Le Saint Tsar Nicolas II
Le texte ci-dessous est extrait d'un très long essai rédigé par Nicolas Obroutchev, écrivain russe de l'émigration, publiciste et collaborateur des «Éditions Panslaves» à New-York. L'essai fut intégré dans le recueil intitulé «Le Souverain Empereur Nicolas II Alexandrovitch» (Государь император Николай II Александрович) publié par les Éditions précitées (Всеславянское издательство) en 1968. La traduction des deux premiers extraits est accessible ici. Plusieurs extraits de ce texte seront présentés afin de proposer un portrait aussi complet que possible du Saint Tsar Nicolas II, basé sur le texte de N. Obroutchev, qui en a annoncé l'objectif: «Le but du présent essai, consacré à la lumineuse mémoire du Tsar-Martyr Nicolas Alexandrovitch, est de révéler Son Portrait authentique, en tant qu'homme, en tant que Chrétien et en tant que dirigeant, sur base des faits historiques et événements véridiques et de l'opinion des hommes justes et intègres qui le connurent de près.»

Le Saint Tsar Nicolas II en tant que Souverain Chrétien
«Car Christ est ma vie, et la mort m’est un gain»(Phil.1,21).
Ces paroles du Saint Apôtre s’appliquent pleinement au juste Tsar-Martyr russe Nicolas II. Son âme baignait dans le mystère de Dieu, (c’est-à-dire qu’il croyait non pas en ses propres forces, mais en la Providence Divine); Dieu vivait en elle. C’est de cela que découlait sa profonde conviction de la sainteté de sa vocation de dirigeant de l’Empire, remis, par Dieu, à ses bons soins en sa qualité d’Oint de Dieu. C’est de cela que découlait sa foi ardente en Dieu et de sa soumission au Christ Sauveur, et Ses commandements. De son âme saturée de la Lumière du Christ rayonnaient ses qualités : amour pour Dieu, amour pour les hommes, humilité, simplicité, bonté de cœur, sens du devoir.
L’Archiprêtre mitré Naum Meztski, fut père spirituel, confesseur et ami de trois générations de ma famille, remarquable par ses qualités spirituelles et sa vie austère de juste et de starets. Jusqu’à l’évacuation de Varsovie en 1915, il y fut recteur de l’église du Palais d’Été Lazenkovski. Quand j’étais encore adolescent, il me rapporta le zèle et l’ardeur des prières du Tsar-Martyr. Je me souviens d’une occasion au cours de laquelle nous étions à deux, seuls, dans l’église du Palais d’Été. Le Père Naum m’y montra un petit tapis sur le sol et me dit «C’est ici, à cet endroit, que priait à genoux le Souverain Empereur et la Souveraine Impératrice. Ils priaient avec une telle ardeur, une telle intensité, que lorsque je les regardais, j’avais l’impression que leurs âmes avaient abandonné tous soucis terrestres et étaient montées là-haut; ils élevaient ensemble les mains vers le ciel… Ô, si le Seigneur m’avait donné une foi d’une telle puissance! Et regarde! Ces mains de prêtre indigne, mes mains, furent humblement baisées par l’Autocrate de toutes les Russie». Disant cela, le Père Naum tendit les mains vers l’avant pour me les montrer. Plus tard, dans les années ’30, le Père Alexandre Soubbotine, membre du Consistoire Spirituel de Varsovie et Kholm de l’Église Orthodoxe de Pologne, me raconta une histoire identique. Le Tsar-Autocrate Orthodoxe russe baisait la main de chaque prêtre, exprimant en cela son humilité et son respect pour le rang de serviteur du culte.

