Lorsqu’on entend ou lit le nom du bourg de Vyritsa, on pense évidemment à Saint Seraphim, qui y vécut et mena son podvig de nombreuses années. Ce qu’on sait moins, c’est que Saint Seraphim avait annoncé qu’il y aurait toujours des “startsy”, hommes et femmes, à Vyritsa, et que Mère Natalia en ferait partie. L’une d’entre elles y vit encore actuellement; le Seigneur nous a accordé la grâce de la rencontrer un soir d’octobre 2018. Mais celle dont il va être question ci-dessous naquit en 1890 et décéda le 16 janvier 1976. Il s’agit de la Bienheureuse Natalia de Vyritsa. L’invention officielle de ses reliques incorrompues eut lieu le 4 octobre 2012. Elles reposent, en compagnie de celles d’autres saints hommes et femmes, tout à côté de la chapelle où sont vénérées les reliques de Saint Seraphim et de celle qui fut son épouse dans le monde, Matouchka Seraphima. Le texte ci-dessous n’a pas pour objet de proposer une biographie de la Bienheureuse Natalia. Cela fera l’objet d’une traduction et d’une publication ultérieure. Il s’agit plutôt de présenter cette sainte folle-en-Christ à travers une série de courts récits. En voici la deuxième partie.

J’avais un neveu qui empruntait sans cesse de l’argent sans jamais le restituer. Je cachai de l’argent, car il était capable d’en prendre sans même le demander. Un jour, il vint et Mère Natalia lui dit: «Volodia, tu veux que je te dise où se trouve l’argent de Katia?» Et une autre fois «J’ai donné ton argent à Volodia, mais seulement un peu».

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La Tombe de la Bienheureuse Natalia, tout à côté de la chapelle où reposent les saintes reliques de Saint Seraphim

Mère Natalia allait souvent chez une dénommée Eugénie. Celle-ci possédait de très beaux vêtements et Matouchka utilisait sa garde-robe à son gré. Un jour, elle se rendit chez cette femme et dit: «Aujourd’hui, il me faut une robe de bal». «Prends celle que tu veux», répondit Eugénie. Matouchka choisit une robe avec un profond décolleté. A la maison, elle enfila cette robe, se frisa les cheveux, et s’enduisit d’un maquillage criard des lèvres jusqu’aux oreilles. Il s’avère qu’elle se préparait à accueillir des «invités». Elle fit en effet l’objet d’une visite de contrôle des organes de de l’État. Quelqu’un avait écrit qu’elle était membre de la fam sécurité ille impériale, qu’elle vivait au-dessus de ses moyens et qu’elle recevait la visite de gens suspects. Quand les deux agents du KGB entrèrent, Mère Natalia parut devant eux dans «toute sa beauté», et leur adressa ces paroles: «Mes mignons, ne me retenez pas, je me hâte d’aller au mariage. Voyez, je suis déjà prête».
– D’où viens-tu?
– Moi, je suis la Tsaritsa.
– Dites-nous, de quoi vivez-vous?
– Je fais commerce de lait. J’ai des chèvres, toutes sortes d’animaux, d’oiseaux. Poussez la table de chevet. Voyez, il y a là trois petites chèvres.
A ce moment, une chèvre s’avança et frappa du front l’un des visiteurs. Matouchka intervint immédiatement:
– Les chèvres ne laissent passer personne. En tant que représentants du pouvoir, vous devez comprendre cela. Vous voyez, elles attaquent même la police.
– On dit que tu es de la famille du Tsar.
– Ne croyez pas à cela. Vous voulez du lait?
De nouveau une chèvre frappa du front un des agents.
– Oh, ces chèvres ne laissent passer personne.
L’un des «invités» dit à l’autre :
– C’est quoi pour une famille impériale? Des chèvres, des chiens, des chats. En fait elle est tout simplement folle!

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Un jour, j’allais à l’église, et j’aperçus Mère Natalia hisser dans le tramway un sac rempli de biscuits secs et d’icônes de chez moi. Je pensai à part moi : «Pourvu qu’elle n’ai pas emporté l’icône du Sauveur ‘Non-faite de main d’homme’», car je l’aimais beaucoup, cette icône. «Non, non, pas celle-là, d’autres, me répondit immédiatement Matouchka, en pensées».

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Ekaterina Vladimirovna Savelieva, qui accueillit la Bienheureuse Natalia chez elle à Vyritsa.

Il y a encore une incroyable histoire de tramway. Je me rendais à l’office, avec une connaissance, à l’église Saint Nicolas. Soudain, le tramway s’arrêta brusquement, alors qu’il se trouvait loin de tout arrêt. Les portes s’ouvrirent et Mère Natalia apparut, rayonnante. Elle vint vers nous et nous dit : «J’allais vaquer à mes affaires, et puis, je vis que des gens de mes connaissances se rendaient à l’église pour l’office et je criai : «Conducteur, arrête!», et le tramway s’est arrêté». Le conducteur ébahi regardait avec stupéfaction se qui venait de se passer: il n’avait pas même effleuré la manette des commandes. Nous étions assises avec notre nouvelle compagne de route. Mère Natalia prit un petit papier en mains et se tint debout dans un coin, coiffée d’un chapeau, et un éventail à la main. Elle prit une pose solennelle et s’écria:
– Conducteur, conducteur!
– Matouchka, tu fais partie des «gens d’autrefois».
– Et alors, pourquoi ferais-je partie de la canaille?

