Ce texte est la traduction des propos du Métropolite Athanasios publiés sur le site Pravoslavie.ru, le 08 juillet 2019. Le texte russe porte le titre et le sous-titre suivants: La Force de la Prière . Réflexions à propos du livre du Starets Sophrony au sujet de Saint Silouane. Le Métropolite Athanasios y examine en profondeur différents aspects de la prière. Comme toujours en ce qui le concerne, ses profondes connaissances théologiques sont exprimée à travers un sens pratique qui est certainement un des plus beaux et séduisants ornements de Son Éminence. Voici la seconde partie du texte. La première est ici.

J’ai connu à Thessalonique une famille de médecins qui agencèrent dans leur maison une petite pièce de prière dans laquelle toute la famille se rassemblait et y célébrait tous les offices, comme sur l’Athos, passant ainsi de nombreuses heures en prière. Ainsi, ils se levaient à trois ou quatre heures, le matin et célébraient tous les offices, en entier. Ensuite, ils vaquaient à leurs affaires, ils allaient au travail. A leur retour à la maison, il célébraient les vêpres, les complies et lisaient un acathiste. Eux aussi invitaient parfois cinq ou six connaissances et célébraient les vigiles de toute la nuit. Quand une famille respecte sa propre règle de prière, tous ses membres en retirent une grande bénédiction. Si vous saviez l’influence puissante que cela exerce sur les petits enfants. Quand le petit voit comment prient papa, maman, les frères et sœurs, eux mêmes apprennent à prier;il n’est pas de meilleure thérapie pour l’âme des petits enfants. Quelles que soient les mauvaises choses que l’enfant a vues ou vécues pendant la journée, tous se dissipe grâce à la prière commune du soir. Il n’est pas juste de dire à un enfant : «Vas dans ta chambre et prie». Comment priera-il s’il n’a jamais vu comment prient ses parents? En grandissant, cet enfant abandonnera la prière, car ses parents ne priaient pas ou parce qu’il n’a pas vu lui-même comment ils le faisaient. L’image des parents en prière fait croître leur autorité aux yeux des enfants. Je me souviens, quand je vivais en skite, sur l’Athos, un jour arriva un jeune homme, étudiant d’une faculté de droit. Athée convaincu, il me dit : «Tu sais, j’ai tout rejeté:Dieu, l’Église, les prêtres, les confesseurs, et je ne crois plus en rien. La seule chose que je ne rejetterai jamais, ni ne pourrai jamais oublier, c’est l’image de ma mère à genoux en prière, lorsque je m’endormais, et quand je m’éveillais. Et c’est précisément à cause de cette image que jamais je ne pus contredire ma mère, me quereller avec elle ou lui dire des paroles dures. Si je suis aujourd’hui sur l’Athos, c’est parce que c’était ce que voulait maman». Voilà l’exemple clair d’une mère qui par sa prière parvint à influencer son enfant. Elle ne le morigénait pas sans cesse : «ne fait pas ceci, ne fais pas cela…», car cela aurait mené à des confrontations. Elle enseigna par son exemple.
Prenons également l’exemple d’une famille qui se querelle. Souvent, sans raison sérieuse, juste pour des futilités ou par égoïsme.Dès que le couple de parents reçoit la bénédiction de leur père spirituel pour commencer la prière commune quotidienne, le scandale se dégonfle, et la paix est restaurée dans la demeure. Dans les monastères, après les complies, tous les moines se demandent pardon l’un l’autre, à genoux;pardon pour tout ce qui s’est passé au cours de la journée. Ensuite, ils vénèrent les icônes, prennent la bénédiction de l’higoumène et se rendent chacun dans leur cellule y poursuivre leur podvig de prière. Si dans la famille on parvenait à introduire cette pratique, et chaque jour, avant d’aller dormir, chacun demandait pardon aux autres, la famille vivrait sans aucun doute en paix. Vous devez comprendre que sans règle de prière, on n’arrive à rien dans la vie spirituelle. Un geronda disait : «Quand un laïc te demande:que dois-je faire, réponds-lui:ta règle de prière». C’est pourquoi chacun doit avoir sa règle de prière. Essayez d’introduire la prière dans votre vie, c’est très simple! Au lieu d’inviter vos amis pour le café, invitez-les à la prière commune. Célébrez ensemble une paraclisis, ou les complies. Et après, si vous voulez, buvez un café. On peut mettre en pratique ce genre de démarche non seulement dans les monastères, mais aussi dans le monde. Je connais des gens qui le font, et j’ai vu le bénéfice que leur a procuré la prière.
