Le texte ci-dessous propose la traduction de l’histoire racontée par le Père Dyonisi Kouvaev et préparée par Madame Olga Rojniova. Le Père Dyonisi est le recteur de l’église de la Théophanie de Kozelsk (à proximité d’Optino), et il se souvient d’un épisode de la vie du Père Hiérodiacre Héliodore (Gaïrianits)d’Optino, grandement vénéré parmi le peuple russe. L’article est paru sur le site Pravoslavie.ru le 13 septembre 2021.

Abba Héliodore et l’acathiste à Saint Nicolas

Le Hiérodiacre du Désert d’Optino, notre Abba Héliodore (Gaïrianits 1947-2020) de bienheureuse mémoire, éprouvait une grande vénération envers Saint Nicolas le Thaumaturge. Il me téléphona un jour de semaine, au cours duquel aucun office n’était prévu. L’église où j’officie était fermée. Il me téléphona pour me demander d’ouvrir l’église : il devait venir d’urgence chercher l’un ou l’autre livre liturgique qu’il m’avait confié. Je me rendis à l’église et j’ouvris.
Batiouchka Héliodore arriva, sortit de sa voiture et me demanda soudain :
– Ainsi, Père Dyonisi, tu connais Saint Nicolas ?
– Évidemment !, répondis-je, tout en essayant de comprendre ce qu’il voulait, me disant qu’il me posait la question non sans raison…– Aaah, et que sais-tu de lui?
– Comment ça? Je sais ce que tout le monde sait. Mais pourquoi posez-vous cette question, Batiouchka?
Eh bien, vas-y, raconte, qu’est-ce que tu sais?
Je commençai à raconter un peu, mais bien sûr, il n’y avait rien d’original et je pouvais continuer longtemps ainsi.
– D’accord… Et puis quoi encore…
– J’ajoutai quelques phrases.
– Et puis, quoi d’autre?
– Comment, Batiouchka, «Quoi d’autre» ?
– Et le fait qu’il faut lire son acathiste, le sais-tu?
– Aaaah, mais, bien sûr!
– Eh bien, ouvre l’église, prépare vite tout ce qu’il faut, nous allons lire son acathiste!
Je me hâtai… Je compris qu’un moine comme lui ne pouvait entreprendre de voyage ou de déplacement sans célébrer l’acathiste à Saint Nicolas le Thaumaturge!

Saint Nicolas répare la voiture d’Abba Héliodore

Au début des années ’90, quand le Père Héliodore accomplissait l’obédience d’assistant-économe au Monastère d’Optino Poustin’, la voiture de service, une Volga, tomba en panne. Elle refusait de bouger. Un point, c’est tout. Mais ce soir-là, il fallait sans faute aller quelque part pour une chose importante qui ne pouvait attendre. La voiture fut remorquée jusqu’à un garage pour automobiles, mais les gars eurent beau passer la voiture en revue jusqu’à la fin de la journée de travail, ils ne purent établir la panne. Le Père Héliodore vint rechercher la voiture, et on lui expliqua qu’on ne comprenait rien à ce qui se passait, et qu’ils faudrait le lendemain il faudra échanger une pièce, et aussi essayer autre chose… Mais le Père devait absolument utiliser cette voiture! Comme on le sait, le Père Héliodore était en très bon termes avec Saint–Nicolas; il lisait son acathiste tous les jours sans exception depuis plusieurs années, et le Saint du Christ aidait constamment le Père; ses miracles étaient innombrables. Donc, cette fois encore, il était clair que sans Saint Nicolas il n’y aurait rien à faire. Le Père était toujours animé d’une foi forte et vivante et c’était un prédicateur zélé. Quant aux gars qui travaillaient dans le garage automobile, ils ne fréquentaient pas vraiment les églises. Et voilà que le Père Héliodore décida de les initier à la foi.
– Allons, leur dit–il, il n’y a pas beaucoup de sens d’essayer encore avec vous. Je ne peux plus perdre de temps; il faut demander immédiatement à Saint-Nicolas.
Quel Nicolas?, demandèrent les ouvriers qui ne comprenant pas de qui il s’agissait.
– Quel Nicolas?! Je vais vous montrer quel Nicolas!!! Allons, regardez bien!
Après avoir fait le signe de croix et demandé de l’aide du Saint, il continua :
– Regardez comment travaille Saint Nicolas le Thaumaturge!
Il prit place au volant de la Volga en se disant, comme il l’avoua plus tard :
– Eh bien, Saint Nicolas, mon cher, maintenant, ne me laisse pas tomber, tu vois ce que j’ai arrangé ici…
Il tourna la clé de contact et la Volga démarra au premier tour, comme on dit!
Le Père Héliodore regarda tout le monde. Ils étaient stupéfaits, ils ne comprenaient rien. Et il leur dit :
– Vous avez compris qui est Saint Nicolas?!
Ils se tenaient tous debout, les mâchoires béantes, et moi, après pareille affaire, j’ai agité la main: «Salut, apprenez!». C’est ainsi qu’Abba Héliodore termina son histoire avec un sourire.

