà réduits en tas de cailloux. Mais en même temps, cela porta un préjudice immense à l’esprit de la Sainte Montagne. On construisit des routes dans tous les coins, car il fallait que les camions puissent transporter les matériaux de construction. Le bruit et la fumée perturbèrent le recueillement et la disposition à la prière. Et conformément aux instructions de l’Union Européenne, la reconstruction des bâtiments y introduisit une dimension de confort, luxe inouï jusque là inconnu sur l’Athos. Cette situation induisit chez les moines de nouvelles tentations, car, jusque là, la pauvreté de la vie monastique avait toujours été considérée comme une bénédiction divine. Il est vraisemblable que dans les monastères cénobitiques, les avantages de cette rénovation dépassent les inconvénients, mais la vie érémitique souffrit grandement de ces nouveautés. Mais malgré cela, l’Athos demeura un lieu de prière permanente ; jamais elle ne s’interrompt. C’est un lieu où la Grâce de Dieu se manifeste elle aussi en permanence, dans la sainteté de certains moines et dans d’autres signes mystérieux. Il est bien connu que c’est sur les montagnes que se produisirent les grands événements de la Bible : sur le Mont Sinaï furent donnés les Dix Commandements, sur le Thabor eut lieu la Transfiguration, sur le Mont Eleon, l’Ascension. La Sainte Montagne est un des points supérieurs du globe. C’est le laboratoire principal de la sainteté sur notre planète.

Le mode de vie athonite repose sur quatre piliers principaux.

Karyes

L’érémitisme. La vie monastique sur l’Athos, c’est avant tout l’érémitisme et l’hésychasme. Le typikon des monastères athonites est beaucoup plus rigoureux que dans les autres monastères.
L’autonomie de fonctionnement. Ce ne sont pas des évêques qui dirigent l’Athos. Ils peuvent juste gêner le cours des choses. La Sainte Montagne est placée sous la protection du Patriarche de Constantinople, et c’est la Panagia Elle-même qui dirige l’Athos.
La dimension œcuménique. L’Athos est une manifestation œcuménique sur terre. Il n’est ni russe, ni grec, ni quoi que ce soit, il unit tout. On y trouve un monastère russe, Saint Panteleimon, un serbe, Chilandar, un bulgare, Zographou. Parmi les douze skites, deux sont roumaines. Et toutes les nationalités sont représentées parmi les habitants des monastères.
Les règles d’accessibilité. N’accède à la Saint Montagne que tout ce qui y est nécessaire, et comme les femmes ne sont pas du tout nécessaires à la vie des moines, elles ne peuvent entrer sur le Mont Athos. Je considère que la Saint Montagne devrait être inaccessibles aux chaînes de télévision, et à tous les curieux (dont je fis moi-même partie jadis).

La tentation des petits poissons.
Nonobstant la faiblesse de son état de santé, Geronda Païssios ne se permit jamais d’écart dans son combat ascétique. Un jour, lors de la fête de la Transfiguration, quelqu’un nous apporta des petits poissons. Pendant le carême de la Dormition, nous mangeons sans huile, le poisson est autorisé seulement pour la fête de la Transfiguration. Et la veille de cette fête, voilà qu’on nous apporte des petits poissons. Geronda Païssios les regarda et dit :
-Qui nous a apporté cette tentation?
-Untel. Répondis-je.
-Prends-vite tout ça et apporte-les à Geronda Damaskinos. Celui-ci vivait dans la skite en face de la nôtre.
-Je dois prendre la tentation et la lui transmettre?
-Non, pour lui, ce sera une bénédiction. Mais ici, c’est une tentation.
-Pourquoi donc?
-Parce qu’ici, nous recevons tant de consolations de la part des gens. Nous recevons beaucoup de monde. Mais les gens oublient d’aller en face, chez lui.
-Cela signifie-t-il que nous, nous nous souvenons de lui maintenant, alors que Dieu l’oublie ?
-Cesse de poser des questions et porte-lui les poissons.
-Cela fait combien de temps que vous n’avez pas mangé de poisson? Lui demandai-je toutefois.
-La question n’est pas quand était la dernière fois que j’ai mangé du poisson, mais quand était la dernière fois où je me suis délecté de la grâce de Dieu.

Erreur chrétienne
Un jour, il nous permit de préparer une omelette. Il n’en avait pas mangée depuis des années. J’allumai le feu, réchauffai des pommes de terre dans lesquelles je battis des œufs, et je servis le tout à table.
-C’est Pâques chez nous aujourd’hui !
Un prêtre demeurait alors avec nous. Il bénit le repas. A peine nous étions-nous assis que des chatons s’approchèrent, et Geronda Païssios commença à les nourrir de petits morceaux de son omelette. On m’avait appris que quand une nourriture est bénie, il ne convient pas de la donner aux animaux. Je me mis à me demander si Geronda agissait justement. Je ne lui dis rien, mais il me répondit tout de même :
-Tu continues à vivre avec ta logique de savant?
-Non, je me pose des questions de chrétien juste.
Il continuait à jeter de petites portions d’omelette aux chatons. Je lui demandai :
-Convient-il que je fasse de même?
-Ouvre la bouche, et contente-toi d’y mettre de l’omelette.
Il était toujours très joyeux. Il n’avait quasiment pas mangé et quand il se leva, il dit :
Le Chrétien vraiment juste, c’est celui qui sait comment commettre une erreur avec justesse.
Cette réponse me plaît énormément car elle laisse la liberté à l’homme.

Saint diagnostique
En 1983, un riche armateur grec décida de faire bénéficier l’armée de ses faveurs. Il proposa que les officiers supérieurs éprouvant des problèmes de santé passent tous les examens médicaux nécessaires et reçoivent ensuite tous les soins adéquats dans les meilleures cliniques d’Angleterre, à ses frais. On trouva quatre officiers concernés. Ils se rendirent donc en Angleterre et y subirent les examens médicaux opportuns dans les meilleures cliniques. Il fut annoncé à trois d’entre eux que leur traitement pouvait démarrer immédiatement. Quant au quatrième souffrant d’un cancer au degré le plus avancé, il lui fallut retourner en Grèce pour y attendre sa mort.
Il ne faisait pas partie de l’Église, et il se trouvait dans un état de trouble intérieur profond. Le mari d’une de ses connaissances s’apprêtait à faire un voyage à la Sainte Montagne ; on proposa au malade de l’accompagner et d’aller rendre visite à Geronda Païssios. Dès que cet officier fut en présence de Saint Païssios, il fut prit d’un énorme sanglot consécutif à la tension qui l’habitait. Geronda Païssios lui dit :
-Qu’est-ce qui t’arrive, homme? Pourquoi es-tu aussi troublé?
-Père, je suis en train de mourir.
-Ne pense pas à cela. Tous, nous allons vers la mort.
L’homme raconta sa situation et ce qui s’était produit en Angleterre. Geronda lui prit la main et dit :
Je vais te dévoiler un secret. Je ne sais ce qu’il va advenir des trois autres, mais pour ce qui te concerne, tu n’a aucun problème de santé. Laisse les médecins raconter ce qu’ils veulent.
Pendant cette année-là, les trois patients traités dans les cliniques anglaises moururent, mais le quatrième ne mourut qu’en 2009, c’est-à-dire, 26 ans plus tard.(…)
Traduit du russe
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