Les trois néomartyrs d’Optino

Dans plusieurs textes concernant le Hiéromoine Vassili et les Moines Théraponte et Trophime, les trois frères d’Optino Poustin’ assassinés dans l’enceinte du monastère la nuit de Pâques 1993, on lit qu’ils sont devenus extrêmement familier des fidèles qui les prient, aujourd’hui encore. Ces fidèles ont simplement lu et relu le livre «Pâques rouge», et les trois frères sont devenus comme des membres de leur famille. L’Église ne les a pas encore glorifiés, mais il est devenu impossible de tenir le compte des miracles attribués à leurs prières. Ce livre, «Pâques rouge», n’a pas été traduit en français. Il est bien sûr moins évident pour les fidèles francophones de considérer les trois frères d’Optino comme des membres de la famille et demander ainsi leur prière. En vue de faire mieux connaître chacun de ces trois merveilleux moines et afin donc d’aider les lecteurs de ce blog à adresser plus volontiers leurs prières à ces trois néomartyrs, nous poursuivons la traductions de plusieurs extraits de deux livres.

Un peu avant Pâques, Trophime rencontra une petite vieille qui vivait alors sur le territoire du monastère.
– Qu’est-ce qui te rend triste ainsi, matouchka ? Demanda-t-il avec une tendre douceur.
– Eh bien fiston, c’est bientôt Pâques et ma clôture s’est effondrée complètement.
– Ne sois pas triste, matouchka, on fera quelque chose, répondit Trophimouchka pour la calmer.
Et avant Pâques, il lui avait reconstruit une nouvelle petite clôture. La vieille était si heureuse! Elle remercia chaleureusement Trophime, mais celui-ci lui dit :
– De quoi me remercies-tu, moi pauvre moine? Tu ferais mieux de remercier Dieu, matouchka. Moi, qui suis-je? Poussière! Et bientôt je redeviendrai poussière…
… A l’office du soir, pendant la lecture du canon à trois odes, Trophime sortit de l’autel et se rendit au choeur de droite. Et lui qui n’était jamais fatigué, il s’assit sur une marche. A ce moment, on chantait : «Prépare-toi, ô mon âme, au départ. Proche est l’arrivée du Jugement inexorable». Trophime baissa la tête et prononça doucement : «Je suis prêt, Seigneur!».

