Les startsy du Monastère de la Dormition de Pskov occupent une place de choix dans l’histoire de la paternité spirituelle en Russie. Les Pères Siméon (Jelnine), Adrian (Kirsanov) et Ioann (Krestiankine), sont sans doute les plus connus en Occident. Mais celui que le Père Siméon désigna comme son ‘héritier’ et successeur, fut le Père Athénogène (Agapov 1881-1979) ce père pétri d’humilité, maigre, de petite taille, à la longévité exceptionnelle, et qui disait de lui-même: «je ne suis qu’une demi-portion d’homme». Le texte ci-dessous est la traduction du texte qui présente l’Archimandrite Athénogène (qui devint quinze jours avant sa natalice l’Archimandrite du Grand Schème Agapi) dans le Paterikon du Monastère, accessible sur l’internet. Ce texte, présenté ici en plusieurs parties, est en réalité repris du livre «Dans les Grottes offertes [établies] par Dieu» («У пещер Богом зданных») du diacre G. Malkov et de son fils Pierre. (Éditions Volnyi Strannik, Monastère de Pskov. 2019, 3e édition).Voici la seconde partie du texte.

Saint Nil Stolobenski

Entre 1919 et 1924, Batiouchka accomplit les obédiences les plus diverses, entre autres celle de cellérier. Le 15 juillet 1924, des tchéquistes pénétrèrent dans le monastère. Il procédèrent à une perquisition et arrêtèrent l’Évêque Kiril et 15 résidents, dont le Père Athénogène. Les moines arrêtés furent emmenés à la prison de Novgorod. Le procès n’eut lieu que six mois plus tard. Le 30 janvier 1925, une ordonnance fut rendue: Mgr Kiril fut emprisonné dans une cellule de strict isolement pour une période de 5 ans. Le Hiéromoine Athénogène fut condamné à trois ans d’exil et autorisé à choisir une ville pour s’y installer. Il élut Ostachkov, où il arriva le 8 août. Chaque semaine, Batiouchka était obligé de se présenter au service de contrôle pour se faire enregistrer. Pourtant, il parvint rapidement à s’installer au Monastère Saint Nil Stolobenski, non loin d’Ostachkov (ce n’est pas un hasard si ce fut avec l’icône de ce Saint que son parrain et ensuite son père l’avaient béni pour entrer au monastère). L’Archimandrite Higoumène Joannique accepta le Père Athénogène dans la communauté et lui donna l’obédience correspondant à sa formation : coudre des vêtements. Un an plus tard, le Père Athénogène envoya à Moscou une demande de libération, qui de façon inattendue fut satisfaite. En 1927, Batiouchka retourné dans le Désert Saint Macaire. Le nouvel higoumène, le Père Théraponte, qui vivait au podvorié du monastère à Liouban (une ferme collective avait été installée sur le territoire du monastère, et les moines n’y avaient plus que deux maisons), le prit comme auxiliaire. En 1929, Batiouchka fut décoré de la croix pectorale ornée d’or. Dans la nuit du 18 février 1932, tous les résidents du Désert Saint Macaire et de la ferme du monastère de Liouban furent arrêtés et emmenés à Leningrad, aux «Croix». Le monastère et le podvorié furent profanés et fermés. Deux mois plus tard, le Père Athénogène reçut la sentence le concernant: «Vassili Kuzmitch Agapov est condamné à l’emprisonnement dans un camp de travail pendant trois ans, avec confiscation de ses biens». Deux jours plus tard, il fut envoyé à Novossibirsk, et de là au Canal de la Mer Blanche. «Le Seigneur m’a durement châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort»(Ps 117;18). «En prison et au camp, en tous lieux, le Seigneur m’a protégé des situations mortelles», écrira Batiouchka plus tard. Au camp, il souffrait particulièrement de la faim. Très mince, de petite taille (comme il l’a dit lui-même: «je suis une demi-portion d’homme»), le Père Athénogène ne pouvait atteindre la norme exigée de travail quotidien, et il arriva que pendant trois jours il ne reçoive pas sa ration de pain. Sa force de vie était quasi épuisée et, quand il sortait du baraquement pour aller au travail, il ne pouvait s’empêcher de s’allonger sous un arbre pour un moment de repos. Un jour, il reçut un colis. Épuisé par la malnutrition, tombant et se relevant, Batiouchka eut du mal à atteindre le lieu de distribution des colis, mais a réussi à prendre «seulement une écharpe et cinq biscuits»; le reste fut confisqué par le garde. Bouleversé et épuisé, il retourna au baraquement. Là, il était attendu par prisonniers de droit commun, qui exigèrent qu’il partage ses présents. Ne croyant pas ses explications, ils le jetèrent en bas de sa couche et le fouillèrent, et après avoir trouvé l’écharpe et les biscuits, ils le passèrent à tabac. Il endura ainsi le froid, la faim et les coups, se confiant en toutes choses à la volonté de Dieu et espérant Sa miséricorde.
