Le texte ci-dessous est la traduction de passages extraits du livre du Métropolite Benjamin Fedtchenkov, «Saint Seraphim de Sarov, luminaire universel» (Всемирный светильник Преподобный Серафим Саровский), rédigé en 1933, année du centenaire de la natalice de Saint Seraphim. L’édition utilisée ici est celle publiée par les Éditions «Palomnik» de L’Institut Orthodoxe de Théologie Saint Tikhon, de Moscou, en 1996. Les extraits traduits ci-dessous proviennent des pages 21, 22-25, et 36.

C’était l’automne. La vie estivale s’éteignait. Le feuillage tombait des arbres. La pluie tombait. A Koursk, il faisait encore doux, mais au fur et à mesure qu’on avançait vers le Nord, qu’on approchait du Gouvernorat de Tambov, on ressentait de plus en plus le froid. L’hiver approchait. Le chemin n’était pas facile… Le lourd podvig de la lutte de mortification des passions attendait les moines, au nom de l’impassibilité pure comme la neige, pour ensuite vivre, mais par l’Esprit… Les futurs héros de l’ascèse avançaient en priant silencieusement la prière de Jésus. Ils pénétrèrent dans la forêt de Temnikov. La forêt séculaire accueillait les nouveaux lutteurs en esprit, coupés du passé par le dense mur des troncs de pins gigantesques dont la circonférence ne pouvait être étreinte par moins de quatre ou cinq hommes… Le passé s’éloignait, s’éloignait… Et Sarov la mystérieuse se faisait proche. (…)Le 20 novembre 1778, dans l’obscurité du crépuscule, les trois jeunes pèlerins arrivèrent à la porte du clocher de Sarov. C’était la veille de la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu, fête monastique par excellence. Ce jour, Marie, la jeune enfant choisie par Dieu, est consacrée au service suprême de Dieu pour le salut du genre humain, le jour où Elle sortit du monde pour le salut du monde; la fête de la virginité, préparation à l’incarnation de Dieu. C’est la fête signifiant l’entrée de l’Épouse de Dieu dans Son temps d’éducation par l’Esprit qui fera d’Elle la Mère du Fils de Dieu.
Et ce ne fut pas une simple coïncidence. Le saint jeune homme quittait sa mère terrestre pour la Mère Céleste ; des mains de la vertueuse veuve, il passa et fut reçu par la Vierge Toute Pure et Immaculée; de la protection de sa mère Agathe, qui construisait des églises, il passa sous la protection de Dieu, dans «le Temple très Pur du Sauveur, le Palais très Précieux, dans les bras de la Très Sainte Mère de Dieu. Souvenons-nous une fois encore de l’entretien merveilleux de Saint Seraphim au sujet de «l’aspiration à la grâce de l’Esprit Saint» en tant que but de notre vie. C’est cela qui est rappelé très clairement dans le kondakion de la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu: «La Vierge, trésor sacré de la gloire de Dieu, en ce jour est présentée au Temple du Seigneur; Elle y apporte la grâce du Saint Esprit…».
«Et l’Esprit Saint Se réjouira en toi…» C’est ce que lui avait prophétisé Dosithée1 … Les pèlerins entrèrent au monastère par le portail sous le clocher. De tous côtés les bâtiments du monastère les entouraient, comme des bras vivants étreignant les nouveaux membres de la communauté dans un geste de bienvenue. La porte du monde s’était comme refermée derrière eux ; maintenant, c’était ici leur maison, leurs parents, leur Père, leur Mère (Math.12;48). Devant eux, au milieu de la cour du monastère, se dressait l’immense Église principale à cinq coupoles du monastère en l’honneur de la Dormition de la mère de Dieu, reconstruite il y avait seulement un an sous l’higoumène Ephrem. Elle ressemblait beaucoup à l’église, lointaine, de la Laure de la Dormition à Kiev… Le portail de l’église était ouvert. Les pas des pèlerins poursuivirent donc leur chemin qui les mena jusque en ce lieu où résidait Dieu, la maison de la Reine Céleste, qui de là dirigeait invisiblement le monastère. Le cher désir s’était réalisé: ceux qui cherchaient la Cité de Dieu étaient arrivés au havre de paix. L’Higoumène Pacôme, nouvellement élu, célébrait l’office solennel de la fête. On observait strictement l’oustav; le supérieur était sévère en matière de respect des règles liturgiques et monastiques. L’âme de Procore se réjouit. Il avait trouvé sa place. Les paroles du psalmiste s’appliquaient pleinement : «Même le passereau se trouve un gîte, et l’hirondelle un nid… Bienheureux ceux qui habitent dans Ta maison», Seigneur ! (PS.83;4-5) «C’est ici mon repos pour les siècles des siècles! J’y habiterai car je l’ai choisi» (Ps.131;14).
