Saint Procore le Thaumaturge

Le texte ci-dessous est la traduction de l’extrait du Paterikon de la Laure des Grottes de Kiev consacré au Saint Moine Procore, appelé «Прохор Лебедник». «Lebednik», est un mot russe dérivé de ‘лебеда’, qui signifie ‘arroche’. Le titre original de l’extrait est: «О Прохоре-черноризце, который молитвою из травы, называемой лебеда, делал хлебы, а из пепла соль», c’est-à-dire, «Au sujet du moine Procore, qui par sa prière faisait du pain à partir de l’herbe appelée arroche, et du sel à partir de cendres». Le texte russe du Paterikon utilisé pour cette traduction est celui édité par le Monastère Sainte Élisabeth, de Minsk. La mémoire du Saint Moine Procore est célébrée le 10/23 février.

Telle est, au sujet de Sa création, la volonté du Dieu Qui aime les hommes : toujours et en tout temps, Il prendra soin du genre humain et lui donnera ce dont il a besoin. Attendant notre repentir, Il nous envoie parfois la famine, parfois les hordes de soldats lors des luttes intestines entre les puissants. Ce faisant, notre Maître réoriente la négligence humaine vers la vertu, nous rappelant l’essence des choses inconvenantes, car ceux qui font le mal et les choses inconvenantes seront, pour leurs péchés, livrés aux dirigeants mauvais et impitoyables, et ceux-ci n’échapperont pas non plus au jugement, car le juge sera sans pitié envers celui qui n’aura pas fait preuve de pitié.C’était à l’époque du Prince Sviatopolk de Kiev. Il infligea maintes violences aux hommes, Sviatopolk. Sans que ces hommes soient coupables de rien, il anéantit jusqu’à leurs fondements les familles de nombreux nobles, confisquant leurs domaines. En suite de cela, le Seigneur permit que les mécréants le dépassent en force ; il y eut alors de nombreuses guerres contre les Polovtses. De plus il y eut en ces temps une recrudescence des luttes intestines et de dures famines, et survinrent en Terre Russe de grandes pénuries en toutes choses.

