Le texte ci-dessous est la traduction (en trois parties) d’un entretien de Madame Svetlana Louganskaia avec le Protosyncelle Pavel Radousinovtich, Supérieur du Monastère d’Ostrog, publié le 26 mars 2015 sur le site Pravoslavie.ru. (Les photos sont également de Madame Louganskaia)
Le Monastère d’Ostrog occupe une place particulière parmi les trésors de l’Église de Serbie. Il est difficile de trouver serait-ce un homme ou une femme qui ne connaisse pas Saint Basile le Thaumaturge d’Ostrog ni le Monastère d’Ostrog. Un flot de milliers de pèlerins s’y écoule quotidiennement. Souvent on compare ce monastère avec la Sainte Montagne ou avec Jérusalem. Par contre, on sait peu de choses de la vie intérieure du monastère, de son organisation, de ses héros de l’ascèse. La correspondante du Portail Pravoslavie.ru, Madame Louganskaia a demandé au supérieur du monastère de répondre à ses questions relatives à la vie de la communauté monastique et à l’histoire contemporaine du monastère.

Père Pavel, votre chemin vers la foi et le monachisme n’est pas tout à fait habituel. Racontez-nous quand et comment vous avez reçu le saint baptême, et qu’en fut-il de votre famille ?

Le Protosyncelle Paul

J’ai été baptisé alors que j’étais déjà adulte ; à vingt ans. Et j’ai souvent regretté que, dans ma jeunesse, je n’avais pas le genre d’environnement que nos enfants ont maintenant. Mais d’un autre côté, quand je me souviens de l’histoire de ma vie, je me rends compte que tout m’a conduit à l’Église et je suis reconnaissant à Dieu d’avoir reçu ce dont j’avais besoin au bon moment. Mon grand-père et mon père viennent de cette région, des environs de Tsétinié, ma grand-mère est de Lika, une région de Croatie. Maman est née en Hongrie, son père est belge, sa mère est hongroise. Ses parents vivaient dans une petite ville minière née pendant la domination austro-hongroise. La ville était dominée par la population musulmane, mais il y avait aussi des Croates, des Serbes, des Tchèques, des Slovènes, des gens d’origine austro-hongroise. Mon grand-père maternel était pasteur protestant réformé, je me souviens bien de lui, je me souviens de nos conversations. Cela m’intéressait de lui parler, mais je sentais déjà les limites du protestantisme.Un autre de mes parents était évêque protestant, et du côté de mon père, il y avait un sacristain et un célèbre prêtre de Tsétinié, le Père Comnène Radousinovitch. Mais tout cela n’est pas si important. C’est la relation personnelle de l’homme avec Dieu qui est importante. Presque chacun d’entre nous cherche Dieu d’une manière ou d’une autre. Mon chemin fut sinueux. J’ai trouvé l’orthodoxie, disons, «par hasard». Dans l’environnement multiethnique dans lequel j’ai grandi, je ne pensais pas particulièrement aux différences nationales et religieuses, et je passais devant l’église, comme devant tous les bâtiments de la ville, sans vraiment la remarquer. Ce n’était pas parce que cela ne m’intéressait; j’éprouvais une forte soif spirituelle, mais je ne savais rien, il n’y avait pas de connaissance, il y avait simplement le sentiment qu’une partie de moi, de mon être, était vide, et quoi que je fasse, je ne pouvais pas combler ce vide. Un jour, on m’a demandé: «Es-tu baptisé?». Je me souviens que j’ai même eu peur de cette question, un frisson a parcouru mon corps. Mon entrée dans l’Église ne se fit pas de manière progressive, ce fut un virage serré et brutal. Quatre mois plus tard, j’étais baptisé, et commençais à prier, bien que j’avais déjà commencé à prier avant le baptême, je priais alors que je n’étais pas prêt pour la prière, je n’en comprenais rien et je ne savais rien. Dans ma vie, une tempête s’est levée, une terrible tempête: des pensées contradictoires, j’étais prêt à n’importe quoi. Ce fut une lutte terrible. Je ne dirai pas qu’il s’agissait de la lutte entre le bien et le mal, ce serait risible, mais ce fut tout de même difficile. Et cette lutte me purifia.
Quand êtes-vous venu pour la première fois au Monastère d’Ostrog?
Dans l’église que j’ai fréquentée après mon baptême, il y avait une icône de Saint Basile d’Ostrog. Alors, je ne le connaissait pas, mais je remarquais que beaucoup de gens venaient prier devant elle. J’ai demandé quelle icône c’était, quel était le saint évêque qui y était représenté, et on m’a dit que c’était Saint Basile, on m’a parlé du monastère, de la vénération de tout le peuple pour ce saint. Et je suis allé une première fois à Ostrog, à vélo.
Et d’où êtes-vous parti?
De Bosnie. Je suis arrivé, je suis entré dans l’église. On priait les matines. Enfin, maintenant, je sais que c’était l’office de matines, car alors je ne connaissait pas cet office. Le Père Lazare célébrait. Quand je le vis, je regardai son visage et pensai : «C’est un homme, un vrai». L’office prit fin. Je poursuivis ma route, je ne sais plus vers où. Quelque temps plus tard, je rencontrai de nouveau le Père Lazare. C’était un homme rempli d’amour, d’un grand amour, d’amour maternel. Après, tout s’est passé comme dans les sentiers battus.
Il est immédiatement devenu votre confesseur ?
J’aimais la vie monastique, mais je n’avais jamais songé devenir moine. Tout se fit naturellement, presqu’en un instant. Un jour je suis allé voir le Père Lazare, et il m’a dit : «Tu es venu pour quoi ?». «Je ne sais pas, j’aimerais peut-être rester au monastère, devenir moine». Et j’ai aimé la voie monastique. Qui sait ce qui se serait passé si j’avais emprunté un autre chemin; il est tellement facile aujourd’hui de glisser et de tomber. Regardez combien il y a tout autour de doctrines mensongères, de sectes différentes.
Je suis très reconnaissant à Dieu de m’avoir fait rencontrer le Père Lazare et le Père Matthieu. C’est celui-ci qui m’a confessé pour la première fois, dans le monastère de Jdrebaonik, devant la châsse contenant les reliques de Saint Arsène. Ce fut comme si une énorme pierre tombait de mon âme. Et ces vingt ans de monachisme se sont écoulés comme un seul jour.

