Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe rédigé par son Éminence le Métropolite Antoine (Khrapovitski), et intitulé: «Les aspects distinctifs du caractère du Père Jean de Kronstadt, par comparaison à d’autres justes», extrait des pages 151 à 166 du livre «Prière de l’âme russe» (Молитва русской души ), rassemblant des textes du Métropolite Antoine, et publié en 2006 par le Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou.

Photo: Pravoslavie.ru

La mémoire du Père Jean de Kronstadt est chère à tout Chrétien. En quoi fut-il grand devant Dieu et devant les hommes? En quoi le Père Jean fut-il si cher au cœur russe? Qu’y avait-il de particulièrement attirant en son âme et en sa piété? Ces questions surgissent naturellement à l’esprit quand on pense à la célébrité exceptionnelle et à la gloire du Père Jean alors qu’il vivait encore et dont ne furent pas trouvés dignes d’autres justes qui menèrent leur exploit ascétique dans nos derniers temps, et même d’ailleurs en des temps plus anciens.
La piété orthodoxe russe est habituellement la piété du jeûne et de l’affliction du repentir. Le trait caractéristique de notre piété est la conscience de notre peccaminosité devant Dieu et les hommes, et l’esprit d’auto-réprimande, d’auto-culpabilisation. Nos prières préférées sont celles du repentir. Parmi elles, le cœur du fidèle russe aime particulièrement la prière de Saint Ephrem le Syrien «Seigneur et Maître de ma vie». Toutefois, l’affliction permanente sur ses propres péchés n’épuise pas toute la vie de l’âme. Voilà que survient la fête de la Sainte Pâques, et son triomphe de joie, avec les paroles significatives de Saint Jean Chrysostome. En ces heures divine d’une enthousiasme saint et victorieux et de lumineuse réjouissance de l’esprit chrétien, on oublie la tristesse du repentir, et le Chrétien jubile d’un amour divin qui pardonne tout, si bien qu’il n’est plus de différence entre ceux qui mène un exploit ascétique et ceux qui ne le font pas, entre ceux qui ont jeûné et ceux qui ne l’ont pas fait, entre les zélés et les indolents, et tous sans aucune distinction, sont invités au grand festin de la foi chrétienne : tous les hommes et femmes sans exception, forment un chœur commun qui glorifie le Christ ressuscité, le Vainqueur de la mort et de l’enfer. Nous faisons également l’expérience de pareille disposition de l’âme lors de certaines autres grandes fêtes, ainsi que les jours où nous communions aux Saints Mystères. Le reste du temps, non seulement le commun des pécheurs, mais aussi les héros de l’ascèse et les justes passèrent et passent leur temps à pleurer leurs péchés, et aiment, comme Ephrem le Syrien la «vie de larmes».
Mais parmi les Chrétiens connus, il en est un qui fait preuve d’un état d’esprit différent, et dont l’attitude victorieuse, joyeuse et triomphale devant Dieu lui a gagné, de la part de Celui-ci, une force bénie. Tel est Saint Nicolas le Thaumaturge, et en cela réside l’explication de sa gloire indéfectible auprès des peuples chrétiens, et particulièrement auprès du peuple russe. Notre pasteur bien-aimé, aujourd’hui retourné à Dieu, le Père Jean de Kronstadt se conduisait et cheminait selon l’esprit du Saint Évêque Nicolas. En permanence,l’esprit de la joyeuse glorification de Dieu était présent en lui, comme il l’est en nous, pécheurs, le saint jour de Pâques. On ne l’entendit pas hurler son repentir, il se réjouissait plus qu’il ne s’affligeait. En sa jeunesse déjà il avait par sa prière lavé ses péchés et en lui exultait constamment cette grâce de la victoire spirituelle sur le péché, sur le diable, sur le monde… Voir un tel homme, écouté pareil Chrétien porteur de bénédiction, prier avec ce grand pasteur de l’Église du Christ, constituent une grande délectation spirituelle pour le peuple russe. Le Père Jean parcourut devant nous le chemin de sa vie en tant que porteur de la foi victorieuse, triomphante.
Voilà pourquoi les gens étaient irrésistiblement attirés vers lui, pourquoi ils avaient soif de lui. C’était comme si chacun de nous s’était dit:«Je suis vraiment impuissant, complètement dans le péché;mais voilà, il est au monde un juste qui a vaincu notre nature peccamineuse;il est une âme chrétienne qui triomphe de la beauté du doux Jésus…».
Toutefois, il existait aussi des gens manquant de pondération spirituelle, connaissant peu le Père Jean. Ils adoptaient des concepts diffusés par les journaux, affirmant que le Père Jean était tombé dans les filets de la vaine gloire spirituelle, dont les attraits formels étaient tant les circonstances extérieures dans lesquelles ce juste vivait et menait son exploit ascétique, que les signe essentiels d’amour que le Père Jean dispensait si généreusement à ceux qui le vénéraient. Ces gens [manquant d’équilibre spirituel] étaient troublés à la vue du fiacre dans lequel se déplaçait le Père Jean, à celle de son navire fluvial, de ses rassons ourlés de fourrure, de ses croix pectorales ornées de brillants. O gens myopes! Ils ne savaient pas que pour le Père Jean lui-même, la fourrure avait la même valeur que la toile de jute, et les brillants n’avaient pas plus de valeur que le sable que nous foulons de nos pieds. Toutes les marques de vénération ils ne les acceptait pas pour lui-même, mais pour ceux qui l’aimaient, afin de ne pas froisser leurs bons sentiments envers lui et leur bonne disposition envers la sainte cause qu’il servit toute sa vie.
