Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.

La fin bénie du Grand Geronda

Revenons maintenant aux kalivas près de la tour de Nea Skiti, où les pères ne tardèrent pas à construire une petite église dans deux grandes kelias. L’une fut dédicacée à l’Annonciation faite à la Très Sainte Mère de Dieu et l’autre, à la Nativité du plus grand parmi les hommes et précurseur de l’ordre monastique : le Saint Précurseur.
Peu de temps s’écoula avant que le Père Ephrem fut ordonné hiéromoine, suite à la bénédiction de notre Grand Geronda, avec lequel il demeurait. Il célébrait dans l’église de l’Annonciation. Le Père Charalampos vivait et célébrait dans la chaleureuse petite église du Saint Précurseur. Le Père Ephrem alla vivre quelques temps avec le Père Theophilaktos à la kelia des Saints Anargyres.
Quant au Père Arsenios, il choisit une petite kelia située à côté, à un jet de pierre, de la kelia de Saint Jean le Précurseur. Il continua dans cette kelia ses grands exploits ascétiques, et c’est là que j’eus la bénédiction de le rencontrer pour la première fois et faire sa connaissance.
Entre-temps, la santé du Grand Geronda s’était notoirement détériorée. En cet été salvateur de la 1959e année après la Nativité du Christ, le 15 août, après la Divine Liturgie, la Très Sainte Mère de Dieu vint, en ce jour de fête de Sa Dormition, prendre l’âme bénie de Geronda Joseph, qui avait prévu et prédit sa fin pour ce jour. Le Saint Geronda éprouvait pour la Très Sainte Mère de Dieu un amour tellement grand que pendant toute sa vie, pressant contre sa poitrine l’icône de la Toute Sainte et versant de chaudes larmes, il La priait ainsi: «Quand vas-tu venir? Quand vas-tu venir prendre mon âme?»
Geronda mourut. Quelle affliction pour tous ses orphelins!
Il laissait en guise de consolation le Père Arsenios et l’héritage perpétué par la communauté : la règle des vigiles et ses conseils paternels. Geronda avait également donné sa bénédiction à ses fils spirituels pour qu’après sa mort, chacun d’entre eux vive dans sa propre kelia, afin qu’autour de chacun se forme une nouvelle communauté.
Dans ces petites kalivas de Nea Skiti commençait à fermenter la première pâte qui allait lever avec le temps. Et le levain enfla et s’étendit aux grandes kelias russes de Bourazeri et Saint Artemios, au Provaton si bien qu’elles allaient elles aussi devenir par la suite trop exiguës et que les moines de ces déserts allaient être accueillis à bras ouverts par les grands et superbes monastères de la Sainte Montagne : Philotheou, Dionysiou, Vatopedi et autres… Avec la bénédiction de Geronda Joseph, l’esprit hésychaste régnait dans ces monastères. On y cultivait toujours les vertus sur base de l’héritage qu’il avait légué : «Obéissance, prière permanente, vigiles et confession des pensées».
Il me semble utile de nous adresser ici un rappel à nous tous, les descendants spirituels de ces deux grands héros de l’ascèse! Le Père Arsenios nous disait souvent: «Veillez avec précaution à la règle qui vous a été transmise. Geronda et moi avons versé du sang pour parvenir à vous la transmettre telle qu’elle est. Veillez seulement à la préserver». Ainsi, que chacun d’entre nous l’adopte de manière responsable si nous, les descendants, voulons être fiers de tels ancêtres.

A Bourazeri (1967)

