«... en 38 années de sacerdoce presbytéral et épiscopal, j'ai prononcé environ 1250 homélies, dont 750 furent mises par écrit et constituent douze épais volumes dactylographiés...»
(Le Saint Archevêque Confesseur et chirurgien Luc de Crimée)
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L’homélie ci-dessous est intégrée dans le recueil intitulé «Tome 1» des Homélies de Saint Luc de Crimée, édité par l’Éparchie de Simferopol et de Crimée.

Je sais que vous êtes nombreux à lire les Saintes Écritures, et je sais aussi que vous lisez surtout l’Évangile ; les épîtres et les Actes des Apôtres, vous les lisez peu. Pourquoi les lisez-vous peu? Tout d’abord, parce que vous ignorez combien de sagesse élevée ces épîtres contiennent ; vous les considérez comme secondaires par rapport aux Évangiles. C’est la première raison. Et la deuxième raison est que les épîtres de l’Apôtre Paul, qui sont les plus nombreuses parmi les épîtres apostoliques, sont écrites dans une langue très difficile. Sa pensée se déploie très singulièrement, pas comme les gens pensent habituellement. L’Apôtre Pierre lui-même, dans l’une de ses épîtres dit que dans les épîtres de Paul, il y a des choses difficilement intelligibles. Et il est vrai que de nombreux passages des épîtres du Saint Apôtre Paul sont difficile à comprendre. Vous ne sauriez les comprendre sans aide, sans guide. Je vais aujourd’hui vous expliquer un passage de grande importance dans l’Épître de l’Apôtre Paul aux Romains : «Car je ne sais pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais» (Rom.7;15). «Car le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais» (Rom.7;19). «Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort?» (Rom.7;24).
Malheureux sommes-nous, vous et moi! Qui va nous délivrer de notre corps de mort?
Et dans une autre épître, l’Épître aux Galates, Saint Paul dit à peu près la même chose : «Marchez selon l’esprit ; et vous n’accomplirez pas les convoitises de la chair. Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, de telle sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez» (Gal.5;16-17).
Voilà de quoi il s’agit: notre esprit s’oppose à notre chair et notre chair s’oppose à notre esprit. Notre esprit cherche à élever nos cœurs vers le trône du Très-Haut. Notre esprit cherche à nous imprégner des aspirations d’ordre supérieur, non pas des passions basses, mais des aspirations spirituelles les plus élevées et les plus profondes. Tous les saints étaient imprégnés des aspirations de l’ordre supérieur; ils soumettaient leur chair à l’esprit, ils ne vivaient pas de la culture du corps, mais de la culture de l’esprit: ils méprisaient la chair, l’esprit était tout pour eux. Ils vivaient d’esprit seulement, c’étaient des hommes d’esprit, pas des hommes passionnels comme la plupart des gens. Que signifie être passionnel? Ce terme décrit ceux dont tous les souhaits, toutes les aspirations, tous les buts de la vie sont orientés vers une seule chose : vivre le plus grand nombre possible de plaisirs pendant cette courte vie. Ils ne veulent pas entendre parler de ce qui gêne leur plaisir. Leur recherche des passions est insatiable.
Quels passions? Seulement celles d’un ordre inférieur, les plaisirs liés à la chair. L’aspiration à la béatitude la plus élevée leur est complètement étrangère, celle que procure l’aspiration de notre esprit à Dieu. Ils ne veulent pas connaître Dieu, ils vivent sans Lui, ils vivent de ce à quoi aspire leur être extérieur, celui des passions de leur âme. Pourquoi les passions de leur âme? Les hommes ne sont pas seuls à avoir une âme, les animaux en ont une aussi. L’âme est l’ensemble de toutes nos impressions, de toutes nos perceptions de l’extérieur. L’âme est composée de nos pensées, de nos désirs, de nos aspirations. Et tout cela existe chez les animaux : et ils perçoivent tout ce que les gens perçoivent de l’extérieur. Et ils ont des aspirations, des désirs. Mais si l’homme vit surtout de ces aspirations, de ces souhaits, et non des aspirations d’un ordre supérieur, alors, on peut dire que cet homme est passionnel.
Il existe des gens malheureux qui se trouvent à un stade très bas de développement spirituel, ils sont légèrement supérieurs aux animaux; comme les animaux, ils ne cherchent qu’à satisfaire les exigences de leur chair. Les animaux n’ont pas d’aspirations supérieures, ils n’ont pas l’esprit qui nous est donné, à nous les hommes, et par lequel nous entrons en communion avec Dieu Lui-même dans notre prière.
Et donc, la chair s’oppose à l’esprit, et l’esprit s’oppose à la chair. Ils s’opposent l’un à l’autre, et notre vie consiste en une lutte constante entre les aspirations de l’esprit et les aspirations de la chair. Même de grands saints tels que l’Apôtre Paul vécurent cette lutte. Tous les saints la vécurent, et pour beaucoup, il s’agit d’une lutte extrêmement pénible et cruelle. C’est pourquoi l’Apôtre Paul dit : «Car je ne sais pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais». Il détestait bien sûr tout ce que la chair exige, toutes les passions, toutes les convoitises. Lui aussi a lutté contre les passions et les convoitises. Il s’efforçait de faire toutes les bonnes choses, mais souvent il ne pouvait pas le faire: les passions de la chair l’emportaient, il ne pouvait pas faire ce qu’il voulait, mais faisait ce qu’il détestait. «Car le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais».
