Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction de l’entretien tenu le 17 juillet 2019 par Madame Olga Orlova avec le Père Valerian Kretchetov. Le texte original est précédé de l’introduction suivante. A l’occasion du jour lors duquel nous fêtons la mémoire des Saints Strastoterptsy impériaux, nous nous sommes entretenus de la fidélité au Christ et de la démarche par laquelle nous nous faisons héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, avec l’Archiprêtre mitré Valerian (Kretchetov), Recteur de l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu et de l’église des Néomartyrs et des Confesseurs de la Foi, à Akoulovo. La première partie de la traduction se trouve ici.

Le Père Dimitri Smirnov a raconté comment un agent du Nkvd, réalisant ce qui se passait dans le système, est simplement entré et a remis sa carte du parti sur la table. Et on ne lui a rien fait. Donc, peut-être que si tout le monde agissait toujours ainsi, on ne ferait rien à personne? Peut-être, a-t-on juste besoin de ceci: dans la société, une position citoyenne et dans l’Église, une position conciliaire?
Peut-être. Le Père Euphrosin (Danilov) passa dix ans à la kolyma, s’enfuit et se réfugia dans la taïga. En vain, à cause du gel, de l’absence de nourriture, et aucun endroit pour se cacher. Il fut capturé et gardé en cellule d’isolement pendant trois semaines, dans le froid glacial. Le Père Arseni, ils l’y ont gardé pendant deux ou trois jours, et le Père Euphrosin vingt-deux jours, et il y avait été jeté pour qu’il y meure. Mais il resta en vie! Le chef du camp s’exclama: «Ce n’est pas possible qu’il soit encore vivant!» Il le lui montrèrent, puis ils le transférèrent de la cellule carcérale vers une grande cellule : qu’il y meure. On ne lui donna rien à manger, il ne gagnait rien parce qu’il ne pouvait pas travailler. Des criminels de droit commun le prirent sous leur protection, respectant ses règles, et ils l’ont nourri. Ils lui disaient: «Vasilli Adrianovitch (il s’appelait ainsi dans le monde), si tout le monde était comme toi, nous ne serions pas assis ici!»Dans les souvenirs de Saint Seraphim de Vyritsa il y a un épisode où un révolutionnaire vient à lui, furieux. Le Père était déjà alité et ne se leva pas. Il répondit très doucement, avec amour, à la tirade de colère, acceptant tout, répondant avec componction, sans contredire, de sorte qu’immédiatement le révolutionnaire répondit doucement, en s’inclinant : «si tous les prêtres étaient comme vous, alors la révolution, il n’aurait pas fallu la faire».

Les révolutionnaires furent-ils envoyés en tant que fléau de Dieu?
Oui. J’ai ouvert le Livre avant notre entretien et je me suis immédiatement rendu compte: «Pourquoi les pharisiens ont-ils crucifié le Seigneur? Parce qu’ils avaient un idéal: la domination». Le Seigneur a dit «Vous savez que les chefs des nations leur commandent en maîtres, et que les grands exercent leur empire sur elles. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il se fasse votre serviteur» (Mat.20;25–26). Si personne n’avait besoin d’aucune domination, ni mondiale, ni moins importante, alors nous vivrions en paix sur terre. Pourquoi est-ce nécessaire, que l’un domine l’autre? Pour devoir plus tard répondre pour le subordonné?.…
On dit que dans le Royaume des cieux, les gens ne se domineront plus les uns les autres?