A Thessalonique, je connais un chauffeur d’autobus, qui lisait les complies, les heures, et d’autres courts offices, avec le contrôleur. Le contrôleur, par exemple, lisait le texte d’un office particulier, et le chauffeur prononçait les ecphonèses. Parfois je demandais, en plaisantant : «C’est un autobus ou un monastère sur roues?». Et vous savez, la grâce était en vérité présente dans cet autobus;tous les passagers pouvaient la ressentir.
Sanctifiez la nuit par la prière!
Plus loin, nous lisons encore : «Il priait alors pour les vivants et pour les morts, pour les amis et les ennemis, pour tous les hommes1». Lorsque l’esprit de prière se renforce en l’homme, et son âme se rassasie de prière, alors arrive la véritable prière, à travers laquelle l’homme est en mesure de prendre sur lui toutes les peines de ce monde. Cette prière peut protéger tout le monde, les vivants, les morts, les amis, les ennemis, le monde entier. Un homme en prière devient ainsi bienfaiteur de l’humanité.
«Qu’éprouvait-il, que pensait-il, que disait-il à Dieu durant ses longues nuits de prière pour le monde?2 ». Personne ne peut savoir ni décrire cette plénitude du cœur qu’acquiert l’homme qui prie. Lui-même en est incapable. La présence de Dieu pendant la prière est tellement ressentie et le mystère de Dieu tellement stupéfiant que la description d’une nuit de prière est impossible. C’est semblable à toute une vie! Prenez votre livre de prière ou votre chotki et essayez de passer la nuit en prière, et alors, grâce au repentir, à la glorification, à la grâce, à la liberté, à l’amour pour le monde, tous ces sentiments qu’éprouve celui qui prie, vous comprendrez réellement ce que signifient des concepts tels que homme, monde, Dieu, amour, joie. Il arrive qu’on aperçoive, en ville l’une ou l’autre affiche disant que si vous souhaitez passer une nuit des plus inoubliables ce mois-ci, venez assister au concert de l’artiste grec untel. Mais en même temps, cette publicité cache une pensée toute différente:venez chez nous et nous prendrons votre argent afin que nous menions la belle vie, nous et l’artiste untel. C’est pourquoi, si vous voulez vraiment passer la nuit la plus inoubliable de votre vie, consacrez-la à la prière. Ces nuits sans fin, dont on ne se fatigue pas, je ne trouve pas même les mots pour les décrire. Je me souviens que Saint Père Païssios, sur l’Athos, évoqua Geronda Arsenios, le compagnon de podvig du Saint Geronda Joseph l’Hésychaste. Dans le monastère du Père Arsenios, la règle de prière se poursuivait jusqu’à deux ou trois heures du matin. Ces gerondas passèrent chaque nuit de leur vie en prière. A cette époque, Geronda Arsenios était âgé de 75 ans. Il vivait dans une toute petite kelia dotée d’une seule fenêtre, qui servait de porte d’entrée, car de porte réelle, il n’y en avait pas. Chaque soir, appuyé à cette petite fenêtre, le Père Arsenios commençait à prier. Le jeunes frères, une fois la prière terminée, se reposaient deux ou trois heures. Ils se levaient à l’aube et allaient vaquer à leurs obédiences. Et quand ils passaient devant la fenêtre du Père Arsenios, ils voyaient qu’il encore occupé à prier. Il leur demandait :

Geronda Arsenios

– Que se passe-t-il ?
– Il est l’heure de commencer les obédience, lui répondaient-ils.
– Ah bon, c’est déjà l’aube?
Imaginez-vous que le Père Arsenios n’avait pas même remarqué l’arrivée de l’aube!
