Les startsy du Monastère de la Dormition de Pskov occupent une place de choix dans l’histoire de la paternité spirituelle en Russie. Les Pères Siméon (Jelnine), Adrian (Kirsanov) et Ioann (Krestiankine), sont sans doute les plus connus en Occident. Mais celui que le Père Siméon désigna comme son ‘héritier’ et successeur, fut le Père Athénogène (Agapov 1881-1979) ce père pétri d’humilité, maigre, de petite taille, à la longévité exceptionnelle, et qui disait de lui-même: «je ne suis qu’une demi-portion d’homme». Le texte ci-dessous est la traduction du texte qui présente l’Archimandrite Athénogène (qui devint quinze jours avant sa natalice l’Archimandrite du Grand Schème Agapi) dans le Paterikon du Monastère, accessible sur l’internet. Ce texte, présenté ici en plusieurs parties, est en réalité repris du livre «Dans les Grottes offertes [établies] par Dieu» («У пещер Богом зданных») du diacre G. Malkov et de son fils Pierre. (Éditions Volnyi Strannik, Monastère de Pskov. 2019, 3e édition).Voici la cinquième partie du texte.

Le 14 juillet 1977, il enseigna : «Vis plus simplement, comme un petit enfant. Le Seigneur est tellement aimant que nous ne pouvons l’imaginer. Bien que nous soyons pécheurs, va toujours vers le Seigneur et demande pardon. Ne sois pas découragée, sois comme un enfant. Celui-ci, quand il a brisé le vase le plus cher, il va toujours en pleurs vers son père, et le père, voyant son enfant pleurer, oublie ce vase coûteux. Il prend son enfant dans ses bras, l’embrasse, le serre contre lui et persuade son enfant de ne pas pleurer. Ainsi le Seigneur, même s’il arrive que nous commettions des péchés mortels, nous attend quand nous venons à Lui en nous repentant».
Le 29 juillet. La fête onomastique de Batiouchka s’est bien déroulée. Batiouchka lui-même présida la liturgie et le moleben. Mais il était complètement épuisé. Dans la soirée, l’Évêque Théodore (Tekouchev) est venu. Batiouchka était très content; j’ai cuit des tartes au poisson, Batiouchka en a mangé.

L’Archimandrite Ioann (Krestiankine)

