Le livre «Dans le Nord avec le Père Jean de Kronstadt, fut rédigé en 1903 par Sergueï Jivotoski, journaliste et illustrateur originaire de Kiev. Il vécut à Saint-Pétersbourg jusqu’en 1919. Il émigra alors , via la Finlande, aux États-Unis. Son livre offre un éclairage intéressant sur une activité concrète et récurrente de Saint Jean de Kronstadt. Originaire du village de Soura, dans le Gouvernorat d’Arkhangelsk, pendant de très nombreuses années, il retourna chaque été dans son pays natal, répandant ses prières et la bénédiction de Dieu sur tous les gens et les lieux qu’il rencontrait au cours de ce long pèlerinage. C’est au cours de ce voyage de 1903 que Saint Jean de Kronstadt posa la première pierre de l’église de la Sainte Trinité au Monastère de Leouchino, dont il fut le père spirituel. Le texte ci-dessous propose, en deux parties, l’introduction de l’auteur et les deux premiers chapitres du livre.Voici la seconde partie, la première se trouve ici.

Sviritsa est un hameau agglutiné pour l’essentiel autour du comptoir de navigation. Là, nous embarquâmes dans un navire de haute mer de type «Baïan», et remorquant le «Chestoviets» déserté, nous entrâmes dans l’embouchure de la rivière Svir. Le paysage changea immédiatement. Les ennuyeuses berges basses du canal étaient remplacées par les rives libres et vivantes de la superbe et rapide Svir. Nous nous trouvions déjà sur le territoire du Gouvernorat d’Olonets. Au plus nous remontions la rivière, au plus ses rives se faisaient escarpées. Ici et là, entre les forêts, les prés aux herbes hautes et les champs de blé, apparaissait l’un ou l’autre village, dont les habitants, ayant appris qui naviguait sur ce bateau, se précipitaient vers la berge en une foule bigarrée ; ils s’inclinaient jusqu’à terre, lançaient leurs chapeaux en l’air et manifestaient leur sympathie envers le Père Jean de mille et une façons. Nous dûmes jeter l’ancre à un appontement pour nous ravitailler en bois. Un groupe de jeunes filles vint remettre plusieurs bouquets de muguet au Père Jean. Quelle joie, quel bonheur on lisait sur le visage de chaque petite vieille qui été parvenue à recevoir la bénédiction du Père Jean! Il leur passait la main sur la tête, leur tapotait l’épaule, se présentait aux regards des malades et ces derniers s’en retournaient chez eux portés par un puissant élan d’enthousiasme. Nous escomptions atteindre le village de Voznecenie le vingt sept mai dans la matinée, mais à une heure du matin, notre bateau s’arrêta brusquement, à une verste des rapides de Podanievsk. Notre vigie venait d’apercevoir une épaisse nappe de brouillard au-dessus de rapides. Il fallut nous amarrer à la rive et attendre cinq du matin avant de pouvoir larguer les amarres et reprendre notre cheminement. Le matin du vingt-sept mai nous traversâmes les redoutables rapides de Sigovets, les plus importants sur la Svir. L’appellation du lieu provient de l’abondance de lavarets [Poisson blanc appelé ‘sig’ en russe. N.d.T.]. Le paysage au Nord de Sigovets est particulièrement beau. Régulièrement, dans cette forêt millénaire on rencontre des hameaux aux isbas caractéristiques de la région d’Olonets. L’abondance de bois devient évidente, à la vue de ces énormes isbas à deux étages au-dessus du rez-de-chaussée et dotées de balconnets sous les toits. A l’approche du Lac Onega, les rives de la Svir s’abaissent progressivement et éveillent donc moins l’intérêt que celles du cours médian de la rivière. Finalement, vers cinq heures du soir, nous atteignîmes le village de Voznecenie, et après avoir chargé du bois et décroché le «Chestoviets» qui poursuivit sa navigation par le Canal de Vyterga, nous entrâmes sur le Lac Onega.

