Rares
furent
en tous temps
les authentiques
vénérateurs de Dieu.
(Métropolite Innocent de Penza)

Aujourd’hui encore, nous ne réalisons pas combien nombreux furent les justes et les saints dans la Russie du XXe siècle, et notamment dans la Russie de la fin du XXe siècle. Certains seront glorifiés par l’Église, le podvig des autres restera connu seulement d’un cercle restreint, plus local. Le texte ci-dessous est la traduction de la vie d’un de ces héros de l’ascèse très peu connus en Occident. L’Higoumène Boris (Khramtsov) fut un fils spirituel de l’Archimandrite Naum (Baïborodine) de bienheureuse mémoire. Un saint homme, lui aussi. L’original russe est accessible librement sur l’internet, mais il fut également publié en 2005 sous forme de livre intitulé «Крестный Путь Игумена Бориса» (Le chemin de croix de l’Higoumène Boris) aux éditions Palomnik. La traduction ci-dessous fait partie de la troisième partie de ce livre, intitulée : Les yeux tournés vers le ciel. Il s’agit de souvenir d’enfants spirituels du Père Boris. Le récit est celui de la servante de Dieu Nadejda (pages 51 à 54 du livre). Le début du texte se trouve ici.

Le début du chemin vers le salut

J’ai rencontré le Père Boris pour la première fois, à la Skite de Tchernigov. Je suis allée dans l’église, pour la confession. Au cours de celle-ci, je dis «dans une semaine, je dois subir une opération pour une maladie cardiaque grave.” Batiouchka répondit immédiatement avec conviction qu’aucune opération n’était nécessaire. Je renonçai donc à cette opération, mais continuant à craindre pour mon coeur, je me fis soigner par un thérapeute.Un jour, à Varnitsa déjà , je reçus une bénédiction pour fendre du bois avec A. Nous nous sommes mises au travail, mais nous n’arrivions à rien. J’essayais de ne pas faire de mouvements brusques, afin de préserver mon cœur. Le père se promenait dans la cour, comme s’il se reposait, comme s’il ne nous remarquait pas. Mais sentant que Batiouchka était là, rien ne pouvait me menacer. Bientôt, Batiouchka sortit de la cour. Alors, il devint clair que cette obédience m’avait été donnée pour me convaincre que mon cœur était en bonne santé. C’était un bonheur que d’observer chaque fois que j’arrivais comment le monastère se relevait, de voir les yeux de Batiouchka étincelants de bonheur, surtout quand il racontait ce qui avait été fait, et ce qui restait à faire.
J’attendais mon tour dans l’église. De l’autre côté de la cloison, Batiouchka parlait à une jeune institutrice qui lui avait amené des enfants en autobus. Je me tenais devant l’iconostase et je pensai «Batiouchka parle tellement, bientôt je devrais rentrer chez moi». Finalement, Batiouchka me fit entrer et me dit, comme s’il lisait dans mes pensées:
«J’ai aussi besoin de temps pour poser les questions…» Ce fut sa manière de m’apprendre le discernement: pour répondre correctement à une question ou résoudre un problème, il devait interroger, questionner, et moi, patienter…
Je me souviens de la fête de la Sainte Trinité au monastère (en 1998). Quelle joie! Batiouchka avait l’air heureux. Plus tard, il s’avéra qu’il s’agissait des derniers jours du Père Boris à Varnitsa. Comment Batiouchka parvenait-il à cacher son humeur, et à nous donner joie et amour!
Première rencontre à l’église Saint Serge de Radonège, podvorié du Monastère Saint Nicolas de la Chartoma. L’église venait tout juste d’être restaurée, il y faisait froid. Batiouchka recevait les fidèles dans une petite pièce froide et humide. Mais c’était comme si on ne s’était jamais quittés, comme si le Monastère de Varnitsa s’était déplacé à Ivanovo.
Une fois encore, Batiouchka devait tout recommencer «à zéro». La petite église Saint-Serge de Radonège fut ouverte, l’église du Saint et Pieux Prince Alexandre Nevski fut construite sur un bel emplacement, un promontoire s’élevant au fond d’une prairie inondable, d’une rivière avec une île verte (plus tard, la chapelle de l’Archistratège Mikhaïl y fut construite). On construisit un réfectoire et une salle pour accueillir les démunis. Une école orthodoxe du dimanche fut organisée, et des cours spirituels et éducatifs furent donnés. Dans tout on sentait l’ordre, une main attentionnée, une vision, de la perspective. Batiouchka avait de grands projets pour l’avenir.
Je reçus la bénédiction pour venir avec mon fils. Il y avait du verglas. La route était très difficile. Tempête de neige. Soudain, la voiture pivote et nous glissons à l’aveuglette. Je criai: «Seigneur, Batiouchka!» La voiture s’est arrêtée à l’extrême bord de la route, et en contrebas, eh bien, une vaste fosse! Finalement, nous parvînmes à Ivanovo. Quand nous approchions de la porte de la pièce d’accueil, Batiouchka sortit et nous demanda: «Alors, nous sommes parvenus à arriver jusqu’ici?». Je suis sûre qu’il était au courant de ce qui nous est arrivé sur la route.
