Le 19 octobre/01 novembre, on fête en Russie l’anniversaire de la naissance de Saint Jean de Kronstadt. L’Archiprêtre Gennadi Belovolov, bien connu à Saint-Pétersbourg où il créa et dirige encore l’appartement-musée mémorial du Saint et Juste Jean de Kronstadt, est considéré à juste titre comme le principal conservateur de la mémoire du Batiouchka de toute la Russie. Il est confesseur de la communauté de moniales qui fut dirigée par feu l’higoumène Taïssia au podvorié du Monastère de Leouchinski, auteur d’articles scientifiques sur l’héritage de Saint Jean de Kronstadt, sur l’œuvre de Dostoïevski, ainsi que d’articles et d’ouvrages sur l’histoire de l’Église et sur des ascètes contemporains. Il produit un programme radio sur la «Radio Orthodoxe de Saint-Pétersbourg» et est lauréat du prix du Club des Journalistes Orthodoxes de Moscou «pour son œuvre et ses enseignements au sujet de l’héritage de Saint Jean de Kronstadt». Et ceci n’est pas même un résumé des réalisations du Père Gennadi. Une journaliste du journal «Blagovest», de Samara, a rencontré le Père Gennadi en 2008, et le site Pravoslavie.ru a reproduit l’entretien dont voici la traduction en deux parties.

 

Père Gennadi

Tous nous aimons ce pasteur qui aimait tant la Russie, notre peuple, mais, tout étrange que cela paraisse, nous en savons très peu à propos du Père Jean de Kronstadt. Jusqu’à présent, nous nous sommes contentés de rééditer ce qui avait été écrit avant la révolution ou au milieu du XXe siècle par le Métropolite Benjamin (Fedtchenkov). Des ouvrages contemporains sérieux qui lui soient consacrés, il en est très peu. Il fallut attendre vingt ans après la révolution pour que dans notre pays le nom du Père Jean de Kronstadt soit prononcé en public. Je me souviens encore comment une dame de mes connaissances vint en 1988 à l’office, à l’Académie Spirituelle, et dise : «Imaginez qu’aujourd’hui, l’homélie concernait Jean de Kronstadt !…». Cette homélie avait été prononcée par l’Archimandrite Kyrill (Natchis), le confesseur de la Métropole et premier prieur de la Laure Saint Alexandre Nevski après que celle-ci ait été restaurée. Pendant de nombreuses années, il avait été pourchassé et emprisonné. Batiouchka Kyrill décéda cette année-là, le premier jour du Grand Carême, après le Dimanche du Pardon… Repos éternel et Royaume céleste au Père Kyrill! Il était un authentique starets, et je pense que ce n’est pas un hasard, si c’est précisément à lui qu’incomba la mission de prononcer publiquement, après un silence de tant d’années, le nom de Saint Jean de Kronstadt. Son homélie fut transcrite et même publiée. Au cours des vingt années qui suivirent, de nombreux propos bons et élogieux furent exprimés, mais il existe toutefois très peu d’ouvrages sérieux consacrés au Batiouchka de Toute la Russie.
Son journal fut toutefois publié.
Oui, et ce fut un grand événement. Deux maisons d’éditions entreprirent au même moment de publier le journal du Père Jean de Kronstadt : «Otchii Dom» et «Boulat». Dans un premier temps, quatre ou cinq tomes furent publiés, mais au total, on a conservé vingt-six cahiers. On est habité par un sentiment extraordinaire lorsqu’on tient en mains un cahier de Saint Jean de Kronstadt. On a l’impression de regarder, littéralement, son monde spirituel. On peut prendre n’importe quel cahier et l’ouvrir à n’importe quel jour, et la vie de Saint Jean de Kronstadt se dévoile devant vous, écrite par lui-même…

