Le texte ci-dessous est la traduction d’un passage du livre du Métropolite Nikolaos de Mésogée et Lauréotique, «Si la vie éternelle existe, je veux vivre» («Если вечная жизнь существует, я хочу жить!»). Ce livre est rédigé sous forme d’entretiens avec de jeunes Grecs intéressés par la recherche de la vérité. L’auteur s’efforce de les orienter en fonction de son expérience de la Foi, de Dieu et de l’Église. Les jeunes gens et jeunes filles existent réellement et les dialogues sont authentiques. Cet extrait du livre a été reproduit le 21 novembre 2019 sur le site du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou.
Nous avions choisi une soirée rendue agréable par une brise légère. Nous avions au préalable vérifié les prévisions météorologiques, étonnamment précises, cette fois. Notre entretien se poursuivit même au-delà du couché de soleil, à la lumière d’un quartier de lune. Assis dans la véranda, la vue s’ouvrait largement. Mais notre discussion ne portait pas sur les beautés visibles, mais sur celles, plus belles encore, qui sont invisibles.Elena entama la conversation. Elle avait déjà une certaine expérience de la vie, mais non-liée à l’Église, vers laquelle son esprit s’était tourné voici quelques années seulement. Maintenant, elle essayait avec simplicité d’ancrer le fondement de sa vie sur le roc d’une foi forte mais pas encore pleinement formée. J’avais remarqué qu’elle n’avait rien dit jusqu’à ce moment, laissant la parole aux autres. Cette noble politesse m’avait grandement impressionné.
Elena : Je sens que la majorité d’entre nous vit dans une réalité unidimensionnelle ; notre activité y est très pauvre, elle manque d’air, notre âme étouffe. Nous et nos exigences, voilà les acteurs principaux. Si le péché avec un P majuscule existe, alors, c’est précisément cela. Mais le péché, c’est peut-être toute notre culture contemporaine, divinisée par notre ‘je’… Quand une plante se trouve dans un terreau fertile, et si on l’arrose régulièrement, alors, elle produit de fortes racines, et par la suite, elle peut porter du fruit. Que se passe-t-il lorsque le sol est épuisé par la vermine, quand on ne l’arrose pas, quand l’air ambiant est vicié ? La plante ne peut évidemment pas croître.
Il en va de même avec l’âme, quand elle tente de trouver une issue, comme la Samaritaine du passage célèbre de l’Évangile, qui donna un verre d’eau au Christ. Et, bien sûr, quand Il lui demanda de laisser son «eau sans vie», afin de Lui permettre de lui donner de l’eau vive, elle y répondit favorablement. Notre âme, cependant, hésite, ne se décide pas, elle a peur, et en fin de compte, choisi de demeurer dans sa sécheresse, car elle en a moins peur parce que cet état lui est tout à fait connu. Comment l’homme peut-il dépasser sa fermeture intérieure, particulièrement quand pour lui la foi se résume à de l’espoir, à un avant-goût, à un souhait indéfinissable ?
Le Métropolite Nikolaos : Je pense que la clé de cette situation réside dans le renforcement de la foi. L’Évangile décrit un événement particulier ; lors d’une tempête inopinée sur le Lac de Tibériade, alors que les disciples sont dans la barque, entourés par les ténèbres, au milieu de cet effroi face aux éléments déchaînés, apparaît le Christ, marchant sur les vagues. Ils pensent qu’il s’agit d’un fantôme, et le Seigneur, voulant les aider à dépasser leur doute, appelle Pierre et lui demande de Le rejoindre sur l’eau. Pierre y va. Toutefois, arrive le moment où il prend conscience de la force du vent et de la mer. Alors, il prend peur et il commence à couler. «Seigneur, sauve-moi !», crie-t-il. Le Seigneur le soutient et lui dit : «Homme de peu de foi ! Pourquoi doutes-tu?» (Mt.14,30-31), tu as regardé la tempête et tu as coulé parce que tu M’as oublié. Tu as oublié le miracle qui se produisait devant toi, et tu t’es fié à ta logique. Tout le problème réside dans le manque de foi. Quand elle se réduit en nous en un avant-goût, ou un souhait indéfinissable, comme tu l’as formulé, peu de choses pourront changer. Notre foi doit se renforcer. Par ailleurs, notre nature même est encline à la malice et à la vilenie. Il faut lutter, et au plus nous acquerrons une expérience positive, au plus notre foi sera forte et au plus notre vie s’affermira. Il est nécessaire d’apprendre non pas à faire la volonté de Dieu, mais à se réjouir en Sa vie. De cette façon on échappe au Dieu-juge, et on se trouve dans les bras du Dieu-miséricorde, car est-il possible, quand on aime, de souhaiter la séparation, semblable à la sécheresse ? Non, c’est impossible. C’est lorsqu’on prend de gros risques, quand on s’engage pour ce qui est nouveau, que l’on conquiert la vie.
Elena : Une différence réside toutefois en ce que dans l’amour terrestre, l’être aimé a une personnalité concrète, on partage des sentiments, et cela ne contredit pas le bon sens. Dans la sphère spirituelle, l’être aimé est une idée, et pas une personne. Cela sort du cadre des sentiment et cela enfreint les lois de la logique.
