Le Starets Simeon

Le texte ci-dessous a été publié en russe le 18 octobre 2019 sur le site Pravoslavie.ru. Il est dû à Alexandre Bogatyrev. (Toutes les photos ci-dessous proviennent du site Pravoslavie.ru)
L’histoire des quatre secondes , je l’ai entendue voilà longtemps déjà. Elle a finit par faire partir du folklore qu’on entretient autour de l’Église. Il existe plusieurs version du récit, avec de sérieuses différences, c’est pourquoi j’ai décidé de trouver l’homme qui est concerné par ce récit. Appelons-le Alexandre Adlerski. La malchance voulut que la première fois que je me rendis à Sotchi, il ne s’y trouvât pas. Mais après, notre rencontre put avoir lui. Voici ce qu’il raconta.

Je vivais à Karaganda, mais depuis longtemps, je rêvais de déménager à Sotchi. Finalement, j’y parvins. J’étais sans travail, j’ai dû renoncer à mon logement. J’étais fortement dépressif. C’est à ce moment que je lus le livre de Nilus «Grand en peu de choses», au sujet des startsy d’Optina et de Saint Seraphim de Sarov. Je me mis à aimer beaucoup Saint Seraphim. Je commençai à penser au sens de la vie, à aller à l’église, parfois, je disais la prière de Jésus. C’est alors que l’ennemi m’a attrapé.
Un jour une mélancolie terrible s’est déversée en moi. Je suis allé au bord de la mer, à l’embouchure de la petite rivière. L’endroit était calme, il n’y avait personne. Je m’assis, fumai une cigarette et me demandai comment continuer à vivre. J’essayai la prière mais une voix me dit : «A quoi bon te torturer ? Entre dans la mer et noie-toi. Tous tes problèmes seront résolus». Je priais et j’entendais la voix. La lutte se poursuivait en moi. Je me mis à crier plutôt qu’à dire la prière de Jésus : «Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi!» Je me dressai, levai les mains vers le ciel et ressentis alors une telle grâce… Voilà comment l’homme peut être transformé en un instant. Je fus littéralement terrassé comme par la foudre. Un sentiment de total repentir et en même temps, la grâce de Dieu. Je vis le monde de façon complètement différente. Il est impossible d’exprimer ce qui se passa alors dans mon âme. Je marchai dans l’eau, regardant le ciel, poursuivant la récitation à voix haute de la prière de Jésus. Soudain, un petit caillou tomba dans l’eau en faisant ploc! Je me retournai. Des enfants passaient. Ils se mirent à me lancer des petits cailloux. Je me troublai. Ils devaient penser que l’idiot parlait seul, les mains levées en l’air. Des deux mains, je frappai mes poches cousues sur la poitrine. Dans l’une mon briquet, dans l’autre, les cigarettes. Je les pris, les jetai sous un buisson et je partis. Tout droit vers l’église de la Trinité. Je trouvai le recteur et lui remis tout l’argent que j’avais. Ensuite, je marchai huit kilomètres, pour rentrer chez moi. Je marchais et glorifiais Dieu. Mais silencieusement. Au bout de trois jour seulement, je réalisai que je ne fumais plus. Alors que je fumais deux paquets par jour. C’est le premier miracle qui se produisit, ou plutôt le deuxième. Je ne m’étais pas noyé, et j’avais arrêté de fumer.
Très vite après cela, une connaissance me fit rencontrer le Père Siméon (Hesterenko). J’allai lui demander sa bénédiction et il me demanda:
– Tu as une petite croix?
Je lui montrai ma croix en or.
– Et ton épouse?
– Dès que j’aurai assez d’argent, je lui en achèterai une plus belle que la mienne.
Batiouchka ordonna à Matiouchka Barbara de lui apporter la cassette. Il farfouilla dedans et en tira une croix en or.
– Voilà pour ton épouse.
Barbara bougonna :
– Il vient pour la première fois et reçoit une croix en or!
Mais Batiouchka la morigéna et me dit:
– Tout ira bien pour toi.
Depuis lors, j’allai régulièrement chez le Père Siméon. Chaque fois, je lui demandais sa bénédiction. De la sorte, tout s’arrangea progressivement. Au bout de six mois, je pus acheter un appartement, et les affaires se développèrent : quatre magasins, des voitures, vingt-cinq ouvriers et employés à mon service. Un jour, avant d’aller à Moscou pour mon commerce, j’allai chez Batiouchka, pour demander sa bénédiction. Il me demanda :
– Tu as accompli ton service à l’armée?
– Oui, je l’ai accompli.
– Combien de seconde avant l’explosion, quand l’anneau de la grenade a été arraché?
– Quatre.
– Voilà. Tu n’auras que quatre secondes.
Je n’y compris rien, mais je ne lui demandai aucune explication. De façon générale, je m’efforçais de l’écouter sans laisser surgir aucune interrogation. Ce qu’il disait, je l’absorbais. Mais là,… quatre secondes. Comment comprendre? Je racontai cela à mon chauffeur occupé à charger des marchandises dans la fourgonnette. A cette époque des bandes de voyous volaient les voitures. Il décida que Batiouchka avait voulu me prévenir d’un événement de ce genre. Pour ce voyage, il prit un marteau avec lui. Il le posa à côté de lui. Que les bandits essaient donc d’entrer. Nous allâmes ensemble à Moscou. La fourgonnette fut déchargée. Je devais rester là quelques jours, mais le chauffeur repartit immédiatement.
Après Kachira, il voulut faire le plein d’essence, mais soudain le moteur du véhicule s’arrêta. Pour comprendre ce qui se passait, il ouvrit la boîte à gants, là ou se trouvent les fusibles et les câbles. Il en sortit des étincelles et de la fumée. Alors, il se rappela les quatre secondes, empoigna le marteau, sauta hors de la cabine et arracha les câbles à la sortie de l’accumulateur, près du démarreur. Dans la fourgonnette, ces câbles gros, et rouges, étaient facilement accessibles de l’extérieur… Il restait une seconde et la fourgonnette allait exploser, avec lui, et toute la station-service, et les maisons voisines. Voilà, tiens, les quatre secondes. Il fallut trois secondes au chauffeur pour agir. Il reprit ses esprits avec difficulté. Les gars de la station-service lui offrirent du café. Alors seulement ils comprirent ce qui s’était passé. A cinq heures du matin, il reprenait la route.
Il n’est pas nécessaire de poser des questions à Batiouchka. Il connaît celles avec lesquelles tu es arrivé près de lui. Je voulais vendre une voiture, pour en acheter une neuve. Passé le pas de sa porte, il me lança :
– Et tu es venu avec quelle voiture ?
J’ouvris à nouveau la porte et lui montrai.
– C’est avec celle-là que tu dois rouler. N’en achète pas de neuve.