Le Saint Tsar Nicolas II et Pierre Gilliard à Tsarskoe Selo en 1917

Le Souverain priait pour ses ennemis et leur pardonnait leurs offenses. Nous possédons à ce sujet les notes de Pierre Gilliard1 : «13 avril, Vendredi Saint. Le soir, toute la famille se confesse. Samedi 14 avril. Le matin, à neuf heures et demie, messe et sainte communion. Le soir, à onze heures et demie, tout le monde se réunit à l’église pour le service de nuit. Le colonel Korovitchenko, commandant du palais et ami de Kerensky, et les trois officiers de garde, sont aussi présents. L’office dure jusqu’à deux heures, puis l’on se rend dans la bibliothèque pour y échanger les félicitations traditionnelles. L’Empereur, selon la coutume russe, embrasse tous les hommes présents, y compris le commandant du palais et l’officier de garde qui est resté avec lui. Ces deux hommes ne peuvent cacher l’émotion qu’ils ressentent à ce geste spontané. (…) Dimanche 15 avril, Pâques. Nous sortons pour la première fois avec Alexis Nicolaïevitch sur la terrasse devant le palais. Superbe journée de printemps. Le soir, à sept heures, service religieux en haut, dans les appartements des enfants. Nous ne sommes qu’une quinzaine de personnes. Je remarque que l’Empereur se signe pieusement au moment où le prêtre prie pour le gouvernement provisoire».
Le Métropolite Antoine (Khrapovitski), pieux, béni, universellement instruit, et qui repose en Dieu, fondateur de l’Église Russe hors Frontières, fut l’un des rares contemporains du Tsar-Martyr qui le comprît profondément et lui rendît hommage. Dans l’homélie qu’il prononça en la Cathédrale de Jitomir, le 21 octobre 1905, quatre jours après le Manifeste du 17 octobre qui institua une représentation populaire au sein du système de gouvernement de la Russie, Vladika Antoine décrivit le Souverain et la situation morale et politique des Russes de l’époque par ces paroles: «Aujourd’hui se termine la onzième année du règne de notre Monarque. La douzième année commence avec une certaine modification de la situation, déterminée par le récent Manifeste. Russes, tournez vos regards vers cette première période du règne de notre Souverain, et regardez-vous. Regardez dans quelle mesure vous avez pendant ce temps été fidèles au serment que vous avez prêté devant la Croix et le Saint Évangile. Et maintenant que les épaisses ténèbres du mensonge sans scrupule et du narcissisme débridé bouchent l’horizon de notre vie, voyez en pensée combien peu vous avez pratiqué les vertus, combien vous avez fait preuve d’ingratitude envers autrui. Notre souverain a accédé au Trône ancestral à un jeune âge, mais il a fait montre de sagesse devant les tentations du pouvoir. La majorité des rois et des autres dirigeants s’empressent, dès qu’ils arrivent au pouvoir, à mettre en avant leur personnalité en l’opposant à celle de leur prédécesseur, afin d’exhiber les avantages escomptés par rapport à ce prédécesseur… De telles démarches sont en particulier le fait de jeunes souverains, comme par exemple les premiers rois du peuple de la Bible. Mais ce n’est pas ainsi, pas du tout ainsi, qu’agit notre Souverain quand, encore jeune, il devint le maître du plus grand Empire du monde. Il promit de suivre en toutes choses l’exemple et les instructions de son Père qui repose en Dieu, à l’autorité duquel il faisait de constantes références