Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

Mercredi 28 janvier
Aujourd’hui, c’est le 40e jour suivant le décès du Père Jean de Kronstadt. Batiouchka, selon le Rescrit du Tsar et la décision du Saint-Synode, a célébré la liturgie et une pannichyde et a prononcé quelques mots. Batiouchka était également présent au repas, où j’ai dû lire la vie de Saint Grégoire de Safar (19 décembre). Quelle vie merveilleuse! Quelle sagesse dans les paroles et les homélies de ce Saint!
Hier, Batiouchka est allé aux complies après la règle. Quand il en est sorti, je l’ai accompagné, et il m’a dit ce qui suit:
«Je suis allé en 1890 à Orenbourg, où j’ai passé mon adolescence et ma jeunesse, après avoir vécu mes années d’enfance au village. Maintenant, ce n’est plus la même ville. Il n’y a plus cet esprit patriarcal, cette simplicité; tout a changé. Et cette simplicité a été remplacée par la civilisation, avec des tramways, des téléphones et la dépravation des mœurs. Et donc, quand je suis allé à Orenbourg chez ma mère pour recevoir sa bénédiction pour la vie monastique, j’ai parcouru cette ville, toutes ses rues, et aussi ses faubourgs… Et tout là-bas me rappelait ma vie passée avec ses tribulations et ses joies, avec ses événements lumineux ou sombres, car il y avait, bien sûr, certaines tendances vers le côté moins bon… et celles-ci produisaient en quelque sorte un sentiment plus agréable: il y eut des moments où je devais apparemment être complètement effacé de la surface de la terre… Mais là-bas se leva l’aube de la vie monastique.
Il en va de même maintenant: je m’accroche à la règle, mais les souvenirs, un par un, forment toute une chaîne et défilent devant moi. Je dis: Seigneur, pourquoi cela? En effet, ils m’empêchent d’écouter la prière… mais en dépit de ma volonté, ils ont tous défilé devant moi. Et encore une fois, les souvenirs d’événements tant joyeux que pénibles ont produit sur moi une impression réjouissante, et les plus pénibles, encore une fois, produisirent l’impression la plus réjouissante.
Bien sûr, si j’étais encore dans l’ancienne kelia pour la règle, il y aurait encore plus de souvenirs. Auparavant, on lisait la règle là où la nouvelle église se trouve maintenant. Quand on a commencé la construction de cette nouvelle église, c’était comme si quelqu’un m’avait dit: «Maintenant, ce sera plus facile pour toi». Et en effet, il en a été ainsi. Je ressens de la faiblesse, mais quelles afflictions, quelles persécutions il y avait avant… Seulement je me suis dit fermement: quoi qu’il arrive, je ne quitterai pas la Skite. J’y mourrai mais je ne partirai pas!»
Je dis alors:
– Batiouchka, je voulais vous demander… En fait, je pense aussi ne jamais quitter la Skite, sauf pour les obédiences, où on m’enverra. En dehors de celles-ci, quelles que soient les tribulations et les vicissitudes, ne partir sous aucun prétexte. Qu’en dites-vous?
– Bien sûr, ne partez pas! Devant nous, et aussi dans les livres, combien d’exemples avons-nous: aussitôt qu’on a quitté le monastère, on tombe. Dans le monastère, malgré les défauts, on endure tout et on est en paix avec tout un chacun. Mais en dehors, on n’y arrive pas.
– Mais, Batiouchka, comment se fait-il que les Pères Lev, et Athanase soient passés ainsi dans de nombreux monastères?
– C’est autre chose: quand on vous chasse de l’un, on court vers un autre. Par exemple, le Père Lev a été expulsé du Monastère des Rives Blanches. Vraiment, on l’a chassé de là, lui disant : «Pars, pars où tu veux, et emmène ceux de ta portée!» (il s’agissait de l’Évêque Ignace, qui était alors encore novice, et un autre, mais j’ai oublié, comment Batiouchka l’a nommé). Donc, bien sûr, il faut partir quand on est chassé… »
Cette conversation s’est terminée dans la kelia de Batiouchka ; elle eut lieu le 27 janvier 1909. J’ai longtemps voulu demander et écrire à ce sujet, afin de savoir que répondre aux pensées quand de telles tentations viendront, s’il plaît au Seigneur de m’exposer à ces tentations.
