Photo personnelle de l’Archiprêtre Guennadi sur sa page VK

Le P. Guennadi (Belovolov) est le prêtre de la paroisse rurale de Somino, un petit village éloigné de 350 km de Saint-Pétersbourg. Il est également Directeur de l’Appartement-Mémorial de Saint Jean de Kronstadt, et fut l’acteur central de la restauration du Podvorié du Monastère de Leouchino à Saint-Pétersbourg. Dans les textes ci-dessous, traduits de cinq articles qu’il publia entre 2007 et 2017, il nous présente «un exemple limpide de la dévotion populaire». (Le premier texte fut publié sur le site Ruskline.ru, les autres sur les pages personnelles du P. Guennadi). Certaines coupures ont été effectuées dans les originaux afin d’éviter les redites.

La Bienheureuse Maria de Somino

Voici peu, le 2 décembre a marqué l’anniversaire du décès de la grande héroïne de l’ascèse et de la dévotion, la bienheureuse Servante du Sanctuaire, Maria de Somino. Elle mena son combat ascétique, son podvig, pendant trente-trois années, dans l’église des Saints et Prééminents Apôtres Pierre et Paul, de la paroisse la plus éloignée de l’éparchie de Saint-Pétersbourg1, celle du village de Somino, dans le Raïon de Boksitogorsk. Elle vécut jusqu’à l’âge de 82 ans. Pendant ces temps d’athéisme, il était malaisé de trouver des serviteurs de sanctuaire parmi les hommes, et dans de nombreuses églises, ces ‘femmes-myrrhophores’ de l’époque recevaient la bénédiction du recteur pour servir au sanctuaire. La bienheureuse Maria servit avec la bénédiction de l’Higoumène Nicolas (Kouzmine), recteur de l’église de Somino, et par la suite, Supérieur de la Mission Spirituelle Russe à Jérusalem.
On sait aussi que Maria de Somino avait acquis les dons de clairvoyance et de discernement. (…) De nos jours, tous les bons Orthodoxes de Boksitogorsk et de Tikhvine considèrent que Maria de Somino est une bienheureuse. Lors de l’anniversaire de son décès, des pèlerins sont venus des villes et villages environnants, et un car de pèlerins est même venu de Saint-Pétersbourg.
Évidemment, il faut une bonne mémoire pour se rappeler des activités de cette juste. La Bienheureuse Maria (Maria Trophimovna Orekhova), cette héroïne russe de l’ascèse et de la piété, naquit en 1923, dans la ville de Kamychine, le long de la Volga, dans le Gouvernorat de Tsaritsyne (aujourd’hui, Oblast de Volgograd) et décéda en 2006. Toute sa vie, elle observa la vœu de virginité, même si elle ne reçut pas la tonsure monastique. La Bienheureuse entretenait des liens spirituels, ainsi qu’une correspondance avec de nombreux ‘batiouchkas’ vénérés, dont le recteur de l’église de la Très Sainte Mère de Dieu «Coupe intarissable», de l’Usine ATI, l’Archiprêtre Ioann Mironov, qui lui écrivit souvent à l’occasion des fêtes.
On sait également que la Bienheureuse Maria participa à la Grande Guerre Patriotique et travailla ensuite de longues années dans le Nord de la Russie comme poseuse de traverses dans la construction des voies de chemins de fer, où elle fut blessée à la colonne vertébrale et pensionnée comme invalide. La juste d’heureuse mémoire reçut des décorations de l’État, et vint s’installer à Somino où elle s’acheta un poulailler et s’y installa tout simplement, avec la bénédiction de Batiouchka. Elle vivait paisiblement, humblement, dans son poulailler-cellule. La Bienheureuse dédia toute sa vie à Dieu. Elle fit partie des innombrables héros de l’ascèse de notre temps, limpide exemple de la dévotion et de la piété populaire. La Bienheureuse Maria jouissait du don de consoler, et était clairvoyante. De très nombreux témoins se rappellent qu’elle avait le don de discernement; dans de nombreux cas, elle dévoilait des péchés secrets, des afflictions cachées, et les vices dissimulés des gens. Suite à cela, beaucoup la craignaient.

