Le Métropolite Nikolaos de Mésogée et de Lauréotique a vécu une période de sa vie à la Sainte Montagne, auprès de Saint Païssios, qu’il avait eu l’occasion de rencontrer déjà auparavant. Dans le texte ci-dessous, publié le 6 septembre 2016 dans les pages anglaises du site Pemptousia, Despotis Nikolaos rapporte une anecdote savoureuse illustrant une des facettes de la sainteté de Geronda Païssios

C’était en février 1988 ; il faisait très froid à Karyès, la capitale de la Sainte Montagne. L’altitude est assez élevée et l’humidité y rend les choses plutôt difficiles. Toutefois, le temps était sec ce jour-là. Une légère brise soufflait et pour autant que vous ayez été chaudement vêtu, les conditions étaient fort agréables. L’après-midi était fort avancé et le soleil venait de glisser derrière la colline. Je cheminais en compagnie de Geronda Païssios. En route, nous rencontrâmes le Père Kallinikos du skite de Koutloumoussiou. Nous arrivâmes au petit pont de bois, entouré de noyers aux branches dénudées.
Qui est allé chercher des mandarines ? demanda, de façon très surprenante, Geronda Païssios.

Plus loin, environ à une soixantaine de mètres, se trouvait la barrière fermant sa cour. Au pied de la barrière, on apercevait une forme qui pouvait être de couleur orange. Il était impossible d’en dire plus à pareille distance. Lorsque nous arrivâmes, nous vîmes effectivement un sac en plastique, de couleur orange, rempli de mandarines. Comment donc avait-il pu les voir? Comment savait-il qu’il s’agissait de mandarines et non d’oranges? De plus, comme le sac était orange, il aurait même pu être rempli d’autres choses, des pommes, par exemple.
Affectant la gloutonnerie, Geronda Païssios dit :
J’aime énormément les mandarines. Je vais en garder trois pour moi. Euh, non, cinq, ce serait mieux. Non, puisque j’en ai la possibilité, autant en garder sept.
Avec un large sourire, il s’arrêta à sept et dit :
Père Kallinikos, va porter le reste à Geronda Joseph.
Le Père Kallinikos prit sa bénédiction et se mit en route. Geronda Païssios et moi entrâmes dans la kelia. Nous nous assîmes et il me demanda de lire quelques textes qu’il avait rédigés. Une vingtaine de minutes s’écoulèrent avant qu’on entendit que quelqu’un frappait à la barrière, demandant à voir Geronda. J’interrogeai :
– Dois-je aller ouvrir ?
– Mieux vaut ne pas y aller. Si ce sont de simples curieux, ils finiront par s’en aller. S’ils veulent vraiment me voir, ils insisteront.
Nous poursuivîmes la lecture, mais au bout de quelques minutes, on entendit à nouveau les coups sur la barrière.
– Maintenant, que faut-il faire, Geronda?
En l’absence de tentures, une plaque était placée devant la fenêtre.
– Jette un coup d’œil sans te faire voir et dis-moi combien ils sont.
– Je ne peux pas, je ne parviens pas à voir.
Comment ça, tu ne parviens pas à additionner ? Qu’est-ce que tu as donc fait pendant toutes ces années en Amérique ? Attendons, ils frapperont à nouveau.
Et effectivement, au bout de quelques instants, ils frappèrent encore une fois.
Bon, maintenant, je vais regarder moi-même et les compter. Évidemment, je n’ai pas terminé mes classes primaires, mais je vais voir ce que je peux faire.
Il se leva et ouvrit la porte.
– Et bien, les enfants, pourquoi êtes-vous venus à une heure si tardive ?
– Père, nous voudrions vous voir quelques instants ; est-ce possible ?
Bien sûr, vous pouvez me voir. Mais qu’allons-nous trouver à vous offrir ? Combien êtes-vous ? Laissez-moi compter. Sept. Allons voir ce qu’il reste au magasin à pareille heure.
Il rentra et ressortit avec les sept mandarines. J’étais stupéfait. Comment avait-il pu savoir combien de mandarines il fallait conserver ? Le savait-il à l’avance? Dieu le lui avait-Il montré sans qu’il s’en rende compte?
Il leur demanda, avec intérêt :
D’où provenez-vous ?
– Nous sommes d’Athènes, et Bruce et John sont américains.
– Américains ? Si nous leur donnons seulement une mandarine à chacun, ils feront de nous un objet de dérision. Allons voir si nous aurions quelque chose d’américain dans notre supermarché.

Il rentra de nouveau, pour en ressortir muni d’un paquet de biscuits américains et d’une boîte de cacahuètes de la même provenance. Ils étaient fascinés et impressionnés. L’un d’entre eux demanda :
Père, que symbolise le talantoi, que l’on frappe dans les monastères?
Je ne sais pas ce qu’il symbolise, et cela n’a aucune importance. Ce qui compte, ce n’est pas de frapper le talanto dans les monastères, mais de multiplier les talents que Dieu vous a donnés. Écoutez, l’heure est fort avancée et vous devez partir, mais il est une chose que je veux vous dire. Le problème avec les Américains, c’est que le ‘je’ (‘I’) est toujours écrit avec une majuscule. En Grèce, il nous arrive parfois d’écrire ‘εγώ’ avec un ‘ε’ minuscule.
Ils rirent à cette plaisanterie, et les Américains demandèrent :
Qu’est-ce que cela signifie, que devons-nous faire ?
– Débarrassez-vous du ‘I’ dans votre vocabulaire. L’égoïsme est notre grand ennemi. Nous tous, sans exception, devons le combattre.

La courtoisie est un ornement de la sainteté, de même que la délicatesse et l’élégance. Il ne prononça aucune sentence sage ou théologique, il ne se livra à aucune révélation impressionnante. Mais il remplit leurs cœurs. Il savait qu’ils allaient venir, mais il le leur cacha. Il remit une friandise à chaque visiteur. Il se singularisa par son comportement unique, ses propos édifiants, sa présence apaisante. Sans tenter de convaincre quiconque de quoi que ce soit, il convainquit chacun de l’essentiel. A ses côtés, vous étiez illuminé, vous trouviez la joie et le repos. Vous vous sentiez comme la Panagia aux pieds du Christ. Et comme les Apôtres au Mont Tabor lors de la Transfiguration, vous ne vouliez plus jamais partir.
Traduit de l’Anglais
Source.