Histoires de la Colline Miteïnaïa. «Telle est la race des ceux qui Le cherchent» (1)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est le début de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Сей род ищущих Господа… Или дороги, которые мы выбираем (Telle est la race de ceux qui Le cherchent… Ou les chemins que nous choisissons). L’auteur, Olga Rojniova, a précisé qu’il s’agissait d’un long texte consacré à son «premier guide spirituel». Il s’agit du Père Savva Roudakov, le confesseur et père spirituel, aujourd’hui encore, du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon, dans le District de Perm. L’original a été publié le 20 avril 2012 sur le site Pravoslavie.ru et repris le 03 mars 2020 sur le site du monastère précité. Le texte est construit sur deux niveaux de présent, celui dans lequel le Père Savva se trouve au moment où il se plonge dans ses souvenirs, et celui de chacun des souvenirs. Ces deux niveaux s’entremêlent et parfois s’unissent; ils sont distingués, dans la mesure où c’était possible, dans la traduction ci-dessous le texte en gris s’applique au temps passé de l’époque des souvenirs, le texte en noir, au temps présent du Père Savva embarqué sur le ferry qui traverse la Tchoussova et qui fait défiler ses souvenir.

Le Père Savva

Des cris et des bruits de bagarre résonnaient dans la cabine du capitaine et roulaient à la surface de la Tchoussova. La porte fragile, heurtée par les protagonistes cognait et tremblait sans cesse et on ne savait trop comment allait se terminer l’accostage sur l’autre rive. Le Père Savva soupira lourdement.
Mais la journée avait pourtant bien commencé. Dans la matinée, il avait rapidement traversé Tchoussova sur le même ferry et rendu visite à une paroissienne malade: il lui a fait l’onction des malades, l’a confessée, et lui a donné les Saints-Dons. Et maintenant, le Père était sur le chemin du retour. Il marchait sur le chemin qui mène au ferry et le doux soleil réchauffait agréablement son dos, mais le vent était encore froid, plein de fraîcheur printanière. Ce vent impétueux soulevait des ondulations de vagues grises sur la Tchoussova qui venait d’être libérée des glaces, et la rivière pouvait enfin respirer à pleins poumons, et elle enflait, débordait même en sa crue printanière. Mais ses eaux demeuraient encore inhospitalières; les rives exhalaient une humidité froide. Mais l’alouette lançait déjà remplie son grand trille par dessus les étendues printanières, et les bourgeons gonflaient. Le printemps, soif de vie, un ciel bleu très haut, le murmure des ruisseaux, et le parfum des merises!
Le Père Savva marchait sans se hâter. Il restait une heure et demie avant que n’appareille le ferry, et puis celui-ci lutterait pas moins de quarante minutes contre les vagues pour se tirer jusqu’à l’autre rive de la Tchoussova, là où sur la Colline Miteïnaïa étincelaient l’or des coupoles de l’église blanche du monastère. L’Higoumène Savva était le père spirituel et le constructeur de ce monastère, et la Colline Miteïnaïa, la Sainte Colline et devenue sa maison, depuis vingt cinq ans. Sans trop savoir pourquoi, il se souvint des jours d’antan. Il marchait le long de la route, chaque buisson en bordure de celle-ci lui était familier, il respirait l’air printanier enivrant à pleine poitrine, et dans sa tête se pressaient les souvenirs, ils flottaient par vagues semblables aux vagues rapides de Tchoussova qui glissaient le long de la route.
Parfois, cela arrive: pendant longtemps, vous ne vous souvenez pas du passé puis, chemin faisant, ou avant d’aller au lit, soudain, les souvenirs débordent et remplissent le cœur par leur netteté et leur fraîcheur, comme s’ils dataient d’hier… Ils surgissent des profondeurs de l’âme, refusent de céder, et vous revivez douleur et joie des jours passés.
Comment lui, un citadin, s’était-il retrouvé dans ce trou perdu? Quand avait-il fait le premier pas sur le chemin qui le conduisit à cette colline soufflée par tous les vents? Il était allé à l’église depuis sa plus tendre enfance, avec sa babouchka bien-aimée … Il alla ensuite à l’école. Les enseignants athées remontèrent la classe contre le gamin croyant. Mais il ne prêtait pas attention aux moqueries et aux outrages, même aux coups… Puis il y eut l’institut des techniques de construction, où il ne cachait pas non plus sa foi. Son père, qui travaillait dans une usine militaire, se jetait sur lui à coups de poings, blasphémait, se plaignit aux autorités, les appelant à l’aider à «sauver son fils perdu dans les réseaux de l’opium religieux». Dans la pratique, après les cours, il se hâtait vers la ville voisine et son église, où le prêtre, voyant parmi la foule des babouchkas un garçon de quinze ans, l’invita, par l’intermédiaire du diacre, à l’autel et lui proposa de devenir serviteur d’autel. C’est ainsi qu’il trouva son premier père spirituel. Son écolage était terminé depuis longtemps. Il vivait avec la famille de ce prêtre, le Père Victor, et aidait à l’église, comme sacristain. Et il était prêt à ne pas quitter l’église; il avait si clairement entendu la Voix de Dieu qui l’appelait. L’Archiprêtre Victor avait deux enfants et il devait dormir dans la chambre des enfants, sur le sol, à côté des berceaux. Pendant deux ans.
Et puis lui et le Père Victor concélébrèrent avec l’Archevêque Athanase qui était venu dans leur ville, et à la fin de l’office, quand tout le monde s’approcha de Vladika pour recevoir sa bénédiction archiépiscopale, le hiérarque bénit le jeune sacristain pour qu’il aille dans la ville principale de l’oblast, à la cathédrale, pour aider en qualité d’hypodiacre.
Voilà donc que le chemin de sa vie prenait un virage serré, inattendu, mais, finalement, normal. Il avait le sentiment que le Seigneur, comme un père aimant, le guidait Lui-même…
Le père Savva sourit, se souvenant de lui comme hypodiacre, à dix-huit ans. Il fit tellement d’efforts! Vladika le traitait comme un fils, mais il arrivait qu’il l’humilie, lui enseigne la patience, la douceur. Un jour, il accompagnait l’Archevêque lors d’un voyage de travail. La chaleur était estivale, et quand le train s’arrêta, Vladika demanda à son hypodiacre:
Serioja, donne-moi un peu d’eau.
Serguei n’avait pas pensé à emporter de l’eau, et dans le wagon, il y avait seulement de l’eau bouillante pour le thé. Vladika s’assombrit et le réprimanda:
C’est comme ça que tu prends soin de ton évêque?! Pas même une bouteille d’eau?!
Mais Serioja ne se senti pas offensé. Il était très contrarié, et pendant tout le trajet jusqu’à Kirov, l’arrêt le plus proche, il fut affligé de ce que son vieux Vladika souffrît de la soif parce qu’il n’avait pas prit soin d’emporter de l’eau. À ce moment-là, il ne sentit pas que lui-même souffrait de la soif, il était prêt à tout supporter autant que nécessaire… À l’arrêt, il sauta du marchepied, se précipita à travers le quai et acheta plusieurs bouteilles d’eau, et de la crème glacée. Ensuite, il revint précipitamment auprès de son protecteur. Et celui-ci eut un sourire affectueux:
Fiston, bois toi-même l’eau! Et moi, je boirai après … et mange la crème glacée!
Serioja se calma, et alors seulement il sentit une soif intense. Et il but l’eau fraîche à grandes gorgées. Et puis, heureux que Vladika lui avait pardonné et ne se fâchait plus, il mangea la crème glacée. Il avait l’impression que ce n’était pas lui qui venait d’acheter cette crème glacée, mais qu’il avait reçu un cadeau de son père spirituel… comme elle était délicieuse, cette crème glacée! Comme il se sentait heureux! Plus tard, il y eut beaucoup de joies et d’afflictions, mais voilà, cette joie précise, il s’en souvint clairement, comme si elle venait de se produire hier! Et il y eut d’autres leçons, comme s’il suivait un écolage spirituel avant de servir dans le sacerdoce. Certaines parmi ces leçons furent très douloureuses, mais toujours il sentit que ce n’était pas le Père Athanase qui le réprimandait ou le bénissait, mais bien le pouvoir apostolique s’exprimant à travers le hiérarque.