Tamara Ivanova Ornatskaia

Quelques cahiers ont toutefois été perdus. Lorsque je tins ces cahier en mains pour la première fois, en présence de Tamara Ivanovna Ornatskaïa, la petite-nièce du Père Jean de Kronstadt et descendante des saints martyrs Ivan et Philosoph Ornatski, je lui dis : «Voyons ce qui est écrit au jour de la mort de la mère de Batiouchka Jean». Sa mère, Theodora Vassilievna Serguieva, décéda en 1870, le 6 juin de l’ancien calendrier. Dans toutes les biographies, on indique qu’elle est morte le 8 juin. Mais à cette date, il est indiqué dans le journal : «Aujourd’hui, j’ai mis en terre ma petite maman». Sur le feuillet précédent on lit : «Nous sommes allés au cimetière, préparer la tombe». Et le 6 juin : «Aujourd’hui, ma petite maman sacrée est décédée…». Vient ensuite un paragraphe entier au sujet de sa mère. Les mots choisis par le Père Jean nous enseignent ce que signifie aimer sa mère. Auprès de Saint Jean de Kronstadt, nous devons apprendre non seulement à aimer Dieu, mais à aimer la Russie, la patrie (ce coin de Russie où tu es né), notre mère et le Tsar. Comment serait-il possible d’aimer Dieu sans aimer sa patrie et sans aimer le Tsar terrestre? Notre amour pour le roi terrestre est le critère de notre amour pour le Roi céleste.
C’est ainsi que ce paragraphe consacré par Saint Jean à sa mère dans son journal sonnait comme un acathiste. Batiouchka savait écrire de telle façon que les choses coutumières rayonnaient d’une haute spiritualité. Il a d’ailleurs composé des acathistes. On sait par exemple que Saint Jean de Kronstadt composa un acathiste au jeune Saint Artème de Verkola. Quand on le sait, c’est avec un tout autre sentiment, comme si on était avec le Père Jean, que nous lisons cet acathiste, exemplaire et si lumineux, à Artème de Verkola: «Réjouis-toi, qui resplendis, pareil à la lueur du Nord !…».
Je le répète, nous avons très grand besoin d’une étude sérieuse, en profondeur, de l’héritage spirituel du Père Jean, car en lui se cache le secret de la Russie, de la sainteté russe, de l’âme russe. Non seulement le Père Jean est l’un des derniers saints russes a avoir été canonisé, mais il s’agit du premier prêtre russe à l’être. Il ne s’agit pas d’un saint moine, d’un saint martyr, mais d’un prêtre. On pourrait aussi mentionner dans notre histoire le prêtre Isidore de Yourievsk, mais il mourut en martyr aux mains des ennemis de l’Orthodoxie. Parmi les nouveaux martyrs et confesseurs de Russie, on compte une foule de prêtres, mais ils furent comptés dans le chœur des saints du fait qu’ils eurent à souffrir des athées. Batiouchka Jean le fut pour la sainteté de sa prêtrise.
Tamara Ivanovna Ornatskaïa pourrait parler bien plus en profondeur des journaux du Père Jean de Kronstadt. J’ai travaillé concrètement sur eux seulement dans la première phase ; le déchiffrage et la préparation pour l’impression fut confiée à Tamara Ivanovna. Ce sont les fruits de son travail que j’utilise maintenant. Elle est le parent le plus proche de Saint Jean de Kronstadt, par le corps, mais aussi par l’esprit. Et elle ressemble fort au Père Jean. C’est le même visage, la barbe en moins. Le plissement des yeux, le sourire, cette rougeur, et le tempérament, l’impétuosité… Quand on la regarde on voit revivre Batiouchka. C’en est parfois même effrayant… Et cette merveilleuse douceur, cette pudeur. C’est quelqu’un qui s’est forgé un nom, docteur en sciences historiques, mais quelle humilité ! Elle porte l’héritage génétique de Saint Jean de Kronstadt. Même en ce qu’elle parvient à parler de trois sujets en même temps… Après que j’eus fait sa connaissance, Batiouchka Jean s’est mis à revivre d’une certaine manière pour moi.
