Si les gens
savaient ce qui les attend,
ils prieraient 
tout le temps.
(Archimandrite Hippolyte)1

L’original russe du texte ci-dessous, publié sur le site Pravoslavie.ru, a été préparé par Madame Nadejda Chelepov, avec le Moine Grégoire (Penknovitch). On a fêté le 18 avril 2018 le 90e anniversaire de la naissance de l’Archimandrite Hippolyte (Khaline) (1928-2002), le starets de l’Athos, Supérieur du Monastère Saint Nicolas de Rylsk, «le starets possédant la plus grande des bontés», selon l’Archimandrite Kirill (Pavlov). Des milliers de pèlerins affluèrent à cette occasion de toutes les régions de Russie et de l’étranger vers la tombe du Starets, dans l’Éparchie de Koursk. A la même occasion fut publié un nouveau livre à son sujet : «Quand se dévoile l’éternité». Le moine Grégoire (Penknovitch), du Monastère Saint Nicolas de Rylsk a été interrogé lors de la présentation du livre à Moscou.

«Batiouchka nous a révélé un nouveau monde»

Le Père Hippolyte et les pèlerins d’Alanie

Père Grégoire, comment le Père Hippolyte est-il entré dans votre vie?
Je suis arrivé à Rylsk alors que j’étais étudiant à la Faculté de Journalisme de l’Université d’État de Moscou, en 1995. Je suis natif d’Alanie, l’Ossétie du Nord, de la ville de Vladicaucase. C’est une fille spirituelle du Starets qui m’amena à Rylsk, la remarquable chrétienne, héroïne de l’ascèse possédant le don de la prière, Asa Georguievna Ossipov. Elle est aujourd’hui âgée de 88 ans. Batiouchka l’aimait et éprouvait envers elle une grande considération. Elle nous avait emmené par tous les chemins serpentant d’Alanie jusqu’à Rylsk. A cinq, nous formions l’un des premiers groupes de pèlerins d’Ossétie. Par les suite, ce sont ils vinrent par milliers.Cette première rencontre fut évidemment mémorable. Nous montâmes à la cellule de Batiouchka, en ce premier étage que nous n’oublierons jamais. Le Starets nous étreignit dans ses bras ; son accueil et sa simplicité nous surprirent. Nos cœurs fondirent. Dès la première minute, je l’accueillis en mon cœur et l’aimai. Le Père nous envoya au réfectoire en disant: «Ici, c’est de l’amour que vous aller manger, pas des pommes de terre». Ensuite nous reçûmes des obédiences. Pendant une semaine, nous dûmes excaver et nettoyer des grottes à proximité du monastère. Au temps jadis, des moines du grand schèmes y vécurent. Je me souviens d’une autre rencontre, importante. Je fis connaissance au monastère avec une femme de Saint-Pétersbourg, qui pour résoudre ses problèmes allait régulièrement trouver la Bienheureuse Staritsa Lioubouchka de Sousanina (Lioubov Ivanovna Lazareva, + 1997). En 1994, Lioubouchka avait dit à cette dame : «Il existe une ville qui s’appelle Rylsk. Là, au Monastère Saint-Nicolas vit un deuxième Saint Seraphim de Sarov, Hippolyte. Vas-y, il t’aidera». Et Batiouchka l’aida. Ainsi, par les paroles de la Bienheureuse Lioubouchka, le Seigneur me révéla que devant moi se tenait un homme doté de grands dons spirituels. Je rentrai en Ossétie comme avec des ailes. C’était souvent le cas de ceux qui venaient de rencontrer l’Higoumène de Rylsk. C’était comme si on revenait sur la terre des pécheurs après être allé dans une des demeures célestes.

Comment cette rencontre transforma-t-elle votre vie ?

Avant ce voyage, je me rendais dans les églises de mon Ossétie natale et dans celles de Moscou. Je me considérait croyant, mais je ne pouvais encore imaginer la profondeur de notre foi orthodoxe. Cela, c’est à Rylsk seulement que je parvins à le comprendre, quand j’y fus touché par l’esprit des premiers siècles du christianisme, par l’amour et la simplicité.
Le Père Hippolyte m’a prédit que je deviendrais moine. Je ne peux pas dire que ce fut une nouvelle qui me réjouit. A la fin de mes études à l’Université de Moscou, j’ai travaillé comme correspondant d’une agence de presse en Ossétie du Nord. Je m’occupais des nouvelles politiques dans les points chauds des montagnes. Et puis je suis entré comme novice au Monastère de Rylsk, et Batiouchka m’a tonsuré. Il me conseilla également d’apprendre l’anglais : «Cela te servira». Le Starets voyait mon chemin de vie. Aujourd’hui, je guide les pèlerins de Russie en Terre Saine, et je dois utiliser l’Anglais.