Pannychide sur la Tombe de la Bienheureuse Maria

La Bienheureuse fut inhumée derrière le sanctuaire où elle servit. Avant l’inhumation, son cercueil demeura trois jours dans l’église, et nonobstant le fait qu’on était en hiver, à la veille de la Fête de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu, et qu’il fallait donc chauffer l’église, on ne constata absolument aucune trace de corruption du corps. La dernière accolade à la Bienheureuse fut donnée selon la règle pascale: on l’embrassait trois fois sur ses joues roses et vermeilles , tièdes, comme quand elle vivait. J’avais quinze ans de sacerdoce et j’avais célébré de très nombreux offices de funérailles, mais c’était la première fois de ma vie que je me trouvais face à une telle réelle incorruptibilité.

Vision de Maria la Servante d’Autel, à la Sainte Montagne.

La Bienheureuse Maria de Somino m’apparut en songe sur le Mont Athos, pendant la nuit de l’Élévation de la Sainte Croix du Seigneur. Nous logions à la Skite Saint André. Je n’ai pas l’habitude d’avoir des songes. Là, je vis en rêve la Servante du Sanctuaire Maria, qui accomplit son obédience pendant trente-trois ans. (…) Elle conserva sa virginité mais ne devint pas moniale, alors que cela lui fut proposé à plusieurs reprises. Lorsque je fus ordonné, elle fut ma première Servante du Sanctuaire et m’aida de la sorte pendant quatorze ans. Dans le village, on la disait bienheureuse. Elle décéda le 2 décembre 2006 à 82 ans. Comme elle avait été inhumée derrière le sanctuaire, j’allais souvent prier devant sa tombe, mais ces derniers temps, je m’y étais rendu moins souvent. Et voilà qu’elle se tenait devant moi dans mon rêve. Elle s’avança vers moi en souriant. J’étais ébahi et je lui demandai :«Mais Maria, tu es morte?!». Son sourire s’épanouit plus encore et elle répondit: «Je suis vivante, oui!». Et elle ajouta: «Ceux qui viennent vers moi, sur ma tombe, ils me voient vivante». Je me détournai quelque peu et quand je me retournai, elle avait disparu. A ce moment, je m’éveillai. Je racontai immédiatement mon rêve à André, un compagnon de pèlerinage qui connaissait Maria et qui vénérait sa mémoire. Il me dit : «Vraiment, Maria n’était pas n’importe qui si elle apparaît en songe à la Sainte Montagne». Rentré à Somino, la première chose que je fis fut d’aller à la tombe de Maria. Ayant prié, j’embrassai la croix. J’entendis alors une voix intérieure qui me disait : «Tu vois maintenant, pas n’importe qui, hein!». Seigneur accorde le repos à l’âme de Ta Bienheureuse Servante Maria. Je demande à mes amis et lecteurs de prier pour elle.

Quatre histoires à la mémoire de Maria de Somino.

Aujourd’hui, le 2 décembre, voilà dix ans déjà que décéda la Servante du Sanctuaire Maria. Nous avons célébré une liturgie et une pannychide à cette occasion. Ces dix ans se sont écoulés rapidement et il nous semble que Maria s’en est allée tout récemment. Voici le récit de quelques événements et tableaux la concernant.
Question à la Bienheureuse