Sainte Matrone

Maintenant, elle a quinze ans, et elle roule encore. Sans aucun souci, jamais de panne. Son achat fut toute une aventure. Batiouchka m’avait béni pour aller en Allemagne acheter une voiture. A ce moment de l’année, il n’y avait aucun salon. Il m’a juste dit que je ne devais pas acheter à crédit. Et il avait ajouté que je devais d’abord aller chez «Matrone», m’expliquant comment trouver le monastère et me demandant de transmettre sa bénédiction à la supérieure.
J’arrivai sur les lieux et demandai où je pourrais trouver Matrone. Je pensais qu’il s’agissait d’une moniale vivante. Mais elle reposait dans sa châsse. Je tombai à genoux devant celle-ci, demandai pardon à la Bienheureuse, et priai à chaudes larmes. Je partis acheter des marchandises. Pendant qu’on chargeait ma fourgonnette, on me vola mon portefeuille, avec mon passeport  et mon permis. De l’argent, il n’y en avait guère. Celui qui devait servir à payer la voiture était dans ma ceinture. Le passeport volé était le passeport intérieur. J’avais le passeport international sur moi. Je pouvais passer la frontière, mais comment conduire sans permis? Comment ramener la voiture? J’étais très embarrassé, évidemment. Il allait me falloir rentrer à la maison, et commander un nouveau passeport intérieur et un nouveau permis. Cette nuit-là, Matronouchka m’apparut en songe et me dit :
– Crois, espère et aime. Vas en Allemagne. Voici pour toi une troïka et une veste.
J’ai enfilé la veste et elle convenait. Elle était chaude. Mais je ne vis pas les chevaux de la troïka. Je m’éveillait. Comment comprendre tout cela? Soudain, le téléphone sonna. Un ami, auquel j’avais raconté mon infortune m’appelait et me dit :
– Tu vas y aller. J’y vais également. Je veux acheter un bateau. Ta Mercedes tractera la remorque du bateau.
Et tout s’arrangea parfaitement. J’achetai une Mercedes et mon ami un bateau. On a passé la douane, comme dans du beurre. Nous sommes entrés en Russie. Mais à hauteur de Voronège, trois jeeps nous ont pris en tenaille. Nous étions coincés. Trois costauds avec des revolvers se sont avancés et nous ont dit avec le sourire :
– Finis, les gars. On va naviguer. C’était à vous, maintenant, c’est à nous.
Mais mon ami leur montra alors la carte du Procureur, et il «aboya» :
– Nous conduisons ce véhicule au Procureur de la ville. Il nous attend d’ici cinq minutes. Filez tant que vous êtes vivants !
Ils filèrent comme le vent. Je compris alors que si on ne m’avait dérobé mon permis, je me serais retrouvé seul ici, sans la petite carte magique. Et ils m’auraient pris ma voiture, et peut-être n’en serais-je pas sorti vivant. Voilà comment la Providence divine vient nous sauver. Et dire que j’avais tellement pesté quand on m’avait volé mon permis!
Pour ce qui concerne la troïka de Matronouchka, nous avons parcouru la route qu’autrefois on aurait dit «comme sur une troïka emballée». La chaude veste, je l’ai achetée en Allemagne ; un tout bon blouson. Je le porte encore. Merci Matronouchka.

