Métropolite Pitirim (Netchaev)

Le Métropolite Pitirim (Netchaev) de Volokolamsk et Yourievsk (1926-2003), naquit dans une famille de prêtres (un de ses ancêtres fut Évêque de Tambov), devint moine de la Laure de la Trinité Saint Serge, et proche collaborateur du Patriarche Alexis (Simanski). Il était un fils spirituel du Starets Sébastien de Karaganda.
Le texte ci-dessos est la traduction de la première partie d’un article mis en ligne sur le site Pravoslavie.ru le 22 octobre 2013. Le Métropolite y évoque des souvenir à propos du Starets Sébastien.

Le Starets Sébastien (Phomine), qui vécut de longues années à Karaganda, a particulièrement marqué ma vie. Au bout de nombreuses années, j’ai compris que des héros de l’ascèse, il en est de deux sortes: chez certains, autodidactes, c’est inné, les autres, ils passent par l’école monastique. Le Père Alexandre Vosskressenski est une exemple du premier type,  et le Père Sébastien en est un du second. Il était un héritier des startsy d’Optino.
Dans notre famille, nous racontions une histoire au sujet de la manière d’enseigner de Saint Ambroise d’Optino, quand il était professeur au séminaire de Tambov. On se souvenait qu’il fut un joyeux drille, jusqu’à son départ pour le monastère,il était l’âme de son groupe, aimait jouer aux cartes. Et il parlait même de lui en vers : «Ambroise je fus, et des cartes, il n’en fut plus». Mes parents n’ont pas fait de pèlerinage à Optino, mais mon père correspondait avec le Starets Nectaire. Le Père Sébastien était son disciple. C’était un homme merveilleux. Il commença à recevoir des gens alors qu’il était encore un jeune novice, et ensuite, diacre. Il était renommé dès avant la Première Guerre Mondiale. Après la fermeture du Désert d’Optina, il vint chez nous. Mon père lui avait écrit et l’avait invité. Quand mon père fut arrêté, le Père Sébastien prit sur lui de veiller sur notre famille, sur nous, les plus jeunes. Les plus âgés étaient déjà partis à Moscou. Peu de temps après que nous fûmes nous-mêmes partis, il a été arrêté. Par la suite, nous nous sommes revus en 1955, à la fin de sa période de détention et d’emprisonnement. J’étais déjà devenu clerc et on nom était assez connu.
Dès efforts furent entrepris pour que soit ouverte l’église de Karaganda, et j’y participai. Quand l’église ouvrit, je m’y rendis, avec la bénédiction du patriarche. Depuis lors, je fus en relation avec le Père Sébastien, jusqu’à sa mort. Nonobstant ses don spirituels extraordinairement élevés, le Starets Sébastien était en permanence très malade. Sa maladie débuta par un choc nerveux. Au début du XXe siècle, il était le disciple préféré du Starets Joseph d’Optino. Lorsque le Starets mourut, il en fut tellement affecté qu’il en eut une parésie de l’œsophage. Pendant toute la suite de sa vie, il ne put manger que de la nourriture liquide, par petites quantités, de la nourriture semblable à de la soupe, comme de la purée de pommes de terre arrosée de kvas, de la purée de pommes, de l’œuf, en très petite quantité, à moitié cru, sous forme liquide. Parfois, un spasme contractait son œsophage et il toussait tellement qu’il ne pouvait continuer à manger. On imagine comme ce fut difficile dans les camps, où la nourriture était du hareng, et sans eau.
On sait que Saint Seraphim de Sarov accueillait chaque visiteur avec les mots : «Ma joie, le Christ est ressuscité!». Le Starets Sébastien était, lui, très réservé, il parlait peu, mais il y avait en lui une étonnante combinaison de faiblesse physique et je ne dirai même pas de force, mais d’affabilité spirituelle, dans laquelle se dissolvait toute douleur humaine, toute anxiété. Quand allait auprès de lui un homme troublé ou irrité par quoique ce soit, pensant déverser toute sa rage, toute son irritation, déjà chemin faisant, il retrouvait le calme et quand il rencontrait le Starets, il exposait son problème tranquillement et objectivement devant ce dernier qui écoutait paisiblement et parfois donnait rapidement une réponse brève afin de prévenir toute vague d’irritation.
Et il y eut le cas suivant. Le Père Sébastien célébrait une pannychide. Il lisait la liste. Un office tout calme… Soudain, il jeta un regard sévère, perçant et dit «Qui a donné cette liste?» Silence. «Allons, qui a donné cette liste?!». Un femme avança, tremblante. «Mais qu’as-tu donc fait?! Après l’office, viens près de moi!». Elle avait voulu jeter un sort…
Pëtr Sergueevitch Bakhtine était officier militaire, une personnalité de légende, commandant de batterie, porteur de hautes décorations. Le Père Sébastien lui dit : «Entre au séminaire». Mais il était membre du parti, ne connaissant absolument rien à la religion, et il répondit ouvertement : «Je n’y connais rien». Alors, le Père Sébastien lui donna un conseil : «Apprends le Notre Père». Il se présenta. Je faisait justement partie de la commission d’admission. Je regarde et je vois un homme encore jeune, en bonne santé, à la chevelure luxuriante ; un peu l’apparence d’un brigand. Bon, me dis-je, que vais-je lui demander ? «Tu connais le Notre Père?». «Notre Père Qui es aux Cieux…» Et voilà ! C’est ainsi qu’il entra au séminaire, et devint prêtre par la suite. Il n’eut pas une destinée facile ; caractère indomptable, grand amoureux de la vérité. Cela ne lui facilita pas les choses. Mais c’était une personnalité très intéressante et très typique de l’époque.