Maisonnette de la Bienheureuse Maria

Un jour j’étais assis dans une pièce de ma maison de prêtre et je buvais du thé. La fenêtre donnait largement sur la rue et je voyais les passants. J’étais devenu un observateur involontaire de la vie du village. Cette fois, Maria apparut, dans la rue vide. Elle avançait tout doucettement, portant un seau vide, vers le puits proche de l’église. Elle trouvait que l’eau y était bonne et elle conseillait à tous d’aller s’y approvisionner. Maria marchait à son allure habituelle, penchée vers l’avant, suite à sa blessure à la colonne vertébrale, tenant sa main libre derrière le dos.
Je la regardai et pensai: «Maria, qui es-tu? Dans le village, on raconte tant de choses à ton sujet! Es-tu une femme de Dieu ou une petite vieille comme les autres?» Comme je pensais cela à part moi, je dis soudain à haute voix: «Maria, tu pourrais répondre! Qui es-tu donc?». Je ne sais pourquoi, au même moment, je traçai un signe de croix sur elle, la bénissant à travers la fenêtre. Quelle ne fut pas ma surprise quand, exactement au moment où je prononçais les paroles de bénédiction et la bénissais, elle s’arrêta, posa son seau sur le sol, se tourna du côté de ma maison, leva la tête vers l’église,fit un large signe de croix et fit une métanie. Elle reprit son seau et alla le remplir. Extérieurement, il ne s’était rien produit de particulier, mais je dus admettre que cela me surprit car c’était la réponse à ma question. Poursuivant le dialogue indirect avec elle, je dis alors spontanément: «Voilà donc qui tu es,… même si j’aurais de toutes façons pu le deviner par moi-même…» Dix ans ce sont écoulés. Bientôt, dix autres, en puis dix encore… Nous ne sommes pas éternels. Certains s’en vont dans l’oubli, d’autres entrent dans l’éternité. Il faudrait écrire l’histoire de Maria, tant que certains s’en souviennent encore et peuvent raconter. On doit conserver la mémoire de tels héros de l’ascèse. Je pense que de tels bienheureux, bientôt, il n’y en aura plus. Leur temps est passé. Des temps nouveaux arrivent, mais différents. Voici encore quelques anecdotes au sujet de la Bienheureuse Maria.

Tu seras septième

L’église de Somino. Auteur V. Zagarskikh : https://vk.com/id10711065

Quand j’arrivai à Somino pour la première fois en tant que prêtre, c’était en 1992, Maria me dit, dans l’église: «Entre. Tu seras le septième…». On dit que les gens n’aiment pas quand on les assimilent à des chiffres. On conserve encore des dessins animés sur ce thème, datant de l’époque soviétique. Je réagis intérieurement, un peu à la manière du héros de ces dessins animés, mais je me gardai de le montrer. «Qu’est-ce que cela signifie, septième, Maria?» «Ce que cela signifie? Voici presque vingt ans que j’aide à l’autel. Et j’ai déjà vu défiler six prêtres. Cela veut dire que tu seras le septième». «Alors, c’est bien d’être septième. Sept, c’est un bon chiffre. Dans une semaine, il y a sept jours, il n’en est pas de huitième… Mais pour moi, toi, tu seras la première». Elle eut un rire de satisfaction. Il se fit que pour Maria, je fus le septième et le dernier.

Pour quelle raison tenta-t-on d’éloigner Maria de l’autel?

Je ne prétends pas que Maria fut un modèle d’obéissance angélique. Elle faisait bien des choses «à sa mode», même à l’autel. J’eus bien du mal à la convaincre de certaines choses. De plus, elle n’était pas très agréable envers quelques paroissiens, avec d’autres, elle faisait même preuve d’hostilité. J’ai essayé de la réconcilier avec eux, et il en résultat de sa part un surcroît d’animosité envers eux. Je baissai les bras, ne sachant que faire. Certains habitants me dirent ouvertement: je pourrais et je voudrais aller à l’église, mais je n’irai pas à cause de votre Maria. Elle ne me permettra pas d’entrer. L’idée me vint alors qu’il ne convenait pas qu’une femme serve à l’autel. Cela doit être réservé à un homme. Il faudrait parvenir à l’éloigner. Cela correspondrait aux canons, et il y aurait moins de tentations. Évidemment, je ne racontais rien de tout cela à Maria. J’appelai mon père spirituel et lui fit part de mon intention d’éloigner Maria de l’autel. Mais il répondit immédiatement qu’il s’agissait d’une chose plus sérieuse que ce que j’imaginais et qu’il faudrait au préalable interroger Batiouchka Ioann (Krestiankine). Je compris que le Starets Ioann la connaissait.

