L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la traduction d’un original de l’Archimandrite Raphaël Kareline, paru le 3 septembre 2005 sur le site internet de l’Archimandrite. L’auteur y dépeint brièvement sa vision de la Tradition. Une courte biographie de l’Archimandrite Raphaël est disponible ici.

Qu’est-ce que la Tradition? Quels sont le sens et la signification de ce terme? Littéralement, tradition signifie «transfert», le transfert de valeurs durables acquises ou préservées par l’histoire. La tradition est un héritage spirituel qui se transmet de génération en génération. Nous vivons une époque où les traditions s’effondrent et disparaissent à une vitesse stupéfiante, comme si un rouleau compresseur en fonte roulait sur le globe, détruisant par son poids les valeurs culturelles et spirituelles des peuples et transformant les gens en une masse homogène.L’Orthodoxie est l’une des confessions les plus traditionnelles en termes d’essence et de forme. Elle conserve l’intégrité de ce que les apôtres ont entendu du Christ et ont transmis à l’Église. Dans l’Orthodoxie, le contenu est inséparable de la forme, et la forme elle-même n’est pas une enveloppe extérieure, mais un langage symbolique à travers lequel on s’approprie le contenu de ce qui est au-dessus du mot. Les images et les rites de l’Église orthodoxe ne sont pas des coutumes légitimées, des allégories irréfléchies, ni une mise en scène mimique d’événements sacrés, mais le langage des Mystères de l’Église, canaux spirituels par lesquels le chrétien orthodoxe se connecte au monde métaphysique. L’Orthodoxie s’identifie à elle-même dans la dimension du temps et de l’histoire; elle n’évolue pas, ne progresse pas, ne se développe pas, du plus petit au plus grand, du plus bas au plus haut. Elle a reçu la plénitude de la vie le jour de la Pentecôte, et la conserve dans ses Mystères et ses rites; elle ne la garde pas comme un mémorial, mais comme la continuation de la Pentecôte elle-même.
Beaucoup d’intellectuels qui «tournent autour de l’Église» lui reprochent son conservatisme. Ils mélangent l’Église avec les institutions du monde, où bouillonne la pensée humaine, l’énergie humaine, qui cherche de nouvelles formes, de nouvelles expressions, de nouvelles découvertes. En science, l’homme cherche sans cesse à s’affirmer. La vie de l’Église est intime et sacrée. Pour la comprendre, il faut entrer en contact avec elle, il faut y entrer, ce qui signifie vivre dans ses traditions. L’Église est avant tout étrangère à l’esprit du rationalisme sec et des abstractions mortes; elle est l’être qui n’est compris que par l’être; elle est la vérité qui s’ouvre à ceux qui cherchent la vérité, et elle devient alors une évidence pour ceux-ci, supérieure à toutes les autres preuves.
Pour mieux représenter la signification de la tradition, nous pouvons nous tourner vers des exemples et des comparaisons relevant des traditions séculières, qui, comme tout ce qui est humain, sont largement imparfaites. Quelle couche sociale chérissait le plus sa tradition, sa lignée, ses coutumes et son honneur de famille? Cette classe, c’était l’aristocratie, qui donna naissance, comme sa plus haute manifestation, à la chevalerie. Le chevalier devait soumettre sa vie aux traditions et aux règles, qui constituaient la dimension non seulement comportementale mais aussi morale de sa vie. L’acte déshonorant était puni par le mépris général, et dans certains cas, par la punition honteuse: au chevalier qui s’était livré à quelque infamie, on enlevait ses vêtements et on brisait ses armes, on le privait de son nom et de son titre; c’était une exécution sans effusion de sang. L’aristocratie était avant tout la classe qui donnait son sang et sa vie pour ses traditions, pour ses coutumes et l’honneur du blason de la famille.
