Père Valerian : l’histoire de l’humanité a un sens spirituel (3/3)

Le Père Valerian Kretchetov

Le texte ci-dessous est la troisième partie de la traduction de l’entretien tenu le 17 juillet 2019 par Madame Olga Orlova avec le Père Valerian Kretchetov. Le texte original est précédé de l’introduction suivante. A l’occasion du jour lors duquel nous fêtons la mémoire des Saints Strastoterptsy impériaux, nous nous sommes entretenus de la fidélité au Christ et de la démarche par laquelle nous nous faisons héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, avec l’Archiprêtre mitré Valerian (Kretchetov), Recteur de l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu et de l’église des Néomartyrs et des Confesseurs de la Foi, à Akoulovo. Les deux premières parties de la traduction se trouvent ici.

Vladika Alexis (Frolov) disait que dans chaque situation qui nous est envoyée, nous devons justifier Dieu, c’est-à-dire les gens qui nous font du mal, jusqu’à la mort, même la mort sur la croix, comme dans le cas du Tsar et de sa famille, et de tous les nouveaux martyrs. Se condamner soi-même et justifier autrui. Concrètement, cela veut dire tout le monde, depuis le monstre révolutionnaire jusqu’à Dieu?
Que signifie «justifier»? Le mot «jugement» doit être analysé, approfondi. «Enseigne-moi Tes jugements». La justice De Dieu. Comment la comprendre, envers soi-même? Ce qui se passe avec chacun est lié à la personnalité de chacun. Ceux qui souffrent, pour une raison quelconque, ont chacun une souffrance différente. Mais tout ne se résume pas simplement à cela. Il est dit, rappelez-vous: l’arbre de la Croix pousse dans le terreau du cœur. «L’arbre près des eaux courantes», ces passions qui bouillonnent dans notre cœur. Aussi lourde soit notre croix, le bois dont elle est faite, nous l’avons fait croître nous-mêmes. À celui qui s’adonne le plus au labeur, on envoie en conséquence. Lire la Suite

Le Saint Tsar Nicolas II : Son activité ecclésiale. 3

Le Saint Tsar Nicolas II
Eugène E. Alferev (1908-1986) est un historien de l'émigration russe, ingénieur de profession, né dans une famille noble. Il quitta la Petrograd dès octobre 1917 et alla s'établir à Kharbin', ensuite à Paris, à Shanghai et aux États-Unis, où il entra au service de l'ONU, à Genève, d'où enfin il retourna aux États-Unis. Il passa les seize dernières années de sa vie tout à côté du Monastère de la Sainte Trinité de Jordanville. Il consacra dix ans de sa vie à écrire un livre rétablissant la vérité au sujet du «Tsar-Martyr», à l'encontre de l'image d'un autocrate, et donc dictateur, en «fin de cycle», sanguinaire par moment (1905), mais aussi, impréparé, faible, hésitant, mal entouré, malchanceux, retranché dans sa vie familiale aux valeurs devenant désuètes, manquant d'inspiration, prenant de mauvaises décisions.  Le livre fut édité en 1983. Son titre était «Император Николай II как Человек Сильной Воли» L'Empereur Nicolas II en tant qu'homme à la ferme volonté, et son sous-titre : «Материалы для составления Жития Св. Благочестивейшего Царя-Мученика Николая Великого Страстотерпца» «Matériaux destinés à l'élaboration d'une Vie du Pieux Tsar-Martyr, le Grand Strastoterpets Nicolas». Le texte ci-dessous est extrait du chapitre XV du livre, intitulé : «L'Activité ecclésiastique de l'Empereur Nicolas II. La Sainte Rus'. Le rempart apostolique du bien sur terre. Le souhait du Souverain de rétablir le patriarcat et sa disposition à renoncer au service monarchique et à prendre sur lui le podvig du trône patriarcal». Compte tenu de la longueur du chapitre, la traduction sera proposée en quatre ou cinq parties. Compte tenu de sa taille, l'appareil de notes du texte original russe n'a pas été traduit. Elles font largement appel aux travaux de l'historien de l’Église N. Talberg. Voici la troisième partie.
Sainte Anna Kachinskaia