Le Starets Ioann

Quelque temps plus tard, mon père spirituel me rapporta sa conversation téléphonique avec le Starets Ioann, qui lui avait demandé de me dire que tant que Maria servira à l’autel, je célébrerai dans l’église. Si je l’éloigne de l’autel, on m’éloignera de cette église. L’église de Somino, au plus j’y célébrais, au plus elle me plaisait, et je ne souhaitais pas qu’on m’en éloigne pour m’envoyer Dieu sait où. Après cela, je posai un regard différent sur Maria. Il m’avait été permis de comprendre qu’un lien invisible me reliait à elle, comme à l’ange gardien de l’église de Somino. Les paroles du Starets Ioann Krestiankine s’accomplirent avec précision. Tant que Maria servit à l’autel, je célébrai dans l’église. Mais le Starets n’avait rien dit de ce qui se passerait après Maria. Après elle, j’ai célébré et encore célébré et je continue à célébrer depuis dix ans. Visiblement, dans l’église, Maria continue à prier pour moi.

Quel Batiouchka est bon?

Père Guennadi à côté de la Tombe de la Bienheureuse Maria

Maria classait les gens en deux catégories: les prêtres et les autres. Les prêtres, elle les vénérait et les aimait de tout son cœur. Elle demandait les prières de tous les batiouchkas. A chacun d’eux, elle ne manquait pas de remettre sa petite liste de noms à commémorer, toujours emballée dans quelque billet de banque. Elle souriait toujours aux batiouchkas et plaisantait avec eux comme avec de vieilles connaissances. Parfois, je l’interrogeais : «Comment se fait-il que tu connaisses ce Batiouchka?». C’était la première fois qu’on le voyait. Elle considérait que tous les prêtres étaient bons. N’en disait-elle que du bien? «Ce Batiouchka, il est bien». «Et celui-là?», demandais-je. «Celui-là, il est bien». «Et untel?», questionnai-je. «Il est bien». «Et lequel est mauvais?». «Les batiouchkas, ils sont tous biens». Je la contredis : «Non, Maria, je sais que moi, je suis un mauvais prêtre». «Non, Batiouchka, tu n’en sais rien. Tu es un bon batiouchka. Tous les batiouchkas sont biens. Je prie pour eux. Et je prie pour toi». Et en effet, elle récitait chaque soir une prière particulière pour tout le clergé.
Un jour, des paroissiens me racontèrent qu’à Somino servit un batiouchka, le Père N., qui avait un penchant affirmé pour les spiritueux. Quand il avait bu plus que de raison, il lui arrivait d’offenser Maria par des paroles grossières et même de lever la main sur elle. Un jour, j’orientai la conversation vers ce sujet et demandai : «Et le Père N., il lui arrivait de t’offenser?». Elle se tut, réfléchit et finit par répondre : «Non, Batiouchka, le Père N. ne m’a pas offensée. Il était bon. Je te répète que tous les prêtres sont bons; ils servent Dieu». Ainsi, jamais je ne l’entendis prononcer fut-ce un mot jugeant même un seul prêtre.
Ses rapports avec tout le reste des gens variaient selon les mérites qu’elle attribuait à chacun. Elle en aimait certains et entretenait des relations plus que critiques avec d’autres. Elle s’autorisait des propos franchement désagréables, qu’elle infligeait à la face de son interlocuteur. Dès lors, d’aucuns préféraient éviter son voisinage. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui, dix ans plus tard, même ceux qu’elle offensa et rudoya, s’inclinent avec amour devant elle et racontent comme Maria les aimait.