Divieevo

Ce qui était caractéristique, c’est que les enfants spirituels du Père Siméon non seulement sentaient que Batiouchka les aimait, mais à chacun il paraissait que Batiouchka l’aimait plus que les autres. Je suis allé chez le Père Siméon peu de temps avant sa mort. Il me dit à cette occasion que bientôt, je changerais de domicile, et puis, que je quitterais ensuite la ville. Tout ce passa effectivement ainsi. J’ai commencé par changer d’appartement, et puis, j’ai emménagé à Divieevo. J’avais déjà acheté la maison. La procédure d’achat fut miraculeuse. Elle me fut vendue pour le tiers du prix de vente annoncé. L’endroit est extraordinaire. Je sens que Batiouchka, au Royaume des Cieux, prie pour moi. Je demande seulement que tout, chez moi, contribue à sauver mon âme. Je n’ai besoin de rien, si ce n’est pour mon salut.
Avant, je parlais de Dieu avec tout le monde. L’expliquais, j’enseignais comme je pouvais. Je conseillais la lecture des livres des saints pères, je conseillais de prier. Maintenant j’ai cessé d’agir de la sorte. J’ai peu de contacts avec les gens pour leur parler des choses de Dieu. Un jour, j’ai dit à Batiouchka que les gens de chez nous sont «incorrigibles». Peu parmi eux pensent à Dieu, à la mort, à leur destin d’outre-tombe. Mais cela, il le savait bien avant moi. Il disait : «Il est dit que nous sommes un petit troupeau. Ne donne pas de perles aux pourceaux. Parle à celui qui cherche à se discipliner». C’est ce que j’essaie de faire maintenant.
A Divieevo, tout s’arrange selon la Providence Divine. Le Père Siméon avait annoncé que je quitterais Sotchi. Mais il n’avait pas précisé ma destination. Quand je suis arrivé à Divieevo la première fois, avec un groupe de pèlerins, j’ai immédiatement compris que je devais y emménager. J’essaie d’inciter ceux de ma famille à me rejoindre. Mon oncle a déjà emménagé ici, un homme éduqué, un savant… Il est vrai qu’il faisait partie des Vieux-croyants molokanes. Il ne savait trop ce qu’il devait croire. (Maintenant, il sait). Il ne savait pas s’il avait été baptisé ou non. Lorsqu’il est venu inspecter les environs avant de s’installer, nous avons demandé à un gamin de nous montrer toutes les sources. Nous avons commencé par Satis. Nous nous y sommes plongés. Le gamin a dit alors :
– Ceux qui ne sont pas baptisés et qui se plongent dans cette source sont baptisés le lendemain.
Mon tonton sourit. Le lendemain, je l’ai invité à l’église. Il est venu, est resté tout au long de la Liturgie et m’a dit :
– Je veux être baptisé.
Et le jour même, notre Père Vladimir l’a baptisé à la source de Kazan. Tonton avait décidé que c’était là qu’il voulait être baptisé. Il s’immergea dans l’eau et y demeura assis longtemps, immergé, comme un scaphandrier, sans remonter. Le Père Vladimir et moi riions. Nous n’avions jamais vu aucun baptisé rester aussi longtemps sous l’eau. C’est juste si nous n’avons pas dû le remonter en le tirant par les oreilles. Le lendemain, c’était la fête de la glorification des saintes moniales fondatrices, Alexandra, Marthe et Hélène. Le nouveau-baptisé et moi sommes allés à l’office, de quatre heures de l’après-midi