Texte de Madame Olga Ijeniakova, publié le 21 mai 2018 sur le site Pravoslavie.ru. Madame Ijeniakova est journaliste et écrivain. Parmi ses livres on en compte un au sujet de Sainte Matrone, et un autre à propos de Divieevo, et plusieurs concernant L’Église. Le récit ci-dessous nous rapporte l’intervention salutaire des Néo-martyrs du Monastère d’Optina dans le cadre d’un événement dramatique vécu très récemment par l’auteur au bord du village de Petrovskoe, dans l’Oblast de Riazan.

Cette histoire s’est déroulée voici littéralement quelques jours, le dix mai 2018, c’est pourquoi le sentiment d’émerveillement devant la grandeur de Dieu est encore tout frais et je souhaite raconter comment tout s’est passé, afin que le lecteur dise avec moi ces mots simples et précieux : Gloire à Dieu pour tout.

Entrée du village de Petrovskoe (copyrights Panoramio)

…En mars, alors qu’une épaisse couche de neige couvrait la région, j’ai acheté un lopin de terre. J’avais cherché et comparé longuement. Il fallait sans faute qu’il se trouve sur une hauteur, et que la vue donne sur le village et l’église en contrebas. J’avais rêvé de construire une petite maison, de monter une serre, creuser un puits et m’installer là pendant mon temps libre. L’endroit se situe dans le District de la Résurrection. «Vous verrez, cela vous plaira», m’avait dit l’agent immobilier qui m’y emmena dans sa voiture. Je visitai les lieux avec attention. Aucune route n’y menait et l’endroit était sauvage. Lors de la période de dégel, ce devait être inaccessible. Mais je demeurai calme, ce n’était pas un endroit pour y vivre en permanence dès maintenant. Seulement à l’avenir… entre-temps ils auront construit la route. On se tapa dans la main, l’affaire était conclue.
Un temps assez long s’écoula. Je reçus les documents de l’Administration de l’Enregistrement et choisis un jour de congé pour aller jeter un coup d’œil sur mon lopin de terre. Ceux qui connaissent la M5, que les gens de Riazan appellent «la piste», savent combien elle incite à l’horticulture et au jardinage: ici, à chaque pas, on vend des graines, des plants, des semences, et ceux qui décident de s’enraciner tout à fait dans la vie villageoise peuvent acheter des poules, des oies, des lapins, des dindes et des porcelets. A la vue de cette abondance, on comprend une vérité toute simple: le village russe vit! Et l’âme se réjouit.
Contemplant la magnificence qui m’entourait, j’imaginais déjà où je planterais mes fraisiers, mes groseilliers et des phlox en guise de clôture avec le voisin. J’aime beaucoup ces fleurs, pour leur arôme doux et leur modestie. La nature et le climat contribuaient à ma rêverie; les prés bordant la route étaient couverts de pissenlits qu’une douce brise agitait en guise de salutation aux chauffeurs de passage…
J’arrivai dans le village et commençai par entrer dans le magasin. Pour les nouveaux venus, le magasin, c’est une sorte de centre d’informations, où l’on sait tout au sujet de tout le monde. Conversant avec la vendeuse et des acheteurs, j’entendis une nouvelle désagréable: depuis longtemps, mon terrain sert de décharge. Bien sûr, comme l’assura un villageois, ce n’était pas très compliqué de le nettoyer; il suffisait de bouter le feu aux déchets. Quand il sera éteint, on pourra facilement clôturer et labourer. Maintenant, dit-il, tout le monde fait cela. A ces mots, nous nous dispersâmes et je me dirigeai vers mon terrain avec l’intention de récolter du tussilage, dont je ferais d’excellentes décoctions cet hiver. On trouve en mai beaucoup d’herbes utiles; il suffit de les sécher pour les conserver. Et puisque j’étais sur place, je décidai finalement que je devais me rendre compte de la taille de la décharge, et voir ce qu’il fallait en faire… Je découvris un feu intense dont les flammes s’élevaient à plus de trois mètres de haut. Tout brûlait: les herbes sèches de l’an dernier, des pneus de voitures et de tracteurs, des bouteilles en plastique qui fondaient, des cuves métalliques que les flammes faisaient monter en l’air. Et tout juste à côté, les voisins avaient leurs maisons en bois, leurs saunas en bois, des charrettes avec du matériel de construction. Jamais je n’avais vu chose pareille. Je composai immédiatement le numéro 112. On me répondit que pour l’instant, quatre autres incendies étaient en cours et que le camion de Neviansk ne serait pas ici avant environ une heure. A ma question demandant pourquoi une intervention immédiate n’était pas possible, on m’expliqua qu’ils étaient occupés à Neviansk mais que le travail touchait à sa fin. En clair, attendez.