Une servante de Dieu eut dans les années 1960′ une apparition de son père décédé, qui avait vécu encore aux temps pré-révolutionnaires et il vénérait beaucoup le Tsar. Elle lui demanda: «Papa, comment ça va là-haut?!» «Eh bien, ça va», répond-t-il. Il était très courtois. «Comment ça se passe là-haut?» «Nous sommes tous égaux» «Mais quelqu’un est tout de même le plus premier?» «Eh bien, le Tsar Nicolas, tout le monde lui obéit». Voilà qui est dit! Tout le monde lui obéit!
Ici, on ne l’a pas accepté, alors le Seigneur lui a, là-haut, rendu toute sa dignité de Tsar.
Et tout le monde lui obéit. Combien son podvig sacrificiel est élevé devant Dieu! C’est pareil au podvig de la croix, que de faire monter toute sa famille au Golgotha. C’est tellement élevé que Dieu l’a glorifié là-haut.
Et ici…? Que se passe-t-il ici? Si les gens se débarrassaient du péché, alors on n’aurait plus besoin d’autorités, de juges, de police. Il n’y aurait pas de divorce, pas de procès. Mais maintenant, l’appareil administratif-judiciaire-exécutif fonctionne. Et pour quoi faire? Pour éviter que toute l’humanité déraille, à cause des péchés. Même Nicolas Vassilievitch Gogol disait tristement: «Vous ne pouvez pas contraindre un homme au moyen d’un autre homme. Si vous mettez quelqu’un pour surveiller un escroc, vous finirez par avoir deux escrocs».
Mais peut-être un forme de fraternité peut-elle naître?! Pourquoi devrait-on devenir immédiatement escroc? Après tout, en soi, l’atmosphère de suspicion, d’administration sévère, est remarquable en ce qu’elle engendre ceux qui tentent de la contourner constamment. Pas uniquement par crainte de Dieu, pas pour l’amour, mais à cause de cette tyrannie telle que la décrit Anton Pavlovich Tchekhov,… «Ah! pourvu qu’il n’arrive rien!»…
Vous rappelez-vous comment vivaient les deux moines? «Disputons-nous!» «D’accord. Allons-y». «Je vais te prendre cette chose, elle est à moi maintenant!» «Eh bien, prends-la!» Et c’est tout! Il n’y a aucune raison de se quereller. C’est vraiment très simple!

L’Archiprêtre Valerian

Et tous les systèmes, peu importe comment ils sont construits, ne peuvent pas préserver l’humanité des manifestations de notre nature déchue. Tout ce qui est triste dans ce monde est accompli à cause du péché. Si on n’était pas jaloux, pas fier, etc…., il n’y aurait tout simplement pas de problèmes!
Mais la tentation de domination, tant à l’époque du Seigneur qu’aujourd’hui, surgit au sein des membres des hiérarchies, et dans le troupeau émergent des sentiments révolutionnaires… Que faire?
Ne pas dominer le troupeau! La domination présuppose la responsabilité. Mais en ce qui concerne la responsabilité de ceux qui veulent commander, c’est de plus en plus compliqué. Ces messieurs commencent immédiatement à s’écarter des responsabilités. Au petit, que demande-t-on? Ce qu’il a fait, il l’a fait comme il lui semblait devoir le faire, de même pour ce qu’il n’a pas fait. Aux gens des premiers rangs, tout ce qui est demandé prend une ampleur maximale. Ici, chaque échec est lourd de conséquences énormes. Cela peut être évalué en argent, par exemple, des milliers, des millions. La responsabilité, c’est la responsabilité. Les avocats plaisantent: «l’Ignorance des lois n’exonère pas de la responsabilité, c’est la connaissance de la loi qui exempte de responsabilité».
La loi, c’est le timon…

Oui, là vers où il est orienté, il faut avancer. Tous nous voulons ceci: commander sans avoir à en répondre.

Mais il y a aussi des lois spirituelles?

C’est cela justement! Je dois être responsable de tout. Dans tous les cas, tout le monde devra donner une réponse. Incontestablement! Ici déjà, on demande des comptes pour tout, sans parler du sort posthume. Dans Boris Godounov, Alexandre Sergeevich Pouchkine a écrit ces mots:«Et tu n’échapperas pas au jugement des hommes. Comment échapper alors au Jugement de Dieu!» On devra répondre quoi qu’il arrive! Même si on essaie de ne pas y penser. Pensez, ne pensez pas, mais vous devrez répondre.

