Si les gens
savaient ce qui les attend,
ils prieraient 
tout le temps.
(Archimandrite Hippolyte)1

L’original russe du texte ci-dessous, publié sur le site Pravoslavie.ru, a été préparé par Madame Nadejda Chelepov, avec le Moine Grégoire (Penknovitch). On a fêté le 18 avril 2018 le 90e anniversaire de la naissance de l’Archimandrite Hippolyte (Khaline) (1928-2002), le starets de l’Athos, Supérieur du Monastère Saint Nicolas de Rylsk, «le starets possédant la plus grande des bontés», selon l’Archimandrite Kirill (Pavlov). Des milliers de pèlerins affluèrent à cette occasion de toutes les régions de Russie et de l’étranger vers la tombe du Starets, dans l’Éparchie de Koursk. A la même occasion fut publié un nouveau livre à son sujet : «Quand se dévoile l’éternité». Le moine Grégoire (Penknovitch), du Monastère Saint Nicolas de Rylsk a été interrogé lors de la présentation du livre à Moscou. Le début du texte se trouve ici.

Batiouchka achetait régulièrement des vaches malades dans les villages des environs, et il les payait au prix des bêtes saines. Certains marchands de misères imaginaient avoir réussi à tromper le «grand-père». La Moniale Agathe (Bogatkine) se souvient de son propre émoi : «Batiouchka, que fais-tu? Cette vache ne vaut pas son prix, c’est une vache «à un litre», elle ne donnera quasi pas de lait, elle n’a presque pas de pis». Mais le Starets me poussait de côté en chuchotant «Matouchka, tu ne comprends pas. Je lui achète sa vache malade plus cher que le prix de la boucherie. En faisant cela, je l’aide et son cœur s’adoucit». Ces paroles du héros de l’ascèse de Rylsk sont stupéfiantes. C’est l’Évangile vivant. C’était en agissant de la sorte, aux frais de son monastère, que celui qui sur terre était déjà devenu un habitant de la Jérusalem Céleste parvenait à s’occuper des laissés-pour-compte, parfois des méchants et de ceux qui se tenaient loin de l’Église.Le Starets fut supérieur du monastère à une époque très dure pour tout le pays; les années 1990. La première chose que faisait Batiouchka lorsqu’il accueillait des pèlerins était de les envoyer tous au réfectoire, ouvert du matin au soir. Un amour pareil à celui des frères de cette époque, je n’en ai vu nulle part ailleurs. Mais il ne s’agissait pas d’un accomplissement des membres de la communautés ; le mérite en revenait au Père Hippolyte, qui avait créé une atmosphère incroyablement empreinte de grâce. Je me rappelle la réaction d’une pèlerine : «J’ai visité tous les monastères d’Europe, mais jamais je n’en ai vu un comme celui-ci».