«Abba, à l’aide!». Et Abba aida.

Abba Héliodore aide vraiment, et de sorte telle qu’il ne peut y avoir de doute, quant à l’origine de l’aide…
À quarante kilomètres d’Optino Poustin’, dans la ville de Belev se trouve le Monastère de la Transfiguration et de Saint Sauveur. Son supérieur, l’higoumène Arsène (Deviaterikov), est fils spirituel du Starets Élie et d’Abba Héliodore. Et au cours de sa vie, Abba Héliodore aida la communauté dans la mesure du possible, à la fois dans la restauration du monastère et dans son approvisionnement.
Un jour, après la mort du Père, il y eut une conversation entre le supérieur du monastère, l’higoumène Arsène, et Viatcheslav, auxiliaire à l’autel, qui était un fils spirituel très proche d’Abba. Ils parlaient des difficultés qu’ils auraient rencontrées si Abba n’eût pas été avec eux.
– Il n’est plus là, le Père Héliodore, déplora l’higoumène, il ne nous enverra plus de nourriture…
– Mais toi, Père Arsène, demande à Batiouchka! Auparavant, il vous a envoyé une fourgonnette, et maintenant, de là, du Ciel, c’est au moins un camion qu’il va envoyer, répondit Vyacheslav en plaisantant.
Le lendemain, le téléphone sonna.
– Bonjour, nous aimerions vous offrir de la nourriture pour monastère.
– Très bien, merci de tout cœur! répondit l’higoumène.
– Seulement nous en avons un volume important, avez-vous la possibilité de le réceptionner?
Eh bien, pouvez-vous imaginer le volume de cette aide alimentaire? Sept camions! Macaroni, huile, lait condensé…
Il s’est avéré qu’une entreprise avait besoin de libérer ses entrepôts de toute urgence. Cette quantité suffit donc non seulement au monastère, mais aussi à de nombreuses églises de l’Éparchie de Belev, ainsi qu’à un grand nombre de nécessiteux. Il y en eut même pour nous, dans l’Éparchie voisine à Kozelsk, pour le gymnase orthodoxe et les nécessiteux.
Une coïncidence, tout cela? En général, de telles coïncidences sont-elles possibles? Celui qui a bien connu Abba sait très bien, il comprend que cela porte sa «signature»…
Et il y a beaucoup d’histoires comme ça. L’autre jour, un de nos frères très proches m’a appelé et m’a dit comment Batiouchka l’avait emmené dans des lieux saints, comme il l’avait promis de son vivant… Jusqu’aux larmes!