Comment la Bienheureuse Maria de Somino morigéna un iconographe.

La Maisonnette en février 2018

En ce samedi des défunts, je voudrais faire mémoire de notre bienheureuse Servante du Sanctuaire Maria. Lorsqu’il m’arrive d’être triste, je pense à elle, et je ressens de la joie au cœur. Mais cette fois, ce n’est pas parce que je suis triste que je souhaite parler d’elle, mais pour commémorer en ce jour celle qui plut à Dieu. Elle aimait beaucoup les samedis des défunts. Surtout celui de la Trinité. Elle s’efforçait de communier à ces occasions, alors qu’habituellement, peu de gens le font ces jours-là.
Je me souviens du jour où Maria donna ses instructions à un iconographe (dont je tairai le nom). Un beau jour, un iconographe renommé voulut venir me voir, à la paroisse de Somino. Je me réjouissais d’autant plus de la visite de cet hôte qu’à cette époque, je n’avais ni voiture, ni permis, alors que lui se déplaçait dans un vieux camping-car, et qu’il put m’emmener jusqu’à ma lointaine paroisse. Chemin faisant, nous eûmes largement le temps de causer de l’église, des paroissiens, et bien entendu, de la Bienheureuse Maria. Mes récits l’intéressèrent car il la vénérait depuis longtemps. «Et je vais donc pouvoir parler à votre Bienheureuse? Peut-être pourra-t-elle prier pour m’aider à trouver des commandes. Aujourd’hui, les temps sont durs. Il faut peindre, peindre, et puis, ça ne rapporte rien…» Il commença à se plaindre de la vie pénible des iconographes. «Oui, vous pourrez sans doute lui parlez, mais soyez prudent…», l’ai-je prévenu. Après quatre heures de route, nous atteignîmes Somino. Je ne sais quelle intuition avertissait Maria de mes arrivées et la poussait à m’attendre chaque fois près de l’église. C’était souvent ainsi, j’arrivais et elle se tenait sur le replat devant l’église, bien plantée sur ses jambes, les mains comme d’habitude, derrière le dos, le visage illuminé par un large sourire plissé dans lequel disparaissaient ses yeux et ornementé par les quelques rares dents qui lui restaient. Je pensais alors, voici l’ange-gardien terrestre de l’église de Somino, qui sait tout sans devoir en être averti.
Cette fois, à peine étions-nous sortis de la voiture que nous vîmes Maria, venue nous attendre sur le bout de pré à côté de l’église. Mais j’observais immédiatement que lorsqu’elle aperçut le célèbre iconographe, le sourire disparut de son visage. Il me chuchota: «C’est ça, votre Bienheureuse?» et avança vers elle. Il sourit d’un air doucereux, observant son visage. Il la toucha, voulant passer son bras derrière elle et lui poser sa main sur l’épaule pour lui donner l’accolade. Malheureusement, j’avais oublié de le prévenir de ce que Maria aimait le moins au monde, c’est qu’on la touchât. Elle repoussa catégoriquement cette tentative et commença à s’irriter et s’énerver, sur le point d’entamer une querelle. Seuls ceux qui lui étaient les plus proches étaient autorisés à lui donner l’accolade et l’embrasser. Je faisais partie de ces privilégiés. Elle repoussa sévèrement le bras de l’homme et dit : «C’est quoi ces manières?» Plutôt refroidit, l’iconographe répondit : «Eh bien Mariouchka, je suis iconographe, je peins des icônes». «Ne me regarde pas avec des yeux pareils. De toutes façons, tu ne deviendras jamais riche». Lui et moi fûmes ébahis par cette réplique, puisqu’en chemin, il venait de me m’expliquer combien il lui était nécessaire de gagner assez bien d’argent. Nous nous regardâmes sans rien dire. Un silence gênant s’installa. Maria restait plantée là, immobile comme un mur. L’iconographe célèbre rompit le silence: «Maria, prie au moins pour moi». «Oui, je prie pour tous. Batiouchka priera pour toi. Pourquoi m’as-tu interpellée?». Une femme qui avait partagé le voyage avec nous lui dit, derrière lui :«Donne-lui un peu d’argent, et elle priera». Il tira de sa poche un billet de cent roubles et voulut le fourrer dans la main de Maria. Elle retira sa main comme si elle s’était brûlée. «Et pourquoi ça?» «Pour que tu pries pour moi, Maria» «V’la qu’tu penses qu’j’ai jamais vu de l’argent! J’ai le mien et j’ai pas besoin du tien. T’en as plus besoin que moi!» Et le billet de cent roubles resta dans la main de l’iconographe. J’essayai de détendre l’atmosphère et dit à Maria que demain, il y aurait une liturgie et des invités à la maison pour le thé. «Pourquoi elle est si dure? Impossible de parler avec elle.» «J’avais dit que c’était possible, mais qu’il fallait être prudent». Que voulut dire la Bienheureuse Maria de Somino à l’iconographe? C’est à vous de juger. Sur le chemin du retour, il se garda bien de parler de commandes. Il me laissa les cent roubles, pour que je prie pour lui. Et donc, depuis lors, je prie pour lui, selon l’instruction de Maria. Il n’est pas devenu riche. Maria l’avait annoncé. Et pourtant, il peint énormément d’icônes, et elles sont belles. Certaines sont placées au Podvorié de Leouchino. A Somino, nos vieilles icônes nous suffisent. Éternelle mémoire à la Bienheureuse Servante du Sanctuaire Maria.