Que dire de nous, infiniment loin de la sainteté de Paul?! Eh bien, que nous sommes constamment dans la lutte contre les convoitises et les passions, qui nous dominent constamment. Qu’est-ce cela? Pourquoi est-il si facile de faire le mal et si difficile de faire le bien? Pourquoi notre chair nous vainc-t-elle si facilement?
Faire le mal est beaucoup plus aisé que faire le bien ; observer le jeûne est beaucoup plus difficile que de remplir son ventre à satiété, sans retenue aucune, observer l’abstinence est bien plus difficile que de s’adonner à la luxure. Et c’est ainsi pour tout : une telle contradiction existe entre les ordres du corps, d’une part, et ceux de l’esprit, d’autre part.
Il y a d’innombrables serviteurs de la chair, car assouvir la chair, accomplir ses ordres et satisfaire ses convoitises procure un plaisir immédiat. Et la joie que reçoivent les serviteurs du bien, la joie que reçoivent ceux qui accomplissent la loi du Christ, on ne la reçoit pas immédiatement, pas de façon aussi évidente, pas aussi clairement, pas aussi directement que la récompense que procure la satisfaction des convoitises. Cette paix profonde de l’âme, cette proximité avec Dieu, qui est la récompense pour les serviteurs du bien, ne suit pas immédiatement, pas directement l’accomplissement du bien. C’est la joie du Saint-Esprit, c’est la paix que nous recevons seulement lorsque toute notre vie est remplie par l’accomplissement du bien.
Ainsi, il est très facile d’obéir aux ordres de la chair, de satisfaire ses convoitises et ses passions, immédiatement après l’accomplissement de ces pulsions et de ces pulsions pécheresses, nous recevons du plaisir. Il est infiniment plus difficile d’obéir aux ordres de l’esprit qu’aux désirs de la chair, et ce service à l’esprit doit durer de longues, longues années avant que le plus merveilleux fruit de l’esprit, la joie et la paix de la conscience, ne soit ressenti.
Vous voyez, c’est précisément ce que dit l’Apôtre Paul dans l’Épître aux romains: «Ne livrez pas vos membres au péché pour être des instruments d’iniquité, mais offrez-vous vous-mêmes à Dieu comme étant vivants, de morts que vous étiez, et offrez-lui vos membres pour être des instruments de justice.» (Rom.6;13). Et ce n’est pas par hasard qu’il parle des membres de son corps car tous les membres sont concernés par les passions.
Présentez-vous à Dieu comme ressuscités d’entre les morts. Il faut d’abord ressusciter d’entre les morts, il faut mourir au péché, il faut être crucifié avec le Christ. Il faut que le monde soit crucifié pour nous, comme pour l’Apôtre Paul (Gal.6;14). Et seulement quand nous nous présenterons à Dieu comme ressuscités d’entre les morts, alors seulement nous pourrons présenter nos membres à Dieu et non au malin, alors nous travaillerons pour le bien et non pour le mal.
Car vous savez que nos membres, les mêmes, peuvent servir le bien ou le mal; vous savez que nos mains peuvent être élevées vers Dieu dans une prière pure et sainte; nos mains peuvent faire l’aumône, prendre soin des malheureux, des défavorisés, des pauvres. Mais elles peuvent participer au vol, à la fornication, et même au meurtre. Nos pieds peuvent avancer sur le chemin du bien, les pieds peuvent nous conduire là où nous devons aider les malheureux, mais ils peuvent aussi mener au meurtre et au vol.
Les yeux et l’ouïe peuvent être disposés à voir et entendre toutes les bonnes choses, mais ils peuvent également être utilisés pour percevoir avec plaisir ce qui est voluptueux, impur.
Ainsi,voyez-vous, vous pouvez orienter vos membres au service du bien ou au service du mal. Alors, pénétrons-nous du désir de servir l’esprit plutôt que la chair. Accomplissons ce que nous commande le Saint Apôtre Pierre : «Bien-aimés, je vous exhorte, comme des étrangers et des voyageurs, à vous garder des convoitises de la chair qui font la guerre à l’âme. Ayez une conduite honnête au milieu des Gentils, afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme si vous étiez des malfaiteurs, ils arrivent, en y regardant bien, à glorifier Dieu pour vos bonnes œuvres au jour de sa visite» (1Pierre 2;11-12). Et aussi pour que vous tous, cherchant à servir l’esprit plutôt que la chair, pour que vous deveniez une lumière pour ceux qui vivent dans les ténèbres.
Voilà notre objectif.
Ainsi, nous servirons tous l’esprit, et non la chair, et nous serons tous des lueurs de Dieu, fût-ce les plus petites, car nous pourrons tous éclairer ceux qui vivent dans les ténèbres, par la lumière de nos cœurs.
Amen.

Traduit du russe

  1. Pp. 105 et 106 du livre « Святой Врач » (Le Saint Médecin) écrit par l'Archidiacre Vassili Marouchak. (Moscou, Danilovskii Blagovestnik, 2013)