Le 12 juin 1909 on restaura officiellement la célébration de la mémoire de la Sainte Princesse Anna Kachinskaia (l’épouse du Prince Mikhaïl Iaroslavitch de Tver, mort en martyr à Orel le 22 novembre 1318 et arrière-petite-fille de Vsevolod le Grand Nid). On peut lire dans le rapport du 7 novembre 1908, contresigné par le Souverain, et relatif à la seconde glorification des reliques de la Sainte: «Pendant sa vie, elle fut un modèle d’épouse et de mère chrétienne, faisant preuve d’amour chrétien envers les pauvres et les affligés, manifestant une piété discrète et supportant avec courage d’innombrables épreuves». Le Souverain manifesta un vif intérêt et une participation active dans cette procédure. Voici quelques détails de cette histoire. L’invention des reliques de la Sainte Princesse Anna Kachinskaia se déroula le 28 juillet 1649. Le 12 juin 1650, les saintes reliques furent transférées en présence du Tsar Alexis Mikhaïlovitch dans la Cathédrale de l’Ascension de Kachine. Selon une disposition adoptée par le Patriarche Ioakhim, troisième successeur du Patriarche Nikon, le Synode de 1677-1678 mit un terme à la célébration de sa mémoire. Cette disposition fut adoptée parce que la disposition des doigts de la sainte était telle qu’elle effectuait à deux doigts et non à trois doigts le signe de la croix, ce qui était tout naturel puisque le signe à trois doigts avait été institué lors du Concile de 1656 sous le Patriarche Nikon. Avant cela, dans toute la Rus’, à la différence des autres Églises d’Orient, on se signait toujours à deux doigts. Mais alors, logiquement, il eut fallu que l’Église russe se privât alors de tous ses saints, qui avaient vécu avant cette funeste réforme menant à ce raskol qui, par la suite, provoqua des chocs importants et nocifs pour la vie de l’Église et de l’État de notre Patrie. Quoi qu’il en soit, cette erreur stupide, explicable par le seul fanatisme des réformateurs et l’échauffement des passions, fut corrigée environ 260 ans plus tard sous le règne de l’Empereur Nicolas II. La restauration solennelle de la célébration de la mémoire de Sainte Anna eut lieu à Kachine, dans le Cathédrale de la Dormition et dans le rite de l’edinoverié1 . Cet événement exerça une influence sur le rapprochement vers l’Orthodoxie de Croyants du Vieux Rite, car il élimina le reproche selon lequel l’Église Orthodoxe ne glorifiait pas les saints se signant à deux doigts. Lire la Suite

Starets Élie. Sans Dieu, il est impossible de résoudre les problèmes.

Photo : Pravoslavie.ru

Le Starets Elie (Nozdrine), Archimandrite du grand schème, est aujourd’hui âgé de 84 ans. Il fit partie de la communauté monastique de la Laure des Grottes de Pskov, séjourna sur la Sainte Montagne, et contribua au redressement du Monastère d’Optina, et il est le confesseur de Sa Sainteté le Patriarche Kyrill. Une équipe de Pravoslavie.ru est allée le rencontrer en 2016. Le texte de cet entretien a été publié dans les pages russes du site web précité. Voici la traduction, de la première partie du texte original.

Oblast de Moscou, gare de Peredelniko. Il y a toujours foule. Dès le petit matin, les gens affluent de tous les coins de Russie, pour recevoir une bénédiction, prendre conseil, parler, ou juste pour se trouver auprès du Starets Élie. Les histoires relatant l’aide que procurent ses prières circulent parmi les voyageurs. L’un se retrouvait dans une situation inextricable, l’autre avait pris place dans la file et attendait son tour d’être reçu, juste par curiosité. La file était longue déjà. Viatcheslav, l’opérateur, et moi étions restés dans la voiture. Nous vîmes arriver Georges Bogomolov, l’assistant du Starets Élie. Nous le saluâmes et commençâmes à décharger le quadricoptère et notre matériel (…) sans savoir si l’entretien pourrait avoir lieu. Nous voulions entre temps pouvoir donner un aperçu de l’atmosphère qui règne dans ce petit coin de notre pays.
«Vendredi, Batiouchka a refusé la Première Chaîne. Nous verrons comment cela va se passer aujourd’hui », dit Georges. Pendant que nous démarrons le quadricoptère, Georges est assailli par une foule de gens. Il explique quelque chose à une dame visiblement perturbée car elle avait fait une promesse à Dieu, et elle n’allait manifestement pas pouvoir la tenir. Georges lui répondit «Nous ne pouvons faire grand chose, mais pour Dieu, tout est possible. C’est juste que nous avons grandi dans la société communiste des plans quinquennaux, et nous sommes habitués à entendre que si on l’a dit, il faut le faire, un point c’est tout…» (…)
Le bâtiment est situé dans la cour de la magnifique église de la Transfiguration du Seigneur. Elle fit partie de celles, rares, qui à Moscou demeurèrent en activité à l’époque soviétique.(…) Les pèlerins sont rassemblés au–delà d’une grande table. Tous attendent avec ferveur le moment de parler seul-à-seul avec le starets. (…) Les heures passèrent. Le Père Élie peut recevoir les gens jusque très, très tard le soir. (…)

Lire la Suite

Taras Sidash. Qui sont les Vieux-Croyants Unis? 4/4

Taras Sidash et son épouse Sophia Sapojnikova
Taras Sidash et son épouse Sophia Sapojnikova

Edinoverie (Единоверие, prononcé à peu près, ‘yedinəverié’) est le nom de la communauté de Vieux-Croyants de Russie qui sont parvenus à un accord avec le Patriarcat de Moscou, et sous la juridiction duquel ils se sont placés, tout en conservant leurs particularités. On recourt parfois aussi au terme ‘coreligionnaires’  pour les nommer. L’expression ‘Vieux-Croyants Unis’ est la traduction reprise dans le «Dictionnaire russe-français des termes en usage dans l’Église Russe», de l’Institut des Études slaves. Taras Sidash, traducteur du grec ancien, écrivain, philosophe russe vivant à Saint-Pétersbourg, dont nous avons publié la traduction de quelques textes, fait partie de cette communauté de Vieux-Croyants Unis. En décembre 2011, Taras Sidash a accordé un entretien au magazine russe ‘Valeurs Familiales’, au cours duquel  il présente sa communauté, la manière dont les Vieux-Croyants comprennent le schisme, et son analyse, acide, des événements de l’histoire de l’Église. Voici la seconde partie de l’entretien, les trois  premières parties se trouvent ici.

