Alexandre Ivanovitch Jadanovski, dont le père était prêtre, naquit dans l’Éparchie de Kharkov, le 6 mars 1874. Hésitant devant l’orientation qu’il allait donner à sa vie, il écrivit, sans trop d’espoir de recevoir une réponse à Saint Jean de Kronstadt, lui demandant sa bénédiction pour devenir moine. Il reçut une réponse enthousiaste du Saint Pasteur de toute la Russie, et fut tonsuré en 1899. Vicaire de l’Éparchie de Moscou, il fut le dernier supérieur du Monastère du Miracle, au Kremlin, à Moscou. A cette époque il lui fut donné de rencontrer régulièrement le Saint Père Jean de Kronstadt, de concélébrer avec lui, de converser avec lui. Vladika Arsène fut condamné à mort, et fusillé le 27 septembre 1937, au polygone de Boutovo, pour avoir «fondé et organisé une organisation [sic] illégale et contre-révolutionnaire de clercs monarchistes». Il a laissé de nombreux écrits, dont, son autobiographie, son journal, plusieurs écrits biographiques, et ses souvenirs du Père Jean de Kronstadt. Voici la quatrième partie de la traduction de ce texte. Les parties précédentes se trouvent ici.

La ferveur pastorale du Père Jean1

St Jean de Kronstadt

Maintenant, nous devons aborder la ferveur pastorale du Père Jean. Qui ignore encore comment il descendait dans les sous-sols et les repaires afin d’y dénicher des gens pauvres et malheureux? Qui n’a rien lu au sujet de ses innombrables, lointains et malaisés voyages à travers la Russie, auprès des malades et de ceux qui aspiraient à recevoir une consolation spirituelle? Qui n’a pas été ébahi par sa création de monastères et de nombreuses institutions de bienfaisance? Il est malaisé de décrire les multiples formes à travers lesquelles se manifestait l’activité du Père Jean. Vivre et œuvrer pour le prochain, conduire ceux-ci à Dieu, à leur salut ; c’était cela le but de toute sa vie. Pour l’atteindre, il ne tenait compte ni de son repos, ni de sa famille, ni de quelque circonstance que ce soit. Batiouchka considérait que son œuvre de pasteur lui avait été confiée par le Seigneur Dieu Lui-même; il n’avait donc pas le droit d’y renoncer ou de s’en détourner.Dès le début de son sacerdoce, son épouse fit remarquer qu’il oubliait complètement sa famille et sa maison. Le Père Jean répondit: «Des familles heureuses, Liza, il y en a suffisamment sans nous. Toi et moi, nous nous consacrerons au service de Dieu». Lorsque les membres de la maisonnée de Batiouchka exprimaient leur crainte d’être oubliés par sa générosité, il avançait les arguments suivants:«Je suis prêtre, qu’est-ce que cela veut dire? Cela signifie qu’il n’y a rien à discuter, j’appartiens non pas aux miens, mais aux autres».
La célébration quotidienne de la Divine Liturgie était une forme particulière de service au prochain, pratiquée par le Père Jean. Tous y étaient appelés à se repentir et à communier. La dernière volonté exprimée par le Sauveur concernant la participation à la communion à Son très saint Corps et à son Sang précieux, pour la vie éternelle, est de nos jours tombée dans l’oubli, et fait même souvent l’objet de reproches outrageux. Le Père Jean a ravivé et restauré ce commandement du Christ. On entendait tonner une voix à Kronstadt : «Avec foi et crainte de Dieu approchez de cette Coupe», avancez non seulement en pensées, comme auparavant, mais véritablement, afin d’être unis avec le Sauveur par Ses Saints Mystères. Tout rempli d’amour, le Père Jean ne pouvait supporter la froideur de la relation des fidèles avec ce Mystère si grand. Il avait soif de salut pour son troupeau, et voulait dès lors qu’il reçoive ce qui est le meilleur, le plus précieux, le plus exceptionnel, c’est-à-dire, la Sainte Communion.

