Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

Le Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina

(…) Le Père Nikon endura tout, comme le Saint et Juste Job, dont le tropaire toucha toujours son âme éprise de Dieu. On peut juger de la gravité de la situation qui l’entourait par le fait qu’en dépit de toute sa grande patience et sa grande retenue, il écrivit dans une lettre une phrase qui disait tout : «Oh, comme c’est dur ici sur le plan moral! Quand allons-nous donc rentrer dîner à la maison, parmi nos proches en l’esprit!» C’était un cri, sorti peut-être involontairement, un cri d’une âme affligée, opprimée chaque jour et à chaque heure par un environnement haineux et avilissant pour sa disposition spirituelle. Ses afflictions s’accrurent avec la discorde entre ses enfants spirituels se querellant pour la priorité dans la transmission des colis. Et il dût pacifier ces querelles dans ses lettres.
Un travail fut assigné au Père Nikon au secrétariat de l’hôpital de la prison. Cela lui donna un peu de réconfort et de soulagement. Dans son isolement, le Père Nikon n’abandonna pas son devoir pastoral. Son esprit et son cœur étaient pleins d’amour et de sollicitude pour ses enfants spirituels qui lui avaient été confiés par le Seigneur lui-même. En lui brûlait la flamme du vrai confesseur du Christ, qui conserva une foi ferme et un amour pour Dieu et les hommes au milieu de l’abomination humaine.
À la fin de décembre 1927, l’enquête judiciaire était terminée. Le Père Nikon fut condamné à trois ans dans le camp de concentration des Solovkis. Le 27 janvier 1928, il est envoyé par étapes jusqu’au lieu de sa détention. En mars, il fit étape à Kem, et suite au déplacement d’un cyclone sur la Mer Blanche, les détenus furent provisoirement établis au centre de transit de cette ville vers les Solovkis. Compte tenu de l’infirmité du Père Nikon, malade des jambes, il fut exempté par les gardes des travaux lourds. Cela lui permit de demeurer isolé et de se consacrer à la prière et à la lecture. Le 27 avril 1929, le Père Nikon fut sorti de ce centre de transit et envoyé en un autre lieu qui en dépendait, l’Île Popov, en République de Carélie. On le fit travailler au secrétariat du camp, en qualité de comptable. La vie dans le camp s’écoulait de façon monotone : inspection, travail, repas, sommeil… Ainsi, jour après jour. C’est de là qu’il envoya ses lettres de conseils à ses enfants spirituels. Il dépendit pendant un peu plus de deux ans du camp de concentration de Kem. Ensuite, il fut envoyé en liberté surveillée dans un hameau de la région septentrionale d’ Arkhangelsk.
Le médecin de Kem avait diagnostiqué une tuberculose pulmonaire et conseillé qu’à son arrivée à Arkhangelsk il consulte un médecin local. Le Père Nikon, qui s’en est toujours remis à la volonté de Dieu en toutes choses, demanda conseil au Père Agapit: que faire? Ce dernier ne lui conseilla pas de consulter un médecin. Après avoir écouté ces paroles comme venant de la bouche de Dieu, le Père Nikon dit humblement et en toute conscience : «Que la Volonté de Dieu soit faite». C’étaient les paroles d’une âme juste, s’offrant pieusement toute entière, toute sa vie, en sacrifice à Dieu.
Pendant que le Père Nikon vivait dans les camps de concentration, de grands événements se produisirent dans la lointaine Kozelsk et, en particulier, au Désert d’Optino. Après la liquidation du «Musée d’Optina Poustyn’», qui suivit de peu l’arrestation du Père Nikon et d’autres moines, toutes les propriétés foncières de l’ancien monastère, gérées par le musée, la forêt et les bâtiments furent mises à la disposition des autorités locales. En attendant les ordres de la Direction du Comité de la Direction Générale des Établissements scientifiques et artistiques, seuls les églises, le réfectoire, le cimetière, la bibliothèque et la «chaumière des startsy» dans la Skite demeurèrent intouchés. Venue de Moscou, une Commission ne sélectionna que quelques exemplaires de manuscrits anciens, qui furent envoyés au musée de Zagorsk.
