Si les gens
savaient ce qui les attend,
ils prieraient 
tout le temps.
(Archimandrite Hippolyte)1

Le texte ci-dessous est la traduction d’un article de Madame Nadejda Chepelov. Publié le 26 décembre 2018 sur le site Pravoslavie.ru.
L’Archimandrite Hippolyte (Khaline. 1928 – 2002), moine de la Sainte Montagne, fut l’un des plus grands startsy de la Russie contemporaine. Il mena son podvig au Monastère des Grottes de Pskov pendant 12 ans, et y fut nourri spirituellement par les startsy du Monastère de Grottes de Pskov et de Valaam. Le présent article est basé sur les souvenirs de l’Archimandrite Hippolyte, de l’Archimandrite du grand schème Kensorine (Fiodorov) et de la moniale Maria (Stakhovitch). Les photos de leurs archives personnelles et les notes du journal du Starets de Valaam, le Moine de Grand Schème Nikolai (Monakhov), ont été utilisées. La première partie du texte se trouve ici.

Souvenirs de l’Archimandrite du Grand Schème Kensorine (Fiodorov)

L’Archimandrite Kensorine

«En 1962, je reçus la bénédiction pour être l’auxiliaire de cellule des startsy de Valaam. J’accomplis cette sainte obédience pendant huit années, pure miséricorde de Dieu envers moi. Les startsy de Valaam vivaient dans le bâtiment Saint Lazare. Ils m’y accueillirent joyeusement, et je fus infiniment heureux de cette nouvelle obédience. Je veillais sur eux avec amour. Je ressentais leur prière et mon cœur se remplissait de l’Esprit Saint. Il est impossible d’exprimer avec des mots l’impression laissée par les contacts que j’avais avec eux, tout comme il est impossible à l’aveugle de décrire la beauté de la nature ; les paroles ne peuvent exprimer tous ce que je ressentis alors.
Le Père Michael débordait d’amour et était et indulgent envers la faiblesse humaine. Partout et toujours il s’affligeait pour le salut des autres, cherchant à réaliser la première exigence de Dieu envers l’homme : le commandement de l’amour. Il aimait la solitude. Un jour, alors que je conversais avec lui, il me dit: «Quand je Vivais au monastère, je connaissais deux chemins: celui de l’église et celui de ma cellule». Il vécut plusieurs années en totale réclusion, célébrant quotidiennement la Divine Liturgie dans sa cellule. Je lui apportais les prosphores et de l’eau chaude. Le Père Michael aimait tous ceux qui venaient à lui. Parfois, après certaines visites, il devait s’aliter, malade, et cela durait parfois quelques jours. Il avait donné sa grâce au visiteur et avait pris sur lui toutes les infirmités de celui-ci.
Le Père Mikhaïl voulait mourir à Pâques ou à l’Annonciation. C’est à la fin du Grand Carême, je jour de l’Annonciation, qu’il décéda. Avant de mourir, il appela tous les saints, tellement nombreux que je me suis demandé comment il se souvenait d’eux tous. Le Père Hippolyte accordait beaucoup d’attention et de soins au Père Mikhaïl lorsque celui-ci était malade. Il passait de longues heures dans la cellules du Père Mikhaïl, au cours desquelles il lui lisait l’Évangile. Le Père Hippolyte préserva toute sa vie cet amour pour les startsy. Déjà à cette lointaine époque, grâce aux relations avec de tels géants de la prière, le Seigneur préparait le Père Hippolyte à devenir lui-même starets.
Nous, les moines actuels, n’atteindrons jamais la perfection des startsy de Valaam. Ils étaient d’authentiques guides, prenaient leur enfant spirituel par la main et le menaient au salut. Ces héros de l’ascèse sont le sel de la terre; sans eux, le monachisme s’effondrerait et sans monachisme le monde ne pourrait exister.»