Une École de Formation des Laïcs.
Mais pour servir l’office de façon autonome, il faut suivre une formation. Où est-ce possible?
Dans les séminaires du Patriarcat, évidemment. Chez nous, à l’École de Formation des Laïcs, c’est possible également. Chez les Vieux-Croyants, c’est possible si vous entrez dans la communauté.
Qu’est-ce que l’École de Formation des Laïcs?
L’École de Formation des Laïcs est le séminaire «en chambre» des Vieux-Croyants Unis. Une des raisons de sa création fut la nécessité de maîtriser les anciennes formes liturgiques. Évidemment la différence entre nous et les ‘nouveaux croyants’ dans la représentation de ce qu’est l’Église se fait sentir partout, et entre autre dans le système d’enseignement, c’est pourquoi lorsque j’utilise le terme ‘séminaire’, il ne s’agit que d’une lointaine analogie. Cela ressemble beaucoup plus aux écoles de catéchisme des IIe et IIIe siècles à Alexandrie.
Mais encore?
Dans la mesure où pour nous, la vraie Église est l’Église conciliaire, autrement dit, celle du Vétché, et considérant qu’aucun pouvoir n’est utile à l’Église à l’exception d’une autorité morale, au sein de l’École de Formation des Laïcs, la verticale du pouvoir ‘étudiant-enseignant’ a été supprimée et l’expérience d’enseignement qui s’y déploie est une expérience de vie de l’Église fondée sur la conciliarité. Cela n’a toutefois bien entendu rien à voir avec la familiarité lumpen-prolétarienne ; il s’agit d’une forme d’auto-organisation dans laquelle il n’y a pas d’autre organisation que celle créée par les gens concernés eux-mêmes. Dès lors, dans l’école, les groupes sont petits. De plus, tout qui souhaite enseigner est également obligé d’apprendre, et tout ceux qui veulent apprendre doivent s’efforcer de faire preuve d’une capacité d’enseignant. Ainsi, la rotation des gens ‘à la chaire’ détruit complètement non seulement l’autoritarisme du discours ex-cathedra, inapproprié à une pédagogie démocratique pour adulte, mais également son ombre inévitable, l’aliénation de l’étudiant vis-à-vis de cette même ‘chaire’. Chaque groupe élabore naturellement son programme d’études et s’y tient. Seul le obneumesmodule de ‘Liturgie’ est obligatoire, il reprend le chant Znamenny, le typikon, et le slavon. Tous les autres cours, langues, histoire, théologie, sont déterminés en fonction des possibilités du collectif d’étudiants. Il s’agit d’une pédagogie différente, et elle n’est pas facile à mettre en œuvre du fait que dans le monde contemporain, l’expérience et les habitudes des gens les ont désaccoutumés complètement à être libres, à avoir du temps libre, dont la sacralité est infiniment supérieure à celle du temps de travail. Il est clair que nous allons à contre-courant de l’immense masse de la société et de sa loi de base car la société actuelle de production et de consommation a créé un véritable culte de l’occupation (occupation à produire tout autant qu’occupation à consommer). Nous renvoyons les gens à l’expérience d’un type de vie toute autre. A mon avis, ce qui est essentiel dans la pédagogie de l’École de Formation des Laïcs est l’élaboration de nouvelles habitudes de vie, et après seulement, un savoir nouveau. On commence par être libre, apprécier les loisirs, avoir des loisirs, ne pas les abandonner, à lutter avec le monde pour les conserver, à se priver de tout ce qui n’est pas nécessaire, afin de pouvoir continuer à en jouir. Ensuite, on apprend à consacrer ses loisirs à Dieu (car Dieu n’est extérieur à aucune chose, ni en nous, ni dans le monde, pour autant qu’il s’agisse de choses divines). C’est uniquement dans le cadre d’une telle intention «consacrée», «sacrificielle» (dans le sens védique du terme, dans lequel le sacrifice constitue le centre et le sens de la vie), qu’existe notre école. Ce système pédagogique n’existe dans aucun autre contexte, aucune autre perspective.