On connaît de nombreux portraits du Père Jean, peintures ou photographies. Le cinéma a-t-il conservé également son image?
Non, malheureusement, on n’a pas conservé le moindre mètre de pellicule, le moindre cadrage cinéma du Père Jean de Kronstadt, malgré qu’à son époque, le cinéma existât déjà. On a assez bien filmé Léon Tolstoï, contre qui le Père Jean a tellement lutté, mais nous n’avons pas connaissance du moindre portrait du Père Jean sur pellicule. J’ai participé en qualité d’assistant et de consultant à de nombreux tournages de films documentaires et tous les réalisateurs rêvaient de quelques cadrages cinéma du Père Jean. Tout le monde se souvient de son exceptionnelle mobilité, de son impétuosité. Même à l’âge de 70 ans, il s’élevait littéralement sur les escaliers des maisons pétersbourgeoises, si vite même que les jeunes ne pouvaient le suivre. Et donc, voir Batiouchka en mouvement permettrait de mieux comprendre son image, et quelques cadrages cinéma vaudraient pour cela tout l’or du monde. Tout le monde a déjà cherché, et personne n’a rien trouvé sinon quelques images des funérailles de Batiouchka. Mais cela, ce n’est pas du tout la même chose.
Pourquoi en est-il ainsi?
Peut-être les cinéastes de cette époque ne sont-ils pas parvenus à filmer Batiouchka car il n’avait le temps de se prêter à ce genre de choses. Peut-être n’a-t-on simplement pas conservé la pellicule. Quelques films du Souverain et de Sa famille et de nombreux personnages célèbres sont parvenus jusqu’à nous. On peut ainsi voir le Patriarche Tikhon et son regard, la prestance majestueuse de la Grande Princesse Élisabeth Theodorovna. Mais pas de film du Père Jean de Kronstadt, pas une seconde. Il existe des informations selon lesquelles un disciple d’Edison serait venu en Russie pour y enregistrer la voix de gens célèbres, et il aurait eu l’intention d’enregistrer celle du Père Jean. Nous avons effectué un travail de recherche visant à retrouver pareil enregistrement. Nous n’avons rien pu trouver à ce jour dans les archives de Russie. Aux États-Unis, la Bibliothèque du Congrès a confirmé la réalité de la démarche précitée, mais l’enregistrement n’a pas été retrouvé. Soit il a été détruit, soit il attend d’être découvert. Imaginez seulement : entendre la voix du Père Jean! Notre Batiouchka bien-aimé de tous…
Il existait aussi des gens qui ne voulaient pas que du bien au Père Jean…
Ceux-là faisaient partie de ceux qui ne le connaissaient pas personnellement. Il s’agissait d’opposants idéologiques, qui n’admettaient pas ses homélies, ses paroles, ses idées. Mais dès qu’ils rencontraient le Père Jean, ceux qui avaient écouté les calomnies dont il était l’objet, voyaient toute cette information négative se dissiper. Des étudiants décidèrent un jour : «Allons un peu voir ce prédicateur. On va lui dire ce qu’on pense…». Ils y allèrent, mais Batiouchka les invita à prendre le thé et sortit les petites cuillères : «Vous vouliez me dire ce que vous pensez, et bien, s’il vous plaît, allez-y…». Voilà comment il humilia les jeunes moqueurs. Et il y eut aussi ceux qui voyaient dans le Père Jean une menace pour leurs ambitions. Les ennemis de l’Orthodoxie et de l’Autocratie le détestaient. Les dernières années, la presse libérale déclencha de telles attaques envers Batiouchka que les choses devinrent claires : s’il n’était pas mort en 1908, on lui aurait préparé une pleine coupe de destin funeste, pareille à celle qui revint à Raspoutine. Mais il s’agit d’un autre thème de discussion. (A suivre)

Saint Batiouchka Jean, Prie Dieu pour nous!

Traduit du russe

Source 1, 2.