Les plébéiens n’avaient aucune tradition. Ils n’avaient rien à préserver et à transmettre à leurs descendants. Si la poésie des chevaliers (troubadours et ménestrels) était soumise à des canons stricts, la poésie des plébéiens, citadins et commerçants, devint principalement un culte du corps et une moquerie des traditions. Les représentations de l’idiot du village, si appréciées par la foule, étaient des parodies et des moqueries de la tradition et, en même temps, de concepts tels que l’honneur, la chasteté et la fidélité. Nous ne voulons pas dire que toute l’aristocratie de lignée était une aristocratie par l’esprit. Le despotisme, qui est apparu dans des phénomènes tels que le servage, relève d’une mentalité différente. La destruction de l’aristocratie en Russie a commencé à l’époque de Pierre Ier et s’est terminée par la révolution. En Allemagne, le nationalisme a forcé une partie de l’aristocratie allemande à suivre la foule et à flatter ses goûts; et là, la chute de l’aristocratie a ouvert la voie au fascisme.
L’histoire se venge: quand un aristocrate cesse d’être un aristocrate, il devient un esclave de la plèbe.
La révolution est la destruction féroce des traditions. Son coup vise avant tout les porteurs de traditions. La révolution est une lutte contre l’Église, en tant que gardienne des traditions spirituelles et, surtout, contre ceux qui non seulement refusaient de changer de foi, mais ne voulaient pas changer la foi elle-même. Quant aux réformateurs de l’Église, les révolutionnaires trouvèrent un terrain d’entente avec eux. Les réformes dans l’Église constituent aussi une série de mini-révolutions. Les personnes qui n’ont pas d’expérience spirituelle et mystique profonde ne comprennent pas quels trésors liturgiques l’Église conserve. Ils veulent que l’Église serve leurs propres goûts, ils veulent qu’elle suive consciencieusement l’esprit du temps, la mode, le goût et les représentations du monde, comme une captive attachée au char du vainqueur. Par conséquent, toute autonomie et toute indépendance de l’Église les irritent. La tradition n’est pas seulement historique, mais aussi éthique. Quand nous disons “un homme sans tradition”, nous entendons que cet homme est dépourvu de solides fondements moraux et comportementaux, qu’il n’a pas la notion de l’honneur qui le freinerait, qu’il est cynique et nihiliste. Lorsque nous disons que l’homme est dépourvu de traditions, nous entendons qu’il est coupé de la racine historique, qu’il n’appartient pas à son peuple et qu’il ne peut représenter personne d’autre que lui-même. Plus la culture spirituelle d’une personne est élevée, plus elle apprécie la Tradition de l’Église, qui provient des apôtres, et vit dans l’Église. L’Église est la révélation du Saint-esprit, il n’y a rien d’imparfait à compléter, il n’y a rien de faux à éradiquer, il n’y a rien d’erroné à corriger.
Toute réforme consiste à remplacer les joyaux du trésor de l’Église par de fausses pierres et du faux métal. Toute réforme est perte de la profondeur mystique du culte et destruction des symboles sacrés. Si l’un des écrivains modernes voulait réformer et corriger la Bible, mélanger les paroles des prophètes et des apôtres avec sa propre écriture, la Bible cesserait d’être un livre Sacré et deviendrait un substitut. Les réformateurs veulent faire de même avec l’oustav de l’Église et la liturgie.
Dans la célèbre fable, il est dit que le coq, ayant trouvé une perle précieuse, était attristé de ce que celle-ci ne pouvait être avalée, et décida qu’il s’agissait d’une chose inutile. Si le coq savait combien de travail il en coûte aux gens pour obtenir des perles, et les préserver ensuite avec soin, il trouverait que tout cela est creux, digne d’en rire.
Nous avons des perles merveilleuses, enfilées sur le fil de la Tradition : l’iconographie, les chants anciens, la langue de l’Église et le calendrier Julien, dans les rythmes et les cycles duquel se déploie le culte. Que dit monsieur le coq à ce sujet?
Traduit du russe
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