La Chapelle
Il est de notoriété publique que vous avez aménagé une chapelle dans votre appartement le long du Canal Griboedov. Pourquoi ? Car enfin, le centre de Saint-Pétersbourg est rempli d’églises, et à deux pas se trouve la Cathédrale Saint Nicolas…
Taras Sidash ChapelleIl existe à Saint-Pétersbourg une seule église des Vieux-Croyants Unis, rue Marat. Sa superficie atteint peut-être 20 m², peut-être moins. Donc, notre chapelle de 12m² signifie un agrandissement de la surface de prière des Vieux-Croyants Unis à Saint-Pétersbourg de plus de 50%. Voilà pour commencer. Ensuite, je suis profondément convaincu de ce que le futur ne se trouve pas dans les églises habituelles, dont on promeut encore la construction à Moscou. Tout ça relève du passé et du mauvais goût du Synode. Le futur, ce sera les églises dans les maisons.
Il convient sans doute de rappeler que pendant tout le Moyen-Age russe, les églises domestiques étaient incomparablement plus nombreuses que les églises publiques. Chaque homme ‘bien-mis’ avait à la maison sa chapelle, ou même une église avec un prêtre ; il s’agissait de formes de piété couramment admises en Russie. C’est pourquoi, quand je vois les hectares de nouvelles constructions et propriétés privées dans la région, sans qu’une seule fut ornée d’une croix, et pas une seule chapelle, sans bien sûr parler d’une petite église, je comprends que le christianisme tel que le connurent nos pères et ancêtres est fondamentalement oublié et n’est pas en train de se redresser… De même dans les villes. Une réelle réanimation du christianisme ce serait une situation dans laquelle on trouverait à l’entrée de chaque immeuble à appartement (dans un seul de ces immeubles vivent autant de gens que dans un village) un homme qui organiserait les offices chez lui. Dans l’entrée ou, naturellement, aux étages.
En réalité, le Patriarcat fortuné restaure la mélancolique Orthodoxie impériale, malgré qu’ils soient déjà nombreux, ceux qui sont enterrés sous ses ruines. Il est impossible d’aimer contre son gré. L’absence de goût, l’ignorance de la théologie, la non-conscience de l’histoire, tout cela n’est pas une hérésie. Et que ceux qui veulent restaurer l’Église impériale aillent dans la multitude d’églises qu’on leur a ouvertes ; nous irons notre propre chemin.
Il semble que vous promouviez le principe du «do-it-yourself» dans la sphère religieuse. Cette décision de vous distancier des «producteurs» épiscopaux ne vous facilite sans doute pas la vie…
Je dirais plutôt, le principe consistant à rendre les choses ‘miennes’. Si l’homme ne fait pas sien le Christianisme, il ne peut appartenir au Christianisme, à l’Église, au Christ. Et le contraire est vrai aussi. Pendant vingt ans j’ai observé ce qu’a fait l’éparchie, et à plusieurs reprises, j’ai même participé à ce qu’elle faisait. Il ne faut jamais construire sur de mauvaises fondations, et l’héritage soviétique était une fondation très mauvaise, tant pour l’État de Russie que pour l’Église de Russie. J’ai fini par comprendre que soit je renonçais à faire quelque chose de cohérent, soit je devais le faire sans me reposer sur les structures de l’éparchie. Il faut encore préciser ce que veut dans ce cas ‘faire soi-même’. La communauté ne peut rien créer ‘d’elle-même’. Il s’agit plutôt de ‘liturgie’ dans le sens littéral du terme, d’une ‘affaire commune’. Mais commune entre les gens et le Seigneur, leur Seigneur. Ainsi, tout ce que j’ai fait ‘moi-même’ fut de proclamer un principe, indiquer le fondement; tout le reste est entre les main des gens (dont les miennes font partie) et de Dieu.
Résumé
Chaque année, à bord de votre petit bateau, vous naviguez sur les grands lacs et fleuves. Quelle impression vous fait la Russie profonde?
J’observe l’infinie dégradation des écosystèmes, des îles brûlées, des kilomètres et des kilomètres de terres salies par les déchets de plastique et de verre, des lacs dont on a pêché tout le poisson, des forêts rasées, des villages misérables dans lesquels il n’y a rien à voir, et à côté, des villas dépourvues de goût, et dont une seule est aussi chère que tout le village ; il est très clair que quand on retirera à ce peuple la terre qu’il a salie, ce ne sera que justice.
Racontez-nous comment vous avez eu la foi qui vous a mené au baptême, et ce genre de choses…
Très vaste sujet. Je pourrais l’expliquer de façon résumée : je suis né dans une famille d’ingénieurs militaires, étroitement liée à la mer. Depuis ma petite enfance j’ai lu avidement, en donnant la préférence aux classiques russes. Pour mon plus grand bonheur, une déficience visuelle m’a interdit l’admission à l’école navale militaire Nakhimov à Saint-Pétersbourg. Je fut baptisé vers 16 ans avec la Taras Sidash 2perspective d’entrer à l’école militaro-politique (à l’époque, j’avais déjà perdu toute illusion à propos du pouvoir soviétique, mais les idées du communisme rejoignaient la manière dont j’imaginais alors des idéaux chrétiens). C’est à ce moment que j’ai commencé à écrire de la poésie. En dixième classe, je rompis avec ma famille et avec l’État, voyant dans l’un et l’autre des défauts identiques et indéracinables. Cela se produisit après une période de volontariat pour les «fouilles » qui furent organisées après le tremblement de terre de 1988 en Arménie. A partir de cette époque, mon christianisme commença a adopter des contours plus ou moins religieux. Pendant deux ans j’ai vagabondé. Je vivais dans les monastères, et comme gardien de bétail, d’Odessa à la Transbaïkalie. Après, j’ai lu Nietzsche. La rencontre avec la philosophie, alors seulement en tant que genre, me terrassa à un point tel que j’abandonnai tout le reste et pour étudier : les langues classiques, la philosophie et la patristique, en même temps. Cela se déroulait en partie à l’Université d’État et en partie à l’Institut de Philosophie et de Théologie, où je fus l’un des premiers étudiants. Ensuite, j’enseignai à quelques endroits, et nulle part je ne parvins à me trouver moi-même. C’est pourquoi je m’évadai vers la terre ; je me mis à travailler dans l’agriculture. Mais je me retrouvai dans une pauvreté extrême. Je commençai alors de longues traductions : Plotin, Julien, Plutarque, Porphyre, Grégoire le Théologien, Dion Chrysostome… Tout cela, au village, ou entre ville et village. Sans cesse j’essayais de comprendre comment il se faisait que non seulement nous souffrons, mais en plus, nous souffrons sans que cette souffrance n’ait un sens. Pendant les dernières années, une réponse à cette interrogation commença à se former en moi. Jamais je n’ai changé de foi ou de juridiction ; le seule changement dont il y ait un sens de parler, c’est celui de mes opinions politiques ; avant que je n’entre chez le Vieux-Croyants Unis, j’étais non seulement monarchiste, mais aussi impérialiste convaincu. Aujourd’hui, je suis complètement indifférent à la politique ; je promeus juste le républicanisme dans le cadre des communautés religieuses. Cela ne signifie pas que je serais désenchanté ; cela correspond à un changement de regard sur l’homme et sa constitution intérieure. Il est possible de parler de cela longuement. Pendant toute ma jeunesse, j’ai vécu ce que je pourrais nommer une religion de la souffrance. Plus tard, elle grandit et devint religion de la connaissance, et voici seulement quelques années je parvins à ce par quoi il faudrait commencer, la religion du regard. Je ne peux expliquer cela ici, mais, ce qu’on nomme «islam» dans la sphère de la volonté, c’est à dire, obéissance et confiance, possède un corrélatif dans la sphère de la contemplation ; c’est ce qu’aujourd’hui j’appelle ‘regard’. Je ne m’accroche pas particulièrement à ce mot, mais revenons sur terre : à quarante ans, je continue à cheminer, sans perdre goût ni à la pensée, ni à l’activité, ni à la beauté des mots. Si le Seigneur bénit, j’espère pouvoir Le louer encore pendant longtemps.
Traduit du russe.
Source.

