Le texte qui suit est la traduction d’un extrait (pages 106 à 109) du livre «Le Secret du Salut. Entretien au sujet de la vie spirituelle» («Тайна спасения. Беседы о духовной жизни» Московское Подворье Свято-Троицкой Сергиевой Лавры, 2001) L’Archimandrite Raphaël évoque ses souvenirs de la Staritsa Anastasia (Nikicheva), que l’on appelait ‘Anastasia assise’. L’Archimandrite Raphaël Kareline, défenseur ardent de la Tradition de l’Église, a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Quelques éléments de biographie de l’Archimandrite Raphaël sont accessibles ici.

Dans ma vie, j’ai dû rencontrer des gens qui vivaient en permanence dans une sorte d’atmosphère miraculeuse, comme si les lois physiques, les infirmités du corps humain, la passion, les vacillements de l’âme n’existaient pas, comme si, pour le dire au sens figuré, les lois de l’attraction terrestre n’étaient pas pour eux. Anastasia faisait partie de ces gens. On l’appelait «Anastasia assise». Elle parlait aux gens en paraboles et en énigmes, mais ce qu’elle disait était toujours vrai. Son podvig dépassait les forces humaines, comme l’exploit des anciens stylites.

La Staritsa Anastasia “assise”

Si je ne l’avais pas vue de mes propres yeux, si j’avais seulement entendu parler d’Anastasia, alors dans mon cœur , je douterais, comme peut-être douteront ceux qui vont lire ces lignes. Mais il y a encore parmi les témoins vivants des gens qui ont vu ce miracle manifesté sur terre. Je ne sais pas comment elle priait, je ne sais même pas exactement si elle communiait aux Saints Dons. Je ne parle que de ce que j’ai vu moi-même et entendu des gens dignes de confiance, comme, par exemple, l’Higoumène Maria (Solovieva), qui a vécu au village d’Akhkerpi avec plusieurs moniales après la fermeture de leur monastère. voici les paroles de l’Higoumène de Maria : «Tout ce que dira Anastasia, cela devra se réaliser».
Cette héroïne de l’ascèse demeura plusieurs dizaines d’années dans la cour de sa maison, sous un auvent, assise, sans se lever. En hiver, elle se couvrait d’un long châle. Elle dormait très peu, généralement le matin, la tête inclinée vers les genoux. Elle était presque toujours entourée de gens. Elle en recevait certains avec une affection particulière et les nourrissait de ses propres mains, d’autres devaient essuyer ses insultes et même, elle leur jetait des pierres. Elle parlait en permanence avec ceux qui se trouvaient dans le monde invisible à nos yeux.
On disait d’elle que dans sa jeunesse, elle fut d’une beauté extraordinaire. Sa mère mourut tôt et elle fut élevée par sa belle-mère qui, jalouse de sa beauté, détestait sa belle-fille. Un jour, un officier de la garde vit Anastasia et décida immédiatement qu’elle devait devenir sa fiancée. Vraisemblablement, Anastasia lui répondit-elle favorablement, donnant son consentement, mais je n’en suis pas certain. Il la demanda en mariage, mais sa belle-mère, sous tous les prétextes, retarda le mariage et, finalement, après avoir enfermé Anastasia dans la maison, déclara à l’officier que sa fiancée était folle, qu’elle avait été ligotée et emmenée à l’hôpital, qu’elle était déclarée incurable et qu’il ne fallait plus penser au mariage.