Le Patriarche Paul

Père, vous avez reçu la tonsure monastique des mains du Père Lazare, mais aussi de celles du Patriarche Paul. Vous souvenez-vous de votre tonsure monastique?
Oui. A cette époque se déroula au monastère un synode des évêques, une assemblée extraordinaire. C’était la guerre, les temps étaient durs, c’était en 1993. C’est alors qu’eut lieu ma tonsure monastique. En réalité, je n’étais pas tout à fait prêt. La tonsure était initialement prévue pour la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, et elle fut reportée, encore et encore. Comme c’est souvent le cas. Mais, gloire à Dieu, tout s’est très bien passé. Je ne sais trop que dire, j’ai l’enregistrement de ma tonsure monastique sur un disque, mis je n’ai jamais regardé cet enregistrement. Je m’en souviens souvent, j’aime m’en souvenir. C’est le Patriarche Paul qui m’a donné mon nom. Il y avait un choix : Jérémie ou Paul. Le Père Lazare demanda : «Quel nom choisit-on?». Il préférait Jérémie, mais ce fut Paul qu’on choisit.
Pendant combien de temps le Père Lazare fut-il le supérieur du monastère et votre père spirituel ?
Jusqu’à son décès, en 2001. Ce fut une période merveilleuse, une période de croissance dans son amour paternel, sous l’aile du Père Lazare, j’en ai bien profité, peut-être un peu trop, car après suivit un temps de mise à l’épreuve de ma maturité spirituelle. Tous nous traversons un moment pareil, avec des résultats différents.
Dans quel sens «en avez-vous profité» ?
Il était une authentique consolation pour moi. Il parvenait toujours à me consoler, à répondre au moindre de mes doutes, à toutes mes questions. Rien ne pouvait me troubler, j’avais ce sentiment d’être protégé. Mais à chacun il est demandé une certaine maturité spirituelle, et à chaque moine, l’obéissance, tout d’abord l’obéissance à Dieu, à travers l’higoumène, le confesseur, en dépit de toutes les émotions, de la situation spirituelle, de l’humeur.
Après l’expérience spirituelle de la vie auprès du Père Lazare, ce ne fut pas facile, mais nécessaire pour notre maturation. Le Père Lazare lui-même était un homme d’obéissance. Il n’imposait aucun un ordre particulier, n’insistait jamais sur quoi que ce soit, mais il était strict; sa rigueur est venue de son podvig personnel. Après, ce fut très difficile pour moi parce que j’étais habitué à ce genre de relation. Mais lui-même ne se considérait pas comme obéissant et disait: je ne suis pas un homme obéissant, je fais mon salut par la patience dans la maladie. Toutefois chaque bénédiction de son confesseur ou du métropolite, il l’exécutait avec le plus grand soin.
Il était malade?
Oui, il était très malade avant même de venir au monastère, il avait des poumons malades (il a été atteint de tuberculose pendant un an), il y avait un ulcère à l’estomac, et il est mort d’un cancer du cerveau.
Il n’a jamais manqué un seul office. Je voyais qu’il était gravement malade, qu’il prenait des médicaments. Il est arrivé qu’il souffre tellement qu’il ne parvenait plus à prier à l’église et disait: «On va voir ce que sera ma fin». Et alors qu’il était atteint du cancer, je venais le voir dans sa cellule et je le voyais, souvent, incapable de se tenir debout. Il priait, appuyé contre le placard et disait: «Tu vois, j’essaie!». Et il me demandait: «Est-ce que je fais ça bien?»
Malheureusement, en Russie, on sait peu de choses du Père Lazare, bien qu’il fût un éminent confesseur…
On sait peu de choses du Père Lazare, mais enfin, pas si peu. C’était juste un homme silencieux, très fidèle à la prière. Il ne parlait pas beaucoup de la prière, il savait encourager, inciter à la prière, mais il en parlait peu. Il a dit qu’il avait reçu la prière en cadeau de Dieu, et a donné l’exemple de Saint Païssi Velitchkovski. Il disait «Mon cœur brûle dans la prière.»
Moi-même, en confession, j’ai souvent essayé de lui expliquer comment je priais, et il me disait que son cœur brûlait dans la prière. Je n’ai jamais rien vécu de tel, mais lui avait ce don. C’était un homme gai, et en même temps, strict, mais strict par son exemple, discrètement, il était tout simplement impossible de ne pas suivre son exemple.