Vladika Athanase

D’autres hypodiacres, diacres et prêtres célébraient aussi à la cathédrale. Tous savaient combien Vladika était sévère vis-à-vis de ses concélébrants, comme il aimait que la Liturgie se déroule selon les règles et de façon solennelle. Mais malgré cela, les jeunes ne pouvaient s’empêcher de lâcher l’une ou l’autre phrase, une plaisanterie. Toutefois Serioja lui-même ne parlait jamais ; il se sentait comme aux cieux, et il n’y avait pas de place pour les conversations. Au début des années quatre-vint, les paroissiens de la cathédrale, c’étaient essentiellement les babouchkas, les «foulards blancs». Et toutes, on ne sait trop pourquoi, avaient un faible pour Serioja. Que voyaient-elles alors en lui? Peut-être sentaient-elles comme il aima jadis sa babouchka, dont les prières s’élevaient inlassablement, comme un cierge de prières? Peut-être décernaient-elles perspicacement en lui un bon berger? Les babouchkas vivaient une telle vie… impossible de les suivre… Et voilà qu’un jour, le jeune hypodiacre reçut une dure leçon. Vladika encensait l’autel lors du polyeleos, et lui sortit avec le trikèrion. A ce moment quelqu’un chuchota dans le chœur : «Serioja, c’est le jour de l’Ange de Babouchka Valia!». Alors, il tourna la tête vers la vieille dame assise, qui toujours Chantait au chœur, et dit doucement en guise de félicitation: «Bon jour de l’Ange, Baba Valia!». Faisant demi-tour, ses yeux croisèrent le regard de l’Archevêque, enflammé de colère. Et quand les portes royales se refermèrent, un silence de mort régnait parmi les concélébrant, comme le calme avant la tempête. Et puis, l’orage éclata. Vladika s’assit dans le trône, appela Serioja vers lui et sa voix sonna de manière menaçante:
Tu parles tout le temps pendant la Liturgie!
Et il priva son hypodiacre d’office, lui interdisant l’entrée à l’autel, et le fit sortir. Il ne restait plus que l’obédience au choeur. Au choeur parmi les babouchkas. Et elles, effrayées par la punition de leur favori, n’osaient pas même lever les yeux vers lui. La pauvre Babouchka Valia sanglotait après l’office en disant: «C’est à cause de moi, pécheresse endurcie, que notre Serioja a été interdit d’autel!».
Lui-même se sentait chassé de l’autel, chassé du paradis. Mais à côté de ceux qui compatissaient, il y avait ceux qui ne lui voulaient guère de bien. Certains hypodiacres jubilaient malicieusement, ceux qui se trouvaient là non par leur foi, mais parce qu’ils étaient fils d’archiprêtres. Ils avaient été dévorés par l’envie : comment donc celui-là a-t-il pu devenir hypodiacre alors que son père n’a aucune influence sur l’Archevêque?! Ils l’avaient dénigré auprès du hiérarque, mais celui-ci disposait d’une solide expérience spirituelle, et d’intuition : il connaissait bien les êtres humains et ne prêtait pas attention aux envieux. (A suivre)
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Rencontre avec le monde invisible.(3)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Ksénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Bénédiction pour la vie monastique
Petit à petit, de nombreux jeunes, garçons et filles, apparurent sur la colline. Alors, Batiouchka nous emmena chez le Starets Ioann (Krestiankine), qui était son père spirituel depuis quelques années déjà. Chemin faisant, nous discutâmes à en perdre la voix : «Chez nous ce sera un monastère de femmes!» «Non, un monastère pour hommes!» «Eh bien, nous demanderons au Starets, et ce sera comme il bénira!». Le Père Ioann nous accueillit avec amour. Mais il n’adressa quasi pas la parole aux garçons ; ils restèrent debout près du mur. Il s’adressa immédiatement à nous, les jeunes filles, et se mit à donner des instructions. Il expliqua comment devaient se comporter les moniales, comment devait être un véritable monastère. Il nous bénit pour prendre le chemin du retour et pour la vie monastique, en fait, pour un monastère pour femmes. Et il en fut ainsi. Les garçons qui nous accompagnaient se dispersèrent : les uns se marièrent, les autres devinrent diacres ou prêtres mariés. Mais les sœurs restèrent.
Ma première obédience

L’Higoumène Xénia et sœurs du monastère (Photo : Pravoslavie.ri)

Au début, la vie de notre communauté était très peu organisée. L’hospice a été construit à partir des planches d’un ancien club (Il avait été démonté en ville et un club en briques avait été construit à la place). Toutes celles qui s’étaient installées dans le bâtiment, babouchkas et jeunes sœurs, toutes, nous gelions fortement. En hiver, on se couchait sous les couvertures et on empilait au-dessus un tas de vêtements. Et on comprenait très bien que le lendemain matin, on ne pourrait se lever que grâce à la prière, qui nous réchaufferait. Ma première obédience consista à prendre soin des babouchkas. Personne ne m’avait jamais rien appris dans ce domaine, mais ma maman avait soigné un malade alité pendant cinq ans. Ce ne fut pas difficile pour moi non plus de m’occuper des petites vieilles; je m’efforçais de le faire consciencieusement. De nombreuses babouchkas souffrirent avant leur mort, mais après, elle étaient couchées, toutes lumineuses dans leur cercueil, le visage comme de la cire. Passage de la vie corruptible à la vie incorruptible. Il était clair que leurs souffrances avant de mourir allégeaient leur sort après leur mort. C’était comme le signe de la part de Dieu de ce qu’elles étaient dignes de Sa miséricorde, le témoignage de ce qu’il leur avait été pardonné et qu’elles n’avaient pas souffert en vain. Nous pleurons ceux qui partent, mais le Seigneur nous donne des signes par lesquels nous pouvons comprendre que l’homme a reçu miséricorde. Pour moi, ces signes apparaissent notamment dans le jour précis où survient la mort, et dans la fête qui tombe le quarantième jour… Ainsi juge l’homme, ainsi juge Dieu… Les gens ont besoin de soutien et de consolation. Je me souviens de babouchka Valentina Ogloblina. Elle termina sa vie dans notre hospice. Avant de mourir, elle s’affaiblit notablement. Batiouchka devait partir pour affaires, et intuitivement, il décida de ne pas reporter au lendemain la communion de la malade. Le Seigneur l’avait donc informé et il se rendit auprès d’elle avant son départ, à trois heures et demie du matin, et lui donna les Saints-Dons. Il partit alors immédiatement. Et elle aussi, dès après la communion, s’en alla dans l’autre monde.

