Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
Samedi 19 décembre
Cette nuit, c’est-à-dire la nuit du 18 au 19, j’ai logé pour la première fois chez Batiouchka, sur le petit divan, sous les portraits des startsy.
Hier, j’ai vu le Père Hiéromoine Gabriel, qui occupe la fonction d’économe dans les bureaux de l’éparchie de Kalouga. Il m’a salué très joyeusement. Cela s’est passé alors qu’il arrivait dans l’entrée de la maison de Batiouchka.
Aujourd’hui, quand je suis arrivé chez Batiouchka, vers deux heures, Batiouchka m’a raconté que peu de temps auparavant, vers dix ou onze heures, il s’était trouvé en danger mortel, voici comment : dans sa confiture se trouvait un morceau de cristal d’aspect sphérique mais avec des arrêtes acérées. Évidemment, si Batiouchka ne l’avait pas remarqué et l’avait avalé, il en serait mort.
Aujourd’hui, j’ai lu le canon et l’acathiste pour Batiouchka car aux complies, on ne lit que le triode.
Ivanouchka a communié aujourd’hui car il ne l’avait pas fait avec la communauté.
Dimanche 20 décembre
Je n’ai rien remarqué de particulier aujourd’hui.
Voici peu, le Père Pavel, de la chancellerie du monastère est venu voir Batiouchka pour discuter de la rédaction d’une lettre en réponse à un certain archimandrite qui avait demandé d’éclaircir le point suivant : au sujet de la tonsure au grand schème, il existe une remarque dans les œuvres de Saint Siméon, selon laquelle tout moine qui n’a pas accédé à ce rang élevé, moine du grand schème, n’est pas moine. Comment alors ne pas penser au monachisme contemporain dans lequel de nombreux moines ne sont pas tonsurés au grand schème, mais seulement à la mantia? Si la remarque ne doit pas être comprise de la sorte, comment faut-il la comprendre?
Batiouchka a répondu ceci : «Je ne sais pas à quel point mon hypothèse est vraie, mais voici ce que je pense: auparavant, il n’y avait ni rasophores, ni tonsurés à la mantia, il y avait seulement le schème. Ces degrés préparatoires, c’est-à-dire le rasophore et la mantia, furent institués par la suite lorsque le monachisme s’était déjà affaibli. Certes, la mantia est un peu différente du schème. Mais avant, il en était ainsi; entrait au monastère celui qui cherchait le salut, il était mis à l’épreuve pendant un certain temps, et s’il s’avérait avoir la bonne volonté nécessaire, si on pouvait s’attendre à ce qu’un moine en sorte, il était immédiatement tonsuré au schème, de sorte qu’auparavant il n’y avait que deux catégories : les novices, c’est-à-dire ceux mis à l’épreuve, et les porteurs du grand schème. D’où il fallait admettre que celui qui n’avait pas été tonsuré au schème était, à l’époque, un simple laïc… Mais je vous répète que c’est mon raisonnement personnel…»
Puis, peu de temps après, à savoir le quatorze décembre, le soir avant la lecture des prières des vêpres, j’ai de nouveau parlé avec Batiouchka du même sujet. Je ne me souviens pas qui a commencé; je crois que ce fut Batiouchka. Frère Nikita était présent aussi.

– Je crois, Batiouchka, que pour clarifier cette question, dis-je, on peut se référer à l’incident suivant: un moine du grand schème et un novice décédèrent, ils furent enterrés comme il se devait. Puis, quand ils furent exhumés après un certain temps, il s’est avéré que le schème était porté par le novice, et le moine du grand schème en était dépourvu. Donc je pense qu’on peut être moine sans avoir été tonsuré au grand schème.
«Cela signifie, dit Batiouchka, que ce novice avait vécu une vie de moine du grand schème, et ce moine du grand schème avait vécu une vie indigne de son rang. Mais cela ne diminue en rien le grand schème. Tout le monde ne peut pas être comme, par exemple, le novice d’Optina, le Frère Élisée, qui avait même le don de commander aux animaux sauvages et d’autres encore, bien qu’il n’ait même pas reçu la mantia. Mais tout le monde n’est pas comme Frère Élisée… La mantia et le schème ont une grande importance; ils donnent à ceux qui les reçoivent la grâce de vivre la vie monastique, la grâce d’accomplir les vœux monastiques. Ici, la mantia et le grand schème sont comme des armes qui sont données au guerrier lorsqu’il va au combat. Il a de quoi affronter les ennemis et se défendre et se battre contre eux. En ce sens, la mantia et le grand schème revêtent une grande force et une grande signification.»