Je me mis à hurler comme une folle, appelant au secours. Les voisins accoururent, amenant des seaux d’eau, autant dire une goutte dans l’océan. Ensemble nous travaillâmes à essayer d’étouffer le feu en frappant avec des pelles, en repoussant les braises. Mais très vite, il apparut que tout cela était vain. Je composai à nouveau le 112, on me répondit encore une fois d’attendre, et s’il vous plaît, de ne pas encombrer la ligne, car de multiples foyers faisaient rage à la rue 23…Le soir, quand je fus rentrée à la maison, je comptai sur mon écran de téléphone… J’avais appelé 46 fois.
Rapidement, nos forces s’épuisèrent. Certains voisins pleuraient, d’autres criaient. Il se précipitèrent vers leurs maisons respectives pour y rassembler leurs documents et tout ce qu’ils trouvaient de précieux, afin de les soustraire à l’incendie.
Je fixai attentivement les flammes, et sans aucun sentiment particulier, sans espoir précis, je criai «Néo-martyrs d’Optina! Hiéromoine Vassili! Moine Trophime! Moine Théraponte! S’il vous plaît, je vous en prie de toutes mes forces, aidez-nous…» Et je pensai en moi-même qu’il était bien tard et qu’il aurait fallu prier bien avant, alors que le feu commençait à se répandre, plutôt que maintenant, quand il était clair que rien ne pourrait être sauvé. Une fois encore je regardai fixement à travers les flammes, vers l’église en contrebas. Non, je ne vivrais pas ici. Comment oserais-je encore regarder les voisins dans les yeux? Et eux-mêmes, vivraient-ils encore ici?
Entre temps, un cerisier avait commencer à flamber au bord de la route. Complètement. Adieu. Il fallait que je recule ma voiture car les flammes rampantes s’approchaient des roues. Je m’assis au volant et éloignai l’auto. Quand j’en sortis je sentis la chaleur du sol à travers les semelles de mes chaussures. Le soleil au zénith brillait aveuglément. Lentement, la tête basse, j’avançai vers l’endroit où aurait pu se trouver mon portillon, et juste derrière, la maison et le puits… Je levai les yeux et je vis qu’une brise se levait, et elle poussait les éléments dans le sens opposé aux maisons. Le feu n’atteignit pas les voisins, malgré la présence d’importants treillis métalliques. Sous la nouvelle direction du vent, il n’y avait plus aucune herbe pour nourrir le feu. Les braises elles-mêmes ne volaient pas vers les jardins des voisins, où les saunas se trouvaient contre la clôture, et juste à côté, les bidons de fuel. En gros, l’incendie sévit seulement sur mon terrain, en ligne, brûlant les déchets, les caisses, les vieilles herbes. Les voisins revinrent et restaient bouche bée. C’était impossible! Malheureusement, beaucoup se mirent à proférer des gros mots. Je restai comme plantée sur place. Maintenant encore, je suis figée quand je pense encore et toujours à ce tableau, à ces flammes qui avançaient clairement en ligne, sans la moindre braise, la moindre étincelle sur le terrain voisin, à la brise fraîche qui se leva, aux sentiments qui m’habitèrent, d’abord, l’effroi et l’impuissance, ensuite, la crainte devant la grandeur de Dieu, quand il fut clair que Dieu était là et qu’Il aiderait forcément. Il est malaisé d’exprimer tout cela avec des mots. Cela doit être vécu. Quoique non, il vaut mieux pas…
J’arrivai également à la conclusion que quand tu te trouves dans une situation extrême, il est difficile de prier. En fait, prier ne vient même pas à l’esprit, mais plutôt fuir, s’inquiéter, crier, jusqu’à ce que tu comprennes que tu ne signifies rien.
Les pompiers de Neviansk arrivèrent. Il prévinrent par radio que «le foyer d’incendie venait d’être entièrement liquidé». Des gens en uniforme parcoururent l’étendue de cendres, posèrent l’une ou l’autre question et s’en allèrent. Le lendemain, j’achetai des sacs de construction, des gants, et je me mis à ramasser les déchets restants. J’y découvris entre autres plusieurs bonbonnes de mazout qui n’avaient pas explosé par miracle. Je me souvins alors que le Néo-martyr Trophime d’Optina s’y connaissait en technique et qu’il bricolait sans cesse avec des bouts de fer. On disait que ses mains sentaient toujours le mazout. Chez le moine Théraponte, sur sa table, on trouva cette note: «Si vous avez besoin de mon aide, je vous aiderai». Quant au Hiéromoine Vassili, c’est un ancien collègue, il était lui aussi journaliste de formation. En un mot, des gens proches…

Saint Néo-martyrs d’Optina, Vassili, Théraponte et Trophime, priez pour nous!

Traduit du russe
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