La Loi de l’Amour.

Quels sont les traits spirituels du Père Hippolyte que vous pourriez souligner?
Avant tout, sa simplicité christique. Il ne s’agissait seulement d’imiter la «maigreur ascétique» des anciens pères, héros de l’ascèse. La simplicité de Batiouchka c’était l’âme chrétienne au naturel, la bienveillance, l’ouverture, l’aisance légère. Batiouchka parlait peu, c’était un silencieux. Comme les anciens reclus qui vivaient dans les grottes loin des gens. Mais Batiouchka vivait dans la densité du peuple tout en préservant sa paix, sa prière. Il parvenait à être un reclus dans la cellule de son cœur. Son silence vivait dans le trésor de la prière secrète, la contemplation de Dieu. C’est la «langue du siècle à venir», manifestation d’un haut niveau de perfection spirituelle.
Possédant l’authentique humilité, Batiouchka ne montrait jamais qu’il était supérieur à nous en quoi que ce fût. Un jour, il me dit d’une voix douce et véritablement triste : «Cela fait quarante ans que je suis moine, et pas un seul jour je n’ai vécu comme un moine». Jamais il ne faisait la démonstration de son pouvoir, ni spirituellement, ni administrativement. Il était archimandrite mais ne portait que rarement la croix ornementée, ou la mitre. Avec sa veste en coton huilé et sa vielle tunique, on le prenait parfois pour un novice.
Batiouchka avait l’amour pour le Christ, le plus grand don offert par le Seigneur à l’homme. Accomplissant la promesse du Christ Sauveur «celui qui vient à Moi, Je ne le jetterai pas dehors» (Jean 6;37), il accueillait chacun, même les plus déchus. Les gens chassés de partout, vagabonds, prostituées, toxicomanes, ivrognes, il accueillait tout le monde et priait pour tout le monde. Souvent, à cette catégorie de gens il accordait une attention personnelle toute particulière et beaucoup plus de temps qu’à ceux qui s’en sortaient mieux. Beaucoup ne comprenaient pas cela. Du Sauveur aussi on a dit : «Pourquoi mange-t-Il et boit-Il avec les pécheurs et les publicains?»
En plus du don de l’amour, il jouissait de la patience du Christ. Ce n’est pas un hasard si on a inscrit sur la croix qui se dresse sur sa tombe: «L’amour est miséricordieux et patient». Pendant des mois et même des années, accueillir patiemment des gens déchus, ingrats, perdus semble-t-il à tout jamais pour la société, ne pas les offenser, les transformer par la prière, c’est seulement à la portée de héros de l’ascèse possédant un charisme particulier, une grâce spéciale de l’Esprit-Saint.
Un jour, je dis : «Batiouchka, c’est tellement bien que ce soit vous que j’aie rencontré et non pas l’un ou l’autre ‘légaliste’». Le Starets admettait que l’essentiel, c’est la loi de l’amour. De certains prêtres, il disait «Tu sais, Père, celui-là, il n’a pas le même esprit que moi, c’est un ‘légaliste’». Après la mort du Père Hippolyte, il me revint de trier un sac de correspondance qui lui avait été adressée de tous les coins du pays et de l’étranger. C’était un flot de reconnaissance adressée au bien-aimé Batiouchka. Et entre autres de la reconnaissance pour l’aide matérielle qui avait été accordée. Bien sûr, il y avait aussi des demandes de prière. De nombreuses lettres commençaient par ces mots : «Très miséricordieux Batiouchka», «Très miséricordieux Père Hippolyte». Je me souviens du cas suivant. Le supérieur d’une des skites du Monastère de Rylsk avait une dinde et des dindonneaux. Ces volatiles passèrent la clôture du potager voisin et piétinèrent les oignons et les carottes. La propriétaire réclama une indemnité. Apprenant cela, le Père Hippolyte ordonna qu’on lui offrit la dinde et les dindonneaux. Le supérieur de la skite s’indigna : «Mais j’ai quasiment fait éclore les œufs moi-même, et après, je les ai nourris, abreuvés!». Il n’y eut rien à faire ; voilà un exemple significatif des relations du Starets avec son prochain. (A suivre)
Traduit du russe.

Source

 

  1. Les Ailes de l'Amour. Souvenirs au sujet de l'Archimandrite Hippolyte (Khaline.Editions Sinopsis, Moscou 2019, p.196