Le Starets Élie, Abba Héliodore et les tomates

Père Dyonisi et sa famille

C’est en mars 2008, que j’ai définitivement été transféré à notre paroisse de l’église de l’Épiphanie de la ville de Kozelsk. La maison dans laquelle nous nous sommes installés avait un petit potager, et nous avons immédiatement commencé à travailler la terre et à réparer la serre. Dans la serre, on planté des tomates. C’était la première fois que nous faisions cela.
Au bout d’un certain temps, le Starets et Archimandrite du grand schème Élie (Nozdrine), est venu célébrer dans notre église, et après l’office, il a demandé comment nous étions installés et a décidé de venir voir lui-même. Je l’ai introduit dans la maison avec une grande joie, mais il est seulement resté un instant, a regardé l’intérieur de la maison, a dit: «Gloire à Dieu» et il est sorti. Et il demanda :
– Et vous avez planté des légumes !?
– Oui, Batiouchka, évidemment! Répondis-je, en me réjouissant de ne pas avoir à rougir de mon travail ni à me faire réprimander. Tout le monde sait à quel point Batiouchka insiste fermement pour que l’homme travaille la terre, et ne la laisse pas en friche.
– Ici, Batiouchka, nous avons également monté une serre et planté des tomates!
– C’est vrai ? Formidable !

Starets Élie et le Père Dyonisi

Batiouchka entra dans la serre et bénit chaque petit plant (!) de tomate. Qu’arriva-t-il? Une récolte incroyable pour un premier essai de jardinier sanas expérience. On mangeait déjà nos tomates à la mi-août. On en distribuait à tous ceux qui en demandaient. On en a fait des conserves qui ont suffit pour deux ou trois hivers.
A partir du 19 août, j’ai tout simplement arrêté d’arroser les tomates dans la serre. Chez nous le sol est sablonneux, si bien que la terre se dessèche rapidement. Mais voilà, les plants de tomates n’arrêtèrent pas de fructifier. On en avait partout dans la maison et on ne savait plus qu’en faire. Et cela a continué jusqu’à la mi-octobre ! Deux mois !
Le jour du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu, le 14 octobre, Abba Héliodore vint nous rendre visite à la maison. A table, je lui racontais ce miracle avec enthousiasme, mais Abba répondit :
– Eh oui, Dyonisi, tu es assis ici à table et tu racontes, mais tu ferais mieux d’aller en cueillir pour qu’on les mange.
– J’y vais sur le champ !
Je pris une lampe de poche et je sortis… Et je rentrai un peu plus tard avec un seau rempli de tomates.
L’homme est le couronnement de la création. Et jusqu’au moment de la chute, alors que l’esprit de l’homme aspirait à Dieu, le monde entier obéissait à l’homme. Le péché a détruit cet ordre. Et la terre a commencé à punir les gens, et ils durent gagner leur pain à la sueur de leur front. Par conséquent, si l’homme peut à nouveau orienter l’élan de son esprit vers Dieu et non aux choses terrestres, le monde lui obéira à nouveau.
Le starets-intercesseur tourne son esprit vers Dieu, et la bénédiction du starets apporte non seulement l’abondance des fruits spirituels, mais aussi l’abondance des fruits terrestres. Cette aspiration à Dieu de l’esprit de l’homme, c’est cela la Sainteté!

Pourquoi le Père Héliodore appelait toujours ma grand-mère «maman?»