Taras Sidash. Qui sont les Vieux-Croyants Unis? 3/4

Taras Sidash 3Edinoverie (Единоверие, prononcé à peu près, ‘yedinəverié’) est le nom de la communauté de Vieux-Croyants de Russie qui sont parvenus à un accord avec le Patriarcat de Moscou, et sous la juridiction duquel ils se sont placés, tout en conservant leurs particularités. On recourt parfois aussi au terme ‘coreligionnaires’  pour les nommer. L’expression ‘Vieux-Croyants Unis’ est la traduction reprise dans le «Dictionnaire russe-français des termes en usage dans l’Église Russe», de l’Institut des Études slaves. Taras Sidash, traducteur du grec ancien, écrivain, philosophe russe vivant à Saint-Pétersbourg, dont nous avons publié la traduction de quelques textes, fait partie de cette communauté de Vieux-Croyants Unis. En 2011, Taras Sidash a accordé un entretien au magazine russe ‘Valeurs Familiales’, au cours duquel  il présente sa communauté, la manière dont les Vieux-Croyants comprennent le schisme, et son analyse, acide, des événements de l’histoire de l’Église. Voici la seconde partie de l’entretien, les deux  premières parties se trouvent ici.

L’Hellénisme russe
Les Editions Oleg Abyshko publient votre livre consacré à Ivan Neronov. Pourquoi l’avoir intitulé «Hellénisme russe»?
Il ne s’agit pas d’un petit livre consacré à… C’est, pour la première fois dans l’histoire de Russie, l’édition sous forme de livre des œuvres du grand ascète et des documents concernant les jugements prononcés à son encontre. L’article que j’ai rédigé à propos de ce livre s’intitule «Hellénisme russe». Je Ioann neronovlui ai donné ce titre dans la mesure où j’y montre comment, à travers les œuvres de Saint Jean Chrysostome, les idées de la tradition philosophique hellénistique, surtout stoïque et cynique, atteignirent la Russie. Je montre comment ces idées prirent corps dans les discours et prises de position du bienheureux archiprêtre Ivan. Cette analyse rend possible un regard un peu différent sur cette époque de façon générale et une observation (comme on aurait déjà dû le faire depuis longtemps) du lien entre les traditions philosophiques russes et celles de l’Antiquité, qui s’est tissé à travers ce pan de la théologie byzantine, qui elle-même s’inscrit dans le courant de l’antique philosophie hellénistique.
Effectivement, dans la Rus’, on a eu du mal avec ce genre de choses: «Nous n’avons pas appris les finesses helléniques…» [Expression issue d’un texte manuscrit du XVe siècle. N.d.T.]
Souvent, c’est précisément cela qui induit les chercheurs en erreur. L’hellénisme russe s’est concrétisé dans la vie pratique, de sorte qu’en effet il n’y eut rien de comparable à l’engouement théorique et aux études de la Renaissance. Toutefois, la sphère du discours scientifique est loin de constituer la seule dimension susceptible de relier les époques entre elles. Le Cercle des Pieux Zélotes était composé de gens qui avait grandi dans les mêmes idéaux que les intellectuels chrétiens des premiers siècles du Christianisme impérial, de sorte que les mentions désapprobatrices «hellénique» et «sagesse mondaine»qui parsèment tous leurs écrits ne sont pas du tout «non-hellénistes» ; il s’agit d’un trait incontournable de l’hellénisme, trait qui se fixa dès le début des premiers cyniques. Curieusement, ce point de vue hellénistique se heurta, à travers les ‘savants de Kiev‘, à la vision du monde latine de la Renaissance dans le cadre de laquelle il fut souvent de bon ton d’exalter les Hellènes et en faire des modèles. Il se fit que ceux qui décrièrent les Hellènes furent plus hellénistes que ceux qui les exaltaient. Cet élément échappe régulièrement aux historiens évidemment peu informés des mouvements philosophiques de l’Antiquité et de la patristique à ses débuts, qui y est liée.
Qui considérez-vous comme vos prédécesseurs ?