Le Métropolite Nikolaos : Mais Dieu n’est pas une idée, ni une force supérieure, ni un concept indéterminé. Il est une personne avec une volonté. Il a une existence, Il entre en relation avec nous, et nous avec Lui. Il répand Sa grâce et Sa force. Quand tu as parlé du sol contaminé par la vermine, et de l’air pollué qui caractérisent notre environnement, je me souvins de la question posée au christ : «Qui peut être sauvé?». Et Il répondit «Ce qui n’est pas possible à l’homme est possible à Dieu» (Lc.18,26-27). Il existe des gens capables de vivre comme des anges de Dieu dans les Cieux (Mt.20,30) «au milieu d’une génération perverse et corrompue» (Phil.2,15). La foi en la force de Dieu implique que tout est possible pour celui qui croit (Mc.9,23). Ce sentiment est supérieur à tout autre sentiment, à toute logique; il prime toute raison.
Elena : D’accord, mais quand on lit la littérature patristique, on sent le feu puissant de tous ces gens. Où cette incandescence a-t-elle disparu depuis lors ? On a l’impression de ne plus en ressentir que des échos. Et si plus personne n’est dépositaire de ce feu, comment transmettre celui-ci, si on ne le voit pas, comment s’en convaincre ?
Le Métropolite Nikolaos : Il est évident que l’homme qui n’a pas ce feu en lui ne peut le transmettre. Pour ce qui concerne la dernière question, je vous propose l’apparition du Seigneur à Thomas, après Sa Résurrection. Thomas voulait voir et toucher avant de croire, mettre sa main dans les plaies occasionnées par les clous. Le Seigneur donna satisfaction à ce souhait, et Thomas confessa : «Mon Seigneur et mon Dieu!». Toutefois, ici, l’essentiel n’est pas la confession de Thomas, mais les paroles que prononça ensuite le Seigneur : «Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru!» (Je.20,29). Il existe des gens qui après avoir vu, commencent à croire, comme toi, par exemple. Il y en a d’autres qui refusent de croire parce qu’ils n’ont pas vu. Mais il existe aussi des gens qui croient sans avoir vu. Au début, ces gens commencent par croire, et ensuite, ils voient. Ils acquièrent une vision différente, et ils voient même l’invisible. Ce sont des bienheureux. Dans ce cas brûle encore ce feu, cette ardeur des Saints Pères, dont tu parlais, le feu des saints. Je suis d’accord avec la constatation de ce que Dieu n’intéresse plus l’âme humaine comme dans le temps jadis. Les intérêts des gens ont changé. Toi-même, tu viens juste de dire que la culture contemporaine a déifié le « je »…

Photo Pemptousia.gr

Le ‘moi’ personnel, le rationalisme, le profit, la tentative de tout vouloir comprendre, et aussi la morale contemporaine, tout cela éteint la flamme du cœur, formate des gens qui trouvent du sens seulement dans l’existence biologique, des matérialistes, spirituellement impuissants et lourds, à la conscience infirme, qui même s’ils se proclament croyants capables de folies, ont en réalité du mal à comprendre les choses les plus simples, sans parler des plus grandes. Mais celui qui comprend, il lui suffit d’essayer.
Elena : Comment cette rallumer cette flamme ? Pour entrer dans la volonté de Dieu, il faut non seulement vaincre l’esprit du temps, mais il faut de plus passer par la porte étroite : se vaincre soi-même. En quoi est-ce indispensable ? Pourquoi ?
Le Métropolite Nikolaos : L’homme doit se rétrécir, se courber, rapetisser. La liberté divine se donne aux humbles et à ceux qui luttent. «le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent… (Mat.11,12), et …étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie» (Mat.7,14). Et pour accéder au succès au théâtre, ou dans les sciences, pour les savants, ou pour les sportifs, dans leur domaine, ne faut-il pas d’efforts ? Au plus on se donne, au plus on s’élève. La volonté divine c’est le sommet de tout, et dès lors, les plus grands efforts sont indispensables. Pour atteindre les hauteurs les plus élevées, on a besoin de muscles puissants et de poumons costauds.
Elena : J’ai l’impression que notre ennemi, c’est notre époque ;elle complique tout. Notre entretien, par exemple est extrêmement inhabituel. Et tout ce dont vous nous parlez est difficile à comprendre, comme vous pouvez l’imaginer.
Le Métropolite Nikolaos : Notre époque, c’est-à-dire le mode de pensée, les habitudes et la culture qui est sensée éduquer, tout cela crée une difficulté dans la mesure où seules les larges voies de la facilité sont proposées, et on dissimule les voies étroites qui mènent à la vérité. Toutefois, ne perdez pas de vue que notre époque pourrait peut-être bientôt porter quelques fruits, peu nombreux, mais très grands, car «là où le péché a abondé, la grâce a surabondé» (Rom.5,20). Aujourd’hui, le nombre de saints diminue, mais pas la mesure de la sainteté. Aujourd’hui encore, la grâce surabonde, et c’est le zèle qui fait défaut. Le zèle dépend de nous, la grâce, de Dieu. En outre, le Christ a dit «Car mon joug est doux, et mon fardeau léger.» (Mt. 11,30). Que ceux qui ont l’intelligence aient aussi l’audace.
Traduit du russe
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