Voici la quatrième partie de la traduction de la longue homélie prononcée par le Saint Archevêque Martyr Seraphim (Tchitchagov) de Saint-Pétersbourg, lors de la pannychide qu’il célébra à l’occasion du quarantième jour suivant le décès du saint Père Jean de Kronstadt, dont il était le fils spirituel. La biographie en français du saint hiérarque est disponible dans l’introduction de la superbe traduction de son livre, écrit vers 1896, «Chroniques du Monastère de Seraphimo-Divyeevo» ,publié récemment, en deux volumes, par les Éditions du Désert. Les trois premières parties se trouvent ici.

On continuera à écrire et à dire tant de choses au sujet de notre Batiouchka Jean bien aimé, ce grand héros de l’ascèse et intercesseur de toute la Russie. Des centaines de milliers de gens le virent, le connurent, prièrent avec lui et bon nombre d’entre eux reçurent la guérison à travers sa prière, mais je ne me tromperai pas en écrivant que peu de gens cultivés le comprirent. L’importance de leur expérience et de leur développement spirituels était telle qu’elle ne leur permettait ni de comprendre son esprit, ni, surtout, son chemin exceptionnel vers la perfection. Il commença a devenir célèbre, parmi les gens simples du peuple, déjà après les quinze premières années de ses exploits spirituels. Vingt cinq années de podvig, qui s’écoulèrent comme une seule journée, ne suffirent pas à convaincre la société cultivée de son excellence et de sa justesse. Au bout de vingt cinq années d’une vie exceptionnelle, la société cultivée continuait à douter de lui, et finit même par fondre sur lui à coups d’accusations et de poursuites, manifestant ainsi leurs doutes, et leurs réprobations. Peut-on après cela penser que les gens comprirent le grand pasteur de l’Église Orthodoxe russe ?
Il n’est pas difficile de narrer mes visites à Kronstadt. Il est très aisé de décrire tout ce que j’y vis et entendis. Il est parfaitement naturel de ressentir un amour ardent pour un tel homme, par suite de sa tendresse, du bien qu’il fit, de l’aide qu’il apporta. Tout cela sera imprimé et raconté, mais dans mon cœur qui pleure cette pénible séparation, persiste le souhait de répondre aux inévitables questions qui servirent de prétexte à l’injustice de l’attitude de tant de gens envers ce véritable bogatyr russe de l’esprit. Il m’a semblé que mon premier devoir était d’expliquer spirituellement ce que beaucoup ne comprirent pas pendant sa vie et qui est considéré comme assez mystérieux. Cette conclusion spirituelle de la longue vie de podvigs de notre inoubliable maître, confirmée par ses propres écrits, est particulièrement nécessaire et importante, dès aujourd’hui, pour le clergé russe tout entier, car la mort du grand intercesseur de la terre russe et l’appel empreint d’amour de notre Tsar profondément croyant invitant les serviteurs du cultes de s’inspirer de l’exemple et du podvig de ce juste décédé, doivent conduire à la renaissance de toutes les forces du clergé russe, pour la grandeur de leur service à l’autel de Dieu, et pour le peuple.
Un mot, encore. Le bon Batiouchka Jean a supporté toutes les persécutions avec une humilité merveilleuse. En trente ans, jamais je n’entendis de sa part un seul mot de reproche envers ses ennemis, une seule parole d’offense envers qui que ce soit, depuis les premiers harcèlements au cours de ses jeunes années, jusqu’aujourd’hui, lors des cruelles années d’épreuves qui précédèrent sa mort. Il posait sur tout cela un regard véritablement spirituel, considérant que le coupable était l’antique mal qui sévit sur terre. Son combat contre l’esprit du mal fut stupéfiant dès ses jeunes années. J’ai vu des centaines de fois comment l’ennemi le saisissait devant l’autel de Dieu. Alors, pendant plusieurs minutes, il était incapable de faire un pas. Après avoir prié avec ardeur, il se libérait, par des mouvements tranchants, de l’emprise du prince de ce monde, qu’il couvrait de honte par sa foi. Après pareilles tentations, il commença à subir, de façon complètement inattendue, des violences de la part de fanatiques ; on essaya de l’étouffer, de l’étrangler et certains l’invectivaient, dans des crises de frénésie. Que n’a-t-il supporté ?! Dès lors, l’opprobre qu’il suscita à l’époque de cette folle révolution, parmi les gens, même ceux qui avaient bénéficié de ses bienfaits, n’était pas un outrage à son encontre, lui le grand intercesseur de toute la Russie, brûlant tel un cierge lumineux pour la Sainte Rus’ devant l’autel céleste du Dieu Tout Puissant, c’était un insupportable outrage envers nous, les Orthodoxes russes, envers toute la Russie, qui avait le droit de considérer que sa foi, son Orthodoxie, son admirable et juste intercesseur, étaient intouchables. Sa maladie se développa rapidement dans les dernières années, conséquence de l’influence qu’eurent sur lui les épreuves traversées par notre Patrie. Dieu fut le seul témoin de ses prières ardentes, de ses gémissements, de ses larmes intarissables, de ses prières audacieuses pour le Tsar et la Russie, pour le salut de l’Église Orthodoxe de Russie, qu’il éleva de son fauteuil de malade ou de son lit d’agonie, le Saint Évangile en mains, accablé par de cruelles douleurs, par la fièvre, épuisé et desséché par les podvigs et les souffrances. L’Orthodoxie, voilà ce dont il parla le plus pendant sa dernière année, dont il chuchotait quand l’épuisement l’empêchait de parler, comme s’il nous donnait pour tâche de protéger ce grand trésor russe. Et il élevait encore une dernière prière pour nous tous qui resterions pour continuer son œuvre sainte.
Maintenant, tout est terminé. Nous pouvons lui parler, pleurer, implorer, rechercher sa consolation, étancher notre soif de son amour, de sa vérité de sa justice, seulement en tombant à genoux devant la tombe de notre père très aimé, de notre ami, de notre maître ! … C’est terrible pour l’avenir. Il a enseigné tellement de choses pendant tant de temps, mais ont-ils écouté ? Il fut un véritable serviteur de Dieu, mais sont-ils nombreux à avoir accueilli sa vérité ? Il fut un porteur de Dieu, sincère, juste, mais pourquoi tous n’ont-ils pas prêté attention à sa justice ? Il demandait, priait… Pourquoi n’ont-ils pas fait ce qu’il demandait ?
Toi qui a plu à Dieu, par tes prières, puissions-nous entendre raison ! Amin.
Traduit du russe
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