La maisonnette de Maria

L’intérieur de la Maisonnette de la Bienheureuse Maria

(…) A ce jour, personne n’a jamais rien écrit à propos de la maisonnette de la Bienheureuse Maria. Elle vient d’ouvrir ses portes pour la première fois aux visiteurs, à l’occasion de la Fête des Saints Pierre et Paul.(…) Au sens spirituel, il s’agit d’un événement des plus importants dans la vie du village, et de notre Fête, car il ne s’agit pas de l’inauguration d’une quelconque nouvelle bâtisse, mais de l’ouverture de notre sanctuaire. En effet, la Bienheureuse Maria est à Somino ce que la Bienheureuse Matrone est à Moscou. Chez nous, à Somino, on dit: «Vous à Moscou, vous avez Matrone, nous, à Somino, nous avons Maria». (…)
Elle me raconta plus d’une fois comment elle se retrouva à l’autel de l’église de Somino. (…) Un jour, alors qu’elle travaillait dans le Nord et vivait au village de Tchagoda dans l’Oblast de Vologodsk, elle vint à Somino participer à la Liturgie de la Fête de la Trinité. Cela se passa dans les années ’70, quand l’Higoumène Nicolas Kouzmine était recteur de l’église. Au moment de l’office, le Père Nicolas sortit du sanctuaire et, regardant l’église, il aperçut Maria, debout avec son rameau de bouleau, et lui dit: «Maria, viens avec moi dans le sanctuaire, tu vas m’aider…» Elle fut extrêmement surprise qu’il l’appelât par son prénom, car elle ne le connaissait pas, et il ne la connaissait pas.
Il pénétra dans le sanctuaire et fit une grande métanie. Ensuite, il lui dit: «Prends l’encensoir et allume-le avec des braises du poêle…» «Mais comment pourrais-je aider; je ne connais pas l’office?» «Tu apprendras tout. J’ai besoin de toi à l’autel…». Depuis ce jour, qu’elle considérait comme le plus important dans sa vie, elle servit 33 ans dans le sanctuaire. Elle vénérait la Fête de la Trinité comme une «Pâques verte» et disait d’elle-même: «Je viens de la Trinité!». Quand je lui demandai un jour quand tombait sa fête onomastique, elle répondit :«A la Trinité».«Maria, quel est le jour de ta naissance?» «A la Trinité…». Il m’arriva de lui demander «Pardonne ma curiosité, Maria, quel est ton nom de Famille?» «Troïtskaia. Je l’ai déjà dit, je viens de la Trinité». Son nom était Orekhova. Parfois je l’appelais ainsi: Maria Troïtskaia.
Maria venait de Tchagoda pour participer aux offices. Mais l’autobus arrivait à la dernière minute et il eût fallu arriver au sanctuaire plus tôt que le prêtre. Elle s’enquit de la vente éventuelle d’une maison à Somino. Mais une maison normale revenait à plusieurs milliers de roubles. «Aie, ça c’est cher!» «De combien d’argent disposes-tu?» «Eh ben, j’ai cent roubles…» «Mais que veux-tu acheter pour cent roubles?» Quelqu’un dit qu’il avait un poulailler, vide, avec