Monastère de Rylsk

Chez nous il n’y avait pas de coupole dorée. Seule l’église Saint-Nicolas, sur deux niveaux, avait été restaurée. Mais le monastère possédait des millions, l’argent coulait à flots, malgré que le Père Hippolyte ne cherchait pas de sponsor. Il priait, et le Seigneur envoyait des gens qui aidaient le monastère.
Le Père distribuait généreusement au peuple qui souffrait; sans attendre que l’aide lui soit demandée, il la fournissait. On m’a demandé: «A quoi donc le Père Hippolyte dépense-t-il l’argent?». Je savais à quoi: 300 à 400 personnes étaient nourries chaque jour, cinq ermitages furent restaurés et il y avait de grandes œuvres de charité. Le Père Hippolyte aidait tous les nécessiteux, croyants et non-croyants. Des gens de différentes confessions venaient à lui, il ne faisait pas de distinction entre «les siens» et «les autres». C’était un véritable amour chrétien s’étendant à tout le monde. Je ne connais pas d’autres exemples pareils dans le monde moderne; cela n’est comparable qu’à l’exploit du Saint et Juste Jean de Kronstadt. L’amour agissant du Christ, associé à une douceur et une humilité incroyables, porta de grands fruits: miracles et guérisons.
Batiouchka avait le grand don de la consolation. Il n’avait pas le don de la parole, il n’était pas prédicateur au sens classique. Il prêcha par l’exemple de sa propre vie, c’est le sermon le plus vivant et le plus efficace qui puisse être au monde. De sobres expressions comme «Eh bien Père, supporte cela patiemment», «Que le Seigneur t’aide», «Sois en bonne santé», «Merci Seigneur», et quelques autres phrases étaient les réponses adressées par le Père Hippolyte à ceux qui venaient à lui avec les plus lourds fardeaux de péchés, le joug des problèmes quotidiens, les tribulations. Et ils partaient renouvelés, le visage rayonnant et l’âme éclairée. Parfois, ils n’entendaient rien de spécial de la part du Père, mais la grâce de Dieu qui reposait sur lui, produisait son action transformatrice, changeait parfois radicalement leur vie. J’étais étonné par la facilité de communiquer avec lui et le sentiment de joie extraordinaire qui en découlait. J’ai vu des milliers de personnes approcher le Père Hippolyte avec les larmes aux yeux et repartir avec le sourire.
Il consacrait tout son temps aux gens et à la prière. Je ne sais quand il dormait. Je me souviens qu’après l’Office de Pâques, nous les jeunes étions fatigués après la Liturgie nocturne, et allions dormir dans nos cellules. Et le Père nous a croisés et a dit: «qui dort après Pâques? Comment peut-on dormir?! Marchez autour du monastère, louez Dieu.» Et nous avons marché en chantant le tropaire de Pâques le long de l’enceinte du monastère, avec joie, et de fatigue il n’en fut plus question! Et nous aperçûmes Batiouchka. Il avait enfilé ses vêtements ordinaires et sortait de sa cellule en chandail, son bâton à la main et et se dirigeait vers la forêt. Voici la prière du juste! Il allait dans la forêt pour y continuer à prier devant Dieu pour nous tous.
J’ai connu plus d’une centaine de membres de groupes criminels organisés du Caucase du Nord et de Rostov, qui vinrent voir le Père Hippolyte. Et beaucoup d’entre eux abandonnèrent leurs activités criminelles. Des milliers de personnes ont été sauvées dans le monastère. Des musulmans sont devenus chrétiens. J’en parle en qualité de témoin oculaire. Les bandits devenaient doux comme des agneaux. Par exemple, un homme qui était le bras droit du chef d’un gang criminel est devenu professeur de droit. Voilà ce qui se passait dans notre monastère avec ses murs en lambeaux et ses dômes non dorés. «La recherche des brebis perdues2» se déroulait dans notre monastère. Ceux qui étaient en train de périr ressuscitaient à la vie, terrestre et éternelle. Ses instructions, ses conseils étaient efficaces parce qu’il annonçait la volonté de Dieu, et l’âme chrétienne s’éveillait. Un moine se souvint de la période au cours de laquelle il devint chrétien pratiquant: «Batiouchka m’a pris par la main et le monde s’est inversé». Ses paroles toutes simples avaient le sel de la grâce du Saint-Esprit, elles pénétraient profondément dans le cœur et, avec le temps, les mois et parfois les années, elles germaient et donnaient leurs fruits. C’est pourquoi Batiouchka Hippolyte peut à juste titre être qualifié de «pédagogue pour nous conduire au Christ» (Gal.3;24).

Le Père Hippolyte se tient à droite du groupe (Photo : Monastère Saint-Panteleimon)

Il est surprenant qu’avec tous ses dons spirituels si élevés, le Père Hippolyte fût également un excellent gestionnaire. Pendant de longues années, il restaura le Monastère Saint Panteleimon sur le Mont Athos et en fut l’économe. Dans sa patrie, il a relevé des ruines quinze églises de la région de Koursk. Il a fondé quatre monastères et a participé à leur construction. Ce sont, en Ossétie du Nord–Alanie : le monastère pour hommes de la Dormition, et celui pour femmes, de la Théophanie, dans l’Éparchie de Koursk : celui de La Très Sainte Mère de Dieu de Kazan pour femmes et dans la Métropole de Belgorod, celui de la Résurrection, pour femmes. Batiouchka a également restauré le monastère de Rylsk, en ruines, et fondé ses cinq skites. Il est important de noter que le Père avait une vision à grande échelle, une vision d’État, ce qui manque parfois aux politiciens modernes. Son regard spirituel embrassait amoureusement toute la Russie, il comprenait l’importance de son intégrité. À propos de l’Alanie, il a dit qu’elle devait être unie à la Russie.
Voilà les traits principaux du portrait du Père Hippolyte. Sans eux, nous ne comprendrions pas qui nous avons côtoyé. Il fut un véritable disciple et messager du Christ. L’ampleur de sa personnalité se dévoile avec les années, nous n’en avons pas encore pris conscience. Beaucoup appellent le Père Hippolyte le Seraphim de Sarov du XXe siècle. Et pas seulement parce qu’ils furent compatriotes: le Père est né à 20 km de la terre natale du saint. Ils étaient proches en esprit et dans les exploits ascétiques. Le Père était aussi un héros de l’ascèse pour la Très Sainte Mère de Dieu. Il a passé dix-huit ans au Mont Athos, l’apanage de la Très Sainte Mère de Dieu, et Elle lui est apparue aussi bien sur le Mont Athos qu’en Russie.
Comment décririez-vous le ministère du père Hippolyte?
Son ministère revêtait des aspects multiples. Tout d’abord, le ministère prophétique: le Starets avait la capacité de voir dans les replis cachés de l’âme humaine, de voir les pensées cachées, mais il ne condamnait pas; il soignait et guérissait. Pour accomplir ce ministère prophétique, le Seigneur avait donné à Batiouchka un don exceptionnel de clairvoyance.
Batiouchka était aussi guérisseur, un don des plus rares donnés par l’Esprit Saint. Chaque jour on célébrait au monastère, l’office «du renoncement» [exorcisme. N.d.T.], et le samedi, celui du «grand renoncement», comme l’appelait le Starets. Ce n’était pas seulement pour les possédés. Batiouchka parlait de : «nos renoncements à toutes nos infirmités». Tous ceux qui ont vécu au monastère, ont participé à ces exorcismes.
Imitant Saint Nicolas, qu’il vénérait tout particulièrement, Batiouchka était lui-même un prompt intercesseur. Le Starets disait: «Priez Saint Nicolas. Je l’ai prié toute ma vie. Il ne vous quittera pas vous non plus». Il entendait «mentalement» les demandes d’aide. Surpris, nous lui demandions: «Comment entendez-vous que nous vous appelons alors que nous sommes ailleurs?» Le Starets répondait: «Comment j’entends? Comme vous maintenant». Voilà ce qu’il nous avoua en toute simplicité.