La sainteté personnelle du Père Jean
Il faut maintenant aborder la sainteté personnelle du Père Jean. Sa vie et son comportement faisaient de lui un juste, qui avait accédé, au moyen d’une profonde observation de lui-même, à la purification permanente de son cœur, éliminant toutes les impuretés du corps et de l’esprit. Ses journaux sont pour nous les témoins de ce travail intérieur de Batiouchka. Chaque jour, il transcrivait les expériences de son âme, tant les moments de grâce que les péchés. Il rendait grâce au Seigneur pour tout ce qui avait été bon, et il luttait avec ardeur contre le mal et prenait soin de l’effacer en s’observant et se réprimandant, ainsi que par la prière et le repentir.
Dans les derniers temps, le Père Jean avait atteint un niveau élevé dans son exploit spirituel: tout sentiment mauvais, toute pensée immorale s’accompagnaient implacablement chez lui d’un sentiment de désolation et d’un appel à la miséricorde et au pardon du Seigneur. Et suite à pareille confession permanente et volontaire, le Seigneur réjouissait le cœur du grand pasteur, l’emplissant de paix, de consolation, ou, comme le disait Batiouchka lui-même «d’espace», suite à quoi l’attitude dominante du Père Jean était la bravoure de l’esprit, et une fraîcheur permanente des forces physiques. Sachant par expérience l’importance significative du repentir caché en matière d’édification morale, il conseillait à tous les fervents lutteurs spirituels d’y recourir. L’attention du Père Jean à son état intérieur était véritablement étonnante; il attachait de l’attention à tout, il s’efforçait de réfléchir à tout, et d’évaluer tout d’un point de vue spirituel. Lisait-il la règle? Il plongeait au plus profond de chaque mot, suite à quoi, dans ses instructions, nous rencontrons de nombreuses remarques telles que: les mots «j’observe mon âme endurcie» étant soulignés, on lit en note: «En vérité, comme je suis endurci!». Lui arrivait-il de se trouver en pleine nature, d’observer un ciel étoilé, un coucher de soleil, la mer, la montagne, les prés, une fleur? Immédiatement, son regard se tournait vers le Créateur, vers Dieu dont il voyait la dextre créatrice dans toutes Ses œuvres. Avait-il fait un songe? Il se le remémorait.
Le Père Jean mena ainsi sa vie non pas un an ou deux, mais plus d’un demi-siècle, et il atteignit un niveau spirituel des plus élevés, surprenant tous ceux qui avaient le bonheur de le rencontrer et de prier avec lui. Même l’apparence du Père Jean était particulière, marquée par une sorte de charisme, attirant involontairement à lui le cœur de tout un chacun. Dans ses yeux se reflétait le ciel, sur son visage, la compassion avec le prochain, dans son attitude, le souhait d’aider tout le monde. Il n’était guère surprenant de voir venir à lui tous les malades, tous ceux qui souffraient dans leur âme ou dans leur corps. Nous ne retiendrons qu’un exemple dans la multitude dont nous disposons.

A Vaulov

Un homme qui s’était complètement fourvoyé, détruisant sa santé par son ivrognerie, passa à côté d’une gare de Saint-Pétersbourg. Il remarqua une foule se pressant vers le train qui arrivait. Par pure curiosité, il demanda «Où donc se précipite cette foule?» On lui dit:«Aujourd’hui, le Père Jean de Kronstadt doit venir». «Quelle bande de fous, pensa-t-il. A quoi bon se bousculer ainsi? Qu’y a-t-il donc de spécial? Mais bon, j’y vais tout de même aussi. Je jetterai un coup d’œil sur ce prêtre. C’est vrai qu’on cause beaucoup de lui». Et il y alla… Malgré qu’il était encerclé par la foule venue à sa rencontre, Batiouchka dirigea son attention vers celui qui arrivait, il le bénit audacieusement d’un signe de croix et lui dit avec douceur : «Que le Seigneur te bénisse et qu’il t’aide à revenir sur le droit chemin, mon ami. Visiblement, tu souffres beaucoup!». Par ces paroles inspirées du grand pasteur, la force de la grâce, telle une décharge électrique, parcouru l’être tout entier de ce malheureux. Il se retira, sentant que son cœur était empli de tendresse et de bonnes dispositions envers le Père Jean. «Tout de même, lui vint-il soudain à l’esprit, comme ma vie est dure, je suis tombé si bas, et me comporte pis qu’un animal. Ainsi donc, je pourrais me relever? Comme ce serait bien! Le Père Jean me l’a souhaité. Comme il est bon d’avoir eu pitié de moi. Je dois aller le voir!» Par la suite, il se rendit à Kronstadt, se confessa, communia aux Saints Dons et avec l’aide de Dieu, son comportement se corrigea et se redressa progressivement.

