Les éditions du Monastère de la Présentation au Temple viennent de publier un nouveau livre de son Éminence le Métropolite Athanasios de Limassol, intitulé «Сохраним душу живой» (Gardons notre âme vivante), développant un enseignement de la pratique de l’essence de l’Orthodoxie dans la vie quotidienne et surtout dans la famille. Comme de coutume, le site Pravoslavie.ru, lié au Monastère a mis en ligne le 23 mai 2018 quelques extraits de ce nouveau livre. Voici la traduction de la première partie de l’un des chapitres de l’ouvrage.

Le Prêtre clame : « Rendons grâce à Dieu ! »
L’Assemblée répond : « Cela est digne et juste ! »

Imaginez un homme épuisé, malheureux, désorienté, que l’on découvre soudainement et que l’on conduit à un palais en lui disant : Regarde, ce palais appartient à ton père. Il est à toi, c’est ton héritage. Jusqu’à cet instant, était épuisé, affamé, vêtu de hardes, un pauvre homme. Maintenant, le voilà soudain héritier d’une immense richesse et il se réjouit de ce confortable palais. Son cœur déborde littéralement de gratitude et de reconnaissance envers celui qui lui a transmis cet héritage.
La même chose se produit avec nous. Quand nous voyons Dieu, quand nous nous tenons devant Lui, la première réaction de notre cœur, c’est la gratitude: «Rendons grâce à Dieu». Nous répondons: «Cela est digne et juste!...», c’est-à-dire qu’il est digne et juste de Le remercier. Souvent nous avons parlé d’eucharistie, (dont la racine signifie en grec ‘remercier’), mais nous devrions passer à l’acte, encore et encore, car la gratitude envers Dieu est chose très importante. Nous constatons que la Divine Liturgie est aussi nommée ‘Sainte Eucharistie’ (c’est-à-dire, sainte gratitude, saint remerciement), cela signifie que l’homme doit en permanence exprimer ses remerciements à Dieu. Au moment où commence la partie principale de la Divine Liturgie, l’Église nous invite à exprimer intérieurement notre gratitude; elle ne nous demande pas d’éprouver de la crainte ni de tressaillir:’Maintenant commence la Divine Liturgie et malheur à vous! Malheur à vous, car vous êtes des pécheurs! Pensez à l’enfer, aux tourments, à la colère de Dieu, pensez que vous irez tous en enfer!’ Rien de tout cela. Pareilles pensées, semblables sentiments n’ont pas leur place dans la vie spirituelle, ils ne nous orientent pas vers une juste relation à Dieu. Quelle devrait être notre relation à Dieu? Nous sommes les enfants de Dieu et nous devons remercier notre Père Céleste. Évidemment, nous savons cela, nous savons aussi que nous sommes des pécheurs et non de bons enfants de Dieu. Celui qui pense être bon ne cultive pas intérieurement une disposition à rendre grâce à Dieu. Et en même temps, celui qui pense être un homme mauvais, remercie Dieu beaucoup plus sincèrement. Le tropaire qui nous prépare à la Nativité du Christ annonce que nous nous trouvons dans les ténèbres spirituelles, et que la Lumière descend sur nous, et nous devons dès lors Le remercier plus encore. Si seulement nous étions justes et bons, nous dirions : «Nous sommes bons, et il est naturel que Dieu soit à nos côtés!»
Malheureusement, beaucoup de gens pensent cela d’eux-mêmes et c’est une sorte de maladie; ils croient que c’est une manière de gagner la bienveillance de Dieu. Souvent j’entends ce genre de choses de la part de ceux qui viennent à moi. Et je leur demande:
– Quelle est votre relation à Dieu?
Ils répondent alors:
– Très bonne Père! Très bonne. Tout ce que je Lui demande, Il me l’accorde! Il suffit que je prie Dieu et Il exauce mes demandes! Nous avons une belle maison, nous sommes en bonne santé, tout va bien pour nous, et nous sommes très contents de Dieu!
