Le texte ci-dessous est la traduction en plusieurs parties de l’original rédigé en mémoire du Père Hiérodiacre Héliodore (Gaïriants)par Madame Olga Rojniova et publié sur le portail Pravoslavie.ru le 10 novembre 2020. Le texte propose cette introduction : Mes amis, notre cher Père Héliodore s’en est allé. Il est parti le 26 octobre, fête de la Très Sainte Mère de Dieu d’Iviron, alors que retentissent devant le trône de Dieu les paroles d’action de grâce à Celle Qu’il aima et vénéra tant au cours de toute sa vie monastique : Réjouis-Toi, bonne Gardienne de la Porte, Qui ouvre la porte du paradis aux fidèles !
Le neuvième jour est déjà là et tous nous avons l’impression, en arrivant à Optino, que le Père Héliodore est là, qu’il lit l’acathiste, proclame les louanges à la Très Sainte Mère de Dieu, entouré, comme d’habitude par les pèlerins, par ses enfants spirituels… Souvenons-nous de lui.
Ma Grand-Mère Maria a sauvé toute notre lignée par sa prière !
Le Père Héliodore, dans le monde Youri Gaïriants, naquit à Bakou le 23 juin 1947. A cette époque, sa maman Evguenia était officier, Lieutenant-chef ; elle servait à l’État-major, au département politique. En 1947, en Union soviétique, le congé de maternité était de 35 jours avant l’accouchement et 28 jours après l’accouchement. C’est-à-dire que lorsque l’enfant avait 28 jours, la mère devait reprendre le travail. En cas d’absentéisme, de retard (plus de 20 minutes de retard, c’était déjà considéré comme de l’absentéisme) ou de départ non autorisé du travail, entre 1940 à 1951, on était passible d’une sanction au pénal. La démission non autorisée et le changement de lieu de travail sans la permission du chef ou du commandant étaient également interdits: les temps étaient rudes après la guerre.La pauvre jeune femme, mère de Youri, était déchirée entre son nourrisson et son travail. Une voisine apporta son aide, mais qu’attendre d’une étrangère : elle ne se tournera pas de l’enfant si ce n’est pas nécessaire. Heureusement, Maria, la mère d’Evguenia arriva. C’était une grand-mère profondément croyante, dont le Père Héliodore a dit plus tard: «Elle a sauvé toute la famille par ses prières».
Le baptême et Kizliar
Tout d’abord, babouchka amena son malingre petit-fils de deux mois à l’église et le fit baptiser en l’honneur du Saint Megalomartyr George le Victorieux. Ensuite, elle prit le train et emmena son petit-fils à Kizliar, en République d’Ingouchie, une petite ville fondée en 1735, fortifiée par les Russes sur les rives du fleuve Terek. Environ vingt-cinq mille personnes y vivaient en 1947; pour la plupart, des cosaques russes et des cosaque du Terek, ainsi que des Avares, des Darguines, des Koumyks, des Lezghiens, des Arméniens… Ils vivaient pauvrement. C’était après la guerre. La plupart des maisons étaient en bois, en torchis, à colombages (les murs des maisons étaient faits de rondins entrelacés de vigne ou de broussailles et enduits d’argile). Des maisons en briques, il y en avait seulement dans le centre de la ville. L’électricité était disponible dans les institutions, mais la population n’utilisait quasi pas l’éclairage électrique. L’eau provenait des puits, pour se chauffer, on avait le poêle. Cinq écoles fonctionnaient dans la ville et l’ancien monastère abritait la clinique du raïon. Ce fut la ville d’enfance du Père Héliodore.
«Un cosaque libre»
Youri grandit à Kizliar comme un «cosaque libre». Plus tard, il se souvenait : «J‘avais la chevelure semblable à un chapeau, toute bouclée, noire comme celles des tzigane, et je portais la chemise jusqu’aux genoux, une vareuse militaire, et pas de pantalon. J’étais au village là-bas. Le matin, je me levais: ‘Eh, mon gars, marche au vent, la fumée monte sur le champ!’. ‘A cheval!’, et j’allais pourchasser tout le monde là-bas. Je faisais cabrer le cheval dans la rue centrale: ‘Eh, les gars! La liberté!’».
Maman s’attristait de mon absence, elle venait me rendre visite quand c’était possible: j’étais un petit d’un an, puis de deux, de trois. Elle repartait, et je l’oubliais immédiatement. Une chose me réconfortait: je savais qu’avec babouchka, j’étais comme sur la poitrine du Christ. Dès que j’eus grandi et qu’il devint possible de me laisser seul à la maison, maman vint immédiatement me chercher et m’emmena à Bakou. Ils ne lui avaient donné que trois jours de dispense.
En juin, Youri avait eu sept ans ; à l’automne, c’était l’entrée à l’école. Mais le petit ne voulait absolument pas s’éloigner de sa babouchka chérie. Celle-ci essayait de le convaincre, le réprimandait : «Écoute ta maman! Bon à rien! Hooligan!». Mais il n’y avait rien à faire; il demeurait inflexible et ne voulait aller nulle part. Sa mère était en larmes. Finalement,on parvint à la convaincre, en lui promettant une glace. Et il partit.
«Grand-mère, donne-moi à manger!»