Vera Ivanovna Pertsova
A la suite de ce récit, il ne m’est pas possible de négliger les bonnes paroles de la responsable de correspondance du Père Jean, Vera Ivanovna Pertsova, qui devint la moniale Ioanna, aujourd’hui décédée. Pendant de nombreuses années, elle servit le grand pasteur, par pure abnégation. Après avoir terminé ses études au lycée, Vera Ivanovna souhaita créer un lien spirituel avec Batiouchka, mais parvenir à approcher un tel luminaire entouré d’une foule en permanence n’était pas chose aisée.
Elle décida alors de suivre patiemment le Père Jean de loin, et comme on dit, de ne pas le lâcher d’une semelle. A Kronstadt, il lui arrivait d’arpenter pendant des heures les environs de l’immeuble où résidait Batiouchka, afin d’apercevoir, fût-ce un instant, son ombre à travers la fenêtre. Et quand elle y parvenait, son allégresse ne connaissait pas de limite. L’attention du Père Jean finit par être attirée, dans l’église, par cette prieuse si fervente. Il lui ordonnait d’aller chercher le Livre. Ensuite, il confia à Vera Ivanovna la dactylographie de son journal, et finalement il la prit à ses côtés en qualité de responsable de sa correspondance. Jusqu’à la mort de Batiouchka, elle fit montre d’une totale obéissance, l’accompagnant partout en ses voyages. Chérissant la confiance que lui accordait le saint pasteur, Vera Ivanovna le servit de toutes ses forces, et un jour, afin de préserver sa tranquillité, elle faillit y laisser une main. Voici ce qui se passa. A la gare, la foule se pressait à l’entrée du wagon où était installé Batiouchka qui partait en voyage. Vera Ivanovna en interdisait l’accès. Quelqu’un, emmené dans l’élan du mouvement général, claqua la portière, et les doigts de Vera Ivanovna furent soudain coincés par celle-ci. Mais elle souffrit bien plus encore, moralement, du fait de son dévouement lorsque des admirateurs mécontents du Père Jean se mirent à envier fortement la proximité de Vera Ivanovna avec lui, et accablèrent celle-ci de calomnies et de délations mensongères. Le Père Jean était clairvoyant et il connaissait la sincérité des bonnes dispositions de sa responsable de correspondance. Il n’accorda aucune attention à ces «bienfaiteurs» et apporta tout son soutien à sa fidèle collaboratrice. Lorsque je séjournais à Vaulov en qualité d’invité, Batiouchka me fit comprendre, entre autre, qu’après son décès, Vera Ivanovna aurait besoin de mon soutien. S’adressant à elle, il dit:«Occupe-toi du Père Arsène, et plus tard, c’est lui qui te sera utile».

Le Monastère de Novodevitchi

Et il en alla ainsi. Après le décès du grand pasteur, elle arriva à Moscou, abandonnée par tous. Il me revint d’entreprendre les démarches nécessaires à son installation, mais ce fut ardu compte tenu de la méchanceté humaine qui la poursuivait. De plus, mon influence était maigre et je ne pouvais lui venir en aide. Même dans les monastères de femmes, elle ne bénéficia d’aucune compassion, malgré que les Métropolites Vladimir et Macaire aient remis à Vera Ivanovna des lettres de recommandation. Seule l’Higoumène Léonida du Monastère de Novodevitchi répondit à ma sollicitation. Elle l’accueillit dans son monastère, et elle la tonsura, et lui donna le nom de Ioanna. Il ne restait malheureusement à celle-ci que peut de temps à vivre. Suite à ses peines et ses malheurs, elle développa la tuberculose. On l’envoya se soigner dans le Caucase, au Monastère Saint Jean Chrysostome de Kaman, [en Abkhazie. N.d.T.] en qualité d’économe. Non seulement elle ne s’y plut pas, mais y ruina définitivement sa santé, à cause de l’humidité du climat. Vera Ivanovna revint, à peine vivante, au Monastère de Novodevitchi. Peu de temps après, elle s’endormit dans le Seigneur, face au portrait du Père Jean, qu’elle contempla, en priant, jusqu’à son dernier souffle. L’Higoumène Léonida prit les dispositions nécessaires à sa digne inhumation. Les funérailles se déroulèrent dans l’église principale du monastère, entièrement éclairée et en présence d’un grand nombre de sœurs, et accompagnée des chants de la chorale monastique au grand complet. Je considère qu’il est de mon devoir de toujours me souvenir de Vera Ivanovna, car elle me facilita l’accès au Père Jean. Selon ses paroles et en fonction de ce que je sais, je puis rapporter ce qui suit, à propos du grand pasteur de Kronstadt. (A suivre)

Traduit du russe.

  1. Intertitres du traducteur