un petit jardinet et qu’il était prêt à le lâcher pour cent roubles. Elle acheta le poulailler, l’enduit de glaise, y installa un poêle et y vécut trente ans. On lui attribua même un numéro cadastral. J’ai souvent été invité dans la maisonnette de Maria. Elle me paraissait sortir tout droit d’un conte. Malgré son exiguïté, elle était accueillante et agréable. Maria aimait beaucoup sa maisonnette, elle aimait y recevoir des invités, et leur servir du thé. On conserve encore son petit samovar.
Lorsqu’elle mourut, il s’avéra que de son vivant, elle avait pris soin d’établir un testament léguant sa maisonnette à l’église. J’avoue que je ne savais que faire de la maisonnette. Mais les gens qui affluaient lors de notre foire annuelle avancèrent une suggestion. Certains s’intéressaient à la vie de Maria. Pourquoi ne pas les accueillir là où elle vivait, puisqu’elle aimait recevoir des hôtes? On remit la maison en ordre, elle fut nettoyée, et lavée, car personne n’y avait vécu pendant dix ans. Cela fut pris en charge particulièrement par la «compagne de cellule» de Maria, Nina Pavlovna, qui avait pris soin d’elle jusqu’au tout dernier de ses jours et qui pleure chaque fois qu’elle s’arrête devant sa petite tombe, aujourd’hui encore. La maisonnette se mit à revivre sous les yeux de tous. Pour la fête, je demandai que l’on accroche au mur une grande photographie de Maria, pour que ceux qui ne la connaissaient pas vissent son visage. Et il est suffisamment parlant. La maisonnette demeure ouverte pendant toute la foire. Ils sont nombreux à venir observer la mystérieuse isba, surtout ceux qui connurent Maria. Ils se souvenaient alors d’elle, de ses paroles. Nina Pavlovna les accueillait tous, et leur racontait avec amour les histoires de Maria. Chacun recevait une photo de Maria. Beaucoup déposaient leur obole dans la marmite; l’argent était destiné à la réparation du toit fortement endommagé. Les bourrasques et tempêtes de l’année avaient tordu les tôles.

La Bienheureuse Maria de Somino

Quand j’entrai dans la maisonnette de Maria, le brouhaha de la foire s’interrompit immédiatement pour faire place à la quiétude et au calme. Je me suis assis sur son petit divan, me souvenant de nos conversations, de son service à l’autel pendant quatorze ans. Je ne voulais plus quitter l’endroit. «Tu vois, Maria, elle est bien utile ta maisonnette. Et vois combien d’hôtes y viennent…» On est accueilli avec une telle chaleur chez la Bienheureuse Maria, la Servante du Sanctuaire!
Bien entendu, tout le monde ne connut pas, ni ne connaît la Bienheureuse Maria. Il faudrait recueillir les récits à son propos et éditer une brochure….

Traduit du russe.

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