Le Père Savva

Maria Beliaeva. On l’amena chez nous déjà alitée. Elle était si douce, le visage rond, joyeux. Elle souriait et plaisantait. Avant de mourir, elle souffrit de fistules si profonde qu’elle atteignaient les os. Elle est morte le soir du Grand Samedi, quand s’ouvrent les Portes Royales et retentit le chant «Le Christ est ressuscité des morts, par Sa mort il a terrassé la mort!».
Une autre matouchka, Valentina, glissait dans la mort alors que le Père Savva était en route. Nous l’avons appelé, il est venu en hâte et a eu le temps de donner la communion. Tous ceux qui ont fini leur vie dans notre hospice sont partis, munis des Saints Dons. Ils étaient des gens extraordinaires, une autre formation, une autre éducation et une foi fervente.
«Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure»
En 1993, la moniale Agnia fut amenée chez nous, elle avait été tonsurée par le défunt Vladika Athanase (1927-2002). Elle était l’une de ces moniales en secret qui furent tonsurées pendant les années de persécution de l’Église. Elle vécut avec plusieurs autres moniales en secret, sous la Cathédrale de la Trinité à Perm, aidant à l’autel et dans l’église. Mère Agnia vécut avec nous pendant quelques années, jusqu’à sa mort. Parfois, nos babouchkas se disputaient entre elles, à l’hospice. Elles se querellaient, qu’y faire ? Avec la vieillesse, toutes les infirmités relèvent la tête, les caractères changent. Mais Matouchka Agnia n’a jamais juré, ne s’est jamais disputée, elle gardait le silence et priait, très douce et humble. Avant de mourir, elle fut tonsurée au grand schème et nommée Hilaria. Notre père spirituel dit qu’aujourd’hui, nous employons les mots «humilité», «douceur», «longanimité», mais nous ignorons ce qu’ils signifient.

Colline Miteïnaïa

Je priai pour que le Seigneur me fasse sentir ce que signifiait être humble et douce. Après ma prière, un moine de l’Athos m’offrit un petit livre d’instructions spirituelles, qu’il me dédicaça de ces mots : «Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure». Je pense que la moniale du grand schème Hilaria possédait cette paix intérieure. Tout comme le mal est concret, la vertu est concrète aussi, et quand l’homme vit une vie spirituelle, il apprend à discerner l’esprit de douceur ou, au contraire, l’esprit d’agressivité, il les ressent. Avant, les gens allaient trouver les pieux héros de l’ascèse et ne voulaient plus les quitter, sentant qu’autour d’eux rayonnait la Grâce Divine. Ils ne parlaient même pas, ils restaient juste à côté d’eux, et ils ne voulaient plus partir de là.
Les enfants spirituels du Père Nicolas Ragozine témoignaient de ce que l’esprit d’humilité et de douceur émanait du Starets. Le simple fait de se trouver à côté de telles gens nous transforme. La surabondance de grâce s’écoule d’elles et se déverse un peu dans notre vase. Chaque matin, je me rends sur la tombe du Père Nicolas et je sens son aide.
«Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire.»

Tombe du Père Nicolas dans la crypte

Peu de temps après mon arrivée au monastère, je tombai gravement malade. Je restait alitée six mois à l’hôpital, sans aucune amélioration. Les médecins m’avaient préparée à l’idée de mourir et voulaient me renvoyer mourir à la maison. Je craignais qu’étant si faible je ne puisse rentrer au monastère, mais le Père Savva me repris. Lors de mon départ, les médecins lui dirent «Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire». Quand Batiouchka me ramena à la Colline Miteïnaïa, des connaissance lui dirent : «Pourquoi amenez-vous une mourante dans votre désert?! Il n’y a quasi rien à manger chez vous!» Pour moi, la maladie était devenue une école de prière. C’est effrayant de regarder la mort dans les yeux. En ces moments, je compris que la prière n’est pas une obligation, mais un cri de l’âme. Chacun a ses tentations, et beaucoup de ceux qui vécurent dans les camps admirent plus tard qu’ils avaient perdu la prière telle qu’ils la pratiquaient dans les camps. Dès lors, la période de ma maladie se déroula de façon profitable. Quand on me ramena au monastère, Batiouchka donna sa bénédiction pour que je reçoive la tonsure monastique puisqu’on ne savait pas dans quel sens les événements allaient s’orienter. J’en suis sincèrement reconnaissante envers Dieu car la tonsure fut pour moi la naissance à une vie nouvelle. Progressivement, et de façon miraculeuse, je retrouvai une bonne santé.
«Tu es le Dieu qui fait des miracles»
Les années se suivent inexorablement et je vis au monastère depuis vingt-sept ans déjà. En 1998, je devins la sœur aînée, et en 1999, la supérieure. Aujourd’hui, je suis higoumène. Quand j’étais une jeune fille, je m’attristais parfois de ce que les miracles de l’enfance étaient loin dans le passé, dans les contes d’enfants. Mais quand je me tournai vers Dieu, les miracles devinrent une partie inséparable de ma vie. Je pouvais le voir même dans les événements de la vie quotidienne. Il suffisait de regarder. Les sages disent : «Tu es le Dieu qui fait des miracles». Et ainsi, ma vie se remplit progressivement de joie, s’ornant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. En effet, si on essaie de plaire à Dieu, toujours Il nous aidera par Ses miracles. La Providence Divine se manifestera en nos vies, nous La verrons et en prendrons conscience.
«Il faut aborder les gens avec discernement»

L’Higoumène Savva (Roudakov)

Je voudrais dire quelques mots sur le père spirituel et confesseur de notre monastère, l’Higoumène Savva (Roudakov). De l’histoire du monachisme et des leçons de la vie moderne, nous pouvons conclure que les monastères féminins qui ont un confesseur et père spirituel sont plus forts. Maintenant, nous voyons comment les monastères de Novo-Tikhvine à Ekaterinbourg, et de Sainte Élisabeth à Minsk prospèrent. Je pense que c’est grâce aux confesseurs de ces monastères, qui non seulement reçoivent la confession, mais s’occupent également des moniales, leur parlent, les nourrissent spirituellement. Chez nous, presque toutes les sœurs ont acquis la foi au début ou au milieu des années ’90 et sont venues au monastère alors qu’elles avaient déjà certaines conceptions profanes qui interféraient avec la vie spirituelle. Nous, les gens élevés à l’époque soviétique, il nous est très difficile de percevoir les vérités spirituelles. Ce qui était autrefois inculqué aux enfants dans la famille: obéissance, crainte de Dieu, amour de la prière, le culte et les Mystères, tout cela doit maintenant être rattrapé à l’âge adulte.
Et selon la parole de l’Apôtre Paul, notre confesseur, toujours avec douceur, «comme un père est pour ses enfants», «priant… persuadant… conjurant, de marcher d’une manière digne de Dieu, qui nous appelle dans Son Royaume et Sa gloire»(1Thes.2, 12).
Batiouchka nous apprend à accomplir les commandements de Dieu dans notre vie, et il dit : «Jadis le pharmacien ne donnait pas des comprimés tout prêts, mais des préparations particulières qu’il exécutait selon la prescription du médecin. A chacun sa poudre, à chacun son emplâtre. De même, toutes les âmes sont différentes. Ce qui est vie pour l’une signifiera mort pour l’autre. Alors, il faut ‘y prendre avec discernement».
Je rends grâce à Dieu de ce que, par les prières et la bénédiction de la Toute Sainte Mère de Dieu et de Saint Tryphon de Viatsk, je vis en ce lieu. Nous conservons au monastère une icône de la Très Sainte Mère de Dieu très vénérée localement, les reliques du Bienheureux Père Nicolas Ragozine reposent ici, et c’est ici que mena son podvig l’Apôtre de la région de Perm, saint Tryphon de Viatsk, et à proximité du monastère se trouvent de saintes sources miraculeuses. Et les gens qui viennent chez nous en retirent grand profit spirituel. […]
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Rencontre avec le monde invisible.(2)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Ksénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Une église, seule au milieu des champs et des bois.