à vingt-deux heures trente. Il y avait tant de monde qu’on avait peine à bouger le bras pour se signer. Cela a permis à tonton de dormir debout pendant la moitié de l’office. Mais il était émerveillé. Depuis lors, il alla régulièrement à la source. Il est devenu un croyant endurci. Au bout de trois ans, il sentit sa fin venir. Il était atteint d’un cancer. Il décida d’accepter la maladie comme la volonté de Dieu. Il n’accepta ni opération, ni chimiothérapie. Il ne s’accrochait pas à la vie. Il disait :
Si Dieu veut prolonger mes jours, je vivrai. S’Il me rappelle à Lui, gloire à Dieu !
Il espérait en le Seigneur de toute son âme. Il avait tout de même été le témoin de tant de guérisons miraculeuses à Divieevo. En 2016, une jeune fille aveugle se baigna dans la source Saint Panteleimon et elle en sortit ayant retrouvé la vue. Mon tonton, qui était présent lors de cet événement, disait:
Aujourd’hui encore, ce cri résonne dans mes oreilles: Je vois!
Il fut stupéfait, et nous tous de même, par un autre cas. Un médecin, professeur, vint de Moscou à Divieevo avec sa fille. Celle-ci fut mordue au bras par un serpent. Le bras enfla, devint tout rouge, ensuite, bleu. Bien que le médecin fut professeur, il paniqua, se demandant que faire. Mais la petite sauta d’elle-même dans la source et s’y assit. Tous prièrent. Au bout de quelques instants, le père cria :
– Sors, il faut aller à l’hôpital. Montre ton bras !
Elle montra son bras, parfaitement sain, ni enflure, ni bleuissement. Le père se fâcha :
– Pourquoi me montres-tu ton bras normal ? Montre celui qui a été mordu…
Mais il s’agissait bien du bras qui avait été mordu.
Aucun miracle ne m’étonne. Mais tonton ne put s’y faire pendant longtemps. Il lui fut montré, le jour de la glorification des Saintes Alexandra, Marthe et Héléna, dans quel lieu sacré il était venu s’installer. Quand nous sortîmes dans la nuit, après l’office, au-dessus du monastère resplendissaient quatre piliers de lumière. Et ils s’élevaient si haut qu’on aurait cru qu’ils sortaient de puissants projecteurs. Seulement, il n’y avait aucun projecteur au monastère. Je pense que Batiouchka Seraphim était venu à la rencontre des trois nouvelles Saintes.
Parfois, je me souviens de ce passage de l’Évangile où l’Apôtre Philippe demande au Seigneur de lui montrer le Père. Et le Seigneur lui répond : «Tu ne comprends donc pas que le Père est en Moi!» (citation approximative). Je suis convaincu de ce que le Seigneur envoie des startsy au monde pour qu’en eux nous L’apercevions. Nous sommes indignes de voir directement Dieu, toutefois, nous pouvons le voir dans les startsy.
Et, chose merveilleuse, à Divieevo, je sens constamment que le Père Siméon est à mes côtés, qu’il guide ma vie. Et je suis également convaincu de ce qu’il m’a remis entre les mains de Batiouchka Seraphim. Ce n’est pas en vain que j’aime celui-ci depuis longtemps. Peut-être est-ce un excès d’orgueil, une trop haute opinion de moi-même… (Qui suis-je en effet pour bénéficier d’une telle grâce?) Mais je sens que maintenant, ils sont deux à me guider…

Traduit du russe
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