Je suis un helléniste convaincu et non un byzantiniste. Cet empire bureaucratique me fut toujours profondément étranger. Les gens qui me sont les plus proches sont bien sûr ceux de l’ère de la patristique, ceux, une fois encore, dans la conscience desquels revit et se reflète l’Antiquité : Grégoire le Théologien, Jean Chrysostome, Synésios de Cyrène,… Pour ce qui concerne mes racines russes, je St André d'Oufane ferai pas preuve d’originalité en pensant que les premier Vieux-Croyants Unis furent les  croyants du vieux rite qui décidèrent de lutter contre la réforme, sans pour autant quitter l’Église. Des gens pareils, il y en eut toujours beaucoup. Dans la première génération, nous avons déjà mentionné le plus connu, Ivan Neronov (le moine Grégoire) et l’évêque Alexandre de Viatka.  A une époque plus proche de nous, j’estime surtout l’ascèse du saint martyr André Oukhtomski, évêque vieux-croyant uni de Satka (Oufa). J’ai de l’estime pour la manière dont il confessa sa foi, tant  face au pouvoir athée que devant l’épiscopat siliconé du Patriarche Serge. J’accepte pleinement son républicanisme, tant politique qu’ecclésiologique.

Le Vieux Rite.
Qu’est-ce qui est si beau dans le vieux rite?
Tout d’abord son naturel. Ensuite vraisemblablement sa conformation, c’est-à-dire des proportions parfaitement réglées dans la corrélation des différentes parties. Il est difficile de le qualifier de gracieux, du fait de l’inadéquation de toutes les traductions slavonnes prosaïques de l’original grec poétique. Et de même, la lourde poétique rhétorique byzantine ne me captive pas toujours. De toutes façons, le plus intéressant dans le rite ancien, ce n’est pas sa dimension grecque, mais ce que le fondement grec a fait naître chez nous. Cela concerne le genre mélodique, le rite, la littérature. Le pratiquant de l’ancien rite s’investit en permanence dans les différents niveau de profondeur et d’intensité de ces «réminiscences», car il s’agit de son propre rite et il lui est cher. Manifestement, il n’existe pas pour lui de chemin direct vers le spirituel, c’est-à-dire ce qui d’un côté se situe au-delà des frontières nationales et culturelles, et d’un autre côté s’avère être à leur source.
Les serviteurs du culte «pratiquent» effectivement le rite, mais les laïcs demeurent plantés comme des colonnes pendant tout l’office…
Taras Sidash domaC’est la même chose dans le nouveau rite. Pour tout Vieux-Croyant, l’office divin est littéralement une liturgie, c’est-à-dire une démarche commune. Les laïcs se répartissent dans les chœurs et y contribuent à l’office.Si l’on s’en tient à la tradition liturgique laïque (celle des Pomores), on n’a besoin du prêtre que dans des cas exceptionnels; ce sont les laïcs eux-mêmes qui peuvent et doivent accomplir l’écrasante majorité des offices.
Et il est possible de communier sans prêtre ?
Si les Saints Dons ont été présanctifiés, pourquoi pas? La communion des laïcs sans prêtre était un lieu commun dans l’Église antique, de même dans le monachisme oriental et dans la Rus’ du Moyen-Age. Dans le Grand Potrebnik (Euchologion), il y a même un rituel de la communion avec l’eau de la Théophanie. Le fait que rares sont aujourd’hui ceux qui y recourent, c’est une autre question à laquelle s’ajoute le fait que rares sont ceux qui le savent.

Traduit du Russe

Source.

Taras Sidash. Qui sont les Vieux-Croyants Unis? 2/4

Taras Sidash 5Edinoverie (Единоверие, prononcé à peu près, ‘yedinəverié’) est le nom de la communauté de Vieux-Croyants de Russie qui sont parvenus à un accord avec le Patriarcat de Moscou, et sous la juridiction duquel ils se sont placés, tout en conservant leurs particularités. On recourt parfois aussi au terme ‘coreligionnaires’  pour les nommer. L’expression ‘Vieux-Croyants Unis’ est la traduction reprise dans le «Dictionnaire russe-français des termes en usage dans l’Église Russe», de l’Institut des Études slaves. Taras Sidash, traducteur du grec ancien, écrivain, philosophe russe vivant à Saint-Pétersbourg, dont nous avons publié la traduction de quelques textes, fait partie de cette communauté de Vieux-Croyants Unis. En 2011, Taras Sidash a accordé un entretien au magazine russe ‘Valeurs Familiales’, au cours duquel  il présente sa communauté, la manière dont les Vieux-Croyants comprennent le schisme, et son analyse, acide, des événements de l’histoire de l’Église. Voici la seconde partie de l’entretien, la première partie se trouve ici.