Quand le Père Héliodore rencontrait ma grand-mère, il avait l’habitude de l’appeler «Maman Vera». Pourquoi? Voici la clef de cette énigme.
Quand notre famille ne fréquentait pas encore l’église, mon tonton Viatcheslav (le frère de maman), âgé de vingt-cinq ans et étudiant à l’Université de Tver, entra soudain au monastère, à la surprise de tout le monde.
Voici comment les choses se passèrent. En 1990, il alla au Désert d’Optino. Était-ce en qualité de touriste ou de pèlerin qu’il s’y rendit, cela je n’en sais toujours rien aujourd’hui. On venait tout juste de rendre le monastère à l’Église (en 1989). Il était en ruines, mais ceux qui arrivèrent pour le restaurer se souviennent aujourd’hui de ces années comme les plus extraordinaires, empreintes d’élan spirituel. A Optino, mon tonton rencontra le Père Héliodore, et ils se lièrent d’amitié. Mon tonton en fut tellement bouleversé par cette rencontre avec Abba et Optino Poustin’, qu’il voulut y demeurer.
– «Eh bien vas donc à la maison chercher tes affaires, et reviens ici à Optino. Nous t’attendons», lui dit Abba Héliodore. C’est ainsi que tonton entra au monastère et y reçut rapidement la tonsure monastique, devenant le moine Gabriel. Pour toute la famille, ce fut un choc. Un peu plus tard, sa maman (ma babouchka) alla à Optino Poustin’, lui rendre visite. Quand elle arriva, il avait déjà reçu la tonsure, et comme tous ceux qui sont nouvellement tonsurés, il était comme sur un nuage, celui de la première grâce monastique. Mais quand il se mettait à réfléchir, la situation était tout de même un peu tendue, comme pour tous les novices. Babouchka rencontra son fiston et lui dit :
– «Slavik, mon petit! Comment vas-tu?»
Mais il lui répondit, du tac-au-tac :
– «Maintenant, il n’y a plus de Slavik. Je suis le Père Gabriel».

La Moniale Mariam et le moine Gabriel

Grand-mère ne savait pas trop comment se comporter correctement face aux moines. Elle fut terriblement surprise par les paroles de son fils et s’écria presque avec des larmes dans sa voix:
– Comment-ça, père?! Le père de qui?! Mon père aussi?! Je ne suis plus ta mère?!
– «Quand un homme reçoit la tonsure monastique, il renonce au monde et n’a plus les relations de parenté qui étaient avant», expliqua sérieusement mon oncle à sa mère.
S’étant brièvement entretenu avec elle, il rentra dans sa cellule. En larmes, Babouchka, terrassée par cette situation inattendue, se traîna jusqu’à l’hôtellerie des pèlerins. Et à ce moment, le Père Héliodore passa à côté d’elle. Ayant remarqué son état éploré, il ne pouvait ne pas s’arrêter. Il s’approcha d’elle et demanda pourquoi elle pleurait. Babouchka lui raconta tout. Abba parti alors chercher le Père Gabriel dans sa cellule et lui dit assez sévèrement :
– Gabriel ! Tu es malade ou quoi ? Ta mère est venue te voir et tu lui jette ces choses à la tête sans plus de précaution !
Le jeune moine se troubla et essaya de se justifier :
– Ben quoi, tout ce que j’ai dit était juste. Le moine a renoncé au monde, et donc aussi aux liens de parenté…
– Aaah c’est ainsi ?! Alors écoute-moi attentivement ! A partir de maintenant, elle n’est plus ta mère mais la mienne! Tu as bien compris?!

Père Héliodore et la moniale Mariam

Et Abba Héliodore consola ma babouchka, veilla à ce qu’elle soit installée à l’aise, lui raconta tout et lui montra tout à Optino. Et à partir de ce moment-là, il l’a toujours appelée Maman Vera. Ainsi, la grand-mère est partie apaisée et même en partie instruite des choses de l’église grâce au Père Héliodore.
Par la suite, après que toute notre famille fut devenue coutumière de la vie en Église et déménagea à Kozelsk, babouchka reçut elle aussi la tonsure monastique. Le Starets Élie (Nozdrine) la tonsura à Chamordino et lui donna le nom de Mariam, en l’honneur de la Très Sainte Mère de Dieu. Ainsi, la fête onomastique de babouchka tombait le jour de l’Annonciation, et le lendemain, on fête la synaxe de l’Archange Gabriel, nom reçu par son fils.
La moniale Mariam s’est endormie en Dieu à l’âge de 85 ans au Monastère de Chamordino.
Traduit du russe
Source
Toutes les photos sont empruntées au site Pravoslavie.ru