Le lendemain, les trois pèlerins étaient accueillis par le Père Higoumène. Il les reçut avec amour et les accepta avec joie dans la communauté. Le Père Pacôme accorda une attention particulière à Procore, dont il avait bien connu les parents à Koursk. Il vit en lui l’esprit élevé du futur héros de l’ascèse, et il le confia, pour son éducation spirituelle, aux mains de son collaborateur et ami, rempli d’amour, le sage Père Joseph, trésor des lieux. C’est de celui-ci que Procore reçut sa première obédience : auxiliaire de cellule.
C’est ainsi que débuta la vie monastique du Saint, qui dura cinquante quatre années. Elle fut une suite de podvigs qui la rendit difficile, mais elle culmina avec la fin glorieuse du Saint. Le service léger d’auxiliaire de cellule du Père trésorier fut une simple entrée en matière. Très vite, le novice Procore accomplit, comme les autres membres de la communauté des travaux physiques plus lourds : à la boulangerie, à la préparation des prosphores, à la menuiserie. Ensuite, il assuma l’obédience consistant à réveiller les moines le matin, et celle de sacristain. Il chantait dans le chœur et participait aux obédiences communautaires : défricher la forêt, couper le bois, fendre les bûches, etc… L’obédience qu’il assuma le plus longtemps fut celle de menuisier; il y acquit une grande habileté, si bien que parmi les moines de la communauté, on le connaissait sous le nom de «Procore le menuisier».
Nous savons peu de choses de sa vie intérieure au cours de la période de ses débuts monastiques, lorsque furent posées les bases principales de sa formation monastique. Et il faut plutôt tirer des conclusions à ce sujet principalement à partir des conseils que le saint prodigua plus tard à partir de sa propre expérience, et en partie seulement des souvenirs, occasionnels et peu significatifs, de sa vie passée. Avant tout, le Frère Procore se distinguait par l’accomplissement sans le moindre murmure de ses obédiences. De par son caractère méticuleux, il faisait tout avec assiduité, précision et aussi parfaitement que possible. C’est exactement ce qui est le plus nécessaire chez les novices, afin qu’ils s’habituent immédiatement à écraser leur fierté mondaine, racine de toutes les autres passions et maladie fondamentale de l’âme déchue. Par conséquent, c’est principalement par l’obéissance que le Saint guida par la suite les moniales de Diveevo. Xenia Vassilievna Poutkova, qui devint la moniale Capitolina se souvint qu’il lui dit: «Rappelle-toi toujours : avant tout l’obéissance, avant même le jeûne et la prière! Et non seulement il ne faut pas la refuser, mais il faut s’y empresser! Il faut endurer, sans se troubler et sans murmurer, toutes les afflictions venant d’autrui: car le moine, sera moine seulement quand il aura été, comme des laptis, brisé et et sérancé par tous». Il n’est de péché plus périlleux que le murmure ou le refus d’écouter le supérieur : un tel être sera perdu». Et le Saint Moine dit aussi à l’Archiprêtre Vassili Sadovski, père spirituel de la communauté : «L’obéissance, Batiouchka, passe avant le jeûne et la prière. Souviens-toi toujours de cela, et parles-en. Je le répète sans cesse moi aussi».
(…)
Le 13 août 1786, à la fin du carême de la Dormition, l’Higoumène Pacôme accorda la tonsure monastique au novice Procore, qui ainsi devint moine. A la place du novice Procore naquit dans la nouvelle vie spirituelle, dans «l’ordre angélique», le moine Seraphim, ce qui signifie en langue hébraïque, à la foi flamboyant et réchauffant. Ce nom, qui sans aucun doute lui fut attribué pour l’ardeur brûlante de son esprit, il le justifia pleinement par son amour brûlant pour Dieu et pour la Très Sainte Mère de Dieu, ainsi que pour sa douce affection pour les gens. Avec légèreté, tremblant de joie, le nouveau moine inclina la tête sous les ciseaux de la tonsure, et aucune idée de séparation du monde n’obscurcit son âme au moment de son “mariage” spirituel avec l’Époux Céleste. Comme un fruit mûr, il s’offrit entre les mains de Dieu. En même temps que ses cheveux, sa vie passée fut définitivement tranchée: désormais, le héros de l’ascèse qui prit la charrue ne regarderait plus jamais en arrière (Luc9;62). Plus tard, il dit à la moniale Praskovia de Diveevo: «Moi, mère, j’ai passé toute la vie du monastère et je n’ai jamais quitté le monastère, même pas en pensée».
Traduit du russe
Source : «Всемирный светильник Преподобный Серафим Саровский»

 

  1. FLe «Starets Dosithée» qui menait son podvig près de Kiev et que le jeune Procore consulta avant de choisir la voie monastique, était pour le monde Daria Tiapkina, qui dissimula sa féminité pour lutter comme les hommes dans l’arène spirituelle de l’érémitisme.