Pour autant que je sache, vous-même faites partie des Vieux-Croyants Unis. De quoi s’agit-il?
Du point de vue formel, l’appellation ‘Vieux-Croyant Unis’ s’applique à un conglomérat de paroisses, communautés et monastères de la ‘Vieille Foi’ qui reconnaissent la réalité et l’efficacité des Mystères [sacrements] du Patriarcat de Moscou. Les Vieux-Croyants Unis s’efforcent de préserver le rituel et l’ordre canonique de l’Église d’avant le schisme. Le dernier document attributif du droit est la «Situation des Vieux-Croyants Unis» datant de 1918. Dans la mesure où les Vieux-Croyants Unis comptent autant d’années que les autres Vieux-Croyants et que les «nouveaux croyants», il est tout à fait compréhensible qu’après tout ce temps, les gens de différents lieux utilisent cette appellation pour désigner des choses différentes. On compta parmi les Vieux-Croyants Unis des traîtres avérés à la cause de la Résistance orthodoxe, achetés par les autorités au moyen, banal, d’argent sonnant et trébuchant. Il y eu des éclaireurs et des partisans qui revêtirent l’uniforme de l’ennemi pas du tout pour servir ce dernier. Il y eu des gens indifférents et las, et d’autres, au contraires qui furent zélés et doués pour l’exploit ascétique. Il y eu des esthètes attirés par la dimension ancienne et des bourgeois traînant stupidement dans leur vie l’héritage vieux-croyant. Si on veut définir les Vieux-Croyants Unis de façon empirique, on obtient un spectre balayant toutes les possibilités. Je conçois les Vieux-Croyants Unis comme un mouvement de Résistance qui tout d’abord veut modifier l’Église patriarcale mais pas sa mort. Ensuite, il n’estime pas que pour atteindre son but, il soit efficace de sortir du Patriarcat de Moscou.
Un changement dans quelle direction?
Dans la direction de la forme de vie en Assemblée (l’Église) de Croyants telle que la créa le Sauveur Lui-même, et qui est décrite dans les derniers chapitres de l’Évangile de Jean.
Bien sûr, on trouve là beaucoup de choses à propos de l’amour… mais concrètement?
Il existe une proposition fondamentale : il n’est possible de connaître le Seigneur qu’en «lisant» sa révélation kénotique, c’est à dire en apprenant à Le connaître dans notre prochain et en mettant en œuvre vis-à-vis du prochain la loi surnaturelle de l’amour. L’amour, dans les derniers chapitres de Prologue de Saint JeanJean, ce n’est pas un sentiment, ce n’est pas quelque chose d’humain, ce n’est pas quelque chose qui pourrait être ou ne pas être. C’est une exigence (un ‘commandement nouveau‘), un acte et un mode d’action, visible et reconnaissable par tous en tant que signe et bannière d’une autre connaissance du monde, de l’homme et de Dieu. Concrètement? Au temps des événements décrits par Jean, naquit la communauté apostolique. Ensuite, toutes les autres ont mis en place les formes au sein desquelles elles souhaitaient pouvoir accomplir ce ‘commandement nouveau‘. Bien entendu, depuis lors, des fonctionnaires ont fait leur apparition dans l’Église aussi. A travers leurs rapports sur «l’état d’avancement de l’incarnation des béatitudes évangéliques dans la vie», ils ont éloigné infiniment la plus grande partie de l’Église de la compréhension de l’Évangile et de la nécessité d’agir. Toutefois, la conscience de l’Église du Grand et Saint Jeudi, la conscience apostolique, cette conscience que le Sauveur Lui-même appela à la vie, ne cessa jamais d’exister; elle ne mourut pas.
Cela signifie que l’Église est une confédération de communautés? Mais l’évêque, vous le casez où?
Aux Vieux-Croyants Unis, Dieu a, en grande partie, fait grâce des évêques… Il y en eu quelques-uns entre 1918 et 1936; des bons. Plus sérieusement, seule une chose est inadmissible: concentrer dans les mêmes mains les pleins pouvoirs en matière de sacré-liturgique et de l’économique-juridique. Dès évêque vieux croyantlors, s’ils le veulent, qu’ils s’occupent de liturgie et de prêche, mais alors qu’ils ne se mêlent pas de gestion ou de jugement et d’arbitrage. Et s’ils le veulent, qu’ils gèrent et qu’ils dirigent, mais qu’ils ne prêchent pas en enseignant et en servant l’office. Ceci relève de l’Évangile et du bon sens. Qu’est-ce que le Seigneur a dit à ses apôtres d’emmener avec eux pour aller annoncer la parole : leur compte en banque, une protection contre les bandits? Je le répète, que ceux qui ne sont pas capables de prêcher comme les apôtres ne prêchent pas. Et il y a encore autre chose. Enseigner autrement que comme les apôtres, c’est un grand péché, pour lequel Dieu punit l’Église et le peuple, même jusqu’à la mort. Tout l’idéalisme prophétique de nos Panurges portant le rason ne suscite qu’une indifférence profonde. Mais eux, de leur côté, sont indifférents à tous, sauf