Le Père Savva (Photo : Pravoslavie.ru)

Par la grâce de Dieu, mon chemin vers le monachisme fut court. J’ai reçu la tonsure monastique quand j’étais encore jeune. C’est arrivé comme ceci.
À la fin de l’année scolaire, les professeurs de notre école du dimanche décidèrent de nous organiser un voyage à l’église de Tous les Saints dans la petite ville de Verkhnechoussovka. En 1992, il était difficile d’y arriver: d’abord il fallait prendre un train omnibus, ensuite une micheline pour voie étroite, puis un vapeur pour traverser la Tchoussova, et enfin à pied vers la colline. Nous étions cinq: notre professeur, moi et trois autres personnes.
Quand nous sommes sortis de la petite gare, j’ai aperçu l’église de la Tchoussova sur la rive opposée; et elle m’a semblé extraordinairement belle, tout simplement merveilleuse, une église solitaire sur la colline, parmi les champs et les bois. Nous avons marché jusqu’à l’église où le recteur, le Père Savva (Roudakov) nous accueillit, mon futur père spirituel. Août commençait, et le père venait de rentrer de la fenaison. A côté de l’église, Batiouchka avait fait construire un établissement pour y accueillir les vieux indigents. Une solide communauté de moniales y était active et assurait les soins des pensionnaires.
De remarquables héros de l’ascèse

Monastère vu de la Colline Miteïnaïa (Photo : Pravoslavie.ru)

Plus tard, j’appris qu’on nommait la colline au sommet de laquelle l’église était bâtie, la «Sainte Montagne», ou la «Colline Miteïnaïa», du nom du Bienheureux Miteïka qui venait souvent y prier la nuit dans les temps jadis. J’appris également qu’en ce lieu, le Saint Moine Tryphon de Viatsk (1546-1612), un remarquable héros de l’ascèse avait acquis de nombreux dons de l’Esprit-Saint. Pendant presque un quart de siècle, de 1957 à 1981, le célèbre starets-archiprêtre Nicolas (Ragozine) célébra à l’église de Tous les Saints et y acquit les dons de clairvoyance, de discernement spirituel, et de guérison de l’âme et du corps. À la fin de la vie du Starets, l’isba où il vivait était lézardée et trouée, mais lui, l’ascète, il s’occupait plus de ses paroissiens que de lui-même. Lorsque ses enfants spirituels proposèrent à Batiouchka de commencer la reconstruction, il a répondu que sa vie se terminait et que rien ne serait construit de son vivant. Mais après sa mort, il y aurait un monastère. Et le Père Nicolas parla à ses enfants spirituels du futur monastère, et il montra où il serait construit. Il décrivit même l’apparence de son successeur, le Père Savva, qui a dit de la perspicacité du Starets: «J’étais encore à l’école, et il m’avait déjà vu en esprit».
«Elle est si douce à ma gorge, Ta Parole».
Tout cela, je l’ai appris plus tard. Lors de ma première arrivée à la Colline Miteïnaïa, nous avons dîné, nous nous sommes reposés et sommes allés à l’office de minuit. Je me souviens de ce premier office de nuit de ma vie. Dans cet endroit isolé de l’agitation du monde, dans le silence de la nuit, les mots émouvants du cathisme dix-sept résonnaient : «Elle est si douce à ma gorge, Ta Parole, plus douce que le miel à mes lèvres». Ces mots touchèrent en mon âme des cordes inconnues de moi jusqu’alors. Puis Batiouchka sortit et prononça une homélie sur les bienfaits de la prière de nuit. Mes sensations étaient indescriptibles! Le lendemain, nous sommes allés aux sources saintes de l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan et de Saint Tryphon de Viatsk. Encore de nouvelles impressions dans mon âme!
Un acte sans précédent pour moi

L’Higoumène Xénia (Photo : Pravoslavie.ru)

Je dois dire que je suis par nature une personne calme et timide. Avant mon voyage à Verkhnetchoussovska, je ne pouvais me décider de me rendre seule sans mes parents, à Moscou pour affaires, même si j’étais déjà une fille majeure. Et puis, le troisième jour de son séjour dans la communauté de l’église de Tous les Saints, je m’approchai du Père Savva et lui demandai sa bénédiction pour venir vivre et travailler avec eux. Pour moi, c’était un acte sans précédent.
Batiouchka donna sa bénédiction et je suis retournée à Perm, où j’ai démissionné de mon travail et, le 10 octobre 1992, je venue commencer mes obédiences à la montagne de Miteïnaïa. Je ne savais pas encore que le 10 octobre était le jour de la fête de Saint Savva des Solovki, patron céleste de mon futur père spirituel. Pour mes parents, mon acte était comme un coup de tonnerre dans un ciel dégagé, mais ils sacrifièrent leurs souhaits et leurs rêves concernant mon avenir. Je leur en suis très reconnaissante! Par la suite, certains parents sont venus chercher l’une ou l’autre de nos sœurs, qu’ils essayèrent de persuader de retourner dans le monde, mais mes parents me laissèrent partir, bien qu’ils aient eu beaucoup de mal à supporter mon départ au monastère.
Confesseur et constructeur du monastère

Le Père Savva et la communauté (Photo Pravoslavie.ru)

Au moment de mon arrivée sur la Colline de Miteïnaïa, le recteur de l’église de Tous les Saints, futur constructeur et confesseur de notre monastère, le Père Savva, servait ici depuis cinq ans déjà. Il arriva ici de Perm, sa ville natale, en 1987, directement après son ordination. A son arrivée, il aperçut sur la colline juste une vieille église délabrée et une petite isba branlante. Le poêle tenait à peine la chaleur, et pour se laver le matin, l’eau était gelée dans l’évier. Il n’y avait ni gens ni commodités. Des vieillards se rassemblaient pour l’office, traversant la Tchoussova avec le vapeur. Quand cessait la navigation, la colline était quasiment coupée du reste du monde. L’hiver, il fallait traverser la rivière en marchant sur la glace.

Le Starets Nicolas (Ragozine)

A côté de notre église, sur la colline, se trouve le cimetière, très ancien. Tellement ancien que lors des inhumations, les gens ne remarquaient plus les anciennes tombes, nivelées au raz du sol, et en creusant la fosse, il retrouvaient de vieux bouts d’ossements. Parfois, on les poussait juste à côté; on se préoccupait de ses propres défunts. Le Père Savva partagea avec nous ce qu’il ressentit au début de son sacerdoce ici, comme dans un conte : on se retrouvait littéralement dans une «Soirée du hameau» de Gogol ou dans un film où les «morts se promènent avec des faux». Avec les babouchkas, il récoltait tous ces morceaux d’ossements et leur donnait une sépulture décente. On lui raconta aussi, un peu plus tard, que sous son isba se trouvait aussi un défunt. Et quand les hommes creusèrent une cave pour le Père Nicolas (Ragozine), ils trouvèrent des ossements humains. Quel âge pouvaient avoir ces tombes? Un siècle? Deux? Ils enfuirent tout simplement ces os dans u coin de la cave et continuèrent tranquillement à creuser. Les gens du cru amenèrent leurs morts et le Père Savva célébra les funérailles, des pannichydes. Des hommes costauds, ébouriffés, l’air un peu terrifiant demandèrent de leur voix de basse au jeune prêtre si ce n’était pas trop effrayant de vivre ici. Mais il répondit : «Que craindre des morts? Je prie pour eux».
La présence des prières du starets
Sur la Colline de Miteïnaïa, je ressentis immédiatement la présence des prières de l’Archiprêtre Nicolas (Ragozine) ; tous ceux qui viennent nous voir sentent sa présence. Le Père Savva nous a parlé de l’aide spirituelle apportée par le starets Nicolas. Après la mort du Père Nicolas, deux prêtres avaient essayé de servir ici, mais il n’avaient pu résister à la solitude de ce trou perdu, aux terreurs, à l’absence de vie normale, de gens, de commodités… cela faisait évidemment beaucoup. Le Père Savva connut lui-même l’effroi. Il s’en tira par la prière. Quand ça devenait vraiment trop terrible, il enfilait le rason du Père Nicolas et il célébrait comme ça. Batiouchka ressentit particulièrement l’aide invisible du Père Nicolas pendant sa première liturgie sur la Colline Miteïnaïa, quand, jeune prêtre, il fut saisi d’effroi et de tremblements. Il sentit alors le puissant soutien du Starets. C’était comme s’il se tenait à côté de lui pendant la liturgie, l’aidait, le guidait, le conseillait. La sensation de la présence du Starets était si forte que le Père Savva s’en souvint toute sa vie
Notre monastère commença avec l’hospice.