Père Grégoire, vous provenez d’Ossétie. Quelle a été l’influence du Père Hippolyte sur la vie orthodoxe de votre petite patrie?

En 1998 (j’étais alors novice), Batiouchka et moi marchions dans la forêt, à la source de Seraphim de Sarov. Et pour la première fois, il m’a dit que la volonté de la Très Sainte Mère de Dieu était d’avoir des monastères en Alanie. Il fallait ouvrir le premier monastère d’hommes d’Alanie, frontière avec le monde musulman. Batiouchka disait: «Comme c’est beau chez vous dans les montagnes, comme les gens sont bons! Toute l’Alanie viendra dans les monastères». Cela semblait incroyable, à l’époque, il n’y avait pas un seul monastère dans notre région. Il disait que seuls les monastères pourraient sauver l’Alanie. Le Starets me donna sa bénédiction et m’envoya chez le Métropolite Gédéon de Stavropol et Vladikavkaz († 2003) pour lui transmettre la bénédiction de l’Archimandrite Hippolyte à l’ouverture d’un monastère d’hommes en Ossétie. Batiouchka l’avait dédié à la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Vladika Gédéon accepta avec joie cette bénédiction; il vénérait le Starets disait qu’il était un Saint.
Le monastère de la Dormition d’Alanie est situé à 50 kilomètres de Vladikavkaz, dans la pittoresque gorge de Kourtatinski. C’est le plus haut monastère de Russie. Plus tard, le deuxième monastère, celui de la Théophanie d’Alanie fut fondé. Le Starets détermina avec précision les lieux de fondation de ces monastères, alors que jamais il n’alla en Alanie. De plus, avec la bénédiction du Père Hippolyte fut créé en Ossétie le fonds de bienfaisance «Dormition», qui aida à la construction spirituelle et à la création de ces deux monastères. Le fonds est dirigé par Natalia Fiodorovna Nosov, une fille spirituelle du Starets .
Les Alains sont les ancêtres des Ossètes, ils ont adopté le christianisme de Byzance au début du Xe siècle. Le Starets Hippolyte, à une distance de mille et cinq cents kilomètres, nourrissait son troupeau ossète. C’est un des podvigs de son ministère apostolique accompli par l’esprit et la prière. Même les Apôtres ne firent pas cela ; illuminer une terre sans y être allé. C’est un très grand miracle.
Depuis le milieu des années 1990, toute l’Ossétie s’est rendue dans la ville inconnue de Rylsk pour recevoir la bénédiction et l’aide du Père Hippolyte. Des bandits aux ministres, tout le monde y est allé. Les Ossètes ont commencé à revenir progressivement à la foi de leurs ancêtres: l’orthodoxie. La Très Saint Mère de Dieu Elle-même et Saint Nicolas le Thaumaturge ont amené notre peuple au monastère de Rylsk. Par l’intermédiaire du Père Hippolyte, les gens ont découvert le Père Céleste.
L’Alanie est un petit pays, les Ossètes sont le seul ancien peuple chrétien du Caucase du Nord. C’est un avant-poste dans le Sud de la Russie; la fiabilité des frontières méridionales de celle-ci dépend de la situation en Alanie. L’Alanie doit devenir une forteresse spirituelle, et les fondations de cette forteresse furent posées par l’Archimandrite Hippolyte. (A suivre)
Traduit du russe

Source

  1. Les Ailes de l'Amour. Souvenirs au sujet de l'Archimandrite Hippolyte (Khaline.Editions Sinopsis, Moscou 2019, p.196
  2. Nom d’une icône de la Très Sainte Mère de Dieu. N.d.T.