Et troupeau des fidèles, comment doit-il réagir?

Le troupeau doit réagir très simplement. Le Seigneur a dit: «Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent; mais n’imitez pas leurs œuvres» (Mat.23;3). Souvent, les prêtres disent: faites ceci, faites cela. Mais qu’ils essaient donc de le faire eux-mêmes. Vous devez réfléchir à votre vie, agir avec raisonnement, et à la lumière de celui-ci, organiser toutes vos affaires.
J’ai récemment entendu un dicton chinois: «Apprendre et ne pas réfléchir est une perte de temps, mais réfléchir et ne pas apprendre est destructeur». Il faut penser à tout, vivre consciemment. Que votre foi soit raisonnable. «Ayez donc soin de vous conduire avec prudence, non en insensés» (Eph.5;15), dit l’Apôtre. Il est nécessaire d’aborder tout avec discernement. Dans le cas contraire, quand on commence à raisonner sur des questions aussi complexes que les vérités de la foi, sans rien apprendre, c’est la perdition, un vrai sacrilège.
Bien que, on le sait, n’importe qui peut dire un mot utile: le prophète Balaam, le sage, reçut une instruction de sa propre ânesse, qui vit l’ange (Nomb.22;3–35 & 23;7–20). Moïse a été élevé comme fils de Pharaon. Il acquit toute la sagesse de l’Égypte, et il s’est aussi nourri de la sagesse de son propre peuple, mais ce fut son beau-père, Jéthro, le berger, qui lui apprit à gouverner l’état. Quand il vit que du matin au soir, Moïse s’occupait de tout, y compris des affaires de moindre signification, il lui dit: de cette façon, tu vas te torturer toi-même et torturer le peuple, il est nécessaire de déléguer des pouvoirs.

Mais qui est encore responsable dans l’Église Une, Sainte Catholique et Apostolique? Si vous êtes une simple sœur de la charité, vous entrez dans une chambre d’hôpital, et il sont tous avec des smartphones… et vous êtes tout simplement inondée d’informations sur qui a fait quoi ou a déclaré quoi dans l’Église…

Saint Nicolas de Serbie

Tout le monde est responsable. Saint Nicolas de Serbie dit que lorsque les péchés de tout un peuple ou de ses chefs dépassent, relativement parlant, le niveau autorisé, la guerre commence. Tout est très simple. Je me souviens qu’un homme s’est approché de moi à l’aéroport: «Expliquez-moi, s’il vous plaît…», me dit-il. «Si je peux, je vais vous expliquer, bien sûr, mais que voulez-vous savoir?» «Que se passe-t-il maintenant?» commença-t-il. «Il se passe ce qui s’est toujours passé. Il est impossible d’être indépendant dans notre monde. L’essentiel, c’est de qui on dépend. D’accord?» Il hocha la tête et s’en alla.
De nos jours, dans le milieu ecclésiastique, on constate qu’on commence à ériger quasiment comme principe ascétique la nécessité de «se crucifier les uns les autres». Est-ce possible au sein des chrétiens?

Dieu nous en préserve. C’est du même tonneau que les calomnie dont on recommence à accabler le Tsar. Ils ne comprennent pas ce que ce cœur dévoué à Dieu devait être pour savoir tout ce qui allait arriver, et avancer fermement au martyre, emmenant ses proches fidèles à sa suite.
Il est monté de lui-même au Golgotha.
Bien sûr.Nous lisons parfois à propos d’Abraham: «Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, et va-t’en au pays de Moria, et là offre-le en holocauste» (Gen.22;2). Nous lisons cela et le relisons. Et nous nous demandons ce qui a pu se passer dans son âme? Le voilà qui va poignarder son fils unique… Oui, il était sûr que Dieu ressusciterait son fils unique. Mais d’abord, il devait le tuer lui-même! Son unique, tant attendu, aimé. Cela, bien sûr, doit encore être compris.(A suivre)

Le Père Valerian Kretchetov

Traduit du russe
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