Monastère et Tchoussova

Notre monastère commença avec l’hospice et avec les babouchkas, dont la plupart étaient des filles spirituelles de l’Archiprêtre Nicolas. Progressivement, toutes devenaient âgées et avaient besoin d’assistance, de soins. Quand le Père Savva allait chez elles pour célébrer l’un ou l’autre moleben, elles se mirent à lui demander, comme après en avoir conspiré : prends-nous chez toi!
Un jour, sur le ferry, Batiouchka approchait de chez l’une de ses babouchkas. Il regarda: la maison donnait sur la Tchoussova. Au printemps, la rivière avait monté, et envahi le sol de la cabane jusqu’à trente centimètres de haut. Elle était allongée sur le lit, la jambe est enflée, ne pouvant marcher. Elle gisait là dans son isba non chauffée et ne pouvait aller chercher du bois de chauffage. Ici, elle allait mourir, et personne ne serait là pour lui fermer les yeux… Batiouchka nous raconta plus tard comme il sortit tout triste de chez cette babouchka et pensa : que faire? Il ne pouvait venir avec le ferry chaque jour chez elle et chez toutes celles qui en avaient besoin. Il n’y parviendrait tout simplement pas. Il se sentait fatigué. Il était allé célébrer de nombreux molebens et autres offices, et il essayait de comprendre ce qu’il pouvait faire. Comment aider. Soudain arriva la solution : il allait effectivement prendre ces petites vieilles chez lui. Pour cela, il allait construire une maison, un hospice. Tout juste à côté de son isba et de l’église, sur la Colline Miteïnaïa. A la façon dont d’autres événements s’étaient déroulés, Batiouchka comprit que là était précisément son obédience; celle-ci lui arrivait par la Volonté de Dieu. Il n’avait pas même l’argent pour construire un petit bania, il ne pensait donc pas à une isba. Mais juste quand il décida de prendre les babouchka chez lui, quelqu’un lui offrit deux mille roubles. Jamais il n’avait tenu autant d’argent dans ses mains! Le Père Savva acheta les matériaux de construction, engagea des ouvriers, et la construction d’un bâtiment en bois commença. Il contenait huit cellules, quatre petites chambres-cellules au rez-de-chaussée et quatre au premier étage. Selon les calculs de Batiouchka, une ou deux pensionnaires pouvaient vivre dans une cellule. La construction n’était pas encore terminé qu’il y amenait déjà la babouchka qui ne pouvait plus se marcher. On arrivait au bout de la réserve de matériaux de construction alors que le bâtiment n’avait pas encore atteint sa hauteur sous toit. Batiouchka se dit : Eh bien nous voilà… Il n’y avait quasi plus d’argent et le bâtiment n’était pas achevé. Mais juste quand l’argent fut complètement dépensé, une nouvelle somme tomba du ciel, suffisante pour payer les ouvriers et continuer la construction. Quand on eut terminé la construction, l’argent cessa d’arriver en pareille quantité, et on se trouva en difficulté; il fallait des cierges, et acheter de la nourriture.
Ainsi, Batiouchka installa les petites vieilles dans ce bâtiment. Et il vécut en leur compagnie. Il célébrait à l’église, allait chez des particuliers pour célébrer des molebens et autre offices, et il prenait soin des babouchkas. Une d’entre elles était une lutteuse qui aidait Batiouchka. Ensuite, le Seigneur lui envoya des babouchkas un peu plus jeunes. Et puis, nous les très jeunes, sommes arrivées : les futures moniales Tamara et Xenia. Nous prîmes soin des pensionnaires et le Père Savva célébrait, de plus en plus de molebens pour des particuliers et des familles, et de nouveaux paroissiens demandaient à être nourris spirituellement par leur pasteur.(A suivre)
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Voir un miracle.

Madame Rojniova

Madame Olga Rojniova a écrit une série de textes relatifs à la communauté de moniales du Monastère, ou ‘Désert’, de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon, situé sur une colline de la région de Perm, qu’elle a intitulés «Histoires de la Colline Miteïnaia». La traduction d’une série de plusieurs de ces textes est proposée sur ce blog. Celle-ci est la troisième. Nous y retrouvons entre autres, le Père Savva (Roudakov), père spirituel de la communauté (et de Madame Rojniova elle-même). Madame Rojniova ajoute dans le présent texte le récit d’événements qui se déroulèrent dans un autre monastère, sur le même thème. L’original de ce texte a été publié initialement le 30 octobre 2014 et fut mis en ligne sur le site du Monastère le 1er mars 2020.

Pour eux s’accomplit la prophétie d’Isaïe : «Vous entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez point ; vous verrez de vos yeux, et vous ne verrez point» (Math.13;14)
«On parle de Dieu, de la foi, de l’Église… Mais pourquoi, aujourd’hui, on ne voit plus de miracles comme dans l’Évangile?! Quand les muets parlent et quand les sourds entendent! Où ils sont, aujourd’hui, les paralytiques qui se relèvent prennent leur grabat et rentrent chez eux sur leurs jambes?! Si je voyais un miracle pareil, je deviendrait tout de suite croyant! Je serais le premier à aller à l’Église!» (Extrait d’une conversation entendue dans un train).
Récit de l’Higoumène Savva (Roudakov)

L’Higoumène Savva (Roudakov)

Et, comme ils ne pouvaient l’aborder à cause de la foule, ils découvrirent le toit à l’endroit où il était, et par l’ouverture ils descendirent le grabat où gisait le paralytique. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : «Mon fils, tes péchés te sont remis»(Mc.2;4-5). Voici quelque temps, j’ai baptisé Youri Alexandrovitch Volkov, un habitant de la petite ville de Vierkhnetchoussovski, l’ancien président du conseil de la bourgade, aujourd’hui pensionné. Ayant reçu le baptême à un âge déjà avancé, Youri a vécu la majeure partie de sa vie hors de l’Église. Étant novice en la matière, il était habité de nombreux doutes, de perplexité. Je priais pour que sa foi s’affermît. Il y a un vapeur qui fait le trajet entre la bourgade de Vierkhnetchoussovski et notre Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon. Et voici peu de temps, Youri Alexandrovitch rencontra un groupe de gens sur le vapeur ; ils accompagnaient un invalide en chaise-roulante. Ils firent connaissance et conversèrent en attente de l’appareillage. L’homme sur la chaise-roulante était un ancien militaire qui avait fait la campagne d’Afghanistan. Pendant la campagne, il servait dans un hélicoptère. Sous le feu de l’ennemi, l’hélicoptère brûla. Il fut le seul survivant de tout l’équipage. Il était plus mort que vif, le corps couvert de blessures, la colonne vertébrale brisée. C’est à peine s’il lui restait un ou deux os indemnes. Il subit donc plusieurs opérations, mais rien n’y fit et depuis plusieurs années, la partie inférieure de son corps était paralysée. Les amis qui accompagnaient l’invalide demandèrent le chemin qui mène à la source de l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan. Youri Alexandrovitch pensa en lui-même: «Pourquoi perdre du temps à ce genre d’efforts? Pendant tant d’années, cet homme a été cloué à la chaise-roulante… cCest très naïf de rêver que le baigner dans une source pourrait l’aider… Juste de l’eau… et de l’eau très froide… et quoi?! En quoi cette eau va l’aider?! Ses amis ont l’air de gars sérieux, et les voilà partis dans une telle absurdité… Eh bien, qu’ils y aillent, ce sera au moins une promenade; les lieux sont pittoresques et le temps est merveilleux, c’est l’été…» Mais il n’en souffla pas un mot, expliquant par le détail comment atteindre la sainte source. A ce moment-là, le vapeur s’approchait déjà de la berge, et ils se séparèrent. Un mois et demi plus tard, Youri Alexandrovitch rencontra de nouveau sur le bateau-vapeur ces gens accompagnant l’ancien soldat d’Afghanistan à la chaise-roulante. Il les regarda avec attention. L’«Afghan» se souleva de sa chaise et se tint sur ses jambes. Et ils avaient tous l’air si heureux… Ils l’accompagnaient une fois encore à la sainte source.
Plus d’un mois s’écoula et Youri Alexandrovitch les rencontra pour la troisième fois. Il s’étonna de constater que l’«Afghan» n’était pas avec eux. Il tombait un crachin d’automne, les vagues froides de la Tchoussova battaient les flancs du vapeur. Manifestement, ils n’avaient pas emmené l’invalide avec eux pour qu’il ne prenne pas un refroidissement dans le mauvais temps…
– Bonjour les gars ! Alors, votre ami est resté à la maison, n’est-ce-pas?
– Comment-ça à la maison! Mais le voici!
A cette réponse Youri Alexandrovitch n’en crut pas ses yeux. Au milieu du groupe se tenait un homme pas du tout invalide, un bâton à la main. Il se mouvait et se déplaçait seul. En trois mois cet homme qui avait été paralysé pendant des années, se tenait sur ses jambes.
Ce miracle fut donc double. Non seulement le paralysé marcha, mais ce que Youri Alexandrovitch avait vu affermit considérablement sa foi.

