Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
23 septembre
Dans la soirée, j’ai reçu un colis de Moscou, de maman.
Hier encore, je fus le dernier à aller voir Batiouchka pour la bénédiction. Sans dire un mot, Batiouchka me conduisit aux icônes, me dit de me mettre à genoux et ajouta: «Il y a les péchés en action, il y a des péchés en pensée. Maintenant, confessez vos pensées». C’était tellement inattendu pour moi que j’en oubliai toutes mes pensées et que je me repentis, seulement de pensées générales, par exemple, les pensées de la chair en général, de la vanité et autres. En réalité, je ne remarque pas chez moi de pensées particulièrement insistantes qui me tracasseraient. Je l’ai dit à Batiouchka. Alors Batiouchka dit encore: «Maintenant, puisque vous vous confessez, repentez-vous de votre propension au rire. Bien sûr, vous avez un caractère joyeux, mais vous devez vous retenir».
Je me suis repenti de ma tendance à rire. Batiouchka m’a dit la prière d’absolution, et je suis rentré chez moi dans ma cellule avec le sentiment de la nécessité de corriger ma vie.
Et le matin, quand je suis venu chez Batiouchka pour mon travail, il m’a dit:
– Vous êtes entré à la Skite par l’intermédiaire de Saint Tryphon. C’est une chose importante. Bien sûr, le Saint Martyr Tryphon a agi par ses prières. Vous devez le prier tous les jours. Pourquoi il a intercédé pour vous, je n’en sais rien. Peut-être faites-vous partie de sa descendance, les saints surveillent attentivement leur descendance. Et savez-vous quelle grâce fut accordée au Saint Martyr Tryphon? Il protège contre les esprits du mal.
– Eh bien, Batiouchka, j’ai lu sa vie avant ma première venue à Optina. Cela m’a plu, mais l’endroit où il est dit que le Saint a ordonné à l’esprit malin de venir sous la forme d’un chien noir, je ne l’ai pas aimé à l’époque, car je n’y croyais pas vraiment. J’avais au sujet des esprits une compréhension des plus abstraites et très artificielle. Et voici ce que je me souviens maintenant: quand je vivais à l’hôtellerie, encore laïc, lors de ma première venue à Optina, un jour, l’un des visiteurs, s’étant attardé quelque part jusqu’à neuf ou dix heures, arriva à l’hôtellerie et vit que la porte était verrouillée. Alors il a frappé à ma fenêtre et m’a demandé de la déverrouiller. Je suis allé déverrouiller, mais je n’ai pas emmené de lumière avec moi. C’était une nuit de printemps sombre (le Grand Carême était en cours). J’ai ouvert la porte et ai attendu que cet hôte entre, pour refermer la porte, et soudain je vis que dans les ténèbres apparaissait une autre ténèbre, comme si cette ténèbre se dirigeait vers moi en montant l’escalier, sous forme de chien noir de taille moyenne. Inclinant la tête un peu sur le côté, il franchissait lentement les marches une patte après l’autre et arrivait presque à la porte. Saisi d’effroi, j’ai claqué la porte et tout a disparu. Quelques secondes plus tard, l’hôte entra; je ne lui ai évidemment pas dit un mot.
– Seigneur! dit Batiouchka, Seigneur!
Et, après s’être tu, il continua: «Fermez Toujours la porte lorsque ce chien viendra à vous. Et il viendra, il ne vous lâchera pas, plusieurs fois il viendra à vous…»
Puis le Père m’a dit ce qui suit… Je ne peux plus écrire maintenant, pas le temps.
26 septembre
Aujourd’hui c’est le jour anniversaire de ma naissance selon la chair, j’ai 21 ans.
Hier, Batiouchka m’a béni avec une icône du Sauveur non-faite-de-main-d’homme. Cette icône a été apportée à Batiouchka de l’église de la Laure de La Trinité-Saint Serge au mois de juillet, le jour de la commémoration de Saint Seraphim de Sarov, le 19 juillet, et j’ai été alors béni avec elle par Batiouchka. Mais il y eut un doute: cette icône avait-elle été bénie? Et il a été décidé de la faire bénir. J’ai acheté un kiot pour l’icône, et le 16 août je l’ai remise pour qu’on la bénisse. On m’a dit qu’après avoir été bénie, l’icône devait, conformément à l’ancien typikon, rester dans l’église pendant quarante jours. Je ne sais pas si c’est juste, mais j’ai décidé de le faire. Et avant-hier, le 24 septembre, il y a eu quarante jours, et Ivanouchka me l’a apportée dans ma cellule tard dans la soirée, et hier, le 25 septembre, le jour de la commémoration de Saint Serge, je l’ai apportée à Batiouchka, et il m’a de nouveau béni.
Voici quelques jours, Batiouchka m’a béni pour rendre visite à ma famille avant mon appel au service militaire, et en général pour aller à Moscou, et entre autre à la Laure de la Trinité-Saint Serge.
Ces jours-ci, Batiouchka m’a parlé plus d’une fois de la séparation à venir, et il y avait tant d’amour dans ses paroles!… Par exemple, le 23, Batiouchka a dit: «J’ai fait beaucoup de plans pour vous, mais ce sera comme Dieu le veut… Peut-être que lorsque vous reviendrez, je serai déjà couché dans le sol humide. Alors, ce sera comme le voudra mon successeur!…»
En outre, Batiouchka m’a dit le 24:
– Quand vous reviendrez, peut-être que je ne vivrai plus ici, mais dans une autre cellule, ou même dans la forêt. Quand vous reviendrez, demandez: «Où est Batiouchka?» On vous dira: «Là-bas quelque part». Vous viendrez à ma cellule, frapperez à la porte, mon auxiliaire de cellule sortira et vous dira que Batiouchka n’accepte de recevoir personne. Et vous direz : «Malgré tout, annoncez-moi tout de même, dites que Nicolas Beliaev est arrivé». «D’accord, je vais vous annoncer, mais il ne vous recevra pas». Il viendra vous annoncer, et tout à coup vous entendrez que quelqu’un bouge en traînant les pieds sur le sol, et un petit vieillard recourbé apparaîtra et dira:
«Frère Nicolas, est-ce bien toi?»
– «C’est moi, Batiouchka. C’est vraiment Vous? Comme vous avez vieilli».
– «Mais dis-moi, comment vas-tu?»
– «Oh, je suis tout dispersé…»
– «Eh bien, rassemblons tout à nouveau, tu vas vivre ici avec moi…»
Mais est-ce possible? Qu’en pensez-vous?
– Bien sûr, c’est possible.
Et Batiouchka m’a étreint contre sa poitrine. Mon cher Batiouchka! Qui pourrait te remplacer auprès de moi?!
Aujourd’hui, Frère Kyrill est arrivé.
A la liturgie, Batiouchka a dit très brièvement quelques mots:
«J’ai le devoir de vous rappeler, frères et pères, en ce jour, fête de Saint Jean le Théologien, qu’il est nécessaire pour tout chrétien, et plus particulièrement s’ils sont revêtus du rang de moine, d’être en paix avec Dieu et avec les hommes. Saint Jean le Théologien dit qu’un homme ne peut pas aimer Dieu s’il n’aime pas son frère, qu’un tel homme est un menteur. C’est pourquoi, frères, en vous rappelant ces paroles de Saint Jean le Théologien, je vous demande de ne pas tenir au secret de votre cœur de la colère contre quelqu’un, mais d’avoir paix et amour pour le prochain.»
C’était la pensée principale et unique, semble-t-il, dans cette brève adresse. Bien sûr, je me trompe peut-être. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.