Chapitre II
Le Lac Onega. La Rivière Vyterga. Invités chez A.I. Lopapev. Les rapides de Vyterga.
Pour entrer sur le Lac Onega, nous avions dû dépasser à Voznecenie une foule déçue dans laquelle tous espéraient voir le Père Jean. Dès lors, quand nous abordâmes pour charger du bois, cette grande foule s’amassa sur le quai. Mais pendant ce temps, le Père Jean se reposait dans sa cabine, et il ne sortit sur le pont qu’au moment où le navire fendait le miroir des eaux lisses du lac.
Le silence était écrasant. Nous avancions en ligne droite vers l’embouchure de la Rivière Vyterga. A notre droite s’élevaient les Monts d’Olonets. A notre gauche l’étendue d’eau se fondait avec le ciel et ils formaient une masse grise dans laquelle voltigeaient parfois des mouettes aux ailes blanches et passait en criant un vol de canards sauvages, et en-dessous, à une distance de quelques sagènes du navire, s’ébattaient des phoques, en toute liberté. Vers le Nord-Ouest, on apercevait au loin une barre rocheuse, renommée pour ses carrières. De celle de Chokcha, en extrayait du porphyre, dont fut construite, entre autres, la tombe de Napoléon Ier à Paris. A Solomennoe (située à sept verstes de Petrozavodsk), on extrait de la pierre, qui servit de matériaux aux ornements architecturaux de la Cathédrale Saint Isaac à Saint-Pétersbourg.
S’avançant vers moi, le Père Jean me dit :«Voilà comment je puis me reposer pleinement. Ce bateau est le seul endroit où je puisse passer du temps dans un calme complet. A certains moment, ma popularité est lourde à porter, je ne peux apparaître nulle part, il m’est impossible de me déplacer librement où que ce soit». Il suffisait en effet que le Père Jean pose un pied sur la berge pour qu’une foule l’entoure, et se défaire de l’étreinte de celle-ci exigeait de grands efforts. Il ne s’appartenait à lui-même que dans ces moments où il était entouré d’eau. Sur ce petit navire de quelques archines carrées, pendant un court laps de temps, il était libre, en récompense de toute une année vécue exclusivement pour autrui. En outre, au cours de ces courtes périodes de loisir, je vis rarement Batiouchka inactif. Il lisait le Saint Évangile, il couchait ses notes dans son journal, ou il composait mentalement l’homélie du lendemain, car rares étaient les jours où nous ne nous arrêtions pas quelque part où il célébrait la Liturgie. A de rares occasions, il marchait sur le pont du bateau, contemplant la nature et s’en émerveillant.
Grâce aux conditions météorologiques favorables, nous traversâmes assez rapidement le Lac Onega, et entrâmes dans l’embouchure de la Rivière Vyterga. Cette rivière produisait sur vous une impression étrange. Étroite, un véritable canal, toujours de même largeur, elle traversait en de jolies courbes des prés inondés. On apercevait, en guise de berges, le sommet de hautes herbes d’un vert éclatant, et dont le pied baignait dans l’eau. Les vagues fuyant les deux flancs de notre bateau s’en allaient balancer ce tapis vert et ondulant. La vision était charmante. On imaginait avec difficulté seulement que cette petite rivière de marais était si profonde qu’elle pouvait accueillit de véritables navires; les vaisseaux marins à vapeur parcouraient librement la Vyterga. Peu avant la ville de Vyterga elle-même, nous rattrapâmes une énorme goélette qui faisait voile vers la Mer Caspienne. Les Perses qui s’y trouvaient nous regardèrent de leur pont élevé avec ahurissement, ne comprenant pas pourquoi la foule du peuple russe s’inclinait profondément, chapeaux bas, au passage de notre bateau.