Récemment, et de nouveau hier matin, Batiouchka a dit: «Le monachisme contemporain cherche à accomplir sa volonté en toutes choses. Mais Abba Dorothée dit : «Je ne connais pas au moine d’autre chute que de suivre sa propre volonté». Maintenant, ils ont complètement oublié les épisodes pareils à celui-ci. Un starets accepte un fils spirituel et le teste d’abord en paroles, puis lui donne une obédience: marcher environ trois verstes dans le désert égyptien, et planter une baguette toute sèche dans le sable sec, et y aller tous les jours deux fois pour l’arroser, en emmenant de l’eau du monastère. Le novice y va et plante la baguette, puis commence à l’arroser. Et longtemps, très longtemps, il part et va l’arroser, plus d’un an. Bien sûr, le malin lui fait penser: «Non mais, regarde un peu, n’est-il pas stupide ton starets? Il t’a dit d’arroser un bâton sec, fiché dans le sable chaud.» Mais le novice répondit: «D’accord, d’accord, dis ce que tu veux, mais je vais quand même arroser!» Enfin, le starets dit à son disciple: «Va récolter les fruits de ton obéissance.» Il va, arrive à l’endroit habituel où la baguette a été plantée, et il voit à cet endroit, une belle oasis: les palmiers poussent et une source bouillonne du sol. Maintenant, tout cela est oublié, on a même oublié l’époque où ça s’est passé. Ils n’écoutent plus rien. Pour nous, ça va encore, Gloire à Dieu! Mais ce qui se passe chez les autres!..»
Vendredi 30 janvier
Hier, c’était exactement un an depuis que nous avons pris la soutane. Dans l’église, il y eut un office de prière pour notre santé, mais je ne participais pas à cet office de prière car je travaillais chez Batiouchka.
Pour la première fois pendant la conversation, Batiouchka m’a appelé son collaborateur. Je ne m’y attendais pas et je ne sais pas comment j’ai pu mériter cela. Sauve Batiouchka, Seigneur. Je commence de plus en plus à voir que Batiouchka est un grand starets. Et, à mon grand regret, Batiouchka parle de plus en plus souvent de sa mort, de ce que ses jours sont épuisés. Batiouchka dit qu’il s’affaiblit non seulement physiquement, mais aussi spirituellement. «Je suis complètement seul», a dit Batiouchka, «et mes forces s’affaiblissent».
Et aujourd’hui, lors de la bénédiction, Batiouchka a dit ce qui suit.
«Je suis allé, un jour, auprès du grand Starets Anatole.
– Alors, Père Paul? Parle-moi de tes afflictions.
– C’était pénible même de venir jusqu’à vous, j’avais peine à avancer, et ma pensée me disait encore: pourquoi vas-tu déranger Batiouchka? N’y vas pas.
– Bon, et maintenant?
– Maintenant, tout est léger, comme si une montagne était tombée de mes épaules…
– Oui, autrefois cela m’arrivait quand j’allais auprès de Batiouchka Macaire, puis auprès du Père Ambroise, mais maintenant je n’ai plus personne vers qui aller… Nous, Batiouchka Ambroise et moi, nous avons tout fait ensemble, nous nous sommes réconfortés dans les tribulations. J’arrivais et je disais:
– Père Ambroise, c’est si pénible.
– Eh bien, qu’est-ce qui est pénible là-dedans? Maintenant, tout cela, ce n’est rien. Mais des jours viendront…
Oui, et maintenant ils sont arrivés, ces jours; il y a beaucoup de moines, beaucoup de bons, mais il n’y a personne pour consoler. Maintenant, j’ai compris ce que cela signifie: «Des jours viendront…»
Et maintenant, je l’ai compris aussi, ces jours bénis sont passés» [Batiouchka termina ainsi]. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.