Le auvent où se tenait la Staritsa Anastasia

Cette nouvelle frappa tellement l’officier qu’il sortit son revolver et se tua immédiatement, sur le seuil de la maison. Anastasia sortit et vit son fiancé mort. Alors, elle adopta la folie-en-Christ. Elle se glissait dans une porcherie, et n’en sortais pas, se nourrissant des lavures qu’on apportait aux animaux. Le temps s’écoula et Anastasia prit sur elle un extraordinaire podvig: elle s’est assise dans la cour sur un banc et ne se leva plus de cet endroit. Quand il fallait se redresser un peu, elle prenait appui de ses mains sur deux pierres qui se trouvaient près d’elle, mais ne mettait jamais debout. Des dizaines d’années s’écoulèrent, sous ses genoux les jambes s’étaient comme jointes, et elle ne pouvait plus les bouger. D’une certaine manière, un tel exploit est plus difficile que celui du stylite, car celui-ci pouvait se déplacer sur le site du pilier, dormir, s’appuyer sur la balustrade, aller dans la pièce intérieure. En outre, les stylites faisaient de nombreuses métanies.
Anastasia, assise quasiment sans bouger, selon toutes les lois de la nature, devait mourir le premier hiver d’hypothermie, mais le vent et la neige ne semblaient pas agir sur elle, comme si elle était une statue de pierre.
Un jour, l’Higoumène Maria raconta qu’elle était allée voir Anastasia avec une parente. Sans dire un mot, Anastasia retira silencieusement la croix que portait la parente, la plaça sur la mère higoumène et répéta cela trois fois. Bientôt, cette parente occasionna une énorme chagrin à l’Higoumène Maria. Je ne veux pas en parler en détail; peut-être que cette femme est encore en vie et s’est repentie de son acte depuis longtemps.
Un de mes amis, Lev Saakyan, qui a maintenant déménagé à Erevan et enseigne la philosophie à l’Institut des Langues étrangères, m’a dit qu’après avoir entendu parler d’Anastasia, il décida de lui rendre visite et demanda à sa mère dix roubles pour lui faire un cadeau. Sa famille avait besoin d’argent à ce moment-là, et sa mère protesta, mais devant l’insistance de son fils, elle posa l’argent sur la table, les larmes aux yeux. Il m’expliqua qu’il n’avait pas compris grand choses des paroles d’Anastasia, mais le ton de sa voix était si émouvant et sincère qu’il l’avait réchauffé. Au moment de prendre congé, il voulut poser l’argent près d’elle, mais elle dit: «Ramène-le, sinon j’aurai un scandale à cause de cet argent».

Endroit où la Staritsa était assise, quand elle fut déplacée au milieu de la cour.

Je suis allé plusieurs fois chez Anastasia et combien je regrette maintenant de ne pas y être allé plus souvent encore! Une fois, ma mère tomba gravement malade. J’allai voir Anastasia, je lui racontai mon chagrin et je lui demandai de prier pour ma mère. Anastasia me donna une pomme et me dit: «Donnez-la lui à manger». Je suis rentré avec cette pomme. Mon âme était toute légère! Je m’attendais à un miracle, et il s’accomplit! Ma mère, après avoir mangé la pomme, récupéra la santé le jour-même. Un jour, j’ai demandé à Anastasia comment obtenir la salut. Elle a répondu: «Sur l’Athos». A cette époque, la route vers le Mont Athos était complètement interdite, et j’ai demandé à nouveau: «Et si je n’arrive pas à aller sur l’Athos, est-ce que je pourrai être sauvé ou pas?». Elle répondit : «Je ne sais pas». Arriva le moment où s’accomplirent les paroles d’Anastasia, qu’elle avait dites comme dans une parabole. L’Archimandrite Zénobe (plus tard Métropolite) déclara que le Patriarche voulait m’ordonner prêtre et m’envoyer à la paroisse de Lagodekhi. «Quelle voie choisis-tu: clergé blanc ou clergé noir?», me demanda-t-il. Quand je suis venu voir Anastasia, elle m’accueillit avec ces paroles: «Dans trois jours, tu te baigneras dans un grand bain». Après ma tonsure monastique, je suis revenu chez Anastasia. C’était le matin. Elle était assise enveloppée dans un châle, comme dans un linceul, emballée de la tête aux pieds. Je l’ai appelée par son nom, elle n’a pas répondu. J’ai dit que j’avais reçu la tonsure monastique, j’ai demandé comment je vivrais maintenant. Je reçus le silence pour réponse. Je suis resté longtemps d’elle, mais elle n’a même pas bronché dans son châle de laine noire, comme un papillon dans une chrysalide impénétrable. Et je me suis dit: voici ta réponse; sois comme ceci vis-à-vis du monde. Mais si c’était une bénédiction de la Staritsa, je ne l’ai pas accomplie, et je deviens moins bon chaque jour. Presque tous ceux qui ont rendu visite à Anastasia ont raconté comment ses paroles prophétiques se sont réalisées. On a dit que le Patriarche Melchisedek lui avait rendu visite à plusieurs reprises, mais je ne sais pas si c’est le cas. Le Patriarche lui-même était une personne extraordinaire. Le Métropolite Zénobe a dit de lui: «Le monde ne l’a pas compris». (A suivre)

(Traduit du russe)