et dont il conserva les conseillers. Non seulement il s’abstint de tout accès de vanité, de mise en avant de soi-même, mais toujours il faisait preuve d’humilité devant sa Patrie, confessant son dévouement sincère à l’antique Moscou. Il fut le premier des Empereurs de Russie à n’éprouver aucune honte à se faire photographier alors qu’il portait les anciens vêtements et ornements d’apparat des premiers tsars. L’humilité est le premier commandement de l’Évangile, c’est le premier des dix échelons des béatitudes à travers lesquels s’ouvre à nous le paradis du Seigneur. Combien rare et précieuse est cette vertu en ce siècle d’orgueil et de mensonge endurci. Et si nous, les simples mortels, lui accordons une valeur aussi élevée, combien plus encore est-elle convoitée par le plus puissant des Empereurs. Peuple russe, apprends de ton Tsar la grande sagesse de l’humilité… Comment conserver en soi l’esprit de cette sagesse de l’humilité? Comment notre Souverain l’a-t-il conservé en lui? Seul celui qui craint Dieu peut conserver cet esprit en lui, celui qui de tout son cœur croit au Christ et vénère pieusement les saints. Cela, gens de Russie,vous pouvez l’apprendre en imitant votre Tsar.
Notre Souverain commença son règne un 21 octobre, comme aujourd’hui, et il communia alors aux Saints Mystères du Corps et du Sang du Christ. Il communia à nouveau aux Saints Dons trois semaines plus tard, le jour de son mariage. Ce n’est pas courant chez les souverains sur cette terre. Bien qu’ils veuillent montrer qu’ils ne sont pas étrangers à la foi, ils craignent particulièrement de donner d’eux une image trop pieuse… Pareille schizophrénie est complètement étrangère à notre Monarque: la Gloire de Dieu a été le principe directif essentiel de son activité. Jalousant la glorification des saints avec la même généreuse espérance qu’éprouve le peuple envers lui, c’est avec joie qu’il autorisa, l’année même de son couronnement, l’invention des reliques de Saint Théodose de Tchernigov. Ensuite, il déploya ses efforts afin que soit proclamée par l’Église la sainteté d’un autre serviteur bien-aimé de Dieu, Saint Seraphim de Sarov. Mais cela ne suffit pas encore au cœur du Tsar. Il emmena son épouse, l’Impératrice, et sa mère, l’Impératrice Douairière, jusqu’au lointain désert de Sarov et présenta ses propres mains pour transporter avec son peuple, dont plus de trois cent milles membres s’étaient réunis, le cercueil contenant les saintes reliques du Thaumaturge, et il versa des larmes de tendresse, et il ouvrit sa conscience à son confesseur et reçut les Saints Mystères, à la même coupe que le simple peuple.
As-tu entendu chose pareille, Ô Peuple russe, au cours des derniers siècles? As-tu souvent rencontré une telle force de foi parmi les nobles et les riches? Montre-moi quelque chose de semblable dans la vie des rois qui, de par le monde, se disent chrétiens! Apprenez la foi, l’humilité et la prière en imitant votre Tsar. La piété sincère demeure incomplète tant qu’elle ne s’orne pas de l’amour et de la compassion pour le prochain. Et cet amour, notre Souverain l’a manifesté dès les premiers mois de son règne, quand à l’exemple du Juste de toute la Russie, le Père Jean de Kronstadt, il commença à créer partout des maisons du travail2 pour les pauvres, car c’est d’elles dont ont besoin les pauvres de nos villes.»