À Bakou, tout semblait trop grand aux yeux du petit: les maisons à étages, si hautes, les arcades, les magasins. Dans sa joie, la maman ne savait où emmener son fils, que lui offrir, elle courait au magasin acheter de la nourriture, des bonbons. «Fiston, je dois aller travailler demain. Toi, tu resteras à la maison». Elle partit ce matin-là. Youri, selon l’habitude du village, sortit dans la rue, immédiatement il fit connaissance avec tout le monde, les ramena à la maison, et leur donna à manger. Tout le monde mangea, bu, et repartit. La maman revint du travail: «Ah! Mais qu’est-ce que c’est que ça?!». Que faire? Et l’école commençait seulement à l’automne… La mère enferma le garçon. Mais dès qu’elle partit au travail, et il sortit sur le balcon, puis se laissa glisser le long d’une canalisation et se retrouva sur la rue, toute la journée passant d’une cour à l’autre. Maman perdit patience, lui fourra des vêtements dans un sac, et le mit sur le train. Sans billet. Il se faufila de wagon en wagon et finit par arriver chez sa babouchka. Il se glissa subrepticement dans la maison et écouta : grand-mère marchait, elle s’inquiétait, répétant «Oh, ce Yourka, comme il martyrise mon Evguenia là-bas…». Et lui de s’écrier :
– «Qui a martyrisé qui?!»
– «Oh, Mon Dieu! Yourka est ici!»
– «Grand-mère, donne-moi à manger!»
Et l’histoire se répéta plusieurs fois: maman venait le chercher, et il s’enfuyait à nouveau. Et puis il finit par s’habituer à Bakou, à l’école, à ses camarades de classe, et il resta. Certes, chaque printemps, il attendait les vacances et filait immédiatement chez babouchka.
Un homme talentueux aux multiples facettes
Après l’école, Youri entra à l’armée où il servit de 1966 à 1969, à la défense antiaérienne, dans la ville de Gvardeïsk, en l’Oblast de Kaliningrad. A cette époque, il y avait là environ dix mille habitants. Il se souvint plus tard : «J’ai fait mon service en Russie, pendant trois ans et demi. La Russie me plut, sa nature. Je me nourrissais de cet esprit». Revenu de l’armée, j’étudiai à distance les cours de l’Institut Financier et Économique de Toute la Russie, et acquis de la sorte un diplôme de l’enseignement supérieur. Je peignais et jouais de la musique. Il faut préciser que le Père Héliodore était très talentueux ; il jouait merveilleusement du piano, chantait remarquablement, composait des poèmes et des chansons (il écrivit deux cents de celles-ci), dessinait avec art, peignait des tableaux… Et quand il partit au monastère, il brûla tout cela.
«Les funérailles sont annulées!»
En 1972, Youri, âgé de vingt-cinq ans, travaillait à l’Union des Artistes. Ses occupations l’empêchaient d’être souvent à la maison. Un jour, il reçut un télégramme de maman : Babouchka Maria se trouvait dans un état grave. Elle était à Kizliar. Il y alla en train et puis en «marchroute». Quand il arriva, babouchka était alitée. Elle respirait à peine. Les parents étaient réunis autour d’elle : «Les médecins ont annoncé qu’elle nous quittera bientôt...» A quoi Youri répondit : «Elle ne va pas nous quitter!». «Comment ça?» «C’est ainsi!» Il emballa babouchka dans une couverture, puis dans une deuxième (dehors, c’était janvier), et il la prit dans ses bras, comme elle l’avait fait quand il avait deux mois. Ils prirent le train pour Bakou. Partis le soir, ils étaient arrivés le lendemain matin. Il l’emmena de suite à la clinique de l’oblast, chez un médecin qu’il connaissait. Il est vrai qu’on ne lui rendit guère d’espoir : «Écoute, on te respecte, mais excuse-nous, tu n’aurais pas dû venir…». Par la fenêtre, on voyait le cimetière. «C’est là que tu vas devoir aller…». Ils rentrèrent à la maison en taxi. Il appela une connaissance qui travaillait comme anesthésiste : «Lydia, aide-moi, j’ai ramené Babouchka malade !». Babouchka était sur le divan, lui, il avait pris une pelisse et l’avait jetée par terre pour en faire son lit, à côté du divan. Il dit à maman «Installez-vous dans l’autre pièce, je resterai ici près de babouchka. Elle ne mourra pas».
Et il commença à soigner babouchka avec l’aide de Lydia, lui faire des piqûres et surtout à lui masser les mains et les pieds car sa circulation sanguine était fortement altérée. Il lui donnait à boire par cuillerées ; de l’eau et du miel, de l’eau et du citron. Et il massait. Piqûres de vitamines, d’analgésiques… Un jour, deux jours, trois jours… Arrivèrent les fils de babouchka (elle en avait beaucoup). L’appartement de la sœur n’était pas très grand, au deuxième étage. Mais la cour était vaste. On y installa une tente et on y vécut, attendant qu’arrive le jour du décès et celui des funérailles. On fit griller des chachliks. Soudain, babouchka ouvrit les yeux et eut un regard sensé.
– Baboulia, oooohhhh, tu veux manger ?
– Oui, bien sûr je veux manger !
– Que veux-tu ?
– Du pekhi ! (De l’ail mariné à l’arménienne).
Youri sortit sur le balcon et cria à ses oncles : «Les funérailles sont annulées!» (A suivre)
Traduit du russe
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