Après un certain temps, la vie de Batiouchka devint un peu plus facile: un autre hiéromoine apparut dans le camp. Alors, les deux moines pouvaient se fortifier spirituellement l’un l’autre. Se couvrant la tête avec une feuille de bardane en guise d’épitrachilion, ils se libéraient mutuellement de leurs péchés, accomplissant le grand Mystère de la Confession malgré leur captivité. Au lieu des trois ans d’emprisonnement qui lui avaient été imposés, le Père Athénogène resta au camp deux ans et fut libéré prématurément, et on lui assigna comme lieu de résidence Malaïa Vichera de la région de Leningrad. Après avoir reçu un passeport et s’être inscrit, le starets, avec l’aide de connaissances, trouva une chambre et «commença à vivre comme les autres citoyens de notre pays». Batiouchka travaillait comme gardien, faisait de la couture. Il souffrait beaucoup de n’avoir pas l’occasion de célébrer et de servir dans une église, et ce, depuis le jour de son arrestation.
Peu de temps après le début de la guerre, il eut l’occasion de se rendre à Liouban; il y fut inopinément arrêté par les Allemands, et ne put retourner à Vichera. Au bout de peu de temps, à la demande des habitants, les autorités allemandes autorisèrent la reprise des offices de l’Église et le 11 septembre 1941, le jour de la décollation du chef de Saint Jean le Précurseur, Batiouchka célébra le premier office. Beaucoup de croyants vinrent à lui, pour se repentir des péchés accumulés et pour communier aux Saints Mystères du Christ.
Plus tard, le Père Athénogène fut transféré à l’église de Tosno et, en octobre, 1943, en tant que «force de travail», il fut emmené dans la ville lettone de Toukoums. En soutane et la croix sur la poitrine, il fut «mis en vente» au marché ; c’était ainsi que les fermiers locaux faisaient le plein de «main d’œuvre de l’Est». «Les jeunes étaient envoyés en Allemagne, se souvint le Starets, et les vieux étaient répartis ici. J’étais déjà vieux… Et un Letton est venu et m’a dit: mon Père, je vais t’acheter, et il est parti derrière le camion. Il en vint un autre qui me dit la même chose… Mais l’accord avec le premier était conclu. C’est lui qui m’emmena chez lui. Il me donna une maisonnette, juste à côté de l’église, donc j’y ai célébré tout le temps». Bien sûr Batiouchka aidait aux travaux agricoles. Le Letton, heureusement, était un homme bon et le Père Athénogène ne fut pas maltraité. Plus tard, Batiouchka se retrouva au Désert de la Transfiguration-du Saint Sauveur, à Valgounde [En Lettonie. N.d.T.]. Là, il eut l’occasion de rencontrer des moines du Monastère des Grottes de Pskov-Petchory, dirigés par l’Higoumène Agathon (Boubits), envoyés en Lettonie par les vicissitudes de la guerre. Les moines creusèrent des huttes dans la forêt, construisirent une église et célébrèrent régulièrement les offices. Après la guerre, le Père Agathon et une partie des frères sont retournés dans leur monastère, alors que les autres étaient emmenés de force en Allemagne. En septembre 1944, le Père Athénogène fut envoyé à Riga au Monastère de la Sainte-Trinité, pour femmes, et l’année suivante, il fut officiellement transféré au Monastère des Grottes de Pskov. On lui attribua l’obédience de trésorier du monastère et de sacristain. Parallèlement à ces obédiences, il prit son tour de rôle de célébrant de semaine et, comme auparavant, il cousait des vêtements et des ornements d’église pour la communauté.
En 1947, lors de la fête de l’Entrée du Seigneur à Jérusalem, le Père Athénogène reçut la dignité d’higoumène ainsi que la palitsa. En 1949, l’Évêque Vladimir (Kobets) bénit le Starets pour célébrer temporairement les offices sur l’Île de Zalit, sur le Lac de Pskov. Les treize dernières années de sa vie furent indissolublement liées au Monastère des Grottes de Pskov. (A suivre)
Traduit du russe

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