Ou peut-être, disent-ils, le Père Jean était proche du type des faux justes de notre époque, «nés spirituellement une seconde fois en Dieu et sauvés par Lui», prétendument étrangers au péché, comme disent d’eux-mêmes nos sectaires, les pachkovistes, les stundites, les baptistes et les autres, qui se rient de l’exploit ascétique du repentir, du jeûne, des saintes icônes et des choses et règles instituées par l’Église?
Gloire à Dieu, il n’en est pas ainsi et n’en sera jamais;le Père Jean n’est pas des leurs. Ils sont dénoncés pas les louanges qu’ils s’adressent à eux-mêmes, se considérant saints et sauvés. Car si le Saint Apôtre Paul lui-même ne se considérait pas digne du Christ, disant de lui-même «Non que j’aie déjà reçu le prix ou que je sois déjà parvenu à la perfection; mais je poursuis, cherchant à le saisir, vu aussi que j’ai été saisi par le Christ. Frères, pour moi, je ne pense pas moi-même l’avoir saisi;mais je fais une chose: oubliant les choses qui sont derrière et tendant avec effort vers celles qui sont devant, je cours droit au but pour le prix de l’appel céleste de Dieu dans le Christ Jésus» (Philip.3,12-14. [Traduction Darby]), ces rêveurs vantards et dans l’illusion pourraient-ils se considérer comme étant parfaits?
Quelle différence existe-t-il entre le Père Jean et ces prétendus justes?
Vous pouvez parvenir à le savoir vous-mêmes. Essayez de provoquer leur irritation profonde et d’offenser leur amour-propre, et alors leur esprit se dévoilera. A ce moment-là, leur aspect se modifiera radicalement; ils étaient doux et caressants, mais ils sont devenus méchants et colériques. La réjouissance en Dieu, et la paix aux hommes de bonne volonté qu’ils prêchaient s’est transformée en une colère profonde, prouvant qu’il ne sont en rien les réceptacles de l’esprit de grâce, mais seulement de hypocrisie. Selon les pères expérimentés dans la vie spirituelle, en leur irritabilité réside le signe de ce que ceux qui sont possédé par elle, se trouvent sous l’emprise du mal, des forces démoniaques, ( «les filets de la vaine gloire spirituelle»).
Maintenant, souvenez-vous, le cœur humble et doux du Père Jean aurait-il pu s’irriter de la sorte? Il supporta pourtant les humiliations tant de la part des siens que des étrangers. Il fut pourtant chassé de certaines églises. Et s’en irrita-t-il, en fut-il mis hors de lui-même, devint-il furieux comme les faux justes? Précisément grâce à sa sage humilité et sa douceur, le Père Jean s’était-il libéré de tout orgueil et pouvait accueillir et exalter la joie du Christ, dont toujours il rayonnait, telle un don miraculeux de Dieu. Et voilà pourquoi le Père Jean était tellement aimé de tous.
Et s’il venait à l’idée de quelqu’un de contester en affirmant que l’affliction du repentir doit toujours accompagner la vie du Chrétien, il serait utile de lui rappeler ce récit traditionnel tiré de la vie de moines athonites. Deux moines péchèrent. L’higoumène les enferma au «pirgos», le donjon du monastère, pendant trois jours. Lorsqu’ils sortirent tous deux de réclusion, l’un des moines versa d’abondantes et chaudes larmes sur ses péchés, et l’autre se réjouit de la victoire sur ses péchés. Face à la perplexité des autres moines, le sage higoumène expliqua que les deux moines furent pareillement agréables à Dieu, celui qui pleura, et celui qui se réjouit.
Il convient également d’accorder notre attention au fait que le Père Jean mena un podvig intransigeant face aux tentations de la vaine gloire et de l’orgueil auxquels sont soumis tous les gens célèbres dans le monde. Et cela provint de la profonde humilité chrétienne du Père Jean, conformément à laquelle il ne cessa pas même une minute de se souvenir du Dieu-Providence et se considérait comme son indigne serviteur et comme un faible outil de Sa bonté. «J’ai constamment l’Éternel sous mes yeux; Quand il est à ma droite, je ne chancelle pas» (Ps.15,8), pouvait-il dire de lui-même, avec l’auteur des psaumes. Et cette sage humilité spirituelle du Père Jean était d’autant plus étonnante qu’il n’eut, apparemment, pas de starets, de toute sa vie. Il apprit tout lui-même de la sainte Église, dans ses règles, dans sa Tradition, dans ses divins offices et dans la Parole de Dieu. Par son podvig infatigable, ses prières et son obéissance filiale à l’Église, par ses incessantes bonnes œuvres dans l’esprit évangélique, le Père Jean sut dès sa jeunesse tuer en lui l’esprit d’orgueil et mûrir ensuite en un bon grain pour le grenier du Christ. (A suivre)
Traduit du russe.