Matouchka Maria, Matouchka Eugénie et le Hiérodiacre Alexandre

Le texte ci-dessous est le récit de deux tranches de vie du Hiérodiacre Alexandre Matioukhine, qu’il rédigea et publia en 2011 sur le site du journal orthodoxe Blagovest de Samara. Il s’agit de deux cas simples mais lumineux d’aide miraculeuse apportée par la Bienheureuse moniale du grand schème Maria (Matoukassova). Comme il l’explique dans son texte, le Père Alexandre a bien connu la bienheureuse folle-en-Christ Maria, qui a déjà été présentée ici. Sa clairvoyance et la puissance de sa prière firent d’elle une colonne de lumière durant sa longue vie sur terre. Laïcs, clercs et évêques n’hésitaient pas à recourir à son aide quand il s’agissait de savoir comment accomplir la volonté de Dieu.

Optino Poustin’

C’est en 1987 que je fis connaissance avec Mikhaïl T. Et depuis lors, une relation amicale nous unit. Nous avons effectué notre service militaire dans le même détachement des rangs de l’armée soviétique. Au même moment, je fis connaissance de sa future épouse, Tatiana Ts. Et de la sorte je devins dès l’époque du service militaire une ami de leur future famille. Dès le service terminé, nous rentrâmes à la maison, à Moscou. Mikhaïl et Tatiana fondèrent une famille, et moi, je partis au Monastère d’Optina Poustin’. Mikhaïl et Tatiana n’étaient pas des gens religieux et dès lors, leur vie, comme celle de beaucoup de monde, évoluait de façon imprévisible; quand on semait le vent aux temps pendant les années de jeunesse, on ne pensait pas aux tempêtes possibles que nous récolterions par la suite. Et la tempête n’épargna pas leur famille.Tatiana et Mikhaïl étaient devenus parents de deux remarquables enfants, Micha et Victoria. Je ne souhaite pas m’attarder sur la culpabilité de l’un ou l’autre des parents; ils le furent tous deux. Je passe les détails. Mais leur famille se déchira. Mikhaïl se maria à nouveau. Tatiana devint dépressive et en conséquence, sombra dans l’alcoolisme. La difficulté de la vie des années 90′ obligea Mikhaïl à changer de ville de résidence, alors que Tatiana et les enfants continuèrent à vivre à Moscou. Elle était, comme on disait, une «femme libre», et elle donna naissance à un troisième enfant. Après que Mikhaïl et Tatiana se soient séparés, ma relation avec Mikhaïl fut temporairement interrompue pendant des années. Je rendais visite à Tatiana et aux enfants de temps en temps, je faisais partie de la communauté d’Optina. Tatiana et les enfants vivaient dans le vaste corridor d’un appartement de deux pièces; ses voisins étaient la famille de son frère.
Tatiana, qui avait trois enfants à charge commença à boire, progressivement, et à décliner. Je le voyais clairement et j’en ai beaucoup souffert, car les enfants que je connaissais depuis le temps des couches souffraient.

La Bienheureuse Maria

A cette époque, la Bienheureuse Maria Ivanovna Matoukassova vint à Optina et s’y installa. J’étais âgé de trente ans, période critique pour bien des gens. Et je ne fis pas exception. Le poids des péchés hérités des générations précédentes et de ceux semés dans l’enfance et la jeunesse deviennent source de crise. J’étais très tourmenté, et j’accumulais en moi ces tourments et je commençai à devenir dépressif. Je priais comme je pouvais pour les trois enfants, mais je ne pouvais rien y faire. Ma situation s’aggrava. Les prêtres auxquels je m’ouvris ne me comprirent pas, et cela ne fit qu’ajouter de l’huile sur le feu. L’ennemi profita de la situation et commença son sombre jeu. Je n’ose penser à ce qui aurait pu m’arriver si la Bienheureuse Maria Ivanovna n’était venue à mon aide.
Je n’entrerai pas dans les détails de ces trois ans de mon histoire au cours desquels je fus proche de Maria Ivanovna ; je dirai seulement ceci : elle m’a sauvé la vie. Mais le présent récit ne porte pas sur moi. Souvent, il m’arrivait d’aller auprès d’elle dans sa cellule, au plus fort de ma crise, quand de nombreux problèmes intérieurs et extérieurs s’abattirent sur moi. Je demandai à Matouchka Maria s’il était bon pour moi de continuer à prier pour les enfants de Mikhaïl. Elle me répondit qu’il n’était pas nécessaire que je le fasse, et qu’elle allait elle-même prier pour eux. Après quelque temps, la crise s’atténua et je commençai à accepter plus facilement la situation.
Les années passèrent. Je repris contact avec Mikhaïl. Il s’avéra que la vie de ses enfants avait radicalement changé. Lui et Tatiana avaient été privés de leurs droits parentaux. Tatiana résidait pas très loin, en un endroit où l’État l’aidait à lutter contre la dépendance de l’alcool qui s’était abattue sur elle quand elle était dépressive. Les enfants avaient été placés dans internat d’élite, et ils ne s’y sentaient pas mal. Le père rentra à Moscou, il y ouvrit une petite entreprise et reprit contact avec ses enfants, leur apportant des vêtements, des chaussures, selon ce qu’ils souhaitaient. Les enfants n’étaient plus privés d’amour paternel. Ils entretenaient également une correspondance avec leur mère. Tatiana était par nature une bonne mère.
En 2011, le fils aîné put quitter l’internat et entrer dans la vie adulte. Le gouvernement lui donna les clés d’un appartement réservé à lui seul. C’est ce qui était prévu pour les deux enfants quand ils atteindraient leur majorité1 .
Voilà ce que je voulais vous raconter. A vous de juger s’il s’agit d’un jeu du hasard ou de l’aide des prières de la Bienheureuse moniale du grand schème Maria (Matoukassova), qui était à l’époque une staritsa d’Optina, tonsurée dans notre monastère. Ce que j’ai exposé, c’est l’œuvre de la Providence Divine. Cela m’était caché, mais Matouchka Maria l’avait distingué. Souvent, quand dans la traversée d’une épreuve, nous sommes aveuglés par la tempête des émotions, nous cédons et tombons sous le poids des tentations qui s’accumulent. Nous oublions que le temps permet de guérir et de tout remettre à sa place. L’expérience montre qu’il est nécessaire d’endurer patiemment, et de donner nos afflictions à Dieu, afin de pouvoir recevoir la consolation. Mais nous, les faibles, nous voulons que la joie soit immédiatement au rendez-vous. Mais dans la vie tout est concret. Les maladies mûrissent longuement, et les guérisons ne peuvent survenir instantanément. Il faut du temps.
Pour moi qui voyais des proches souffrir sans que je puisse les aider, tout cela avait l’air d’un problème insurmontable. Je ne pouvais rendre visite à cette famille que quelques fois par an. Mais Matouchka Maria parvint à calmer et pacifier les troubles de mon âme. Elle prit sur elle la charge de la prière, et je fus convaincu que toute l’affaire allait bien se terminer. C’était comme si ce n’était plus mon affaire. Tout était entre les mains du Seigneur.
Voici un autre événement auquel est lié le nom de la Bienheureuse Maria Ivanovna.