A Vyterga, le Père Jean eut droit à une réception solennelle. Malgré l’heure déjà tardive, la foule s’amassait devant le quai, orné de drapeaux et d’étoffes colorées, où les autorités et le clergé de la ville accueillirent Batiouchka. Répartis dans plusieurs coches, nous fîmes route vers le domaine de la Famille Loparev, distante de trois verstes, et nous atteignîmes bientôt le célèbre palazzo de Loparev. Le défunt père Loparev était membre d’une lignée de cochers. Grâce au savoir faire russe, ainsi qu’aux contrats favorables négociés dans le cadre de la construction des écluses du Réseau hydraulique Maria [Ce réseau de canaux et d’écluses relie la Mer Baltique au Bassin de la Volga. Il est ainsi nommé en l’honneur de l’Impératrice Maria Fiodorovna, seconde épouse de l’Empereur Pierre Premier. N.d.T.], il devint millionnaire et décida de se construire une demeure dans laquelle il n’aurait pas honte d’accueillir les dignitaires de passage. La demeure est vaste, construite en bois, dans le style russe. Les plafonds et murs sculptés, les cheminées et poêles ornés de majolique, des miroirs colossaux, de lourds meubles sculptés et des tableaux aux riches encadrements témoignaient de ce que le propriétaire ne manquait pas de moyens lorsqu’il construisit sa demeure.
C’était la neuvième année consécutive que le Père Jean faisait arrêt et séjournait ici. Le matin du 28 mai, il célébra la Liturgie à Vyterga et dans son homélie, il mit en garde contre les schismatiques vieux-croyants, nombreux dans la région. Après la Liturgie, le Père Jean et ses trente-cinq accompagnateurs furent les invités exclusifs du déjeuner offert par le maître des lieux, A.P. Loparev. On prononça de nombreux éloges du Père Jean, mais le discours le plus cordial et sympathique fut l’adresse courte et improvisée d’un missionnaire de la région de Vyterga, le Père N. Gueorguievski.
En voici le contenu approximatif:«Vénéré Père archiprêtre! L’an dernier, dans votre homélie prononcée en l’église de Vyterga, vous avez dit : «Voyager de par les villes de la Russie, qui m’est si chère, me procure une grande joie». A nos yeux, c’est vous qui nous procurez toujours un immense plaisir! En même temps, Batiouchka, dès que vous arrivez en quelque ville ou village, nonobstant les activités du jour, résonne le son joyeux et festif des cloches, le clergé accourt pour concélébrer avec vous, les marchands verrouillent leur magasin, les paysans abandonnent herse et araire, et la foule des mères accourt avec leur enfants pour que vous les voyiez! On observe un élan de l’esprit, la prière se fait plus ardente. Et ce n’est pas étonnant, car vous, Batiouchka êtes une flamme de prière. Tout comme la flamme du feu réchauffe ce qui l’entoure, suscite de nouvelles flammes qui s’unissent en un grand feu commun, la flamme de votre prière nous saisit tous, qui vous écoutons et qui vous prions, et toute l’église prie avec vous, avec plus d’ardeur, plus de chaleur!». Le soir, le Père Jean se promena longuement dans le jardin, où il lut sa règle vespérale.
Le lendemain matin, nous rejoignîmes l’église du cimetière de Vyterga, où Batiouchka célébra la Liturgie. L’église du cimetière de Vyterga, avec ses vingt-deux dômes, présente un intérêt architectural évident. Elle fut érigée en 1708, d’après une esquisse de Pierre Premier, et elle a été préservée jusqu’aujourd’hui dans sa forme originale. Une autre église, située à quelques sagènes de la première, fut bâtie un peu plus tard et, extérieurement, n’offre pas tant d’intérêt, toutefois, à l’intérieur, j’y ai trouvé, fait extrêmement rare à notre époque, des statues en bois, colorées, et costumées, du Sauveur et de Saint Nil [Saint Nil de la Sora. N.d.T.]

Traduit du russe

Source.