Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction d’un entretien de Madame Svetlana Louganskaia avec le Protosyncelle Paul Radousinovtich, Supérieur du Monastère d’Ostrog, publié le 26 mars 2015 sur le site Pravoslavie.ru. (Les photos sont également de Madame Louganskaia)
Le Monastère d’Ostrog occupe une place particulière parmi les trésors de l’Église de Serbie. Il est difficile de trouver serait-ce un homme ou une femme qui ne connaisse pas Saint Basile le Thaumaturge d’Ostrog ni le Monastère d’Ostrog. Un flot de milliers de pèlerins s’y écoule quotidiennement. Souvent on compare ce monastère avec la Sainte Montagne ou avec Jérusalem. Par contre, on sait peu de choses de la vie intérieure du monastère, de son organisation, de ses héros de l’ascèse. La correspondante du Portail Pravoslavie.ru, Madame Louganskaia a demandé au supérieur du monastère de répondre à ses questions relatives à la vie de la communauté monastique et à l’histoire contemporaine du monastère.

A cette époque, qu’est-ce qui fut le plus dur pour le monastère ?
Le plus dur fut d’établir les fondations d’une vie véritablement monastique. Le problème était que les services de renseignement avaient introduit leurs gens au monastère. Et ils poursuivaient leur objectif, et on ne pouvait rien faire contre eux. C’était très compliqué, et dangereux, d’essayer de se débarrasser d’eux. Un des moments les plus durs fut l’expulsion de l’ancienne moniale Olympiade. Le Père Lazare disait que ce fut la plus grande tentation de sa vie.
Comment cela se passa-t-il?

Le Protosyncelle Paul

Elle avait reçu la tonsure monastique à Milechevo et aurait du se trouver auprès du Patriarche Germain, mais il parvint, je ne sais comment, à éviter cela, et c’est le Métropolite Daniel qui l’accueillit, mais pour protéger le Patriarche, il la fit installer à Ostrog. Elle était ici une sorte d’agent de police, se comportant de façon assez provocante et immorale. Il y avait alors au monastère une école monastique bien connue, et elle a largement contribué à l’effondrement de cette institution.Comment le Père Lazare parvint-il à débarrasser le monastère de la présence de cette femme?
Il lui acheta un appartement à Nikchitche. Nous sommes allés jusqu’à sa cellule, nous avons chargé toutes ses affaires dans la voiture, nous avons dressé une liste pour que rien ne manque, et nous l’avons déplacée dans cet appartement. Tout le monde était choqué que nous ayons décidé de procéder ainsi. Il y a eu un procès, la police venait sans cesse, le Père Lazare fut condamné, mais nous avons trouvé un bon avocat, et tout fut résolu d’une manière ou d’une autre. Mais c’était une très grande tentation, je m’en souviens, oooh, très grande. Surtout pour le Père Lazare.
Puis tout s’est mis plus ou moins en place. Vladika Ioann (Pouritch), encore une fois, avait sa façon d’organiser les choses, mais à ce moment-là, au monastère, tout s’était déjà arrangé, à la fois pour la prière, pour la liturgie, et une nouvelle fraternité était constituée, le monastère avait repris une vie normale. Il n’y avait pas de problèmes particuliers, même avec la grande foule et la pression des autorités, rien par comparaison à ce qu’il y avait eu.
Mais c’est sur vous que repose la charge de la construction spirituelle et matérielle, des âmes et des briques, avec des milliers de pèlerins chaque jour, et le monastère en construction… Comment pouvez-vous supporter un tel fardeau?