Nos voisins qui vivent tout juste de l’autre côté du mur achetèrent un magnétoscope. Nous avions des habitudes fort différentes. Nous nous couchions tôt, alors que jusque tard dans la nuit résonnaient le bruit, les rires, etc. Impossible de prier, de dormir. J’allai voir Batiouchka et je me plaignis. Il conseilla de tracer à d’aide l’huile sainte une croix sur le mur mitoyen. Quelques jours plus tard il y eut chez les voisins une intervention d’urgence de la police, pour vol. Le magnétoscope et d’autres équipements vidéo avaient été emportés. Cela fait maintenant des années qu’il fait calme derrière le mur.
Malheureusement, quand j’allais voir Batiouchka, j’étais toujours pressée de rentrer chez moi le jour même. J’arrivais et en approchant de l’église de Saint Serge de Radonège et de la maison, je me demandais s’il me recevrait, et ce que j’allais lui dire. J’avançais vers la pièce dans laquelle il recevait, et il venait à ma rencontre (comme par hasard), pour dire quelque chose à quelqu’un, posait un regard sur moi, et parfois il disait: «Vous êtes arrivée?» Et une telle grâce se déversait alors à l’intérieur de moi ! A le voir, je pleurais de joie.
Batiouchka savait que j’aimais voyager. Il m’a faisait toujours des cadeaux: des livres, des icônes, des acathistes, etc. Souvent je pensais à voyager en pèlerinage, sans savoir où, et il me donnait des icônes: la Martyre Parascevi ou la Mégalomartyre Anastasia ou le Saint et Pieux Prince Alexandre Nevski ou le Mégalomartyr George le Victorieux, ou Saint Nicolas, etc. Et chaque fois, j’allais en pèlerinage auprès des reliques de ces saints pour les vénérer. Un jour, Batiouchka me donna deux petites icônes (des médaillons). L’une de la Mégalomartyre Anastasia, et l’autre de la Martyre Parascevi. Et rapidement l’occasion se présenta, bien sûr avec les prières du Batiouchka, de faire un voyage de pèlerinage et de visiter les monastères de Sainte Anastasia et de Sainte Parascevi et de vénérer leurs reliques. C’est alors que j’ai tout compris! Chaque fois que je rentrais de voyage, je faisait à Batiouchka un compte-rendu des lieux visités et de ce que j’y avais vu. Il aimait écouter les histoires et disait souvent: «Écris». J’ai donc décrit mes pèlerinages de façon assez détaillée et j’en lisais le récit à Batiouchka. Il écoutait toujours attentivement, il s’intéressait à tout: la nature, la météo, l’histoire du pays, l’architecture, et il avait l’air de déjà tout connaître. Un jour, Batiouchka me dit qu’en fonction de mon caractère, il me donnait un acathiste : «Gloire à Dieu pour tout». Et c’était vraiment le cas. Cet acathiste m’est très proche, très cher, et je ne parviens pas à le lire sans pleurer. Merci pour tout, cher Batiouchka!
Un jour (environ un an avant sa mort), j’ai demandé à Batiouchka de prier pour moi après ma mort. Il me regarda tristement. Je ne savais pas, mais il savait qu’il allait bientôt nous quitter pour la vie éternelle!
Dernière rencontre. Juillet. J’appelai la veille, et annonçai mon arrivée le lendemain, un mercredi, dis que je pourrai rester jusqu’au jeudi. Batiouchka me répondit qu’il me recevrait le jeudi matin. À ma grande surprise, mercredi, le Père vint déjà près de moi. Il n’y avait pas de file d’attente devant la pièce d’accueil. Batiouchka vint me voir et me dit qu’il allait me recevoir immédiatement. Quel bonheur! Batiouchka sortit dans la cour, se reposa sous un arbre, puis revint. Cette fois, nous avons parlé pendant longtemps. Souvent il passait la main sur son cœur, et le massait sa main droite sur la région du cœur, avec, semble-t-il, de la valocordine. Je lui ai proposé d’avaler quelques gouttes pour le cœur, mais il répondit qu’il ne prenait des médicament que par voie externe.
Je me hâtai de continuer, voyant que la douleur était forte. Mais il m’arrêta et nous avons eu une longue conversation.
Au début du mois d’août, je fis un rêve: Batiouchka revêtu d’un ornement noir enleva lentement ses surmanches, les posa soigneusement sur la table, et s’éloigna quelque part dans l’obscurité. J’écrivis une lettre Batiouchka, lui demande s’il était malade? Puis je téléphonai au numéro de l’accueil. On me répondit que le Père était souffrant. Je dis au préposé que je viendrais plus tard quand Batiouchka sera guéri. Une semaine plus tard, il n’était plus. Presque un an après sa mort, je vis à nouveau Batiouchka dans un rêve. Il me dit joyeusement: «Donne-moi tes notes».
Maintenant, le père est plus proche de nous, plus accessible, et je vais plus souvent devant sa tombe. Je demande, comme avant, son aide, j’y laisse des notes, je demande des bénédictions.
Pour moi, il est toujours vivant. (A suivre)

Traduit du russe