Saint Siméon de Verkhotourié

En 1914, lors de la glorification du Juste Siméon de Verkhotourié, l’Archiprêtre Ioann Storojev (celui-même qui allait célébrer le 1/14 juillet 1918 la dernière Divine Liturgie des Martyrs Impériaux et leur donner la dernière bénédiction pastorale qu’ils reçurent de leur vivant) décrivit aux participants le pieux Tsar-Martyr par les paroles suivantes: «Frères, quelle grande, quelle indicible consolation que de savoir et de voir que le Guide souverain du peuple russe, auquel Dieu a confié le destin de notre Patrie, a établi comme fondement de tout son règne la piété elle-même. Et il donne à travers sa personne l’exemple même de l’antique piété russe profonde et pure, de l’amour pour les riches offices de l’Église, la vénération des saints sanctuaires russes, ainsi que l’attachement et l’empressement envers la glorification de la mémoire des grands héros de l’ascèse à la sainte vie».
Le 19 juin 1949, dans l’église-mémorial construite à Bruxelles afin de perpétuer la mémoire du Tsar-Martyr Nicolas II, l’éminent et saint évêque de l’Église Orthodoxe Russe et Premier Hiérarque de l’Église Orthodoxe Russe hors Frontières, le Bienheureux Métropolite reposant en Dieu Anastase, moine à la vie ascétique modèle, et à la vaste érudition, prononça dans son homélie, remarquable quant à la forme et au fond, les paroles suivantes, qui exposent les vertus évangéliques du Souverain assassiné:
«Il fut un authentique Tsar Orthodoxe en qui s’incarnèrent maintes vertus évangéliques et en particulier, celles que le Christ annonça à Ses disciples à travers les béatitudes de son Sermon sur la Montagne. La simplicité d’esprit fut placée en tête; il s’agit de l’humilité de cœur dont jouissait notre Tsar-Autocrate à un degré égalé par aucun autre monarque. Elle l’a conduit vers les hauteurs et l’a rendu digne d’un Règne non plus terrestre, mais céleste. Né le jour où l’on commémore le Saint et Juste de l’Ancien Testament, Job, qui endura maintes souffrances, le Souverain dût boire jusqu’à la lie la coupe des souffrances amères. Celle-ci se poursuivirent tout au long de son règne et atteignirent le degré suprême à la fin de sa vie.
Il versa secrètement des larmes amères, pas tant sur son propre sort, ni sur le malheureux destin de sa famille, que sur l’incompréhension que rencontrèrent ses meilleures et plus nobles intentions, et surtout, sur l’aveuglement de son peuple, qui renia son Tsar, son histoire et une partie même de sa foi. Sur terre, il ne trouva pas de consolation, comme Job jadis, en obtint au centuple dans le Royaume béni du Christ. La douceur de son cœur humble était connue de tous. Et si les doux hériteront la terre, il héritera de la terre des bons et sera placé pour les siècles des siècles sur un trône qui jamais ne vacillera. Son âme sublime ne cessa jamais d’avoir faim et soif de la justice, à laquelle il voua son âme. Et il la rassasie là où la justice règne à jamais. La miséricorde, le cœur miséricordieux, prêt à accueillir tout un chacun dans son étreinte, voilà le plus bel ornement du monarque, voilà la moelle de son âme. Grâce à cette vertu il conquiert lui-même la miséricorde de Dieu. La pureté de cœur qu’il conserva jusqu’à son dernier souffle l’a rendu digne de regarder, les yeux grands ouverts, la gloire de Dieu. L’amour et la paix qu’il répandit autour de lui, tel un oxygène spirituel, et auxquels il appela le peuple tout entier dès qu’il entama son règne, l’associent à la multitude des vrais fils de Dieu, aux côtés des autres artisans de paix. Et finalement, qui a plus que lui enduré l’injuste diffamation, la persécution, l’humiliation, la calomnie et l’outrage dont il fut accablé uniquement parce qu’il voulait être chrétien, non seulement par le nom, mais en se montrant dans sa vie même interprète des commandements du Christ, dont il fit le fondement de son règne. Les épines des calomnies et des fausses accusations tissent une douloureuse couronne autour de son front, maintenant qu’il s’en est allé de ce monde et s’est présenté au Jugement de Dieu. Mais au plus il dût souffrir pour la justice en ce monde, au plus grande sera la récompense qui l’attend dans la vie du siècle à venir. Quand s’éleva sur la Russie le grondement de la colère de Dieu et que la puissance des ténèbres s’y installa, soufflant avec violence la fureur sur tout ce qui tentait de se dresser sur sa route, alors, les meilleurs des Russes se sacrifièrent en expiation pour la Patrie. Dieu demanda ce sacrifice avant tout de la part du Souverain, en sa qualité de fils premier et Chef suprême de la Russie, et sans un murmure, il prit sa place, avec toute sa famille, qui peut être appelée à juste titre, son ‘église domestique’. Avec courage, le Souverain gravit son Golgotha et avec une toute humble soumission à la volonté de Dieu, il goûta à la mort en martyr, laissant derrière lui en héritage un début de règne monarchique pur de toute souillure, tel un dépôt précieux reçu de ses Ancêtres Empereurs».(A Suivre)

Traduit du russe

  1. La traduction des notes de Pierre Gilliard, (professeur de français des Grandes Duchesses et précepteur du Tsarévitch Alexis Nicolaïevitch, l’un des derniers fidèles qui accompagnèrent la Sainte Famille Impériale-Martyre dans son chemin de croix jusqu’à Ekaterinbourg), est empruntée aux pages 230 et 231 du livre «Treize années à la cour de Russie», de Pierre Gilliard, encore disponible aux Éditions Payot et Rivages, dans la Petite Bibliothèque Payot.
  2. L’appellation russe est «дом трудолюбия», littéralement traduit par ‘maison de l’amour du travail’. Une traduction couramment admise est «maison d’industrie». «трудолюбия» est généralement traduit par assiduité, diligence, application.