Sviatopolk 1er. Peinture de V. Cheremetiev

C’est en ces jours-là qu’un homme venant de Smolensk vint demander à l’Higoumène Ioann de pouvoir devenir moine ; l’higoumène le tonsura et lui donna pour nom Procore. Portant la bure, Procore se consacra à ses obédiences et à une telle ascèse qu’il renonça même au pain. Il cueillait de l’arroche, la broyait entre ses mains, en faisait des pains et s’en nourrissait. Il en préparait pour une année entière, et l’été suivant, il cueillait de nouveaux plants d’arroche, et ainsi, il se satisfit d’arroche et renonça au pain pendant toute sa vie. Le Seigneur, voyant sa patience et ses grandes privations, changea pour lui l’amertume en douceur, et la joie succéda à l’affliction, selon qu’il est dit : «Le soir, des pleurs s’élèveront, mais au matin, la joie». Et à cause de cela, on le nommait «pain d’arroche»1 , car comme on vient de le dire, jamais il ne mangea ni pain, à l’exception des prosphores, ni aucun légume, ni aucune boisson. Il se contentait seulement d’arroche et d’eau. Jamais il ne murmurait contre qui que ce soit, et toujours, il servait le Seigneur dans la joie. Il ne s’affligeait d’aucun malheur, car il vivait comme un oiseau : celui-ci ne se construit ni grange ni abri où conserver son bien. Il ne dit pas comme le riche : «Mon âme! Tu as accumulé tant de biens en tant d’années; mange, bois et réjouis-toi!». Il ne possédait rien, sinon de l’arroche, qu’il utilisait pour préparer ses provisions pour un an seulement, se disant : «Petit homme! Cette nuit, tes anges t’enlèveront ton âme, qui donc aura besoin de l’arroche que tu auras préparée?». Ce faisant, il accomplissait les paroles du Seigneur : «Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni n’assemblent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit» (Mat. 6,26). Les imitant, Saint Procore parcourait avec facilité les lieux où poussait l’arroche, et il en chargeait des bottes sur ses épaules, comme sur des ailes, les ramenait au monastère, et s’en préparait de la nourriture, son pain provenait d’une terre non labourée et non semée.
Une grande famine s’installa. La mort de faim planait au-dessus de tous. Mais le bienheureux poursuivait sa routine, récoltant l’arroche. Un homme l’ayant aperçu à l’œuvre commença lui aussi à ramasser de l’arroche pour lui-même et sa famille, afin de faire face à la famine. Le Saint homme décida alors d’augmenter fortement le volume de sa récolte d’arroche. Il agrandit en ces jours l’ampleur de son œuvre : récoltant cette herbe sauvage et la broyant de ses propres mains, comme cela a été expliqué, il préparait des pains qu’il distribuait aux indigents et à ceux que la faim faisait tomber d’inanition. Ils furent nombreux à accourir vers lui en ces temps de famine, et à tous, il remettait des pains, sucrés comme le miel, aurait-on dit. Et plus personne ne voulait de pain normal tant que le bienheureux en préparait avec son herbe sauvage. Et quand il le donnait avec sa bénédiction, son pain était léger, pur et sucré, mais si quelqu’un le lui prenait secrètement, le pain s’avérait amer, comme l’armoise.
Un des frères du monastère subtilisa un des pains en douce, et voulu en manger, sans la bénédiction du starets. Mais il ne put en avaler une bouchée car ce qu’il tenait en mains était d’une amertume insupportable. Et la situation se reproduisit. Mais le frère fut pris de honte, et il n’osa avouer son péché au bienheureux. Toutefois, il avait faim et il ne put résister à ce besoin naturel. Il alla demander à l’Higoumène Ioann de lui pardonner son péché, et lui raconta ce qui lui était arrivé. L’higoumène n’accorda pas foi au récit. Pour en avoir le cœur net, il ordonna à un autre frère d’aller secrètement subtiliser un pain. Ce qui fut fait. Mais il lui arriva la même mésaventure qu’au premier voleur : personne ne pouvait manger le pain tellement il était amer. Tenant lui-même ce pain en mains, l’higoumène envoya un moine demander un pain au bienheureux. «Et vous en prendrez un autre à son insu, en sortant». Quand le frère ramena les deux pains, celui qui avait été volé se transforma à la vue de tous et tomba en miettes amères. Mais le premier pain, reçu des mains du bienheureux, était léger et doux comme le miel. Après pareil miracle, la gloire de cet homme se répandit partout, et il nourrit de nombreux affamés, se rendant utile à tous.
Sviatopolk conclut un accord avec Volodar et Vassilko, et ils lancèrent leurs troupes contre le Prince David Igorevitch pour venger Vassilko, auquel Sviatopolk, trompé par David Igorevitch, avait fait crever les yeux. Ils interdirent l’accès aux marchands de Galicie, et aux chalands de Peremysl, et le sel vint à manquer en terre russe. Les temps devinrent durs. Les pillages se multipliaient. Comme le dit le Prophète David «Ils dévorent mon peuple, ils le prennent pour nourriture; Ils n’invoquent point l’Éternel» (Ps.13,4). Tout le peuple était affligé de tristesse, épuisé par la famine et la guerre, n’ayant plus ni blé ni sel, avec lesquels ils auraient pu supporter leur pauvreté.
A cette époque, le Bienheureux Procore vivait dans sa cellule. Et il y entassait subrepticement, en provenance de toutes les autres cellules, de grandes quantités de cendres, et il en distribuait à ceux qui venaient auprès de lui, transformant les cendres en sel pur, par ses prières. Et au plus il en distribuait, au plus sa réserve augmentait. Il ne demandait rien en échange, il en donnait autant que de besoin, et il y en eut en suffisance pour tout le monastère, mais aussi pour les laïcs qui venaient nombreux et ramenaient chez eux tout le sel dont ils avaient besoin. La place du marché restait vide, mais le monastère était rempli de gens qui venaient s’approvisionner en sel.
Mais cela éveilla la jalousie des marchands, car ils devaient renoncer aux bénéfices escomptés. Ils avaient imaginé que cette période de pénurie en sel pourrait leur être très profitable, mais elle ne leur rapporta que de l’affliction. Les gens refusaient maintenant de leur payer, pour dix mesures de sel, ce que leur coûtaient auparavant deux mesures de sel. Tous les marchands de sel se rendirent ensemble auprès de Sviatopolk et lui parlèrent de façon à l’indisposer envers le moine, disant : «Procore, le moine du monastère des grottes, nous a volé beaucoup de richesses : il donne gratuitement du sel à tous ceux qui viennent lui en demander, et nous appauvrit par la même occasion». Le Prince voulut leur être agréable, et il se pensa en outre à part lui-même : «Je vais couper court à leurs murmures et par la même occasion, je vais m’enrichir». Il estima avec ses conseillers, que le prix du sel allait monter, et confisquant la provision du moine, il allait pouvoir la revendre. Il calma donc les marchands révoltés en leur disant : «Pour vous aider, je vais piller le moine», mais il tut son intention de s’enrichir par la même occasion. Il voulait, fut-ce provisoirement, les amadouer, mais il causa ainsi plus de dégâts, car la cupidité ne peut assurer aucun profit.
Le prince envoya quérir tout le sel du moine. Quand la provision de sel arriva, le prince accompagné des marchands qui s’étaient révoltés et qui avaient manipulé le prince pour faire du tort au bienheureux moine, s’approchèrent pour examiner le sel, et tous constatèrent qu’ils avaient sous les yeux un grand tas de cendres. Tous étaient ébahis, se demandant ce que cela pouvait signifier. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Souhaitant s’assurer de la situation, le prince ordonna de conserver le tas pendant trois jours. Il envoya alors un homme en goûter, et celui-ci constata qu’il avait des cendres en bouche.