Récit d’Anna, guide d’excursion du Monastère de l’icône du Sauveur non-faite de main d’homme, à Klykovo
«Alors il dit à cet homme : «Étends ta main» Il l’étendit, et elle redevint saine comme l’autre»
Toutes sortes de gens viennent au monastère pour travailler en tant que volontaire. Même des incroyants, parfois. Des vagabonds, d’anciens détenus juste sortis de captivité. Ils venaient tout simplement parce qu’ils n’avaient nulle part où aller, et au monastère, on les nourrissait et on les logeait. Il suffisait de travailler et on mangeait à sa faim. Un de ces hommes était arrivé depuis peu de temps. C’était l’été et il faisait chaud. Il portait une vareuse de football aux manches courtes. Ses bras étaient couverts de tatouages. Il sortait juste de prison. Non-baptisé, il vivait sans Dieu. Voilà en deux mots sa biographie…
C’est sur le territoire de notre monastère que se trouve la kelia et la petite tombe de la bienheureuse et célèbre staritsa, la moniale du grand schème Sepfora. Elle passa ici la dernière année de sa vie sur terre. Matouchka était clairvoyante. Des guérisons miraculeuses se produisirent alors qu’elle était encore vivante, et elles continuèrent à se produire après sa mort. Elle accorda son aide spirituelle à tous les malades et aux affligés.
Et un jour, ce volontaire se retrouva dans la cellule de Matouchka. On l’oignit de l’huile de la lampade qui brûle dans la cellule devant des icônes. Il présenta son front, à contre-coeur. A quoi cela pouvait-il servir? On lui traça une croix sur le front. Il resta immobile une minute et dit :
– Mais qu’avez-vous fait?! Ma main est en feu!
– Comment-ça, ta main?! C’est sur le front qu’on a tracé la croix!
– Et moi je vous dis qu’un feu brûle ma main!
Il faut préciser que lors d’une bagarre, un tendon de sa main avait été sectionné et son auriculaire ne pouvait plus se tendre; il demeurait courbé. Et il sécha. Progressivement il se dessécha complètement. Seulement l’auriculaire. Mais le reste de la main n’avait plus de force. Il ne pouvait plus rien soulever de lourd, ni même utiliser correctement un pinceau… Et voilà que c’était précisément cette main qui «brûlait». Il regarda : l’auriculaire recroquevillé s’était redressé et redevenait normal! Imaginez cela : un homme coriace qui court comme un bambin, montrant à tous son auriculaire. C’est à peine s’il ne pleurait pas de joie et de tendresse. Il courait rempli de bonheur à travers tout le monastère. Peu de temps après, il se faisait baptiser.
Voilà ce que signifie un appel instantané à Dieu! Pourquoi le Seigneur lui a–t-Il accordé une telle miséricorde? Qui le sait? Peut–être quelqu’un de sa famille, sa maman, sa babouchka, avait-il beaucoup prié pour lui… Matouchka Sepfora eut pitié et par ses prières, non seulement l’homme guérit, mais il devint un baptisé, tous ses péchés appartinrent au passé… Peut-être Matouchka Sepfora avait-elle vu qu’il y avait quelque chose de bon dans son âme… Mais le miracle fut instantané!
Par les prières de nos Saints Pères, Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, aie pitié de nous!
Traduit du russe
Source

Histoires athonites du Père Savva

Dans le texte traduit récemment ici et intitulé «Les traces de Saint Seraphim dans la neige» l’auteur, Madame Olga Rojniova évoquait le récit du pèlerinage de moniales du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Triphon auprès des reliques de Saint Seraphim à Diveevo. Ce désert précité est situé sur une colline de la région de Perm, la Colline Miteïnaïa. Madame Rojniova a écrit une série de textes relatifs à cette communauté monastique, qu’elle a intitulés «Histoires de la Colline Miteïnaia». Selon la tradition, en des temps lointains, on apercevait parfois le bienheureux ‘Miteïka’ en prière, la nuit sur la colline, qui a depuis adopté le nom du ‘bienheureux’. La traduction d’une série de ces textes est proposée sur ce blog. Celle qui se trouve ci-dessous, concerne le Père Savva (Roudakov), père spirituel de la communauté depuis les années ’80 (et qui participa aussi au pèlerinage auprès des reliques de Saint Seraphim). Le Père Savva fut le confesseur et père spirituel de Madame Rojniova elle-même, et il est aujourd’hui encore le Recteur de l’église de ce désert, et de deux autres églises paroissiales situées elles aussi sur cette colline. L’original a été publié initialement sur la page VK de l’auteur et fut mis en ligne sur le site du Monastère le 28 mai 2019.