Mais quand surviennent les problèmes, qu’arrive-t-il? On ne peut dire qu’on entretient une bonne relation à Dieu seulement parce que nous allons bien?! Il s’agit d’une relation à Dieu incorrecte. Celui qui pense de la sorte est un homme malade. De manière générale, le sentiment de gratitude est tout à fait insuffisant dans notre vie quotidienne. Au temps jadis les gens étaient plus simples, humbles et sincères et ils remerciaient Dieu pour tout…
Que chacun y réfléchisse un peu. Quand nous émergeons du sommeil, le matin, lequel d’entre nous dit: «Gloire à Dieu!Je te rends grâce, Christ, mon Dieu, de m’avoir permis de m’éveiller?» Nous ouvrons les yeux et commençons à gémir: «Oooh Panagia!» Nous nous précipitons hors du lit, nous nous lavons, prenons un petit déjeuner, et nous sortons… Pas une minute pour rendre grâce. Ou lorsque nous nous asseyons pour manger, qui remercie Dieu pour la nourriture qu’Il nous donne? Triste spectacle. Et pourtant, l’Église continue à nous apprendre qu’avant de faire quelque chose, boire un verre d’eau, par exemple, nous devons nous signer. Dans de nombreux monastères, on trouve des gens pieux qui se signent avant de boire un verre d’eau. Je me souviens, lorsque je suis arrivé à Chypre, quand on nous servit un verre d’eau, je traçai le signe de croix (j’avais appris cela à la Sainte Montagne). On me demanda: «Voilà maintenant qu’on devrait se signer avant de boire un verre d’eau!» Est-ce si important de tracer sur soi le signe de croix avant de boire un verre d’eau? En réalité, il est très important de savoir boire un verre d’eau. L’homme qui dans sa vie trouve quoi que ce soit ayant une valeur, doit rendre constamment grâce à Dieu.
Un geronda de la Sainte Montagne racontait qu’un jour, un homme riche nommé Onasis l’invita à célébrer chez lui l’Office de la Bénédiction de l’eau. Chemin faisant, il se demandait comment allait se dérouler sa rencontre avec cet homme très riche, un des plus riches du monde. Mais quand il l’aperçut assis dans un fauteuil un bandeau lui couvrant les yeux, l’homme lui dit: «Vous savez, geronda, j’ai un grand problème. Je suis incapable de cligner les yeux, et vous ne pouvez vous imaginer quelle souffrance cela me procure!» Il ne pouvait faire ce mouvement tout simple que nous pratiquons des millions de fois par jour pour humidifier les yeux, afin que nous puissions voir. Chez lui, le nerf responsable était paralysé, et il souffrait, il souffrait le martyr. La vie était devenue une torture car il ne parvenait pas à faire ce simple mouvement.
«Aujourd’hui, je réalise la valeur de ce dont je disposais avant et dont je suis devenu incapable maintenant, et j’en souffre» ajouta-t-il.
J’insiste sur le fait que nous accomplissons une foule de choses et nous ne comprenons pas que nous devrions remercier Dieu pour cela. L’Église nous enseigne que lorsque nous nous asseyons pour manger, il est nécessaire de prier. Il existe un court rite de prières avant le repas. Ce sont des prières que nous récitons quand nous allons nous asseoir pour manger. Certains disent: «Et voilà, maintenant nous devons prier même pour manger… Prier pour une assiette de nourriture? Il serait donc interdit de manger si on n’a pas prié, il faudrait obligatoirement se lever et dire la prière?»
A ce propos, je me souviens d’un jeune à l’âme simple, qui travaillait dans une grande entreprise et lors de la pause du repas, il sortait dans la salle de détente pour y manger son sandwich. Il fermait la porte derrière lui, ouvrait son paquet de cellophane, le déposait sur la table devant un ordinateur. La première chose qu’il faisait alors était de se signer en se tenant debout, et de réciter le «Notre Père». Un jour, alors que ses doigts touchaient son front, la porte s’ouvrit, et un collègue entra dans la pièce. Le jeune homme était un pratiquant de fraîche date et sa main se figea sur son front. On pensa qu’il était fou, qu’il avait perdu la tête, qu’il vénérait son sandwich comme les anciens guerriers… Dans toute l’entreprise, le bruit se mit à courir qu’il était malade et qu’il avait besoin d’un psychiatre car il vénérait ses sandwichs. On l’envoya chez le psychiatre pour qu’il examine le jeune homme, mais il ne dit rien au docteur…
Tous ceux qui ont une famille apprennent cette vérité toute simple: avant de s’asseoir à table pour manger, il faut se tenir debout pour réciter le «Notre Père». Et après la fin du repas, il convient de dire «Nous Te remercions Christ notre Dieu car Tu nous as rassasiés de Tes biens terrestres; ne nous prive pas de Ton Règne Céleste. Tu es venu parmi Tes disciples, Sauveur, Tu leur as donné la paix, viens parmi nous et sauve nous».