Après le départ des membres de la Commission, le chaos commença. Tout ce qui avait une valeur matérielle fut vendu aux enchères. Beaucoup de choses furent volées. Arriva ensuite une disposition donnant ordre de retirer tous les objets métalliques des églises, y compris les cloches, les monuments funéraires et les Croix. Toute la “ferraille” fut emmenée à l’usine de traitement des métaux la plus proche. Les icônes en bois et les iconostases furent emmenées dans des ateliers de menuiserie.
La grande cloche du monastère, dont le son velouté était entendu à douze kilomètres à la ronde, ne passait pas dans la baie du clocher. La baie fut brisée et la cloche tomba, se brisant en morceaux dont la chute détruisit le palier. Le tremblement de la terre et le grondement de la chute du grand corps lourd furent ressentis et entendus à trois kilomètres, à Kozelsk. Lorsque les bris de la cloche cassée furent enlevés, les fidèles en ramassèrent comme souvenirs des petits fragments qui jonchaient le sol.
Les autorités procédèrent ensuite au «nettoyage du territoire du cimetière monastique» entourant les églises. Les Croix en fonte, en granit, en marbre, en pierre et en bois, les monuments, les chapelles et les dalles ont tous été enlevés et les monticules funéraires furent soigneusement nivelés, en veillant à ce que rien ne ressemble à un cimetière. Seuls les arbres et les églises vides, pillées et encombrées demeurèrent intacts… C’était en 1928. Et l’année suivante, en 1929, à Kozelsk, sept églises furent fermées simultanément. Il en resta une, celle l’Annonciation, où le culte a été célébré jusqu’à notre époque.
Une seule petite église ne pouvait naturellement pas accueillir tous ceux qui voulaient venir y prier. Le nombre très élevé des fidèles engendrait à l’intérieur une terrible bousculade, surtout lors des grandes fêtes, quand les habitants des villages des alentours qui avaient été affectés aux églises de la ville se rassemblaient dans la petite église. Pour cette raison, les moines, pour la plupart, furent privés de la possibilité d’aller à l’église. C’était pour eux une grande affliction. Les moines d’Optina à cette époque étaient peu nombreux. La plupart des hiéromoines affectés aux paroisses furent exilés. L’autre partie se dispersa; ils partirent là où personne ne les connaissait. Restèrent à Kozelsk jusqu’à la fin, seulement quelques hiéromoines âgés dirigés par un archimandrite, surtout des handicapés: aveugles, boiteux, bossus… Parmi les relativement jeunes, il n’y avait que hiéromoine Géronte, ancien auxiliaire de cellule du Starets Barsanuphe, et le Père Raphaël, Rodion Cheïtchenko, qui était un ancien novice du monastère. En 1928 ou 1929, l’Évêque Michée mourut. Les funérailles furent célébrées plus que modestement; aucun évêque ne vint à l’enterrement pour diverses raisons. Le corps de Mgr Michée fut enterré dans le cimetière de Kozelsk. (A suivre)

Traduit du russe

Source :

Rectificatif
C'est par erreur que sur ce blog, depuis des années, l'appellation de Monastère ou Désert «d'Optino» a été utilisée. Même si on retrouve «Optino» jusqu'au milieu de textes en langue russe, l'appellation qui est utilisée par les moines de ce monastère est toujours «Optina». On lira donc à partir de maintenant sur ce blog «Désert ou Monastère ou moines d'Optina». «Optino» sera toutefois maintenu dans les «étiquettes» et mots-clés permettant d'effectuer des recherches dans les textes traduits entre 2016 et aujourd'hui. Les textes de ces années passées seront rectifiés dans la mesure où le temps le permettra. Nous demandons au lecteur de pardonner cette erreur qui nous est entièrement imputable.