Première nuit sur l’Athos
C’est en 2000 que j’allai pour la première fois au Mont Athos. A l’époque, la pensée que j’étais le père spirituel et le bâtisseur d’une communauté de moniales me troublait quelque peu. Même si le monastère avait été construit suite à la bénédiction de mon propre père spirituel, l’Archimandrite Ioann (Krestiankine), même si le Starets Archiprêtre Nikolaï (Ragozine) avait prédit sa fondation, j’étais torturé par la pensée suivante : «Mais que fais-je ici sur la Colline Miteïnaïa? Est-ce bien ma place? Peut-être devrais-je abandonner tout ça, car c’est un monastère pour femmes, pour des sœurs, abandonner toutes ces babouchkas et partir au Mont Athos? Mener mon podvig là-bas… Ou alors entrer dans un monastère d’hommes?»
Et puis voilà, c’était ma première nuit sur l’Athos… Je participais à l’office. Trois heures du matin. Le soir, je n’était pas parvenu à somnoler. Cela faisait plus de vingt-quatre heures sans sommeil… Dans l’église, il n’y avait pas d’électricité, les cierges brûlaient, on priait. Il faisait étouffant. La tête me tournait, je sortis dans le porche et m’assis sur un banc. Là, il faisait plus frais, l’air froid arrivait de la cour, mais le son de l’office me parvenait clairement de l’église. Je fermai le yeux et commençai à prier.
Soudain, j’entendis : un vieux moine du grand schème arrivait en traînant les pieds, tout courbé. Il approcha, s’assit dans un coin du porche, sur un banc de pierre. Je ne voyais pas son visage, seulement sa barbe blanche, et il était tout lumineux, il éclairait les ténèbres! Il se signa et me demanda à voix basse :
– Qui es-tu?
– Je suis un hiéromoine.
– Où sers-tu, depuis combien de temps?
– Dans un monastère pour femmes, depuis treize ans.
Il m’interrogeait d’une voix impérieuse, comme s’il disposait de tout pouvoir. J’en perdis le souffle. Je compris que dès ma première nuit sur l’Athos j’entendais ce pourquoi j’avais entrepris ce long voyage : pour que le Seigneur et la Très Sainte Mère de Dieu me dévoilent Leur volonté au sujet de la suite de mon chemin. Et ce moine du grand schème me parlait comme s’il connaissait mes pensées idiotes, comme s’il savait que je voulais quitter le monastère de moniales. Il me dit brièvement et très simplement :
– Eh bien, c’est là que tu vis, restes-y. Ne vas nulle part ailleurs. C’est là que tu dois mourir. Porte ta croix jusqu’au bout, et tu seras sauvé.
Il se leva en silence et s’éloigna lentement, de son pas traînant de vieillard. Je restai assis. Je ne lui avais rien demandé, je n’avais pas essayé d’engager la conversation. Et voilà que dès le premier jour de mon séjour sur l’Athos, le Seigneur me révélait Sa volonté.
Startsy athonites
Oui… Là, sur l’Athos, des startsy mènent leur podvig… Certains d’entre eux restent inconnus du monde entier… Dans le kondakion de l’office aux saint héros de l’ascèse de la Sainte Montagne, on dit : «Menant sur elle la vie angélique»…
On me raconta que dans les années ’70, un groupe de nos prêtres russes arriva sur l’Athos et s’arrêtèrent au Monastère Saint Panteleimon. Ils partirent ensuite en promenade dans les environs et tombèrent sur une skite abandonnée. Ils décidèrent d’y célébrer la liturgie, le lendemain. Ils interrogèrent les frères athonites au sujet de la skite et apprirent que cela faisait longtemps que plus personne ne vivait ni ne célébrait là. Le lendemain donc, ils commencèrent la liturgie, et au cours de l’office ils virent se faufiler dans l’église un petit moine, vieux, très vieux. Il était tellement vieux qu’il ne pouvait plus marcher ; il avançait comme il pouvait à quatre pattes. Même les moines les plus anciens de Saint Panteleimon ne le connaissaient pas. C’était manifestement un de ces moines d’avant la révolution. Il se traîna à sa place et dit d’une voix à peine audible :
– La Mère de Dieu ne m’a pas trompé. Elle m’a promis que je communierais encore une fois avant de mourir.
On lui donna la communion et il mourut sur place, dans l’église. Comment vivait-il? De quoi se nourrissait-il? Il avait reçu les Saints Dons et était parti tout droit vers Dieu et la Très Sainte Mère de Dieu, qu’il avait priés toute sa vie.
A pied sur l’Athos
Après mon premier séjour sur l’Athos et ma rencontre avec le starets, ma folle idée de partir dans un autre monastère, même à la Sainte Montagne, s’évanouit. Quelques années s’écoulèrent… Pendant tout un temps, il fit calme chez nous au monastère. Mais de façon générale, dans la vie monastique, le calme complet ne règne jamais. Si on mène son podvig correctement, si on mène la lutte spirituelle, alors les afflictions et les tentations sont les compagnes inséparables de ce combat. Commença une période de pénibles tentations, intérieures et extérieures. L’arme principale dans le combat spirituel, c’est la prière.Bien sûr, tous nous priions, tout le monastère. Mais il fallait admettre que nos faibles forces de prière étaient insuffisantes. Il fallait une aide, un soutien spirituel. On me donna la bénédiction d’aller prier chez les startsy de l’Athos, là ou le ciel est plus près de la terre, et où s’élève sans cesse la prière pour le monde entier. Jadis, ceux qui faisaient monter leur prière vers Dieu prenaient un vœu, comme par exemple aller en pèlerinage dans un lieu saint ou dans un monastère connu. Ils y allaient, du moins en partie, à pied, afin d’offrir leurs efforts à Dieu. Il me sembla que je devais, pour mon monastère bien-aimé, offrir un effort, un sacrifice. Quand je demandai la bénédiction pour offrir ce genre d’effort, on me bénit pour aller marcher en priant sur le Mont Athos, et de vénérer les trésors sacrés de chaque monastère, d’y prier y demander de l’aide.
Les terribles Karoulias

Les Karoulias

Et au cours de mes pérégrinations sur la Sainte Montagne, je séjournai aux Karoulias. Une «karouli», c’est une poulie, un système de levage à l’aide duquel les moines-ermites, sans descendre au bas des falaises, pouvaient échanger avec les pêcheurs des poissons, du sucre, des olives, etc. contre les produits de leur artisanat. Les Karoulias se situaient à l’extrême Sud de la péninsule athonite, non-loin de Katounakia.
Les Karoulias sont d’inaccessibles falaises, des sentiers très étroits, des kelias désertes, anciens havres d’ermites. Accrochés aux falaises, des nids d’hirondelles et des maisonnettes d’ermites, celles-ci ressemblant à celles-la. Il y a les Karoulias extérieures et les Karoulias intérieures ou «terribles», appelées ainsi car les cellules des moines sont collées aux falaises et pour y parvenir, il faut se hisser, quasiment ramper le long de la falaise en se tirant à l’aide de chaînes et de cordes; c’est très dangereux et absolument effrayant.
Le vapeur de Daphni arriva à son arrêt terminus, les Karoulias, et je descendis sur le quai de béton, l’arsana. De l’arsana un sentier d’escaliers de pierres s’élevait dans la montagne. En montant je découvris les ruines d’une petite église, la paraklisis et la kelia incendiée du célèbre Archimandrite du grand schème Stéphane le Serbe, qui vécut là. A côté se trouvait une grotte, dans laquelle je savais que l’Archimandrite Sophrony (Sakharov), fils spirituel de Saint Silouane l’Athonite, avait mené son podvig. Des Russes vivaient non loin de la kelia qui avait brûlé : le Hiéromoine Elie et un moine. Nous fîmes connaissance. Ils vivaient là depuis deux ans, et ils avaient connu le Père Stéphane quand il vivait encore. J’avais lu à son sujet jadis et voilà que je rencontrais des gens qui me parlaient de lui l’ayant connu personnellement.
L’Archimandrite du grand schème Stéphane des Karoulias
D’origine serbe, il fut antifasciste pendant la seconde guerre mondiale, participant à la résistance. Il raconta comment il avait été arrêté, avec d’autres combattants de la résistance et comment on l’avait condamné à être fusillé. Il fit alors à la Très Sainte Mère de Dieu le vœu selon lequel s’il demeurait vivant, il partirait et deviendrait moine sur le Mont Athos. Quand ils ont commencé à tirer, on l’a poussé et il s’est encouru. Il sentit les balles lui mordre le dos, les bras, la joue, sans lui causer de dommage. Les Allemands ne le poursuivirent pas, ce qui fut également un miracle. Après la guerre, il reçut la tonsure monastique sur l’Athos et mena ici son podvig pendant une petite cinquantaine d’années. Il connaissait plusieurs langues étrangères, écrivit des articles sur la spiritualité, des instruction. Le Père Élie voyait le Starets travailler sur sa terrasse et pendant ce temps, des colombes blanches comme neige arrivaient et se posaient sur ses épaules. Quand il avait terminé d’écrire, soudain, les colombes s’envolaient.