Je me souviens encore de ma deuxième visite chez le Saint Geronda Païssios. J’étais encore jeune, j’avais dix-huit ans. Et il me proposa de passer un peu de temps chez lui. C’était la première fois que je demeurai avec lui. Geronda Païssios me dit:
– Maintenant, nous allons manger!
Je lui demandai:
– Geronda, qu’allons-nous manger?
Et il me répondit:
– Je vais dresser une grande table car tu es mon hôte!
Il plaisantait avec moi.
– J’ai du poisson, du cabillaud. Je vais préparer un riche repas!
Nous sortîmes sur la rue. Il n’avait pas de chaise. Nous arrivâmes dans une clairière où il n’y avait que des cailloux. Et il me dit:
– Nous allons prendre notre repas ici. Attends une minute, je dresse la table!
Il partit, et revint avec une toile cirée sur laquelle étaient représentés différents fruits, des bananes, du raisin, des pastèques. Geronda Païssios dit alors:
– Je déploie cette toile cirée uniquement quand j’ai des invités, pas chaque jour. Et qu’avait-il? Rien. Rien, sinon du pain sec. Il me demanda:
– Tu veux du thé?
Je n’aime pas le thé et répondis:
– Non merci, je n’en veux pas.
Geronda Païssios avait une plate-bande avec cinq ou six oignons verts. Il en extrait un, ainsi qu’une laitue. Et nous mangeâmes un oignon vert, une laitue, avec de l’huile d’olive. Tout autour, il faisait désert, mais jamais je n’oublierai qu’avant de commencer à manger il dit:
– Disons la prière.
Nous nous levâmes et commencèrent à prier. Il éleva les mains et dit: «Notre Père, Qui es aux Cieux…» Et, comment vous expliquer,… le Seigneur était réellement là, présent! Après que nous eussions terminé le repas, Geronda Païssios récita une prière d’action de grâce. Qu’avions-nous mangé? Rien de particulier, du pain sec qu’en d’autres circonstances, je n’aurais jamais acheté pour mon repas, une tête d’oignon vert et une laitue. Mais jamais je n’oublierai ces instants. Ce fut le plus merveilleux repas de toute ma vie.
Si nous agissions de cette façon à la maison, nous créerions une atmosphère agréable, que nous avons hélas perdue, à notre époque. Mais c’est précisément cette atmosphère qu’attendent nos enfants. Lorsque les enfants rentrent à la maison et s’asseyent pour manger, que fait-on? On se querelle, on crie, on s’invective les uns les autres. On ne s’installe pas ensemble, mais chacun de son côté. Et on appellerait cela comment? Maison, famille? Alors que chacun s’installe dans son coin pour manger? Et bien entendu, tout le monde est énervé. Quand les adultes sont absents, l’enfant rentre de l’école, choisit de la nourriture dans le réfrigérateur et la réchauffe. Et ce serait cela, un repas? Un autre enfant refusera un plat, et un troisième, réclamera autre chose encore. Pourquoi? Parce que cet enfant ne prie jamais avant de manger sa nourriture quotidienne. Et bien sûr, quand il aura atteint dix-huit ans, il ne voudra plus habiter à la maison, afin de ne plus vivre tous ces problèmes domestiques, et il se trouvera une fille qui déplaira à sa mère. Et alors, celle-ci se souviendra de son confesseur, de l’Église, et elle commencera à fréquenter les offices et ira demander au prêtre: «Père, priez pour mon enfant! Ramènerez-vous mon fils à l’église?» «Quand, maintenant? Maintenant il est trop tard pour amener ton fils à l’église. Maintenant tu vas ‘manger’ ce que tu as ‘cuisiné’ pendant tant d’années. De quoi t’es-tu occupée pendant tout ce temps? Quand ton petit n’avait pas cinq ans mais cinq jours, tu aurais dû lui apprendre à prier, et il aurait dû voir comment tu priais. Et ainsi, il aurait appris à prier. Et s’il avait appris à prier, il rendrait grâce à Dieu et ne serait pas devenu ce qu’il est devenu, et ce serait utile jusque dans les moindres choses. C’est par là qu’il faut commencer. Le Christ a dit: «Si Je vous parle de la terre et vous ne comprenez pas, comment pourrais-Je vous parler du Ciel? (Je.3,12)». (A suivre)
Traduit du russe
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