Il y avait aussi un geronda, à la Skite Nouvelle, qui répétait sans cesse que la Seconde Parousie était imminente. On lui demandait :
– Pourquoi la Seconde Parousie devrait-elle intervenir maintenant, Père Ephrem ?
– N’avez-vous pas lu que la Seconde Parousie doit arriver quand les jours et les nuits seront plus courts ?
– Ah, jours et nuits sont donc devenus plus courts?
– C’est sûr! J’ai à peine commencé à prier que l’aube arrive.
Cela signifie qu’il priait sans se rendre compte de la durée de la nuit, et pensait donc que les nuits avaient raccourci.
Un jour, des pères vivant dans le voisinage du Saint Père Païssios racontèrent l’histoire suivante. Il arriva que pendant la prière nocturne une lumière qui n’était pas de ce monde brille dans sa kelia. Alors, Saint Païssios pensait que le soleil se levait déjà. Il sortait rapidement, marchait jusqu’à la kaliva voisine et demandait :
– Pères, quelle heure est-il. Pourquoi l’aube arrive-t-elle si tôt?
– Quelle aube?! Père, il est deux heures du matin».
Malgré pareille réponse, il voyait luire cette lumière partout autour de lui et pensait que le jour s’était déjà levé.
Je voulais vous montrer avec ces exemples que dans les nuits de prière, les mystères de Dieu se dévoilent. Une heure de prière nocturne équivaut à cinq heures de prière diurne. La nuit est donc une grande richesse. C’est à vous, Chrétiens qui allez à l’église et écoutez la parole de Dieu, que conviennent les veillées de prière nocturne, car c’est précisément la nuit que s’active l’ennemi du genre humain, au moyen de toutes sortes d’attractives manigances telles que les clubs, la télévision,etc…
«Quelques écrits du Starets peuvent nous faire comprendre ce qu’étaient ses prières; ils nous offrent une certaine possibilité de pénétrer dans le secret de l’âme de ce saint Homme qui nous a quitté.3 » Comme je l’ai déjà mentionné auparavant, on ne peut comprendre cette plénitude qu’expérimente l’âme de celui qui prie. Saint Jean Climaque pose la question suivante : «Qui peut comprendre l’esprit de l’homme qui prie?» Personne. Dieu seul le peut. Le diable lui-même ne peut se faufiler jusqu’au plus profond de l’esprit de l’homme. Car c’est la profondeur de la présence de Dieu, et cela, personne ne peut ni la comprendre, ni la décrire. Un jour, dans une assemblée, Saint Grégoire Palamas fit un exposé sur la prière. Il lui fut demandé d’en décrire l’expérience. Il commença à parler, et raconter, et il parla longtemps. Mais il termina ainsi : «Nous pouvons essayer tant que nous voulons de décrire l’état de l’âme pendant la prière, c’est irréalisable».
Souvent, je vous ai dit qu’en étant des Chrétiens Orthodoxes, nous avons reçu de Dieu une bénédiction particulière. C’est en effet notre Église qui possède la plus riche expérience de la prière, à la différence des confessions occidentales qui ont remplacé la prière par les bonnes actions. L’Occident a négligé la prière et se retrouve aujourd’hui ignorant de la vie secrète en l’Esprit Saint, transformant l’ouvrage spirituelle qu’est l’Évangile en une compilation de règles morales. Maintenant, au lieu de produire des gens qui prient, les confessions occidentales produisent de bons travailleurs sociaux. Et là-bas, on attend du prêtre qu’il soit un travailleur social. S’il ne l’est pas, il ne sert à rien. Notre Église, quant à Elle, jette un regard tout différent sur l’homme. Elle accorde de la valeur à l’homme pour sa prière et non pour ses bonnes actions. Personne ne dit que les bonnes actions ne sont pas nécessaires. Elle le sont, obligatoirement. Et il faut les accomplir car «la foi sans les œuvres est morte» (Jac.2,26). Mais je dirais ceci : les bonnes actions sont les feuilles de l’arbre, mais le fruit de l’arbre, c’est la prière et la grâce de Dieu.
Traduit du russe
Source

  1. «Saint Silouane l’Athonite (1866-1938)» Archimandrite Sophrony Ed. Du Cerf Paris, 2010. p.51
  2. Idem
  3. Idem