Avec la moniale Eugénie

La moniale Eugénie (Mavrinskaia) me demanda, sur l’insistance de Matouchka Maria et Peu de temps avant la mort de celle-ci, un thermos en métal d’un litre. Je ne me souviens pas où elles devaient aller, mais je leur ai donné ce thermos. Une année environ s’écoula, si pas plus. C’est alors qu’elle m’a demandé cent fois d’aller rechercher le thermos. Et moi, chaque fois, je disais plus tard, plus tard. Alors que la distance entre le bâtiment des frères du monastère et l’endroit où elles résidaient était minime. Matouchka Maria mourut. C’était un décembre froid et neigeux. Un jour à dix heure du soir, j’eus l’idée d’aller chercher le thermos, bien que je n’en avais pas besoin et que j’aurais pu ne pas y penser un an encore. Je m’habillai chaudement car il gelait, et je me rendis à la maisonnette de Matouchka Maria. Je sonnai. Matouchka Eugénie apparut à la fenêtre et me demanda ce que je voulais, si tard. Je lui rappelait le thermos. Elle alla le chercher et l’apporta. Nous échangeâmes durant quelques instants des souvenirs au sujet de Maria Ivanovna. A ce moment, une vieille femme ivre aux pieds nus approcha. Elle tenait à peine sur ses jambes et ne parvenait plus à parler. Dans ses bras, elle portait un bébé de trois mois, nu dans un fin linge de coton. Tout autour, pas une âme en vue. Juste la neige, le gel et la vieille ivrognesse portant un bébé nu dans ses bras. Il s’avéra par la suite que sa nièce s’était querellée avec sa mari et la vieille avait «sauvé le bébé». Sortie de leur baraque, elle s’était perdue et, pieds nus, sans aucun manteau, congelée, elle cherchait «des gens». S’il n’y avait eu ce thermos, je ne serais pas arrivé à ce moment chez Matouchka Eugénie, et cette malheureuse femme au bébé n’aurait rencontré personne. J’enlevai ma veste et couvrit l’enfant., et nous l’emmenâmes à l’hôtellerie des femmes de l’église Saint Hilarion le Grand. La responsable nous accueillit à la baïonnette, mais des pensionnaires prirent le bébé et l’emmaillotèrent convenablement.

Matouchka Maria. Tonsure monastique à Optino, en 1998, devant le Starets Élie.

A cette époque, dans le quartier des femmes à Optina, il était admis de faire œuvre charitable seulement si on en avait reçu la bénédiction, tout aussi étrange que cela paraisse! Seulement, pareille bénédiction, nous n’en avions pas. La logique féminine de la responsable, pervertie par une compréhension déformée de la notion d’obéissance la conduisit à affirmer qu’elle devait nous envoyer paître. Je lui fit clairement comprendre mon avis, et je prévint la police. Je ne sais ce qu’il advint de l’enfant, sauf qu’il n’eut pas à souffrir.
Voyez donc la raison pour laquelle Matouchka Maria avait eu besoin d’un thermos. De la sorte, Matouchka avait préservé des innocents de la mort.
Que Dieu nous donne à nous tous qui menons notre podvig au monastère, la sagesse à la mesure des Saints Starets d’Optina.
Traduit du russe.
Source.

  1. En 2012, le Père Alexandre a ajouté à son texte sur le site de Blagovest un commentaire selon lequel Victoria avait elle aussi reçu les clefs de son appartement.