Saint Procore et le Prince Sviatopolk

Pendant ce temps, comme de coutume, une foule de gens se présentait au saint moine et lui demandait du sel. Apprenant que le starets avait été dévalisé, ils repartaient les mains vides, maudissant ceux qui s’étaient rendu coupables du méfait. Mais le bienheureux leur dit : «Quand on le jettera, aller vous servir et emmenez-en». Le prince ayant conservé les cendres pendant trois jours, il ordonna ensuite de se débarrasser du tas, et de jeter les cendres. Quand celles-ci furent répandues, elles se transformèrent aussitôt en sel. L’ayant appris, les habitants de la ville arrivèrent à la hâte et emmenèrent tout le sel.
Ce nouveau miracle stupéfia le coupable du méfait: il ne pouvait dissimuler ce qui s’était produit car tout s’était passé au vu et au su de toute la ville, qui interrogea le prince à propos de ses agissements. Le prince eut connaissance de l’autre miracle accompli par le saint moine, qui nourrissait le peuple avec de l’arroche, qui devenait en bouche du pain sucré. Et ceux qui avaient emmené ce pain sans sa bénédiction se retrouvaient avec un agglomérat de poussière, amère comme l’armoise, dans les mains. Entendant cela, le prince fut accablé par le honte de ce qu’il avait fait, et il se rendit au monastère, auprès de l’Higoumène Ioann, devant qui il se repentit. Auparavant il nourrissait de la haine envers celui-ci car l’Higoumène condamnait sa soif inextinguible de richesses et les violences qu’il avait perpétrées. Jadis, Sviatopolk l’avait capturé et emprisonné à Tourav, mais Vladimir Monomaque entra dans une grande colère contre lui, et Sviatopolk, craignant cette colère libéra sur la champ l’higoumène et le fit reconduire avec les honneurs en son Monastère des Grottes.
Maintenant, suite aux miracles, Sviatopolk nourrissait un grand amour pour le Monastère de la Très Sainte Mère de Dieu, pour les Saints Pères Antoine et Théodose et pour le moine Procore, qu’il vénéra et loua désormais, car il était convaincu qu’il s’agissait en vérité d’un serviteur de Dieu. Et il donna sa parole à Dieu de ne plus jamais se rendre coupable de violences. Et le starets entendit alors le prince lui adresser ces mots, avec fermeté : «Si par la volonté de Dieu, je quitte ce monde avant toi, tu me mettras dans ma tombe de tes propres mains ; ainsi tu manifesteras ta bienveillance à mon égard. Et si tu décèdes avant moi, pour t’en aller vers le Jugement intègre, je te porterai en terre sur mes propres épaules, afin que le Seigneur m’accorde le pardon du grand péché que j’ai commis envers toi». Ayant prononcé ces mots, le prince le quitta.
Saint Procore vécut encore plusieurs années, confessant le bien, plaisant à Dieu par sa vie pure et immaculée. Mais le saint devint ensuite malade, alors que le prince était parti faire la guerre. Le saint lui envoya alors cette annonce : «L’heure de mon départ de ce corps approche. Viens, si tu le veux. Nous nous accorderons le pardon et prendrons congé, et tu accompliras ton vœu : tu me déposeras dans ma tombe de tes propres mains, et de Dieu tu recevras le pardon. J’attends seulement ta venue. Si tu tardes, je m’en irai. Et n’aie crainte, cette guerre, tu la remporteras, si tu viens vers moi». Entendant cette nouvelle, Sviatopolk congédia ses soldats et accourut sans délai vers le Saint. Celui-ci parla longuement au prince de la miséricorde, du Jugement Dernier, de la Vie éternelle, et des tourments éternels. Ensuite, il lui accorda sa bénédiction et son pardon. Il fit ses adieux au prince et à tous ceux qui étaient présents, il éleva les mains vers le ciel et rendit l’esprit. Le prince souleva lui-même le corps du starets, l’emmena dans ses propres mains jusque dans les grottes et le déposa dans sa tombe.

La tombe de Saint Procore, à la Laure des Grottes de Kiev

Après les funérailles du bienheureux, le prince repartit à la guerre, et remporta une grande victoire contre les Agaréniens, annexa leurs domaines et fit de nombreux prisonniers. Ce fut la victoire donnée par Dieu à la Terre de Russie, telle que le saint l’avait prédite. Depuis lors, avant de partir en guerre ou même à la chasse, Sviatopolk venait toujours avec reconnaissance au monastère et vénérait la Très Sainte Mère de Dieu et la tombe de Saint Théodose, ensuite il entrait dans les grottes et allait vénérer Saint Antoine et Saint Procore et tous les saints pères, avant de poursuivre son chemin. Et son royaume, donné par Dieu, prospéra. Et il proclamait les miracles et signes de Saint Procore et des autres saints, dont il avait été témoin. Puissions-nous recevoir avec lui la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ et du Saint Esprit, maintenant et toujours. Amen.
Traduit du russe
Source

  1. L’expression «Pain d’arroche», comme indiqué dans l’introduction, sert uniquement à exprimer en français l’idée du texte russe. En réalité, on l’appelait «lebednik», c’est-à-dire, celui qui utilise l’arroche, qui s’en tient à l’arroche. N.d.T.