Comme je l’ai dit, après la fin bénie du Grand Geronda, chacun de ses enfants vécut dans sa propre kaliva et mena son podvig selon la règle hésychaste, conformément à la tradition instaurée par Geronda. Mais la gloire des pères-hésychastes de ces lieux ne tarda pas à se répandre. Et les monastères voisins, de Saint Paul et de Dionysiou, en invitèrent en qualité de confesseurs et pères spirituels; le premier de ces monastères fit appel au Père Ephrem et le second au Père Charalampos. Ces monastères voulaient ainsi «élever leur niveau spirituel» comme le précisa l’Archimandrite Gabriel, higoumène du Monastère de Dionysiou, sage et de bienheureuse mémoire. Il ajoutait avec humilité : «Nous, nous perdons notre temps et nos forces à diriger le monastère».
Beaucoup de frères qui venaient à Nea Skiti pour se confesser, décidèrent de demeurer avec leur pères spirituels. Le résultat fut que les petites kalivas se remplirent rapidement jusqu’à saturation. Surgissait dès lors la nécessité d’agrandir les kalivas afin d’y accueillir les jeunes frères et ceux qui arriveraient plus tard. C’est alors que deux frères hiéromoines, réfléchissant à la meilleure manière de s’organiser, décidèrent de déménager en des lieux plus spacieux. Ils apprirent l’existence de grandes kelias russes, situées aux environs de Philotheou et du Provaton, et aussi, de Bourazeri près de Karyès. Dans ces circonstances, mon geronda, le Père Charalampos appela mon indignité ainsi qu’un autre frère, qui repose aujourd’hui dans les demeures célestes, et nous envoya au Monastère de Philotheou nous enquérir des caractéristiques de ces kelias. En chemin, nous nous arrêtâmes à la kaliva de Geronda Arsenios pour lui demander sa bénédiction. Avant que nous ayons eu le temps d’ouvrir la bouche, il nous dit :
– N’allez pas à Philotheou. Nous irons à Bourazeri.
– Comment sais-tu cela, Geronda?
– La Très Sainte Mère de Dieu me l’a montré pendant la prière.
Et il commença à me décrire en détails le bâtiment et l’unique moine russe qui l’habitait. Alors, je lui demandai :
– Et la volonté de la Très Sainte Mère de Dieu est-elle que nous partions d’ici?
– Voici quelques jours déjà, j’ai appris que nous partirions d’ici. Il y a quelques nuits, j’ai vu Geronda en songe ; tel un entrepreneur, il inspectait de grandes bâtisses. Je lui demandai : «A qui sont ces bâtiments, Geronda?». Il m’a répondu : «Ils sont à nous. Vous pouvez aller visiter les kelias du Monastère de Philotheou, mais sachez que nous irons à Bourazeri».
Nous nous rendîmes à Karyès et de là, directement à Bourazeri. Et tout était exactement comme Geronda Arsenios nous l’avait décrit. Mais le moine russe ne voulait même pas entendre parler de la possibilité de vivre avec des Grecs. Ensuite, nous sommes allés à Philotheou et avons visité quelques grandes kelias, toutes en ruines. Les pères du monastère, alors encore idiorythmique, nous les offrirent généreusement, mais nous les trouvions peu adaptées. Sur le chemin du retour, nous nous sommes interrogés : «C’est très bien, Bourazeri, mais comment convaincre le moine russe de nous accueillir?»
La solution fut trouvée. Mon geronda, le Père Charalampos était né en Russie et connaissait la langue russe. Il était donc l’interlocuteur tout désigné pour aller négocier. Toutefois, à l’issue de la première rencontre, il rentra bredouille. Le lendemain, Geronda Arsenios l’appela et lui dit :
– Demain, vas à Bourazeri. Cette nuit, j’ai vu la Très Sainte Mère de Dieu et le moine russe qui s’est emporté contre toi. La Très Sainte Mère de Dieu l’étreignit et après, il devint doux comme un agneau.
Ainsi ragaillardi Geronda Charalampos retourna à Bourazeri. Il chercha le moine russe, sans parvenir à le trouver. Il aperçut une porte ouverte et par curiosité, jeta un coup d’œil à l’intérieur. C’était l’église de la Protection de la Très Sainte Mère de Dieu. Le vieux moine russe s’y trouvait.
Dès qu’il vit mon geronda, il fut enflammé par une soudaine colère. Il empoigna un bâton et courut vers geronda pour le battre. Mais il ne parvint pas à s’approcher de lui. Changeant complètement de disposition d’esprit, il jeta le bâton, étreignit geronda et lui dit ce qui suit :
– Tu es un homme bon. Demain, viens avec tes moines.
Il monta à l’étage avec geronda et lui montra un autre bâtiment en disant :
– Celui-là suffit pour moi. Tout le reste est pour vous.
Ce développement tellement favorable de la situation permit à notre petite communauté de s’installer au cours des jours suivants dans cette grande kelia dépendant du Monastère de Chilandar. À peu près à la même époque, le Père Ephrem et sa communauté s’installèrent dans la grande kelia de Saint Artemios au Provaton.
Pendant ce temps, le Père Joseph, qu’on désigne maintenant comme «Père Joseph de Vatopedi», se trouvait dans le monde pour une mission importante. Quand il revint au Mont Athos il resta à Nea Skiti, mais abandonna sa petite kaliva, dépourvue d’église et s’installa dans la kaliva de l’Annonciation, occupée jusque là par le Père Ephrem et ses frères, tout juste partis au Provaton.
Par la Volonté de la Très Sainte Mère de Dieu, grâce à cette petite kaliva de l’Annonciation, deux monastères furent consolidés spirituellement : Philotheou et Vatopedi. Et ce fut aussi le cas, grâce à la kaliva de la Nativité du Précurseur, du Monastère de Dionysiou, qui porte la même dédicace.
En ce qui concerne les cas décrits, je profite de l’occasion pour souligner que le Père Arsenios était un vieillard simple, doux et bienveillant. J’insiste : doux et bienveillant. Croyez-moi, j’ai vécu dix-huit ans à côté de lui et je ne l’ai jamais vu en colère ou sur des charbons ardents. Je me souviens qu’une seule fois, il a élevé le ton de sa voix de manière impérieuse, en désaccord avec un frère qui insistait pour que quelque chose soit fait différemment. Geronda, avec l’aide de la prière, avait vu que s’il avait cédé, ce frère aurait subi des conséquences fâcheuses. Par conséquent, il dit d’un ton strict:
– Tu obéiras. Ce sera comme ça…
Et en effet, il avait absolument raison. (A suivre)
Traduit du russe
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