Le Moine Trophime

Les frères qui entendirent cela s’étonnèrent. Mais pourquoi donc a-t-il dit : «Je suis prêt, Seigneur!». Ils ne pouvaient croie que Trophime avait dit cela parce qu’il pressentait l’approche de son départ de ce monde.
Cela se passa le Grand et Saint Lundi. Le Vendredi de la Passion, lorsqu’on sortit l’épitaphios, les moines Trophime et Théraponte sonnèrent au lieu de la sonnerie funèbre, celle de Pâques. On exigea évidemment pour cette erreur des explication de la part du moine Trophime, en sa qualité de sonneur aîné. Mais il ne parvint pas à expliquer quoi que ce soit. Il répétait seulement, «Pardonnez-moi!». Personne ne comprit pourquoi pareille erreur avait été commise, car il était en effet malaisé de confondre les deux sonneries. Mais pour Dieu, le hasard n’existe pas. Cette sonnerie avertissait de leur fin de martyrs.
Le Saint Samedi, le moine Trophime officiait comme sacristain. En début de nuit, l’église de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu se remplit d’une vaste foule de gens en prière. Il remarqua un petit garçon qui se comportait étrangement devant l’autel : il montait sur la solea puis sautait en bas de la marche, se tenant à la clôture de la solea. «Qu’as-tu donc à tourniquer ici?», lui demanda Trophime. Je voulais entrer dans l’autel mais je ne me suis pas décidé. «Et puis quoi encore? Tu ne sais pas qu’il est interdit d’entrer dans l’autel sans en avoir reçu la bénédiction? Allons, file d’ici!» Et pendant quelques minutes, il observa ce garçon, qui pénétra au coeur de la foule présente dans l’église. Ayant retrouvé le petit, Trophime avança jusqu’à lui, le prit par la main et lui dit doucement : «Pardonne-moi, frère, de t’avoir parlé sévèrement, au nom du Christ, pardonne-moi», et après s’être tu un instant, il ajouta : «C’est peut-être la dernière fois que nous nous voyons ici sur terre».
La Divine Liturgie de la Fête se terminait. Dans l’église, tous chantaient : «Le Christ est ressuscité!». Sortant de l’autel pour préparer le vin mêlé d’eau chaude pour ceux qui avaient reçu les Saints Dons, Trophime aperçut des pèlerins qu’ils connaissait, venus de Moscou. Ils étaient exténués et presqu’endormis. Souhaitant les revigorer, il fit, de manière comique, trembloter sa lèvre supérieure. Les pèlerins et leurs enfants rirent et s’éveillèrent. Personne ne savait alors que l’heure était venue, et que ces moines remplis de la joie Pascale : le hiéromoine Vassili, et les moines Trophime et Théraponte allaient être assassinés quelques instants plus tard.
Le serviteur du mauvais les attendait déjà, caché derrière les piles de briques de l’église de la Très Sainte Mère de Dieu, en reconstruction. Il dissimulait sous le pan de son manteau un couteau rituel de 60 cm, aiguisé comme un rasoir et gravé de la signature «satan, et du chiffre 666». Le meurtrier était nerveux et voulait accomplir la volonté de la voix du mauvais qui le poursuivait et le poussait à assassiner des moines, qu’il haïssait tant.
Ayant communié aux Saints Dons du Christ, Trophime et d’autres moines s’éloignèrent pour aller rompre le jeûne. «Tu veux que je te montre un miracle?», demanda-t-il à un moine assis à la même table que lui. «Oui, oui, je veux bien», répondit le moine avec intérêt. Trophime sortit un œuf de sa poche. «Tu vois, c’est un œuf de l’an dernier, dit-il, il est resté toute l’année dans ma cellule. Un œuf normal serait pourri depuis longtemps, mais celui-ci, qui a été béni, un œuf de Pâques, il est tout frais.» Il cassa la coquille et présenta l’œuf pour que l’autre moine en sente l’odeur. Et l’œuf avait effectivement l’air frais. Trophime se signa et en mangea la moitié, puis il donna la deuxième moitié au frère. Après avoir mangé, tous les frères du monastère se levèrent pour aller se reposer, vers six heures du matin. Le moine Trophime courut à l’église, où il trouva le moine Théraponte, qui l’y attendait. Ils se regardèrent et sans dire un mot ils se comprirent et se hâtèrent vers le clocher. La sonnerie Pascale retentit. Ses vagues festives envahirent toute la terre d’Optino. Le moine Trophime avait le dos tourné au moine Théraponte et ne le voyait pas, il entendait seulement la sonnerie rythmée des cloches. Pendant qu’ils sonnaient, leurs âmes fusionnaient comme en une seule. Soudain, il sentit que Théraponte n’était plus à côté de lui et à l’instant il ressentit le coup violent et pénétrant d’un objet pointu dans son dos.
«Mon Dieu aie pitié de nous!», s’écria Trophime et de ses dernières forces, il fit encore sonner la grosse cloche. Après, il tomba inanimé sur la passerelle de bois. La cloche bourdonna encore longtemps, de façon traînante, et finale, comme figée d’effroi, elle s’immobilisa en paix, comme étaient en paix les deux humbles moines versant leur sang de martyrs. Après eux, avec ce même couteau, le hiéromoine Vassili fut assassiné près de la tour de la skite.
Tout se figea dans un silence effroyable. On aurait dit que la terre avait tremblé et que les pierres s’étaient fendues. Le meurtrier lui-même s’affola lors de l’interrogatoire et il dit : «Je sais qu’ils sont au paradis…».
Trois cierges s’étaient éteints, trois moines dont les cheveux n’avaient pas encore été blanchis par l’âge, mais la joie Pascale ne s’éteignit pas, elle qui annonçait la victoire du Christ. La sonnerie des cloches ne cessa pas, se découpant comme une croix proclamant dans le calme d’Optino en ce matin de Pâques : «Le Christ est ressuscité!» Et toutes les Puissances célestes, les Archanges et les Anges, les martyrs et les saints moines et tous les saints accueillant dans la joie les trois néomartyrs d’Optino dans les Demeures du Roi de Gloire, répondirent : «En vérité, Il est ressuscité!».

Traduit du russe
Source :
Небесные ратники. Жизнеописания и чудеса Оптинских новомучеников (Les soldats célestes. Vie et miracles des néomartyrs d’Optino) Alexandre Ivanovitch Iakovlev. Éditions : Святитель Киприан, Moscou 2013. Pages 188 à 192.