Aujourd’hui, on commémore le Saint Hiéromartyr Ignace le Théophore. Et j’ai justement lu des choses à son sujet dans le livre «Sur les Monts du Caucase», ainsi qu’au sujet de l’Évêque Ignace Briantchaninov, dans le même passage. Tous deux furent de grands pratiquants de la prière de Jésus.
Lundi 21 décembre
Comme d’habitude, j’ai passé la journée chez Batiouchka, aux travaux d’écriture. Je n’ai rien remarqué de spécial. Il est déjà minuit. Je viens de rentrer de chez Batiouchka. À la fin, nous avons discuté un peu.
Batiouchka m’a exprimé ses sentiments les plus sincères d’amour paternel et a soudainement ajouté:
– Batiouchka Anatole, ce grand starets, était particulièrement bien disposé vis-à-vis de moi. Peut-être a-t-il vu que je serais à sa place, à la fois starets et le dirigeant de la Skite. Et, ses prophéties se réalisent jusque aujourd’hui…
Puis j’ai enfilé mon vêtement pour rentrer à ma cellule, et Batiouchka a dit:
– Ne pensez pas que vous êtes arrivé ici par hasard. Non, votre entrée à la Skite est profondément providentielle. Que ferais-je?! Bien sûr, ça irait, mais pas comme ça…
Et juste avant cela, j’étais encore dans le bureau de Batiouchka, et il me souhaita de «me tenir à la droite de Dieu», et d’autres choses du même genre…
Pendant que Batiouchka se lavait, puis revint dans la pièce et essuya son visage avec une serviette, il dit:
– Je suis fatigué, mais j’ai plus de trois fois votre âge, et je pense que vous aussi, vous êtes fatigué?
– Non, je ne le ressens pas, Batiouchka. Une chose que je remarque, c’est que mes jambes faiblissent; parfois, je reste assis, assis, longtemps, mais si je reste debout au moins cinq minutes, alors je veux m’asseoir à nouveau.
— Oui… Mais cela me plaît, dit Batiouchka, cela vous donnera moins d’occasion de vous distraire, et vous vivrez vraiment dans la Skite, comme le Père Guennadi [N.d.E. qui vécut à la Skite plus de soixante ans].
Mardi 22 décembre
Quand Batiouchka s’est allongé pour se reposer, j’étais avec lui. Entre autres, Batiouchka a dit:
– Vous savez, dans les endroits où il y a maintenant des églises, des monastères et des saints sanctuaires en général, il y avait auparavant des temples païens et des idoles. Souvent on lit dans les vies des saints des phrases comme : «Là où se trouvait le temple païen, une église fut construite».
C’est donc ce que Dieu voulait pour la honte et l’humilité de l’orgueil du malin…
Et je me suis souvenu être allé au théâtre-restaurant «OMON» à Moscou, je ne sais pas s’il existe encore maintenant. J’ai entendu dire de lui qu’il était construit sur le site d’une église détruite. C’est ce que j’ai dit à Batiouchka.
– Oui, oui… ce sera le cas dans les derniers temps. Les églises seront détruites et des synagogues juives et des temples bouddhistes, etc., seront construits à leur place. C’est déjà le cas en France… Les monastères seront grandement opprimés et persécutés, les vrais chrétiens seront entassés dans de petites églises… Que le Seigneur ne me laisse pas vivre jusqu’à ce moment-là. Mais vous, vous vivrez, vous serez dans un monastère, qui évidemment persécuté, et donc dans les privations. Je serai déjà couché dans la terre détrempée; et mon petit enfant viendra sur ma tombe et me dira: «Petit papa chéri! Batiouchka Barsanuphe! Aide-moi, prie pour moi, c’est très dur pour moi!» Oui, mon petit enfant, Oui… Lisez-moi quelque chose.»
J’ai lu dans «le Pré Spirituel» comment Abba Serge a donné du pain à un lion de ses propres mains et lui a ordonné de se retirer, afin de ne pas le gêner lui et ses compagnons. Après, je suis rentré dans ma cellule.
J’ai été béni par Batiouchka pour écrire mes lettres habituelles à Moscou. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.