Le Saint Starets Sébastien

Le Père Alexis Glouchakov, Recteur de l’église du Prophète Élie à Tcherkisov fut l’un des colons de Karaganda à devenir fils spirituel du Père Sébastien. Batiouchka était tellement doux ! Il préserva assez bien de photos précieuses du Père Sébastien et de l’entourage de celui-ci. Ces photos appartiennent maintenant à Maria Stakanova, que tout le monde appelait ‘Stakantchik’ [N.d.T. Stakantchik : un petit verre], au point où j’imaginais que son nom de famille était Stakantchikov. Elle vit encore, non loin de Moscou.

On l’avait appréhendée sans papiers et emmenée dans un orphelinat, et on l’avait nommée Maria. On lui colla un nom de famille de la façon suivante: «Eh bien, il y a un verre sur la table — qu’on l’appelle Stakanov». Et son patronyme fut également inventé. Elle obtint un diplôme de l’enseignement technique et professionnel, travailla à Tselinograd, puis de sages religieuses lui conseillèrent d’aller voir le Père Sébastien. Et demanda au Père, qui savait tout, quel était le nom de ses parents. «Attends, lui dit-il, je te le dirai demain». Et le lendemain, il lui dit: «Ta mère s’appelait Elena, et ton père, Piotr». A cette époque, on n’appréciait guère la photographie, dans le milieu ecclésiastique, mais le Père Sébastien lui permit de le photographier. Elle disait : «Maintenant, je clique!», ou «je fais la photo!». En 1966, je devais participer à un important voyage à Jérusalem. Notre délégation était dirigée par le Métropolite Nikodim. Nous étions chargés de fortes responsabilités: nous devions résoudre de nombreuses questions concernant notre Mission Ecclésiastique à Jérusalem.
La veille du départ, dans les premiers jours d’avril, j’ai appelé le Père Sébastien à Karaganda, et lui a demandé ses prières et sa bénédiction pour la route. Et il m’a dit qu’il ne fallait pas y aller. J’étais abasourdi. «Il ne faut pas, après tu comprendras», me déclara-t-il au téléphone. Dans une confusion totale, je me suis dit: d’une part, il est impossible de ne pas respecter la bénédiction du Starets, mais de l’autre, que vais-je dire au métropolite Nikodim? Et puis tout se pis en place spontanément. Juste avant le voyage, la veille au soir, j’eus une forte fièvre ; ma température augmenta jusque 40. Il était évident que j’étais incapable de partir. Je téléphonai au Métropolite Nikodim et l’informai de ma situation. Il parut contrarié que je ne puisse être du voyage, mais on ne pouvait rien y faire. Quelques jours s’écoulèrent et soudain le téléphone sonna ; on m’appelait de Karaganda, de la part du Père Sébastien. On me demandait de prendre l’avion et de me hâter d’aller auprès de lui. J’étais ébahi. Le Starets venait juste de m’interdire de partir dans le cadre d’une mission importante, et puis soudain : «Dépêche-toi de prendre l’avion!». Mais j’obéis, d’autant que je me sentais nettement mieux.

Le Saint Starets Sébastien et le Père Pitirim

Le 16 avril, un samedi, je m’envolai pour Karaganda et me rendis de l’aéroport directement chez le Starets. Il était très faible, il avait l’air mal. Jamais je ne l’avais vu aussi malade. Il me demanda de le tonsurer au grand schème. Les préparatifs commencèrent immédiatement, impossible de postposer. Gloire à Dieu, le rituel fut mené à bien. Malgré sa faiblesse, son épuisement, le Père Sébastien avait tout ses esprits, et nous pûmes le tonsurer. Je demeurai à ses côté littéralement jusqu’à la dernière heure de sa vie. Cette nuit, après la tonsure monastique, il se sent très mal, se confessa et communia aux Saints Dons. Il se plaignit de langueur de l’esprit, et dans tout le corps. Le 19 avril, il mourut…
Le Patriarche envoya à Karaganda, à mon nom, un télégramme manifestant sa compassion et me donna sa bénédiction pour célébrer les funérailles. Elles le furent le 21 avril. Le Père Sébastien fut inhumé au cimetière Archistratège Mikhaïl, à Karaganda.
Traduit du russe
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