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Le jour des élections, Mère Natalia parti au bureau de vote sur un traîneau tiré par des chèvres. Quand on lui demanda ce que cela signifiait, Matouchka répondit :
Je vote pour le pouvoir soviétique, qu’il reste encore en place.

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J’allai un jour avec Matouchka au marché. Nous aperçûmes un homme menant un chien en laisse. Mère Natalia s’approcha de lui:
– C’est mon chien, rends-le!
– Non, c’est le mien!
Ils entamèrent une querelle. Matouchka ne cédait pas de terrain. L’échauffement des esprits attira l’attention d’un policier. Chacun commença à faire valoir son point de vue. L’homme en furie hurlait que la vieille voulait lui voler son chien. Alors, Matouchka dit:
– Faisons un test, voyons avec qui le chien partira, et celui-là sera son maître.
A peine eurent-ils libéré le chien de sa laisse qu’il se précipita vers Matouchka, se frotta contre ses jambes en agitant la queue et n’accorda pas la moindre attention aux cris de son ancien propriétaire. Le policier dit à l’homme :
– Pourquoi offenses-tu cette babouchka? Et, se tournant vers Matouchka:
– Vous avez déclaré le chien?
– Non, combien cela coûte-t-il?
Mère Natalia donna trois roubles au policier et l’homme dit alors :
– Effronté, tu voulais prendre le chien de babouchka.
Ce chien devint le chouchou de Matouchka, qui l’emmenait souvent avec elle, dans son panier.

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Un jour, Matouchka dit à une femme qui s’adressait à elle :
– Donne donc un peu ta main, que je la regarde. Eh bien, une telle somme d’argent! Et il va encore en arriver, et ce chemin bien moelleux mène tout droit à l’enfer.
Cette dame travaillait dans une église et elle volait dans la caisse.
– Oh, pardonnez-moi, Matouchka, s’écria la dame.
– Si tu ne te repends pas, tu iras en enfer! Répondit Mère Natalia.

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Le mari d’une habitante de Vyritsa s’adonnait à la boisson. Elle vint auprès de Mère Natalia. Un bouc fit soudain son apparition et asséna un coup de tête à la visiteuse. Matouchka sortit et commença à houspiller :
– Eh toi, un ivrogne pareil, et tu cognes encore. Un bouc pareil, je le tuerais. Allons à la police, il faut déclarer le bouc !
Matouchka se rendit à la police, où on mit longtemps à essayer de comprendre de quoi il s’agissait. Quand enfin, ils constatèrent qu’on parlait d’un bouc qui avait donné un coup de tête à quelqu’un, ils dirent, exaspérés : «Débrouillez ça vous-mêmes!». Tout cet enchaînement se répéta exactement chez cette femme. Le mari ivre (c’est-à-dire le bouc), la frappa et elle se rendit à la police pour déposer plainte. On lui répondit : «Débrouillez ça vous-mêmes!».

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Vêtements de la Bienheureuse Natalia

Régulièrement, Matouchka Natalia affectait d’être ivre; ayant rempli d’eau une bouteille de vodka. Elle se mettait à l’œuvre quand des ivrognes venaient à s’adresser à elle. Et il est remarquable qu’après qu’elle leur eut donné à boire de sa bouteille, ils étaient libérés de leur addiction. Les gens guérissaient des maladies les plus pénibles grâce à la prière de Matouchka ; souvent, elle donnait du vin de liturgie. Le malade en buvait et guérissait.

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Mère Natalia prédit les décès du Pape de Rome, du Métropolite Nikodim, et de Brejnev, plusieurs années avant qu’ils ne se produisent. Je me rappelle que lorsqu’elle évoqua leur mort, elle demanda à voix haute : «Seigneur, ce que j’ai dit est-il vrai?» Et elle répondit elle-même «C’est vrai…». Elle demandait avec insistance que l’on prévienne le Métropolite Nikodim de ne pas se rendre aux obsèques du Pape de Rome. Mais il y alla. Et décéda à Rome.
Traduit du russe
Source

P.S. Le texte original russe traduit ci-dessus provient d’un article publié sur une page du réseau social russe VK. Les photos proviennent (sauf la première) des pages du site de l’écrivain russe Alexandre Trophimov. Et, le texte se trouve également dans le superbe livre : «Les Bienheureux de Saint-Pétersbourg, de la Sainte et Bienheureuse Ksénia de Pétersbourg à Lioubouchka de Sousanino»  (Блаженные Санкт-Петербурга. От святой блаженной Ксении Петербургской до Любушки Сусанинской), aux Éditions Voskresenie, à Saint-Pétersbourg. Il est extrait du chapitre consacré à la Bienheureuse Natalia de Vyritsa, aux pages 451 à 478.