Le Monastère d’Ostrog

Vladika Ioann laissa sa puissante marque sur le monastère. Il réussit à la fois à accueillir les gens et a se protéger. J’essaie d’accomplir mon obéissance simplement, comme je l’ai fait quand j’étais novice, moine, accomplir ce que chaque jour m’apporte. Je ne suis même pas pleinement conscient de tout ce que vous avez énuméré. Ici, le patron, c’est Saint Basile, et je ne suis pas particulièrement inquiet, parce que je sais qu’il se soucie de tout, il amène les gens ici, les unit, les fortifie, bons et mauvais, et nous sommes tous différents. Nous savons que l’Église n’est pas composée des seuls saints, il y a aussi des malades et des pécheurs, et ceux qui s’imaginent être justes et pieux. Saint Basile rassemble tout le monde en une famille, une communauté, et nous œuvrons tous à la même chose, nous travaillons ensemble. La seule chose qui m’a préoccupé pendant toutes les années de ma vie monastique, c’est comment préserver et élever l’idéal de la vie monastique avec lequel je suis entré au monastère, et terminer dignement mon chemin monastique. Maintenant, beaucoup de gens meurent, de temps en temps j’apprends qu’un certain moine, un autre, une moniale, sont décédés. Et je me demande: «Attends, peut-être que dans un an ou deux, tu iras les retrouver. Quelle réponse donneras-tu à Dieu? Que lui apporteras-tu, des briques et du coffrage ou ton cœur et la pureté de ta vie?». Voilà ce qui occupe le plus mes pensées.
Et si quelqu’un m’arrête pour me poser une question, et que je suis enclin à parler, alors je m’arrête discuter, mais si je n’en ai pas la possibilité, je m’incline et passe mon chemin. La plupart des gens vont au monastère d’en-haut, près des reliques de Saint Basile; il s’y trouve toujours des prêtres de service. Ils confessent, lisent des prières pour la santé. Les baptêmes sont célébrés le plus souvent dans l’église du Saint-Martyr Stanko, de sorte que les frères vivent assez tranquillement, surtout en hiver. Et celui que les gens dérangent, ils le dérangeront toujours et partout, n’est-ce pas? (rires)
Père Paul, de temps en temps, il y a des débats et des discussions au sujet du soi-disant «surmenage professionnel», de la mesure dans laquelle le moine, l’higoumène devrait servir le monde. Comment voyez-vous ces choses?

Au Monastère d’Ostrog

On ne peut pas se donner trop à qui que ce soit, au détriment de la vie spirituelle. Si nous faisons cela, ce qui arrive régulièrement, alors les gens disent que l’obéissance est supérieure à la prière. C’est comme cela qu’ils l’expliquent. Oui, parfois, bien sûr, mais pas systématiquement. Si nous avons une affaire urgente, un engagement urgent, il faut l’accomplir, mais cela ne doit pas se reproduire sans cesse. Nous voyons aussi dans l’Évangile que le Seigneur s’éloignait des gens. Parfois, le peuple venaient se rassembler autour de Lui. Et Il se retirait pour prier. Ainsi, le Seigneur lui-même nous montre dans les Écritures que nous devons d’abord avoir une vie de prière, et tout le reste découle de cette prière.
Et la bonne humeur, le rire, et aussi la sévérité, tout cela devrait découler du podvig. Si leur source n’est pas dans le podvig, alors ils deviennent pesants pour les autres, les oppressent. Et les gens n’aiment pas cela, alors commencent les reproches, le mécontentement. C’est–à-dire que si nous voyons que nous n’avons pas de vie de prière, que nous accablons les gens, il est préférable de nous retirer, de corriger notre vie spirituelle. Comment pouvons-nous confesser les gens si nous portons préjudice à notre vie spirituelle en premier lieu? Et comment pouvons-nous donner des conseils spirituels si nous ne les exécutons pas nous-mêmes? Oui, il est parfois nécessaire de donner des conseils à quelqu’un, même si nous ne pouvons pas faire ce que nous disons, mais nous savons que le conseil est utile, sur base des Écritures. Mais c’est quelque chose qu’on ne peut faire souvent. Si nous parlons constamment de ce que nous ne faisons pas nous-mêmes, les gens nous croiront une fois, deux fois, mais ensuite ils se refroidiront et ne viendront plus, ils ne demanderont plus. D’autre part, il arrive aussi que les gens recherchent de nouvelles impressions, de nouvelles expériences, de nouvelles fréquentations, trouvent un confesseur, s’enflamment et disent: «Père, vous êtes tellement ceci, tellement cela», puis ils sont rassasiés et cherchent un autre, et puis un troisième, vont plus loin et ne font qu’épuiser les confesseurs. Les gens qui ne cherchent pas Dieu, qui cherchent simplement du soutien, qui veulent qu’on les comprennent, qui recherchent l’aide psychologique plutôt que l’aide spirituelle, ils fatiguent beaucoup les prêtres.
Pourquoi ? Parce qu’ils ne se développent pas, piétinent sur place et s’attendent à ce que nous les soutenions dans cette attitude. Ils sont très dangereux pour la vie spirituelle, pour les confesseurs. Il n’est pas très important que celui qui vient à vous, ait tel caractère, qu’il soit malade, éduqué ou non, vaniteux, timide, mais il est important qu’il cherche Dieu. Parce que dans ce cas, Dieu lui-même agit à travers nous. Mais quand quelqu’un veut simplement faire connaissance, communiquer, alors c’est le côté humain qui prévaut, et à la fin arrivent les tentations et puis une fracture, et les gens s’éloignent, Souvent, ils s’en vont sans bénédiction, non pas paisiblement mais dans la souffrance. (A suivre)
Traduit du russe
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