Le Moine du Schème Nicolas (Monakhov,1876-1969)
Le Père Nicolas arriva à Valaam en 1900. En 1913, il fut envoyer en obédience à la procure de Moscou, où il reçut la tonsure monastique. À Moscou, un événement important se produisit dans sa vie: miraculeusement, l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu «Caution des pécheurs» lui apparut. Cette icône fut la source de beaucoup de miracles et de guérisons miraculeuses, que le père Nicolas a consignés dans son journal.
Une de ces notes concerne la période de scission au sein de la communauté de Valaam en 1925: «On voulut les forcer à passer au nouveau calendrier. La Direction ecclésiastique arriva, emmenée par notre higoumène, le père Paulin, est arrivée. Elle tint une séance d’audition. Les frères furent appelés les uns après les autres. Arriva mon tour. J’entrai dans la pièce. L’higoumène Paulin était assis là avec d’autres membres de l’administration ecclésiastique. Ils ont demandé: «Iras-tu à l’église selon le nouveau calendrier?». Je ne pouvais répondre à leurs questions, c’était comme si à ce moment-là, on m’avait enlevé la langue. Alors ils dirent : «Eh bien, va, serviteur de Dieu, et réfléchis». J’ai commencé à prier la Mère de Dieu, ma Caution, dans mon cœur: «Dis-moi: est-ce que je suis pour le nouveau ou pour l’ancien calendrier?» Une voix intérieure dit: «Va selon l’ancien calendrier et soutiens-le». Et j’entendis une voix féminine venue d’en haut: «Si tu veux être sauvé, garde la tradition des saints apôtres et des saints pères». La même chose fut répétée, et ensuite, une troisième fois, cette voix dit: «si tu veux être sauvé, garde la tradition des saints apôtres et des saints pères, et non celle de ces sages». Mon cœur s’est réjoui de ce que le Seigneur m’ait montré le chemin du salut par les prières de la Très Sainte Mère de Dieu».
L’icône miraculeuse «la Caution des pécheurs» dans son humble kiot se trouvait sur une commode dans la cellule du Père Nicolas. L’ancien priait devant elle jour et nuit. Il a écrit des hymnes sublimes et des louanges en l’honneur de la Très Sainte Mère de Dieu.
En 1957, le jour de la fête de l’icône de la mère de Dieu «Caution des pécheurs», le starets a écrit ce qui suit dans son journal. Dans sa cellule, il priait l’office pendant la nuit avec le frère Alexandre. «Je me suis approché de l’icône, la Souveraine est sortie de kiot et se tenait comme vivante, gaie, et l’Enfant aussi. Je Lui embrassai la main; elle était chaude, potelée, et Ses pieds aussi. Je me suis approché du frère Alexandre et je lui ai dit: «Regarde, notre Souveraine est sortie du kiot; va, vénère-La!» Mais quand il s’avança, la Souveraine avait repris Sa place.»
Souvenirs de l’Archimandrite du Grand Schème Kensorine (Fiodorov)
«C’est avec le Starets Nicolas que j’eus le plus de contacts. Nous vivions dans la même cellule. Un jour j’étais dans une grande faiblesse, je ne pouvais pas même accomplir mon obédience. Le voyant dans le jardin, je courus allègrement vers lui et lui racontai ma tristesse. Il me serra dans ses bras, me pressa contre lui, et de cette étreinte, immédiatement je reçus la guérison. Quand j’étais avec lui, je sentais constamment que c’était un saint homme. Le Père Mikhaïl (Pitkevich) disait ceci du Père Nicolas: «Il est un starets béni. La grâce est accordée pour de grands exploits ascétiques; à lui elle est donnée pour sa grande humilité et son amour». Il avait le don de la prière incessante. Il priait surtout la nuit. À partir de 23 heures, assis dans une chaise et toute la nuit jusqu’à 5 heures du matin, il priait. Moi, je me lèvais alors que lui disait: «Maintenant, je dois me reposer. Le Seigneur aime la prière nocturne».
Vivant constamment avec lui, je sentais la lumière céleste éclairer la cellule pendant sa prière, mon âme était alors remplie de joie ineffable. Après minuit et l’office à l’église, après avoir versé du thé au starets, j’allais à mon obédience à la boulangerie, à la prosphorerie ou à d’autres travaux. Lui continuait à prier pour le monastère, pour la communauté, pour les travailleurs du saint monastère, et pour le monde entier.
Il était rempli de joie quand il me voyait arriver, comme l’enfant voit arriver sa mère aimante. Il y avait en lui beaucoup de l’enfant: simplicité, humilité, obéissance, un amour extraordinaire et incompréhensible. Il me disait: «Le Seigneur m’a dit : Quand tu seras vieux, tu seras comme un enfant». Même son visage le confirmait. J’ai dû célébrer souvent dans l’église, et c’était incroyable: quand le starets avait besoin de mon aide, il demandait au Seigneur de m’envoyer auprès de lui. Je le ressentais et j’arrivais juste au moment où il avait besoin de moi de toute urgence. Pendant dix ans, il fut complètement aveugle et avait évidemment besoin d’une aide constante. Mais malgré tout, oubliant ses contraintes, il me laissait aller aux offices et à mes obéissances. Souvent, je le voyais briller d’une joie surnaturelle: à ces moments-là, il était visité par des habitants des Cieux. Il a souvent caché tout cela dans sa grande humilité. Mais un jour, quand je suis rentré de l’église, je l’ai vu verser des larmes, il a dit: «Le Seigneur m’a rendu visite». Le Père Nicolas recevait également les frères et les pèlerins, avec une grande joie, embrassant même leur main. Il enseigné à tous l’humilité, l’obéissance et l’amour, disant: «Dieu est amour, sans amour il n’y a pas de salut». Il avait beaucoup d’humilité. Et un jour, quand ma maman est venue aider à s’occuper des startsy, j’ai dit en plaisantant: «Maman, maintenant je vais mettre à l’épreuve l’humilité du Père Nicolas, moine du schème» Je me suis approché de lui et je lui ai dit: «Père Nicolas, pourquoi as-tu offensé ma maman?» Il lui tomba aussitôt à ses pieds: «Tante Zina, pardonne-moi, pécheur, de t’avoir offensé.» Il avait 93 ans. J’ai eu du mal à le relever et à le mettre dans une chaise. J’ai dit à ma mère: «tu vois la profonde humilité du starets. Et pourtant, chez nous, quand on dit à un novice qu’il a fait quelque chose de mal, il cherchera à se disculper pendant des heures, au moyen de mille mots de justification».
Au Monastère des Grottes de Pskov, le Père Hippolyte reçut la tradition monastique des anciens de Valaam et de Pskov. Ils ont instruisaient et édifiaient «par l’exemple de leur vie», beaucoup plus efficace que les instructions verbales. Vivant aux côtés de ces grands héros de l’ascèse, le Père Hippolyte a pleinement intégré leurs leçons spirituelles et leurs pratiques hésychastes. Et en 1966, le Hiéromoine Hippolyte s’en alla au Mont Athos pour aider à la relever le Monastère Saint-Panteleimon. Quand il revint, 17 ans plus tard, il mena le podvig de starets, le podvig de la paternité spirituelle, si nécessaire à la Russie renaissante
Traduit du russe
Source.

 

  1. Les Ailes de l'Amour. Souvenirs au sujet de l'Archimandrite Hippolyte (Khaline.Editions Sinopsis, Moscou 2019, p.196