Le Père Ioann (Krestiankine) est venu et il a dit: «Tu as entendu ce que le père a dit pendant le repas?» J’ai répondu: «Non». Voilà comment les choses s’étaient passées. Un bref mot a été dit par le Père responsable de discipline, puis Batiouchka a répondu. S’adressant à toute la communauté, il a dit: «Que le Seigneur vous remercie et vous sauve». Et avec les larmes aux yeux, il a prononcé les mots suivants: «je vous aime tous. Je prie pour tout le monde. Et je vous souhaite à tous d’être sauvés. Amen…».
Le 27 août. Je l’ai lavé, et ramené à la cellule. Ensuite,  j’ai nettoyé moi-même la cuisine. Quand j’ai eu fini, je suis allée le voir, pensant qu’il dormait déjà, mais il se tenait, embarrassé, là où je l’avais laissé. J’ai failli tomber parce que j’avais nettoyé pendant très longtemps. Je lui dis: «Mais pourquoi restes-tu là debout?». Il a répondu: «Je t’attends, je ne sais que faire, si tu vas me dire de m’allonger ou de prier». Je lui dis: «Évidemment, allonge-toi. Je pensais que tu étais allongé depuis longtemps, alors j’ai nettoyé calmement». Il a répondu: «Eh bien, moi pendant ce temps, je me tenais là, je t’attendais». J’étais désolée pour lui et émue aux larmes. Je pensais «Mon cher petit ange, combien tu es devenu impuissant. Il est vrai que j’ai l’habitude de toujours le mettre au lit d’abord, puis d’aller à mes affaires, et aujourd’hui je l’ai perdu de vue».
Le 1er octobre. Batiouchka reste allongé plus longtemps. Il se rappelle sa vie, au désert et ici. Il dit : «Je n’ai jamais menti à personne et j’ai cru tout moi-même; comme on me disait, ainsi je pensais… Et beaucoup de gens se sont rebellés contre moi, et parfois il n’y avait personne avec qui je puisse partager, j’étais seul dans la peine. Il est arrivé qu’on ne me considère pas comme un être humain. Mais le Père Siméon, lui, me respectait et me protégeait… On m’a énormément calomnié, et il arrivait que personne ne prenne ma défense… Voilà pourquoi je pense qu’il vaut mieux être avec Dieu qu’avec les hommes».
Le 11 novembre. Je repassais le linge dans la cuisine. Batiouchka était allongé sur son lit. Tout à coup, j’entends qu’il m’appelle: «Viens vite, regarde, La Très Sainte Mère de Dieu est venue», et il regardait le plafond, avec une joie indescriptible. Il dit : «Regarde comme il fait lumineux, la lumière va droit jusqu’au ciel, et tout le ciel semble se dissoudre, et le plafond, c’est comme s’il n’y en avait pas». Je demandai : «Batiouchka, et maintenant tu vois encore la Très Sainte Mère de Dieu?». Il répondit : «Eh bien, la lumière a disparu maintenant, et la Très Sainte Mère de Dieu est là». Moi, je ne la voyais pas, seul Batiouchka La voyait.
Le 24 janvier 1978 Batiouchka est faible. Je lui dis: «Tu vas me quitter, je vais pleurer». Il répondit: «Pleure, pleure, lave tes péchés, le Seigneur ne te quittera pas. Tu sais, c’est dur pour moi de partager ce qui est spirituel, ils s’en moquent, ils disent: ‘Voilà le saint qui est arrivé… Allons qu’est-ce qui ne va pas?’. Les frères se sont détournés de moi, et parfois je n’ai personne à qui parler. Sur base de calomnies, ils m’ont chassé du monastère, comme un impudique ou un alcoolique. Tu ne connais rien de tout ça…».
16 avril. Je dis: «Parfois, je me souviens des offenses, je ne peux m’en empêcher». Batiouchka répondit: «Dans ces cas, demande au Seigneur. Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin, le Saint-Esprit est toujours là. Dis seulement :’Esprit Saint, aide-moi à m’éloigner de la rancune’».
Le 20 avril. Aujourd’hui, ils ont fait l’onction. Le premier à arriver fut le Père Jérôme (Tikhomirov). Batiouchka me dit lentement, en montrant le Père Jérôme: «Celui-là se prépare pour le Royaume de Dieu». Il y eut encore le maître de discipline, et le Père Ioann (Krestiankine), et le Père Clément (Tolstikhine). C’était très émouvant de voir une telle réunion. Cinq archimandrites étaient dans la cellule de Batiouchka. Batiouchka a également participé à l’office avec les autres, sur un pied d’égalité: tout ce qui est prévu, il l’a lu lui-même et il a oint tout le monde, il a confessé tout le monde lui-même. Batiouchka et le Père Jérôme, particulièrement, firent montre d’une humble tendresse, du repentir et de l’humilité les plus profonds, avec des larmes ils approchèrent ce sacrement. Batiouchka n’était pas comme d’habitude; à plusieurs reprises il dit à tout le monde: «Adorons la Reine du Ciel!», et il fit le premier une grande métanie. Comme il me l’a dit plus tard, la Reine du Ciel elle-même se tenait dans le coin aux icônes pendant la bénédiction et l’onction de l’huile, puis Elle disparut.
Le 28 avril. Il a dit: «Je te suis très reconnaissant, tu m’as donné tant de joie». Et il m’a bénie avec les mots: «Que le Seigneur te bénisse à partir dès maintenant et dans les siècles pour toute affliction, opprobre, et calomnie. En effet, s’ils nous détestent et nous maudissent de toutes les manières possibles, le Seigneur s’approche de nous, et nos péchés sont mis de côté».
Le 23 juin. Batiouchka enseigna: «Parle moins et repose-toi en toute chose sur la volonté de Dieu, car c’est plus facile de vivre ainsi. De toutes façons, seule tu ne peux rien faire, tu ne peux t’aider toi-même. Et n’offense personne, mais fais confiance au Seigneur. Puisse-t-Il Lui-même te diriger; car ceux qui espèrent en Lui ne seront pas confondus». 11 septembre. La température de Batiouchka était de 38°. Il s’est habillé, a bu du thé et s’est couché à nouveau. Il semblait s’être endormi. Je regardai. Il pleurait, très amèrement; les larmes roulaient l’une après l’autre, mais il essayait de me les dissimuler. Je me suis approchée de lui et j’ai pleuré aussi. Je demandai : «Batiouchka, pourquoi pleures-tu si amèrement?». Il répondit : «Ma vie ces derniers temps ne fut qu’affliction et maladie. Ce sont mes péchés et mon chagrin pour elles qui me tourmentent et font tomber mon âme jusqu’en enfer».
Le 12 septembre. Température 39°. Je propose : «Je vais dire aux batiouchkas de prier pour toi». Il répond: «Ne dis rien à personne, tout est la volonté de Dieu». Je lui donne à boire à la cuillère. Il rassure : «Même si je chauffe, c’est bien cette température, parce qu’elle me réchauffe». Puis il dit encore : «Je vais rentrer à la maison». Je pleure, je suis vraiment triste pour lui. Et lui : «Tu étais malade, j’étais triste pour toi aussi».
Le 13 septembre. Batiouchka a une pneumonie. Il m’a bénie : «Seigneur, tu l’as guérie, et maintenant permets-lui de voir, afin qu’elle connaisse sa pauvreté spirituelle. Car elle est encore une pauvresse, mais elle voudrais être une barine».
Le 14 septembre. La température se maintient à 38,5°. Mais Batiouchka plaisante: «Pourquoi si peu? Il faudrait 40° pour que ce soit normal». Très affaibli, il ne peut même pas se tenir debout sans soutien. Mais il ne se plaint de rien. Allongé, il brûle comme une braise, boit peu et ne mange rien…
Le 15 septembre. Aujourd’hui, Batiouchka est mieux, il ne veut pas rester dans sa cellule. Bien que sa température soit de 38°, il demande à l’habiller et à l’amener à l’église. Nous allons à l’église du Saint Archistratège Mikhaïl. Ses jambes le portent à peine, mais il s’obstine : «Ce n’est rien, ce n’est rien, nous y arriverons». (A suivre)
Traduit du russe.
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