L’Archimandrite du Grand Schème Stéphane des Karoulias

Un jour un ami du Père Élie arriva de Russie et il l’envoya auprès du Père Stéphane afin qu’il demande sa bénédiction. Le Starets était âgé de presque quatre-vingt ans, il avait les yeux bleus comme le ciel. Pendant des années, selon l’usage des moines athonites, il ne se lava pas, mais il ne dégageait aucune odeur. Il mangeait très peu, il préférait les aliments non cuits ; dans sa poche, il avait toujours des vermicelles secs, qu’il mangeait lui-même et dont il nourrissait les oiseaux. Lors de l’Annonciation, de la falaise il fit descendre un filet à la mer et demanda : «Mère de Dieu, envoie-moi un petit poisson». Il remonta le filet et il contenait un poisson, comme à chaque fois.
Quand il répara sa cellule délabrée, un ami lui apporta des matériaux de construction. Cet ami avait une fille de cinq ans, Despina. Et quand le Starets avait besoin de l’aide de son ami, il sortait devant la mer et criait haut et fort: «Despina, dis à papa qu’il vienne me voir, j’ai besoin de lui!» Et la fille accourait vers son père: «Papa, ton Père Stéphane t’appelle». Pourquoi n’adressait-il pas son appel directement à son ami? Peut-être l’enfant, par sa pureté, pouvait-il mieux entendre l’appel spirituel, qui sait… et quand l’ami arrivait, il demandait : «Père Stéphane, tu m’as vraiment appelé?» Et le Starets répondait: «Oui, j’ai demandé à Despina de te dire que je t’attendais».
Dans les derniers temps, il faisait le fol-en-Christ, afin de cacher ses dons spirituels. Quand des Russes approchaient, le Père Stéphane chantait «Les soirées à Moscou». Et quand ils étaient arrivés et qu’il avait fini sa chanson, il préparait du thé pour régaler ses visiteurs. Un ami du Père Élie regardait l’ermite avec méfiance : un vieillard qui chante pareilles chansons, est-ce cela un starets-intercesseur?!
La bouilloire était vieille, noire de fumée. Elle avait perdu sa poignée, restait le pot. Quand l’eau commençait à bouillir, le Père Stéphane prenait la bouilloire entre ses mains et versait l’eau dans les tasses. Les visiteurs étaient stupéfaits et regardaient le Père Stéphane avec effroi : la bouilloire était bouillante. Mais le Starets versait tranquillement l’eau et n’était aucunement brûlé.
Le Père Élie raconta que lorsque les États-Unis bombardèrent la Serbie, le Starets pria avec ardeur jetant toute sa force spirituelle dans la prière au secours de sa patrie. L’affliction s’abattit sur lui avec une force telle qu’il en ressentit de grandes souffrances spirituelles. C’est alors que sa kelia brûla. Y eut-il une cause spirituelle? On ne peut qu’émettre des suppositions. Quand il s’installa dans la grotte voisine pour prier de façon prolongée en faveur de ses compatriotes qui brûlaient dans les explosions des bombes que la grotte elle-même brûla. Père Stéphane mourut en Serbie. Il était rentré dans sa patrie avant de mourir, dans un monastère dont la supérieure était une parente à lui. Il s’endormit dans le Seigneur lors de la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Et celle qu’il avait priée pendant tant d’années accueillit son âme.
Un accueil chaleureux
Le Père Élie me proposa de passer la nuit dans leur cellule. Ils aménagèrent de la place dans l’entrée et me donnèrent un vieille couverture et même un vieux coussin, déchiré. J’étais tellement fatigué que cet accueil me réjouit profondément. La nuit approchait et ayant prié, je me couchai, les jambes dans la grotte et la tête vers la sortie ; ainsi, je pouvais voir le ciel étoilé. Allongé là, je me dis que ce couchage nocturne me rappelais mes séjours d’enfance dans la forêt. Mais bien vite, il apparut clairement que les séjours d’enfance dans la forêt n’ont rien de commun avec les «nuitées athonites». J’avais beaucoup entendu parler des terreurs de l’Athos, et ici, aux Karoulias, j’en pu faire l’expérience personnelle.

Le Père Savva

La nuit débuta par une tempête: bourrasques et vents forts. Les pierres, des bâtons et des copeaux commencèrent à dévaler du haut des falaises. En bas, la mer faisait rage. J’aspirais à dormir, mais je ne parvenais pas à m’endormir profondément et me retrouvai entre veille et sommeil. Je sentis sur mes épaules, sur ma tête, les éclaboussures des vagues, et dans ce demi-sommeil je me couvris la tête avec le coussin déchiré. Les cauchemars s’abattirent. Dans cette somnolence, il me sembla que les moines complotaient contre moi, qu’ils avaient l’intention de me tuer et de me jeter en bas de la falaise. De toutes mes forces je tentais de m’éveiller, et je compris alors qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Et puis ma conscience s’éteignit à nouveau et les ennemis apparurent. Dans mon sommeil, j’entendais comment un des moines sortit de la grotte en passant à côté de moi, et il ne revint pas. L’effroi me saisit à nouveau : ils avaient comploté contre moi. Je tremblais d’effroi et je sentais que je claquais des dents. Le délire cauchemardesque me tortura toute la nuit; c’est le soleil du matin qui le dissipa. La tempête s’était calmée et toutes les terreurs avaient disparu. Il s’avéra que le moine qui était sorti de la grotte avait souffert d’un mal de dents pendant toute la nuit. Il ne pouvait dormir et erra autour de la grotte toute la nuit. Le matin, il partit à la clinique. Le second moine proposa de me montrer les alentours. En chemin, il raconta comment vinrent quatre pèlerins qui avaient décidé de se rendre aux Karoulias intérieures. Comme moi, il passèrent la nuit dans la grotte. Pendant toute la soirée, l’un d’eux raconta qu’il était alpiniste et considérait que le chemin ne l’effrayait pas du tout. Il guiderait les autres qui n’auraient qu’à suivre. Mais au petit matin, quand ils atteignirent le bord de la falaise d’où partait le sentier de la descente, menant aux Karoulias intérieures, la détermination quitta l’alpiniste, et il refusa catégoriquement de poursuivre le chemin. Et ses amis firent demi-tour avec lui. Manifestement, la cause de cette crainte était plus spirituelle que physique, mais la descente abrupte pouvait toutefois effrayer les plus braves.
Traduit du russe
Source

Les traces de Saint Seraphim dans la neige

Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe de Madame Olga Rojniova, publié le 22 janvier 2015 sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agit du récit d’un pèlerinage effectué par un groupe de jeunes moniales accompagnées de leur père spirituel auprès des reliques de Saint Seraphim de Sarov en 1991. Un pèlerinage sur lequel Saint Seraphim veilla lui-même tout particulièrement.

Photo : Pravoslavie.ru

Le voyage ne put se faire qu’à la fin de l’automne, pas le bon moment pour voyager. Le gel fixait la raspoutitsa, la cimentant pendant la nuit. Le matin, les talons battaient le sol durci, mais à midi, ils enfonçaient de nouveau dans les ornières ramollies du chemin de campagne. Prélude à l’hiver: un ciel nuageux, la noirceur des arbres, le silence maussade des oiseaux, les jacassements stridents d’une pie solitaire. Prélude à l’hiver, pressentiment, avant-goût, attente de l’hiver. Un matin, la première jeune neige tomba, cachant le vieux feuillage fané. Elle remplit l’air d’un souffle froid, glacial.
On se tenait sur un terrain vague. Celui-ci était complètement désert, justifiant son nom. Pas de piste, pas de chemin, rien. Là, on ne savait vers où aller. Lire la Suite