bien entendu aux rangs de ceux qu’ils oppressent. Voilà une face de la pièce. Pour ce qui est de l’autre face, en quoi les évêques seraient-ils pires que des pères-noël municipaux? Il faut permettre à toutes les fleurs de fleurir. Les Anglais entretiennent leur reine, et ses gaillards. C’est bien ainsi. Pourquoi de notre côté n’entretiendrions-nous pas un patriarche? Pour vivre dignement, il faut vivre généreusement. La communauté est incomparablement plus ancienne que l’Église, pas seulement au nombre des années, mais dans son sens. Ainsi, l’épiscopat et beaucoup d’autres «choses ecclésiastiques» ne sont qu’une sorte d’ornement face à la moindre et la plus misérable communauté, pour autant que celle-ci vive selon la parole du Seigneur. Tous ceux qui ne considèrent pas (ou qui ne sont pas obligés de considérer) qu’il s’agit là d’une icône, sont autorisés à en profiter tel qu’il est. Pour ma part, disons que je vois non sans satisfaction un épiscopat bien tempéré. Il ne faut pas augmenter, mais plutôt diminuer le nombre des évêques ; mieux vaut qu’ils soient moins nombreux et meilleurs. Chacun bénéficiera d’un avion de service et dînera chez Lucullus, afin d’assurer le standing ; qu’ils s’achètent donc de luxueux palais, ceux que les excursions peuvent visiter, et qu’ils n’aillent pas se réfugier dans les baraques diocésaines à l’intérieur d’auberge soviétique. Ce sont les princes de l’Église. Et non sa tête. Seulement sa face, son poing, sa bedaine. C’est une affaire d’honneur, que d’engraisser les bons vieux princes de l’Église pur jus.
Pour parler de nouveau plus sérieusement, après que les découvertes de Qumran nous aient amenés à considérer les auteurs de tout le corpus de textes du tout début du christianisme comme des gens qui réfléchissaient tout à fait de la même façon que les autres sectes juives de l’époque, la provenance pré-chrétienne de la dignité épiscopale est devenue claire : dans les communautés esseniennes, ce rang s’appelait mevaqqer. Notre épiscopat n’est pas du tout le descendant des apôtres du Nouveau Testament, mais bien de «l’organe de supervision et de contrôle» d’une secte juive. Il ne s’agit pas de mon analyse ou de mon explication, mais d’un fait tout simple, élucidé dès le départ par notre qumraniste national, I.D. Amusine. Nous souvenant aujourd’hui de cela, l’épiscopat devient quelque chose de semblable à la circoncision: si tu as été appelé par Dieu dans ce genre de conditions, et ce genre d’Église, et bien, vis en celle-ci et n’aie crainte. Si tu es appelé dans une Église et que celle-ci n’a pas d’évêques, cela n’a aucun sens de s’enfuir pour cette raison. La pratique d’une hiérarchie à trois rangs doit être admise, comme toute pratique, dans les limites de l’utilité qu’elle peut présenter.
Quand vous êtes devenu Vieux-Croyant Uni, vous avez recommencé le rite du baptême, vous avez en fait été rebaptisé. La première fois, ce n’était pas vraiment un baptême?
kreshchenieCela revient au même que de demander à un soldat: comment se fait-il que vous, un Russe, ayez prêté serment? Y avait-il un risque de vous voir servir un autre État l’arme à la main? Vos parents vous ont-ils mal élevés? Et le soldat répondrait: non, mais voilà, sans serment, on ne me donnerait pas de fusil, et je ne pourrais pas combattre. Vous lui diriez alors: non, en fait cela signifie que tu pensais que c’était nécessaire parce que tu étais convaincu qu’à la maison, on ne t’avait pas élevé normalement… Il m’apparaît que certaines tautologies rituelles sont admissibles et ont un sens. Le baptême par la triple immersion est une exigence de l’Église chrétienne pour tout qui souhaite y entrer. On admet qu’au cours du temps, il soit estropié d’une façon ou d’une autre. Et si la possibilité existe de rectifier la situation, il faut la rectifier. Ou, disons-le plus gentiment, il n’y a aucune raison de se priver du plaisir de la rectifier. Le malheur consiste en ce que nos contemporains ignorants n’ont en général pas la moindre notion de la rigueur requise de tout temps, dans tout le monde orthodoxe en matière de rite baptismal. Ils ne savent pas que notre actuel libéralisme n’est pas une forme de spirituelle hauteur, mais la conséquence du pragmatisme du pouvoir impérial, qui commença par accueillir dans l’Orthodoxie des hérétiques occidentaux sans les baptiser, et ensuite adopta certaines formes de rite occidental. Tous ceux que n’excuse pas cette ignorance éveillent en moi une profonde incompréhension soit dans la mesure où ils pervertissent consciemment et sans y être forcés une tradition remontant à Jésus, soit dans la mesure où ils ne veulent pas réparer une erreur qui n’a pas été commise de leur faute. (A suivre)

Traduit du russe

Source.