Père Paul, depuis que Vladika Ioann a été élu évêque de Niš, la direction du monastère a reposé sur vos épaules, vous en êtes devenu le supérieur…

Le Métropolite Amphiloque et le Père Lazare

Oui, c’est un peu inhabituel chez nous, je suis une sorte de vicaire, le Supérieur, c’est le Métropolite Amphiloque du Monténégro et du Littoral [Décédé l’an dernier. N.d.T.]. J’accomplis mon obédience reçue du Métropolite, je m’occupe de tout ce qui concerne la vie quotidienne du monastère, et les décisions sont prises par le Métropolite. Le fonctionnement du monastère a été établi voici longtemps, à l’époque du Père Lazare, après la rupture des années ’90.
C’était quoi cette rupture?
C’était encore l’époque du communisme, et beaucoup a commencé à changer avec l’arrivée du Métropolite Amphiloque, principalement dans la vie spirituelle du peuple. Les offices réguliers ont commencé, le Métropolite a souvent et beaucoup célébré dans toutes les églises du Monténégro, non seulement dans les villes, mais même dans les endroits les plus abandonnés. Il a parcouru tout le pays, est allé vers le peuple, l’a conduit à Dieu. Et le Père Lazare a compris à temps, avant les autres, la nécessité de restaurer le monastère, en premier lieu la restauration des bâtiments d’hébergement. On lui a demandé: «Père, pourquoi fais-tu cela maintenant? Il y a la guerre.» Et il a répondu «Que ferons-nous ensuite, quand la guerre sera finie, et que le peuple se précipitera dans le monastère, dans l’église?»
Il en fut ainsi. Puis, avec la désignation du Métropolite, la vie a commencé à bouillir. Chaque semaine, de nombreux bus arrivaient au monastère, il y avait jusqu’à soixante bus par jour. Il y a toujours eu des gens qui venaient à Ostrog, mais à cette époque il y eut d’immenses rassemblements populaires au monastère; plusieurs fois par an lors les grandes vacances, les gens se réunissaient.
Ils venaient de toute la Yougoslavie ?
Oui, de Serbie, de Macédoine, de Croatie, de Bosnie et d’Herzégovine. Beaucoup arrivaient lors des bombardements, ils venaient beaucoup prier. Et le monastère se mit à grandir. Il n’est pas très grand, vous le voyez vous-mêmes, l’église est petite, on ne peut y faire entrer beaucoup de monde. Il devint nécessaire de construire une skite pour les frères.Quand le Père Lazare était vivant, sous sa direction spirituelle, tout s’est bien passé, mais après sa mort, comme cela arrive souvent, les gens se sont en quelque sorte sentis perdus, certains se sont dispersés dans d’autres monastères. Encore une fois, c’était encore l’époque du communisme, et il y avait de grandes tentations, supérieures aux forces de certains. (A suivre)
Traduit du russe
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